Quand est-ce que ça a changé ?
En 2009, quelques mois avant de commencer ce blog.
Auparavant, j’étais assez inhibé sur ce point. J’ai longtemps cru que je
n’avais pas le droit d’écrire hors de la médecine et du soin. Et comme on ne me
posait jamais de question sur la manière dont j’écrivais des romans, j’en avais
conclu que ce que j’avais à dire sur l’écriture n’avait aucun intérêt pour
personne, et qu’aborder le sujet serait de la vanité. Comme j’étais qualifié de
« médecin-écrivain » et que certains suggéraient que je ne pourrais
pas écrire grand-chose d’autre, je me disais que je n’étais pas « vraiment »
écrivain. Je me retrouve un peu dans le mépris que les critiques adressent
implicitement ou explicitement à des auteurs grand public. Pour ces critiques, les auteurs à succès qu'ils n'ont pas reconnu, découverts ou adoubés sont pas des vraicrivains, et leur succès colossal
témoigne seulement du « manque d’éducation » des lecteurs. C'est très méprisant. Dans
leur esprit, ce qui est populaire est mauvais. Alors que les critères de la
« bonne » littérature, personne n’est capable de les définir, sinon
en se fondant sur le critère le plus élitiste qui soit : la langue. C’est
d’ailleurs pour ça qu’en France on parle de « littérature »
(autrement dit, des productions produites par des lettrés, dont la langue est
outil et reflet de leur statut), tandis que dans le monde anglo-saxon on parle
de fiction et de non fiction, tandis que literature désigne tout ce qui est
écrit.
En France, il y a donc un débat constant (implicite ou explicite) sur
le fait qu’un auteur de livre est ou n’est pas un écrivain. La phrase la plus
cliché qu’on peut lire dans les critiques des hebdomadaires est
d’ailleurs : « … ce livre est celui d’un vrai écrivain » comme s’il y en avait de faux, ou comme s’il
fallait préciser que maintenant, l’auteur est devenu un vraicrivain alors qu’auparavant il était seulement en voie de le
devenir.
Forcément, c’est énervant, surtout quand on voit que ces
« subtilités » introduisent toute une hiérarchie à l’intérieur des
productions écrites. Il y a la littérature « blanche », et puis les
sous-genres, et quand quelqu’un rencontre un succès public important alors
qu’il relève d’un de ces sous-genres (ou d’un sous-sous genre…) beaucoup de
critiques parisiens ont du mal à le qualifier. Ils essaient de le reclasser,
alors qu’il ou elle ne s’y prête vraiment pas. C’est ce que j'ai ressenti en lisant
un article de Michel Contat, paru dans Le
Monde pendant l’été 1998, après le succès de La Maladie de Sachs, et que j’ai reproduit (et "commenté") sur ce site.
Ayant tout ça en tête, j’étais bien sûr un peu hésitant à parler de mon
travail d’écriture,
puisque je n’étais pas un vraicrivain. Et puis, après mon arrivée à Montréal, je me suis dit que c’était idiot. Si beaucoup de gens ont envie de savoir en quoi consiste le métier de médecin, beaucoup (et parfois les mêmes) ont envie de connaître aussi le quotidien d’un professionnel de l’écrit. Et c’était mon cas. J’étais très heureux d’apprendre que Fredric Brown était payé deux cents le mot quand il écrivait une nouvelle de science-fiction et que Stephen King était janitor, concierge dans un fast-food – ou quelque chose d’approchant – avant qu’on publie son premier roman. J’ai été ravi de voir dansun documentaire que Ray Bradbury, pour une nouvelle dans laquelle un personnage converse au téléphone avec une voix fantôme, s’en va visiter un central téléphonique pour voir comment les appels sont triés et redirigés…
puisque je n’étais pas un vraicrivain. Et puis, après mon arrivée à Montréal, je me suis dit que c’était idiot. Si beaucoup de gens ont envie de savoir en quoi consiste le métier de médecin, beaucoup (et parfois les mêmes) ont envie de connaître aussi le quotidien d’un professionnel de l’écrit. Et c’était mon cas. J’étais très heureux d’apprendre que Fredric Brown était payé deux cents le mot quand il écrivait une nouvelle de science-fiction et que Stephen King était janitor, concierge dans un fast-food – ou quelque chose d’approchant – avant qu’on publie son premier roman. J’ai été ravi de voir dansun documentaire que Ray Bradbury, pour une nouvelle dans laquelle un personnage converse au téléphone avec une voix fantôme, s’en va visiter un central téléphonique pour voir comment les appels sont triés et redirigés…
J’adorais lire les recueils d’Asimov parce qu’il racontait, entre deux
nouvelles, d’où lui venait son inspiration. J’avais besoin de savoir que
l’écriture, c’est une technique d’expression comme les autres, que chacun pêche
les trucs là où il peut, chacun se fabrique ses outils, parce que ça n’est pas
une activité qui sort du néant. Et j’ai toujours lu les livres dans lesquels
les auteurs parlent boutique, technique narrative, personnages, coups de blues,
idées géniales qui ne mènent à rien et idées minuscules qui leur font pondre
six cents pages. Dans ces livres-là, écrire est une activité réelle, et non fantasmée.
