Lire la première partie de ce texte
Rappel :
Je suis une lectrice. (Je rappelle qu'ici, j'utilise le féminin générique.)
Au cours de ma vie, j'ai lu beaucoup de livres écrits par des femmes. Des livres et des femmes de tous les genres. Je suis un une "lectrice transgenres (littéraires)" -- intertextuelle et intersectionnelle.
Je les énumère ici dans l'ordre approximatif de mes lectures.
Il y a ici des livres connus de beaucoup, et d'autres que j'ai le sentiment d'être seul à connaître (ou de me rappeler). Je les mentionne de mémoire,. Il y en a certainement eu beaucoup d'autres. Mais si je me souviens de ces autrices spontanément, c'est parce que leurs livres ici mentionnés m'ont marqué, il y a plus de cinquante ans ou la semaine dernière, par leur contenu ou leur écriture ou les deux.
Ces livres m'ont appris à lire, à imaginer, à écrire, à sentir et à penser. Et ça continue.
MW
NB : Je renvoie vers la page wikipédia (ou équivalente) de chaque autrice en français, sauf quand elle n'existe pas - auquel cas je renvoie à la page dans sa langue natale.
Les couvertures choisies en illustration sont celles des éditions que j'ai lues.
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A l'époque où je me suis installé à la campagne et écrivais mon premier roman, La Vacation, et alors que je traînais dans ma librairie préférée de l'époque (Plurielles, au Mans), je suis tombé sur un livre de Marie Didier, Contre-Visite.
Le texte de la quatrième de couverture était exécrable. La bande rouge annonçant à grand bruit "Un médecin parle !" ne l'était pas moins. Je l'ai vaguement feuilleté et reposé. Quelques jours plus tard, j'entends sur France-Culture que l'émission du matin (Culture-Matin, alors animée par Jean Lebrun) allait recevoir Marie Didier. Il en parlait avec chaleur, donnait envie de la lire et de l'entendre, et proposait à une auditrice ou un auditeur de venir bavarder avec elle. Il suffisait d'écrire une lettre de motivation.Intrigué, j'ai écrit et, contre toute attente, on m'a invité. Je me suis précipité pour acheter et lire le livre et j'ai découvert qu'il valait bien mieux que sa bande rouge et son résumé de dos (lequel, je l'ai appris plus tard, n'avait pas été écrit par elle). C'est le journal, sensible et passionnant, d'une gynécologue vivant à Toulouse. Elle y parle des femmes qu'elle soigne mais aussi de sa vie de femme, de son corps de femme, et de tout ce que les médecins n'écoutent et ne disent pas. (C'était son premier livre, elle en a écrit beaucoup d'autres.)
J'ai passé une matinée passionnante, moins à cause de l'émission (où Jean Lebrun voulait surtout parler du livre et du métier de médecin) que parce qu'ensuite, je suis allé prendre un café aux Ondes avec Marie Didier et l'amie qui l'accompagnait.
Elle était la première femme-médecin de langue française que je lisais. Et son livre m'a non seulement fortement marqué, mais accompagné pendant toute l'écriture de mon roman, et longtemps après. Le texte de quatrième de couverture, rédigé par quelqu'un de chez Gallimard, m'avait dissuadé de la lire. J'ai résolu que si jamais j'avais un jour la chance d'être publié, je rédigerais toujours mes quatrièmes de couverture.
Comme pour La Ventriloque de Claude Pujade-Renaud, dont j'ai parlé dans la première partie de ce texte, j'ai été très marqué par le livre de Nicole Malinconi (et par L'Attente, lu plus tard) et je me suis félicité de ne pas l'avoir lu avant d'écrire mon roman. Je n'en aurais pas eu le courage, je ne m'en serais pas senti le droit.
Quand j'étais adolescent, j'aurais été bien en mal de dire ce qu'était un viol. Ce n'était pas un mot qu'on prononçait, même pendant les journaux télévisés. On utilisait des métaphores, la pire étant "un sort pire que la mort" ; il m'a fallu longtemps pour comprendre que cette métaphore ne voulait pas du tout dire la même chose selon qu'on était un homme ou une femme, et qu'on avait ou non été violée.
Avant mes premières rencontres sexuelles, à 18 ans passés, je n'imaginais pas qu'on pouvait contraindre quelqu'un à ce que j'appelais encore à l'époque "faire l'amour" (je n'utilise plus cette expression depuis longtemps en dehors de ma vie privée). C'était bien avant le SIDA, à une époque où la principale crainte était encore une grossesse non désirée. J'évoluais dans une ville universitaire, où beaucoup de femmes de mon âge venaient de milieux favorisés, prenaient la pilule et n'hésitaient pas à inviter un garçon à passer la nuit avec elles si elles en avaient envie.
Pour le jeune homme que j'étais, qui n'osait jamais faire le premier pas et s'étonnait qu'une femme puisse avoir du désir pour lui, l'idée de forcer quelqu'un à passer la nuit avec moi était impensable ; et ma naïveté, immense.
