Le deuxième épisode est ici.
Mardi 16 mai : Le dimanche, j'avais acheté une entrée au de Young Museum, pour l'exposition "The Summer of Love Experience". J'avais bien fait parce que d'une part ça m'obligeait à y aller ce jour-là (on court toujours le risque, en repoussant les visites à plus tard, de ne pouvoir les faire faute de temps), et d'autre part parce qu'il faisait gris.
Je ne sais pas si je l'ai dit, mais il fait frais à San Francisco, en mai. Le printemps (avril-mai) et l'automne (septembre-octobre) sont les deux meilleures périodes pour visiter, mais il fait rarement plus de 20°C et le soir, la fraîcheur tombe vite. En été, le fog est glaçant. Samuel Clemens, alias Mark Twain, disait que les hivers les plus rudes qu'il avait passés de toute sa vie étaient des étés à San Francisco (il était du coin, il savait de quoi il parlait).
C'était donc le jour idéal pour une visite au musée. Longue visite : 2 heures et demie. Il faut dire que l'exposition sur le Summer of Love est riche, alors qu'elle puise exclusivement dans les collections du musée de Young : affiches, photographies, vidéos, vêtements, oeuvres d'art, réalisations vidéos d'époque (issues du TRIPS festival de 1967). J'avais pris la précaution de me munir de l'audioguide, qui livre des informations précieuses sur une vingtaine de points particuliers, ce qui donne un relief tout à fait bienvenu à l'ensemble de l'exposition.
Je ne vais pas vous raconter le Summer of Love mais après avoir vu cette expo, visionné un documentaire de PBS (la téléradio publique américaine) et vu une autre expo, plus modeste, à a California Historical Society juste avant de rédiger ceci, je peux dire que je comprends mieux désormais de quoi il s'agit. Et que ça tombe bien, puisque dans Franz en Amérique, qui est le livre pour lequel je suis ici, Franz Farkas passe une année "in the Bay Area" en 1971-1972, peu après le fameux été en question. C'est l'époque de la guerre du Vietnam, des Black Panthers, de l'affaire du Watergate et le mouvement hippie est encore frais dans les mémoires, et son influence encore très vibrante.
Quelques photos (il était permis d'en prendre).
(1) Joan Baez et ses soeurs
(2) Halleluyah la pilule !
(3) Le chapeau que Jerry Garcia (des Grateful Dead) porte sur la couverture de leur premier disque et le "Whole Earth Catalog" (magazine et catalogue de ressources "éco-conscient" de l'époque)
(4) Une feuille ronéotée distribuée par les Diggers (anarchistes pronant le partage gratuit de tout) aux milliers de jeunes gens qui débarquèrent pendant l'été 1967 au carrefour Haight/Ashbury
(5) Quelques posters psychédéliques imprimés à SF par la seule imprimerie (auto-gérée) qui faisait tous les posters de concerts, rencontres, etc.
Des vêtements (faits main)
Le poster du "Human Be-In" de janvier 1967, qui mit San Francisco sur la carte pour le reste du monde et attira des adolescents de tous les Etats-Unis dès les vacances de Pâques suivantes et bien sûr pendant l'été...
Il faudrait que j'écrive tout ce que j'ai retenu de cette période charnière de la contre-culture, mais ça me prendrait beaucoup de temps, et j'ai encore des visites à faire à SF. Ce sera pour une prochaine fois.
Mercredi 17 mai. Après une interview skype (elles sont désormais plus fréquentes en ce qui me concerne que les interviews en tête à tête ou par téléphone) j'ai passé la matinée et une partie de l'après midi dans les "Cable Cars" historiques de San Francisco, et au musée du même nom.
Les Cable Cars ne sont pas des street cars (qui roulent sur rail et sont électriques) ou des trolleys (bus sur roue qui reçoivent l'électricité de leurs "antennes") mais des voitures tractées par un câble sous-terrain. C'est elles qu'on voit dans les films comme ici
et elles sont conduites à la main par un opérateur (1) qui a besoin d'être très musclé pour manipuler la longue pince (2) qui lui permet de s'accrocher au câble, et de serrer le frein (à pied) qui permet de s'arrêter.
(1)(2)
Les trajets en cable car sont inclus dans le "passe" Clipper mensuel que j'ai acheté en début de séjour, et le Cable Car Museum est gratuit (c'est un musée municipal). C'est aussi le hangar d'où sont mus les câbles d'une longueur insensée qui courent tout au long des circuits.
La ligne que j'ai prise (la Powell-Hyde) se termine à Fisherman's Wharf, l'un des hauts-lieux (et pièges) touristiques de SF. J'en suis descendu pour visiter les vaisseaux à quai dans le San Francisco Maritime National Historical Park, sur Hyde Street Pier.
L'accès aux vaisseaux coûte 10 $ et on y passe au moins une heure et demie, car deux d'entre eux, "Balclutha" et "Eureka" sont des musées flottants. "Eureka" (1) est le dernier ferry (à aubes) qui transportait des passagers et des véhicules à travers la baie avant la construction du Bay Bridge.
