dimanche 13 septembre 2009

"Contretemps", par Arnaud J. Fleischman

Elle se lève. J’entends le bruit de ses pas sur le parquet. Comme chaque matin. comme chaque jour. Dans ces vieux immeubles, sur ces vieux parquets, les bruits voyagent d’un appartement à un autre facilement. Je sais presque tout d’elle. De ses habitudes. L'heure de son réveil. L’heure à laquelle elle rentre le soir. Quand elle se prépare son repas. Ce qu’elle regarde à la télé. L’heure à laquelle elle s’endort.

Je sais tout d’elle. Je ne sais rien d’elle. Je ne connais le son de sa voix qu'étouffé par les cloisons qui nous séparent. Je connais son nom, mais que l’initiale de son prénom. Je connais l’odeur de son parfum quand je passe après elle dans les escaliers, mais je ne sais pas ce qu’elle aime prendre au petit déjeuner. Je l’observe par le judas quand elle sort de chez elle. Je n’ai jamais osé la croiser, lui parler. Je la regarde de loin. Je suis sa vie au travers des bruits qui me parviennent. Je voudrais lui dire que moi aussi je suis seul et que j’en crève. Je voudrais lui dire que moi aussi je regarde Cold Case et NCIS. Je voudrais lui dire que j’aime son parfum. Je voudrais lui demander si son prénom est Cécile, Céline, Catherine, Claudia, ou Charlotte.

Hier soir, en me couchant j’ai cru l’entendre pleurer. J’aurais aimé être à côté d’elle, la serrer dans mes bras, la consoler. Je me suis endormi en me promettant de lui dire bonjour le lendemain matin. Juste bonjour. Pour qu’elle sache qu’elle n’est pas seule. Que j’existe. Que nos deux solitudes peuvent se croiser.

Elle se lève. Je suis cloué au lit. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive. J’ai des frissons partout. Mes draps sont trempés de sueur. Mes jambes pèsent une tonne. Ma t^te résonne comme un tambour. J’entends la sonnerie de son micro-ondes. Elle a déjà pris sa douche. Elle va bientôt partir. Je vais entendre les clés tourner dans sa serrure. Ses pas dans l’escalier. Puis je resterais seul. Dans le silence. Ce silence pesant qui m’accompagne depuis si longtemps. Ce silence dont elle m’avait tiré en emménageant juste au-dessus de chez moi.

Je retombe dans un demi-sommeil. Un sommeil agité. Je la vois partir. Remonter la rue. Attendre le bus pour aller travailler. Je me demande si son boulot est aussi triste que le mien. Est-qu’elle a la chance d’avoir un travail dans lequel elle s’épanoui ou est-ce qu’elle aussi elle passe sa journée dans un open space à rentrer des chiffres dans des tableurs ? Entouré de gens gris et tristes. Surveillé par un petit patron mesquin. Est-ce que ses journées sont riches ou vide, monotones et répétitives comme les miennes ?
Je me tourne, ouvre un oeil. Il va falloir que j’appelle pour dire que je n’irais pas au bureau aujourd’hui. Je ne vais pas me lever de la journée. Je vais traîner cette crève toute la journée. Ce soir je l’entendrais rentrer. Ses pas dans l’escalier de plus en plus proche. Sa porte qui s’ouvre. Ses pas sur le plancher. La télé qu’elle va allumer. Quelques bruits de cuisine. Puis plus rien. Elle ira se coucher. Lira peut-être et s’endormira. Est-ce qu’un jour elle s’endormira à côté de moi ?

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