Un travail, pas des coups de baguette magique. Il y a aussi, chez les auteurs
anglo-saxons, quelque chose de récurrent et qui est très souvent en opposition
à ce que disent les Français : écrire leur apporte du plaisir, ça leur
fait vivre des émotions. Ce n’est pas quelque chose qu’ils font dans la
langueur ou parce qu’ils s’ennuient. Ils écrivent parce qu’ils ont « une
histoire à raconter » et ils essaient de la raconter le mieux possible. Et
comme ce sont des pros, ils aiment partager leur expérience, leur point de vue,
ce qu’ils pensent avoir appris en travaillant pendant des années. Et ça, pour
un lecteur, c’est merveilleux. J’ai fini par comprendre que ce que j’aimais
chez les auteurs anglo-saxons, je pouvais le faire aussi : parler
boutique. Mais comme personne ne me le demandait jamais (on me pose beaucoup
plus de questions sur la médecine et les médecins que sur l’écriture), j’ai
décidé de le faire moi-même, et ça a donné le feuilleton que vous lisez en ce
moment, qui était originellement destiné à devenir un livre, mais qui va rester
inédit pour l’heure, sauf sur ce site.
Au départ, j’ai écrit des entrées de blog qui me venaient spontanément,
ou après une réflexion lue dans un courriel. Et puis elles ont suscité des
questions que je n’avais pas imaginées auparavant. Quand quelqu’un parle d’un
sujet qui semblait auparavant un peu mystérieux, les questions fusent, une
dynamique s’engage. Ce jeu de va-et-vient avec les internautes – les
commentaires que suscitent les articles, les contributions aux exercices, les
questions « techniques » – est merveilleux et très stimulant. Alors
je ne me suis pas privé.
Vous avez lancé des exercices d’écriture, et vous avez publié sur le
blog des textes intitulés « Est-ce qu’on peut apprendre à
écrire ? » et « Qui a le droit d’écrire ? », où vous
semblez répondre « Oui » et « Tout le monde ». N’est-ce pas
un peu complaisant ?
Certains pensent certainement que c’est démagogique, et c’est tant pis
pour eux, car je le pense sincèrement, avec les précisions suivantes :
tout le monde a le droit de s’exprimer comme il ou elle l’entend. Oralement,
par écrit, par la musique ou la peinture, peu importe. Je déteste
l’expression « écrivain du dimanche » ou « musicien
amateur ». Il y a des écrivants, des peintres, des musiciens. Certains
sont professionnels, d’autres font ça pendant leurs heures libres. Certains
sont investis d'emblée et acquièrent avec du temps et du travail un savoir-faire, une maîtrise qui
leur permettent de produire des choses admirables, d’autres encore le font
essentiellement pour se faire plaisir. Ils ont tous le droit de le faire, et
tous peuvent apprendre à mieux maîtriser leur instrument ou leur outil.
