mercredi 21 octobre 2009

Du "courage de s'exprimer"

Hier, à Radio-Canada, où j'étais de nouveau invité à m'exprimer sur la grippe A/H1N1 et la vaccination (je vous rassure tout de suite, je ne vous assommerai pas avec ça ici, je ne prononcerai même plus son nom, c'est juste pour resituer le contexte), la journaliste me demandait si m'exposer ainsi - à dire tout haut ce que d'autres pensent tout bas - ça ne demandait pas un certain "courage".

Je ne sais plus ce que j'ai répondu, je crois que j'ai répondu à côté, alors ça me donne l'occasion de revenir là-dessus.

Je ne crois pas être quelqu'un de particulièrement audacieux. Je traverse le plus souvent "dans les clous", je ne fais pas de sport extrême, je n'aime même pas les films d'horreur (j'ai horreur qu'on me fasse peur), et j'ai fermé les yeux pendant les trois quarts de Alien, ce qui fait bien rire mes enfants.

Je suis comme tout le monde, j'ai des crises d'angoisse de temps à autre, surtout quand je suis fatigué et/ou abattu mais je ne passe pas mon temps à me faire peur avec les catastrophes les plus invraisemblables. Et lorsque j'ai pris une assurance pour l'appartement que je venais de louer à Montréal, j'ai éclaté de rire, au téléphone, quand l'agente qui remplissait mon questionnaire m'a demandé si je voulais souscrire à l'option séisme. (Si, si, je vous jure...)

Je pense donc que je ne suis ni plus peureux ni plus brave qu'un autre, alors ça me surprend toujours qu'on me parle de mon "courage".

C'est tout relatif, le courage. Si j'avais été un journaliste algérien il y a quinze ou vingt ans, à l'époque où la moindre critique du pouvoir valait de se retrouver égorgé dans un coin sombre, alors oui, parler aurait été du courage.

Mais en France ou au Québec, en 2009, parler de la (je vous avais dit que je ne prononcerais plus son nom) à la radio ou à la télé, je ne vois pas bien quel courage cela demande.

Sinon qu'il est effectivement singulier de s'élever contre les discours dominants de toute nature. On peut craindre d'y laisser des plumes, d'être viré d'une radio ou d'une équipe d'enseignants de fac, par exemple.

La parade (quand c'est possible), c'est de dépendre le moins possible des autres. J'ai eu la chance de ne jamais dépendre d'un seul employeur, car j'ai toujours eu plusieurs boulots à la fois ; bien avant de gagner une indépendance supplémentaire grâce à mes livres.

Et avant ça, à peine arrivé en fac de médecine, j'ai farouchement revendiqué le droit de prendre la parole contre les gens ou les choses qui m'énervaient : le concours abject, le bizuthage, les profs sexistes, les étudiants soumis, les politiciens tordus (je sais, je sais, c'est un pléonasme...), les patrons autoritaires, et j'en passe.

(Maintenant que j'y pense, à l'adolescence, j'avais écrit des textes révoltés inspirés par le "J'accuse" de Zola... Donc, ça ne date pas de la fac...)

Ecrire ne me demandait (et ne me demande) aucun courage. Ecrire, c'était la manière la plus simple de canaliser la colère. C'était un exutoire, c'est devenu un outil. Et c'est l'écrit qui m'a, paradoxalement, donné une légitimité suffisante pour qu'on me demande, aujourd'hui, de parler.

Je sais que parler (et par "parler", je veux dire critiquer, dénoncer, prendre parti, bref : s'engager), c'est risqué. Surtout quand on ne fait pas, objectivement, partie de l'élite auto-proclamée à qui tout est permis...

Je sais aussi que ça n'est pas donné à tout le monde de prendre ce type de risque, et qu'il faut bénéficier de circonstances favorables. Mais je pense sincèrement que, parmi les "hors-élite", ceux à qui cette occasion est donnée se doivent de la saisir, pour eux et pour les autres.

Car la vie, c'est risqué. Et un écrivain "engagé" qui ne prend pas de risque, ce n'est pas un écrivain vivant.

(Post-scriptum, quelques heures plus tard)
J'ajouterai que prendre la parole en tant que médecin, pour remettre les pendules à l'heure, pour donner de la clarté à ce qui reste dans le flou, pour écarter les fantasmes et éviter les peurs inutiles, ça va de soi, à mes yeux. Un médecin détient un savoir, mais ce savoir ne lui appartient pas. Il a l'obligation morale de le partager. Et quand ce savoir lui permet de critiquer les discours "univoques" des institutions, politiques ou autres, son obligation morale n'en est que plus urgente.

Car celui qui connaît la vérité et se tait est, sinon un criminel, du moins complice de ceux qui veulent maintenir le silence.