"Balclutha" (2) est un cargo, construit en Ecosse, qui navigua entre 1886 et les années 30 et transporta du successivement du bois, du charbon, du saumon entre San Francisco, l'Australie, l'Europe et l'Alaska.
A la fin de sa carrière, les marins (irlandais ou écossais) voyageaient dans une confortable cabine collective sur le pont. Les hommes chargés de découper le poisson (asiatiques) dans l'entrepont. Leurs cabines étaient très étroites. Ce bateau m'a impressionné parce qu'au moyen d'un aménagement très intelligent de l'entrepont, on en a fait un musée qui raconte les "trois âges" de Balclutha, via des vidéos, des objets et un aménagement évoquant les différentes époques. C'est un musée historique original et très éclairant.
Jeudi 18 mai
Je suis retourné à "Little Italy", dont j'ai parlé dans mon blog de la semaine 2, pour deux raisons. D'une part, passer du temps au City Lights Bookstore, lieu historique et littératire s'il en est, puisque c'est la librairie/maison d'édition qui publia les "Beatnicks" (Kerouac, Ginsberg, Burroughs, etc.). Elle a été créée par l'un des poètes du groupe, Lawrence Ferlinghetti (aujourd'hui âgé de 98 ans !)
Evidemment, j'aurais voulu tout acheter mais je me suis contenté de deux livres.
J'ai aussi fait un tour à la librairie du "Beat Museum", où j'ai trouvé un exemplaire original en poche (1971) de "The Poets of San Francisco", au prix incroyable de 12 $, que je me suis empressé d'acquérir, à la grande surprise du libraire (je pense que ce prix était une erreur, mais comme le livre était sous plastique et l'étiquette collée dessus, il m'a dit : "C'est un très bon prix, mais c'est le prix indiqué, alors...")
J'ai refait la balade de l'autre jour, suis passé devant le café Vesuvio,
et le café le plus ancien de San Francisco (il date de la ruée vers l'Or, et ça se voit)
avant la montée vers Coit Tower, puis la descente à travers les jardins étagés vers le port),
car ma destination cette fois-ci était l'Exploratorium, un musée extraordinaire, le plus souvent visité par les enfants et les groupes scolaires, mais ouvert en nocturne le jeudi aux adultes.
L'Exploratorium est un musée expérimental, à plusieurs titres : je pense qu'il n'y en a que peu (voire pas) d'autres au monde comme lui car les "oeuvres" exposées sont construites par des volontaires, ingénieurs, techniciens, étudiants. Tout ce qui est là "fonctionne" et on demande aux visiteurs de le faire fonctionner pour expérimenter et découvrir eux-mêmes le monde à travers sa réalité physique et matérielle. C'est difficile à décrire, mais on y apprend comment fonctionnent (pêle-mêle) la gravité, la lumière, la diffraction, l'électromagnétisme, le mouvement des marées, la biologie cellulaire, la physique élémentaire, le frottement, le chaud et le froid, les vibrations audibles et inaudibles, le passage du temps, les bizarreries de nos perceptions ...
Les photos ne peuvent pas rendre justice à cet endroit étonnant, créé par le physicien Frank Oppenheimer (frère du co-concepteur de la bombe A). J'avais eu la chance de le visiter en 1976 et j'en avais gardé un souvenir très intense. Je n'ai pas été déçu par ma nouvelle visite. Il est en effet beaucoup plus vaste que lorsque je l'ai visité en 1976. Il avait ouvert en 1969 (la photo ci-dessous montre Oppenheimer au milieu de la première exposition du musée ; on l'a déménagé sur le site actuel en 2013. Auparavant, il se trouvait au Palace of Fine Arts, dans le quartier de la Marina (plus à l'Ouest, plus près du Golden Gate Bridge).
De haut en bas : autoportrait avec goutte d'eau suspendue, une horloge vidéo (à l'heure !!!) dont les aiguilles sont deux tas d'ordures déplacés par deux figures humaines, un miroir déformant et un extraordinaire hologramme (mais ma photo n'a que deux dimensions...)
En attendant 18 heures (heure d'ouverture de l'Exploratorium), j'ai marché jusqu'au bout d'un quai le long duquel des hommes pêchaient. Il y avait du vent, il faisait bon, on était au calme, et le Pacifique était fidèle à son nom.
Le retour, de nuit.
Vendredi 19 mai
Lors de mon passage au lycée français, la semaine précédente, l'une des enseignantes qui m'accueillait dans sa classe, Emilie Armataffet, m'a parlé de son colocataire, James, un "vieux de la vieille" de San Francisco. Elle m'a proposé de le rencontrer. J'ai accepté avec joie.
