Septembre 2013
Tu m'embrasses, l'écrivain. Tu
m'embrasses dans le cou chaque fois que tu m'écris.
Les femmes qui n'ont pas été
aimées depuis longtemps redeviennent des jeunes filles. Une innocence reconstituée
à mesure que le désamour détricote la force qu'elles ont mis une vie à espérer
bâtir.
Tu m'embrasses l'écrivain. Cela
suffit à envahir mes nuits. De prégnants songes sans véritable sommeil. Nuit
entière de peau. Des mots aux sensations, plus vives que réelles. Le matin,
l'impression d'avoir vécu. Tu m'as embrassée l'écrivain. Tes lèvres sur les
miennes.
Je me souviens.
La mémoire des femmes qui n'ont
pas été aimées depuis longtemps surgit. Le diablotin. Un sursaut. Un éclat. Un
mot suffit pour libérer les millions de papillons séquestrés. On les croyait
morts. Pire, envolés. Ils auraient fuit par trop de déconvenues.
Ici personne n'aimera plus.
Jamais.
Une seule fonction. Celle du
corps qui consentira à vibrer encore. Un homme qui passera par là.
La survivance des sens qui ne
veulent pas mourir avec l'âme.
Tu m'embrasses dans le cou. Parce
que tu es loin.
L'écrivain sait-il que c'est
pire que n'importe quelle nuit?
Qui sait que cela fera plus
facilement perdre la raison que mille mots, autant de gestes d'amour auxquels
les femmes qui n'ont pas été aimées depuis longtemps ne croient plus ?
Tu m'embrasses dans le cou pour
que je brûle de promesses que tu ne m'as jamais faites.
Tout un art...
Tu le sais toi, l'écrivain. Tu le
sais mieux que quiconque parce que tu es écrivain et que tu écris pour cela.
Pour que les femmes qui n'ont pas été aimées depuis longtemps se pâment. Pour
que tes mots aillent remplir les vides, s'infiltrer dans les plus minces
interstices du manque. Elles ne peuvent ainsi plus se passer de tes simples
petits mots de rien du tout qui les ébranlent, ces pauvres femmes qui n'ont pas
été aimées depuis longtemps.
Tu sais que c'est ce qu'il faut
dire. Tu sais qu'il faut l'écrire pour que je reste accrochée à ta réserve.
Tu y réussis. Mais tu ne sais
pas.
Tu ne sais pas parce que cela
t'arrange de continuer de l'ignorer. Tes paumes fermement collées sur tes
oreilles. Comme les enfants qui ne veulent pas entendre. Qui crient plus fort.
Les frissons n'ont pas encore tué
ma fierté. L'on peut ne pas avoir été aimée depuis longtemps et être encore.
Tous. Toutes refusent de le croire. De le voir.
L'amour est bête, l'amour est le
plus sûr chemin vers le ridicule. Il nous fait tomber plus haut que terre.
Pourtant.
Pendant que j'attends ces baisers
dans le cou, je reste la même. Je m'évertue.
L'écrivain. Tu me pousses à être.
Encore plus. Tu n'avais pas pensé à ça. Je t'en remercierais presque.
Ma tête me rappelle à l'ordre.
Le frisson. La raison. Le combat
que je mène encore. Une guerre que je te livre, que je me livre.
J'existe en ça aussi l'écrivain.
Tu ne le sais pas parce que cela te demanderait l'effort de la reconnaissance.
L'effort de te rappeler que les écrivains sont souvent des hommes qui n'ont pas
été ignorés depuis longtemps.
Tu préfères ne pas y penser. Je
te comprends. Tu préfères ne pas y penser et déployer tes ailes de fatuité.
Pour t'envoler, l'écrivain.
T'envoler le plus haut possible
en m'emportant avec toi, précaire arrimage à un, deux, trois mots. Un, deux,
trois baisers. Tu ne peux voler seul. Tu ne sais voler seul.
Tu bats des ailes, tu m’envoles
avec toi. Tu m'emportes, alors tu es bien.
Les mots sur le clavier.
Ta spécialité.
La mienne aussi. Tu n'y penses même pas. Au-dessus du vide, je pressens les attaches défectueuses.