La question des « qualités » du produit fini est tout à fait
autre chose. Il n’y a pas à en juger a priori. Je suis d’autant plus irrité par
les jugements à priori que j’en ai moi-même souffert à l’adolescence et en
tant que jeune adulte. Or, parmi les blogueurs et les écrivants anonymes, il y
a ceux qui produiront les romans, la poésie, les pièces de théâtre qu’on lira
demain ou après-demain. Sur mon site, sur mon blog, j’ai accueilli des dizaines
de textes et parmi leurs auteurs, il y en a plusieurs que je trouve
exceptionnels, et à qui je souhaite qu’elles ou ils soient un jour publiés et
lus par le plus grand nombre. Mais en attendant, j’ai été heureux de donner, à
toutes celles et tous ceux qui voulaient jouer le jeu, l’occasion de s’adonner
à des exercices et de m’envoyer des textes. Beaucoup l’ont vécu comme une
libération et ça ne m’étonne pas : j’ai ressenti la même chose quand
Claude Pujade-Renaud et Daniel Zimmermann ont publié ma première nouvelle ou
m’ont encouragé dans l’écriture de mon premier roman. Et comme je n’ai pas de
contrainte de place, pendant trois ans, j’ai publié tout ce que je recevais. Et
je n’avais pas besoin de comité de rédaction pour faire un choix : chaque
membre de la communauté des lecteurs faisait des commentaires, s’il le voulait.
Mais la plupart des commentaires qu'on lit après les textes sont positifs. Est-ce que les
contributeurs du site apprennent vraiment quelque chose ? Ne devriez-vous
pas exercer un regard critique ?
Certainement pas. Je ne publie pas des écrivants pour les étriller ou
les humilier ou leur laisser entendre que je sais mieux qu’eux comment ils
doivent écrire. Ce ne serait pas loyal. Beaucoup, déjà, se sentent indignes de
s’exprimer et ont peur d’être jugés. Je les ai publiés pour qu’ils aient
l’occasion de proposer leurs textes au milieu d’autres, sans que personne ne
les censure. Et ils ont pu le faire de deux manières : soit en participant
à un exercice, pour respecter la contrainte d’une manière toute personnelle, ce
qui déjà est en soi un défi et un accomplissement ; soit en envoyant des
textes originaux. Beaucoup s’y sont risqués, et je suis sûr que lorsqu’ils ont
vu leur texte en ligne, ils l’ont regardé autrement. Avec plus de distance, en
voyant les défauts et les qualités. Je crois que c’est cette confrontation avec
leurs textes, au milieu des autres, qui permet aux écrivants les plus engagés,
ceux qui ont le plus fort désir d’écrire, de progresser. Ils n’ont pas besoin
qu’on leur donne des leçons. Ils sont assez grands pour se poser les bonnes
questions, pour les poser à d’autres quand ils ne sont pas sûrs d’eux et pour
faire le tri dans les réponses. Je pense que ceux qui veulent apprendre le font
sans qu’on ait besoin de les « éduquer », et ils n’ont pas besoin
qu’on les maltraite ou qu’on les regarde de haut. Si j’avais pu, j’aurais eu un
blog, au cours des années 70. Et, Chevaliers
des Touches, c’est une manière de dire que, tout auteur estampillé que je
sois, je ne me sens pas différent des autres écrivants, et que je n’ai pas
oublié ce que c’est d’être un écrivant inexpérimenté en quête de
reconnaissance.
Est-ce qu’on vous envoie des manuscrits ?
On me le propose souvent et je refuse, car je ne veux pas en lire et je les retourne aussitôt. Et jel’ai écrit clairement sur mon Webzine. Je ne suis pas qualifié pour lire un
manuscrit ; je ne suis ni directeur littéraire, ni agent, ni éditeur. Et
la seule fois que j’ai accepté de lire un manuscrit, pour un auteur qui me
considérait comme un ami, je lui ai expliqué comment je l’aurais écrit si
j’avais été à sa place. C’était stupide, indélicat, supérieur, inacceptable. Ça
a dû lui faire un mal de chien, je m’en mords encore les doigts et si je ne
pensais pas que, depuis le temps, il s’en tamponne le coquillard (il a publié
beaucoup de livres depuis…), je lui écrirais pour lui dire à quel point je
regrette de m’être comporté comme ça. Depuis cette regrettable erreur, je n’accepte
plus de lire les manuscrits.