Nous avons pris une bière le soir au Café International, sur "Lower" Haight Street (au coin de Fillmore). C'est à la fois un café et un lieu de réunion et d'expression libre avec un "Open Mike" (micro ouvert) le vendredi soir, de la musique d'autres soirs. Ce vendredi là, on y parlait très fort alors, pour pouvoir bavarder, on est allés souper, Emilie, James et leur troisième colocataire (dont j'oublie le prénom, et je lui demande de me le pardonner) dans un petit restaurant syrien deux rues plus loin, Palmyra. Et on s'est régalés de cuisine méditerranéenne.
James est un grand bavard (dans mon esprit, ça n'est pas un reproche) et il avait des milliers d'anecdotes à raconter aussi bien sûr Oakland (où il a grandi) que sur San Francisco (où il vit depuis des années), mais aussi sur des figures mythiques qui ont vécu dans la région et qu'il a croisées, ou sur lesquelles il connaît un certain nombre d'histoires. L'une des plus marrantes est celle qui lui est arrivée quand il avait douze ans (au milieu des années 70) et qu'il faisait pousser de la marijuana dans le champ voisin. Je vais sûrement la replacer dans le roman.
Samedi 20 mai
Farinaz Agharabi est francophone et d'origine iranienne. Elle vit à SF avec sa famille depuis de nombreuses années, et elle prenait des photos au cours des deux rencontres au lycée français la semaine dernière. Nous avons sympathisé et elle m'a demandé si j'aimerais venir participer à son émission de radio français, Francofun sur SFCR (la radio communautaire de San Francisco). J'ai accepté avec plaisir et quand je suis arrivé, ses deux garçons et son mari étaient présents dans le studio, actuellement hébergé dans un local provisoire sur Toland Place (dans un quartier industriel).
Lucas a pour pseudo Dj Panda, il a 7 ans et son émission s'appelle Chop Chop Lollipop. Colin en a dix, son surnom de radio est DJ Flying Japan et son émission s'appelle" Oh Grow Up". (C'est à celle-là que j'ai assisté "de l'intérieur".)
J'avais envoyé à Farinaz une liste de chansons françaises. Nous n'avons pas tout passé, mais c'était très agréable de parler des chansons que j'écoutais quand j'étais étudiant en médecine.
Le podcast de l'émission est ICI et la liste est ci-dessous. (* indique les chansons qu'on a pu diffuser).
Les mots (Mama Béa Tekielski) *
La craie dans l'encrier (Catherine Lara) *
Résiste (France Gall)
Le Tourbillon (Jeanne Moreau)
Les coeurs purs (Jean-Roger Caussimon) *
Aujourd'hui c'est toi (Pierre Barouh et Nicole Croisille)
N'y pense plus tout est bien (Hugues Aufray)
La dernière séance (Eddy Mitchell) *
Samba Saravah (Pierre Barouh)
A bout de souffle ou Un été ou Cécile ma fille de Claude Nougaro
Le Sud par Nino Ferrer
La Méduse par Yvan Dautin *
L'amour fou ou Avec le temps par Léo Ferré
La vie c'est comme une dent (Serge Reggiani, Paroles de Boris Vian)
Histoire de faussaire (Georges Brassens)
Un grain de poussière (Jacques Higelin)
La Javanaise (Serge Gainsbourg)
Débit de l'eau, débit de lait (Charles Trénet)
Mathilde (Jacques Brel)
Qu'as-tu appris à l'école (Graeme Allwright) *
Dimanche 21 mai
Debarati Sanyal, professeur à Berkeley et collègue d'Eglantine Colon (qui m'a reçu pendant ma première semaine à San Francisco), nous a invités à regarder les deux premiers épisodes de la nouvelle saison de Twin Peaks "en direct", sur grand écran (elle reçoit Showtime, la chaîne qui la diffuse). La soirée a très bien commencé, avec un buffet délicieux pris dans le jardin, et puis nous sommes allés nous installer devant l'écran HD. Michael Iarocci, compagnon de Debarati et lui aussi professeur à Berkeley (il enseigne l'espagnol) avait pris la précaution d'enregistrer l'émission sur son magnétoscope numérique, ce qui nous a permis de faire des pauses de temps à autre. Comme Showtime offre des sous-titres en anglais (pour les malentendants) on a pu se rendre compte de deux choses : la nouvelle saison de Twin Peaks est beaucoup plus drôle quand on peut la commenter collectivement (on ne s'en est pas privés) ; les sous-titres accentuent le caractère absurde (mais à mon humble avis, involontaire) de la série. Bref, ce qui aurait pu être une épreuve redoutable (car nous avons tous trouvé ça assez insupportable à regarder) s'est avéré être plutôt drôle, par la grâce de la vision collective et de la technologie de diffusion actuelle.
Pour clore cette semaine par quelque chose de nettement plus drôle, voici une scène d'un de mes films préférés, qui se déroule à San Francisco : "What's Up, Doc ?" de Peter Bogdanovich avec Barbra Streisand et Ryan O'Neal.
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