6 commentaires:

  1. Oui, les journalistes et les politiques poussent trop souvent vers le superlatif. Autre exemple, ils parlent des critiques contre la candidature du fils du président à l'EPAD comme d'une "chasse à l'homme".
    Je ne sais pas alors comment décrire ce que subissent les clandestins qui veulent passer en Angleterre.

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  2. bien sûr qu'on ne cherche pas à établir un palmarès du courage, la palme aux résistants à une dictature, le deuxième prix aux justes...
    bien sûr qu'il est physiquement peu risqué de dire que la maladie fort opportune permettant d'occuper l'opinion et de faire croire au peuple qu'on prend soin de lui (et toc, pas citée non plus) sert à certains à gagner de l'argent et qu'elle ne fait pas plus de morts que ce qu'on peut attendre de sa cousine "habituelle" .
    cela étant, c'est moins risqué pour vous que pour certains parce-que vous avez su vous créer des conditions de vie laissant peu de place aux pressions (on vous y a aidé en vous délogeant des postes où ces pressions étaient possibles!).
    mais vous pouvez tout de même accepter d'entendre que ce que vous dites, d'autres le savent et pourtant ne le clament pas, n'essaient pas de la faire diffuser, et qu'en cela, vous vous exposez plus qu'eux.
    savoir si c'est du courage de votre part, du calcul de la leur, on s'en fout un peu, non?
    vous avez une conscience et visiblement, vos engagements sont guidés par cela, ne vous en excusez pas, c'est tout bénef' pour nous (et important pour vous, à priori).
    à n'importe quel niveau, il est plus facile de se taire que de l'ouvrir, je crois.

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  3. Emmanuelle Mignaton22 octobre 2009 à 05:29

    Vous parlez de colère dans ce billet Martin?

    Ca tombe bien, je ne pouvais pas mieux tomber, regardez par là :
    http://www.rue89.com/cabinet-de-lecture/2009/10/21/martin-winckler-un-toubib-en-colere-parmi-les-femmes

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  4. Bonjour,
    Il est plus question de devoir humain que de courage. Ce matin, on a refusé mon enfant à la crèche au motif de la A alors qu'il a une poussée dentaire et 38°C. J'ai reçu un mail qui nage en pleine parano et ou on peut lirepar exemple :
    "Si les gens sont septiques à propos du futur génocide en marche, poser leurs les questions suivantes, et ils ouvriront les yeux, du moins je l'espère. Si vous ne le faites pas pour vous, pensez à vos enfants. Pourquoi y a t’il un tel tapage médiatique afin de faire peur aux gens, alors que cette « grippette », n'est pas aussi mortelle que la grippe saisonnière? Pourquoi veulent-ils vacciner toute la population? De gré, pour l'instant, mais sûrement de force, en utilisant plus tard la loi, tel que l'état d'urgence, ou à terme la loi martiale? Pourquoi est ce que tout les réservistes (armée, police...) ont-ils été contactés, en janvier, afin de se tenir prêts pour fin juin? Pourquoi est ce le Ministère de la défense et non le Ministère de la Santé qui s'occupe de ce dossier? Pourquoi toutes les transactions avec les différents laboratoires sont-elles classées Secret Défense ?"
    Affligeant d'en arriver à ce stade où le bon sens n'est plus de ce monde.

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  5. Puisqu'il s'agit d'un blog pour écrivant... pour un oxymore ? (un pléonasme, certes, mais un oxymore... ?)

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  6. Merci Martin, merci Winckler pour ce billet qui parle d'or. Il me conforte dans l'idée que le milieu universitaire français (mais pas que) est sclérosé, replié sur lui-même et que si on ne lui appartient pas, il est très mal vu de s'en réclamer et encore plus mal vu de s'en détacher (à part peu être pour les disciplines "nouvelles" en France comme les études de genre).

    Et que du coup, cela demande un certain courage en effet de s'inscrire en faux face à cette hypocrisie, cette reproduction sociale, cette pensée unique, ce conformisme "de bon aloi". Ce raisonnement peut d'ailleurs s'appliquer à une bonne partie de la société française, tout ce qui sort du cadre n'étant pas vraiment apprécié, y compris par le corps médical tout-puissant et son Conseil de l'Ordre Etabli ( allez parler de végétarisme et encore "pire" de végétalisme aux médecins français et comparez ce qu'en disent les médecins anglo-saxons, vous verrez le choc des siècles de retard ... ). Bref ici tous ceux et toutes celles qui sortent du cadre sont considérés comme des psychos, ou étiqueté-es comme tel-les.

    Donc encore merci à toi, ne m'en veux pas si je te tutoie, je tutoie tous ceux que j'aime même si je ne les connais pas ( merde je deviens lyrique maintenant ... ) pour penser, parler, informer.

    Merci encore Winckler pour me (re)donner envie d'écrire, de canaliser la colère qui m'habite, qui me ronge pour essayer de faire en sorte que ma modeste voix porte un peu plus loin que le désert des Tartares.

    Ah, une dernière chose : oxymore est féminin.

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