Il vous arrive en revanche d’écrire des préfaces…
Oui, parce que ça fait partie des choses que je crois devoir faire : donner à connaître. Alors je rédige volontiers des préfaces pour des essais ou des documents le plus souvent. Ou pour présenter des rééditions. Mais je n’ai jamais préfacé un premier roman, par exemple. Quand on me demande une préface pour un roman contemporain, je refuse et j’explique pourquoi : préfacer un essai se justifie dans le sens où c’est une forme de soutien moral, symbolique, au propos et à la manière dont il est abordé. Je n’accepte de préfacer qu’après avoir lu le livre, mais à ma connaissance, on ne m’a jamais envoyé de manuscrit avec lequel j’étais en désaccord. Je ne tiens pas à ce que les auteurs voient les choses comme moi, je tiens à ce que sur des sujets épineux – l’influence de l’industrie sur les politiques de santé, l’horreur de la prison, le tabou de la question transgenre, le suicide assisté et l’euthanasie, l’avortement – ou méconnus (les arts populaires), les auteurs se fassent entendre. Si ma préface leur donne une meilleure visibilité, j’en suis très heureux. C’est ma contribution à un projet auquel je m'identifie.
Oui, parce que ça fait partie des choses que je crois devoir faire : donner à connaître. Alors je rédige volontiers des préfaces pour des essais ou des documents le plus souvent. Ou pour présenter des rééditions. Mais je n’ai jamais préfacé un premier roman, par exemple. Quand on me demande une préface pour un roman contemporain, je refuse et j’explique pourquoi : préfacer un essai se justifie dans le sens où c’est une forme de soutien moral, symbolique, au propos et à la manière dont il est abordé. Je n’accepte de préfacer qu’après avoir lu le livre, mais à ma connaissance, on ne m’a jamais envoyé de manuscrit avec lequel j’étais en désaccord. Je ne tiens pas à ce que les auteurs voient les choses comme moi, je tiens à ce que sur des sujets épineux – l’influence de l’industrie sur les politiques de santé, l’horreur de la prison, le tabou de la question transgenre, le suicide assisté et l’euthanasie, l’avortement – ou méconnus (les arts populaires), les auteurs se fassent entendre. Si ma préface leur donne une meilleure visibilité, j’en suis très heureux. C’est ma contribution à un projet auquel je m'identifie.
En revanche, je ne veux pas faire de préface pour un
roman contemporain parce que, pour être franc, je ne saurais pas quoi écrire. Je
peux seulement dire : ce texte me semble beau, me touche, m’émeut,
m’excite. Et ça n’est pas assez original pour justifier une préface. Mais d'un autre côté, je pense qu'un beau texte se suffit à lui-même, il n'a pas besoin de tuteur.
Je me suis lié d’amitié par correspondance avec une femme qui vit à Paris ; elle est enseignante et elle écrit, à mon humble avis, merveilleusement bien. Elle n’a rien publié encore mais lorsque, une fois, elle m’a envoyé un texte pour mon blog, les réactions des internautes ont été unanimes, et chaque fois qu’elle poste un billet ou un fragment sur sa page Facebook, je suis ébloui. Mais je serais incapable de dire pourquoi. Le jour où elle aura un manuscrit achevé, je suis absolument sûr qu’elle trouvera un éditeur et n’aura besoin de personne. Un bon roman - un bon livre - peut se défendre tout seul. Sans l’auteur.e et sans « parrain » pour le préfacer.
Je me suis lié d’amitié par correspondance avec une femme qui vit à Paris ; elle est enseignante et elle écrit, à mon humble avis, merveilleusement bien. Elle n’a rien publié encore mais lorsque, une fois, elle m’a envoyé un texte pour mon blog, les réactions des internautes ont été unanimes, et chaque fois qu’elle poste un billet ou un fragment sur sa page Facebook, je suis ébloui. Mais je serais incapable de dire pourquoi. Le jour où elle aura un manuscrit achevé, je suis absolument sûr qu’elle trouvera un éditeur et n’aura besoin de personne. Un bon roman - un bon livre - peut se défendre tout seul. Sans l’auteur.e et sans « parrain » pour le préfacer.
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