La mienne aussi. Tu n'y penses même pas. Au-dessus du vide, je pressens les attaches défectueuses.
Les femmes qui n'ont pas été aimées depuis longtemps n'ont
peur de rien. Peur de tout.
Ça peut faire rire. Ça fait souvent rire.
C'est pour ça que je ne dis rien.
La honte.
Honte, d'être là, si haut. Pendue à tes mots. Une corde de
rien à mon cou. Solidement nouée. Ce cou sur lequel tu déposes tes baisers.
Tu m'embrasses dans le cou. Tu es écrivain. Tu sais
l'écrire.
Tu me parles de mes yeux alors que je sens mes forces
s'épuiser.
J'ai peur. Je vais tomber. Je te le dis.
Tes beaux yeux bleus...
Retiens-moi, je vais lâcher.
Tes beaux yeux
bleus...
Le vent dans tes ailes t'empêchent de m'entendre. Je crie à
demi-mots. Je sais faire moi aussi.
Tes beaux yeux bleus...
Écoute l'écrivain ! Au lieu
de me regarder et de vouloir que je me taise.
Tes beaux yeux bleus...
Tu parles tout seul. Tu
t'adresses à ton désir de plaire, tu admires le regard que je porte sur toi.
Le bleu de mes yeux comme un
bâillon. Des yeux aveugles sous prétexte que les femmes qui n'ont pas été
aimées depuis longtemps plient sous le premier compliment venu. C'est ce qui
est drôle l'écrivain.
Le pouvoir de l'auto-dérision.
Aussi.
Les films de mes heures volées.
Je riais plus jeune de la mythique réplique de Jean Gabin.
À moi, on ne la fera jamais !
Punie d'avoir su si tôt ?
Ce fut toujours les premiers mots
que j'entendis.
Ce qui est plus drôle encore,
c'est cette oreille que tu gardes sourde à ce que j'y hurle avec adresse.
Peut-être as-tu compris en
revanche que je n'étais point femme à forcer les barrages. Trop fière.
Tu bats des ailes, pénétré d'une
sérénité toute offerte à tes pieds. Tu jouis peut-être, de te sentir si fort.
Cet amour-là te suffit. Celui que tu insuffles pour que l'autre te le porte.
Et qu'ensuite, tu peux refuser.
Tu aimes l'amour. Tu me le dis.
Tu me l'écris.
Pour faire de moi ton
obligée.
Obligée d'une
satisfaction de pacotille. Une dose. « Je pense au bleu de tes
yeux ».
Ma dose. Très vite,
j'en veux encore. J'en veux plus.
Ton pouvoir s'oppose
à ma naissante dépendance. C'est ici que les choses s'arrêtent.
Susciter le désir. L'entretenir ensuite.
Susciter le désir. L'entretenir ensuite.
C'est ça hein,
l'écrivain ?
T'oublier dans ce
désir de plaire, que la reconnaissance de tes pairs ne suffira pas à contenter.
T'oublier jusqu'à salir de tes propres mots les valeurs que tu prônes. Puisque
l'on t'écoute.
Puisque partout où tu
passes, on t'écoute.
Je suis cet être
humain que tu aimes comme ton frère. Je suis cet homme que tu entends défendre
avec tes mots.
Opprimée par tes
soins. Par ton amour de l'amour. Dépendance.
L'on sous-estime les
femmes qui n'ont pas été aimées depuis longtemps. Des proies faciles.
Pourtant, mes yeux,
dont la couleur a si peu d'importance, sont grand ouverts. Des yeux qui
acceptent d'être aveugles juste pour entendre les mots d'un sourd.
Je t'aime malgré ça,
l'écrivain. Parce que je te reconnais.
Je t'aime parce que
nous sommes mêmes. L'arrogance joue dans tous les camps. Et l'on en change si
vite !
Je te veux mon égal.
Je me réclame de la même déficiente humanité.
Nous aimons comme
nous souffrons. La sagesse n'existe qu'aux yeux de ceux qui se protègent.
Je veux que mes mots
triturent mon propre ventre.
Entends-moi,
l'écrivain.
Regarde-moi dans les
yeux et non dans les tiens.
Après cela,
seulement, je te laisserai me tourner le dos.
C'est juste magnifique...
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