Au milieu des années 70, à Tours, Nancy - la libraire de la Librairie Franco-Anglaise dont j'ai parlé dans le texte précédent - avait composé un rayon de littérature féministe en français et en anglais. C'est sur ses étagères que j'ai un jour découvert Le Viol (Against Our Will : Men, Women, and Rape) de Susan Brownmiller. Ce n'est pas un roman, mais une analyse critique de la place occupée par le viol dans la société. C'est dans ce livre que j'ai lu la première critique féministe soulignant le sexisme de Freud et de la théorie psychanalytique.
Que dire ? Sinon que ce livre m'a ouvert les yeux sur des violences que je n'imaginais pas et m'a profondément bouleversé. Même s'il n'est pas exempt de critiques (il n'aborde pas les viols subis par les femmes afro-américaines ou appartenant à d'autres minorités), cela reste un livre-phare du féminisme nord-américain. On doit à Brownmiller d'avoir montré sans équivoque que le viol n'est pas une activité sexuelle, mais un acte de violence et de domination, et que sa représentation dans la littérature et les arts a longtemps été destinée à maintenir les femmes dans la peur et la soumission.
Il va sans dire que cette lecture a profondément changé mon regard sur la sexualité - et sur mes propres attitudes, avant même que je remette en question celles des hommes qui m'entouraient.
Il n'en a pas fallu beaucoup plus pour que je prenne conscience qu'un viol n'est pas nécessairement un acte imposé par la force physique mais aussi par les paroles, par l'attitude ou, simplement, par le statut de la personne qui le commet.
Car la culture du viol (même si le terme n'existait pas encore) était omniprésente, dans la faculté de médecine où je croyais apprendre à soigner.
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C'est aussi pendant mes études que, parmi bien d'autres lectures, j'ai découvert les ouvrages de Barbara Ehrenreich et Deirdre English,
Witches, Midwives, and Nurses: A History of Women Healers (1972)
ainsi que Complaints and Disorders: The Sexual Politics of Sickness (1973) (qui n'a pas été traduit, je crois)
et For Her Own Good: Two Centuries of the Experts' Advice to Women (1978).
Marylin French est également l'autrice de l'imposant From Eve to Dawn, A History of Women in the World (quatre volumes ! non traduit en français à ce jour). Je l'ai dévoré pendant que j'écrivais L'Ecole des soignantes et le poème qui court dans tout le livre ("Je suis celles") lui doit beaucoup.
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Comme beaucoup de lectrices au début des années 80 j'ai lu L'Amant de Marguerite Duras mais il m'a moins ému qu'un autre texte (autobiographique) paru la même année, et intitulé La Place (Gallimard, 1984).
Ledit texte venait à point nommé. Récit rétrospectif de la vie du père de l'autrice, c'est aussi celui d'une vie dans une société profondément inégalitaire, dans laquelle on doit "parler comme il faut" et "rester à sa place". Il m'a d'autant plus touché que mon propre père était mort quelques mois plus tôt. La manière à la fois simple et précise, documentée mais jamais distante, dont Annie Ernaux reconstitue la vie de ses parents (elle fera de même avec sa mère dans Une femme) m'a montré la voie : le jour où j'ai écrit Plumes d'Ange, je m'en suis souvenu.
Quinze ans plus tard, un autre livre d'Annie Ernaux m'a beaucoup touché : L'Evénement (2000). C'est le récit de son avortement, en 1963, à une époque où la pilule existait à peine, et où l'IVG était encore un délit passible des tribunaux. Un beau livre encore une fois, sensible et précis, qui rappelle une époque où les femmes qui ne voulaient pas de leur grossesse devaient le payer cher - pour certaines, de leur vie. Si je ne me trompe, elle l'a composé en s'appuyant sur son journal de l'époque et ne l'a pas caché, ce qui m'a beaucoup réconforté.
Pour avoir tenu un journal, pendant plus de 40 ans, je tiens à rappeler que tenir un journal c'est de l'écriture. Une écriture à part entière, qui peut se suffire à elle-même ; qui peut aussi établir les fondations de textes plus construits, de fiction ou non ; qui peut également servir de "carrière" pour des textes expérimentaux - et bien d'autres formes. Ce n'est pas "de l'écriture au rabais" comme on l'a longtemps prétendu, et depuis une trentaine d'années, des universitaires comme Philippe Lejeune ont montré toute la valeur (et toutes les dimensions) de l'écriture journalière.
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Quand on entreprend - comme je l'ai fait ici - de retourner sur "les livres de sa vie", on se rend compte qu'il y a eu des périodes où l'on a moins lu... ou peut être moins de livres marquants. Pendant la dernière décennie du 20e siècle, j'ai moins lu, et écrit beaucoup plus. En tant que journaliste (à Que Choisir Santé première version), comme traducteur (plusieurs livres chez P.O.L, des romans policiers et de SF, mais aussi une ribambelle d'articles et de livres de médecine) et comme rédacteur de textes de vulgarisation.
A partir de 1998 et de la publication de la Maladie de Sachs, je me suis mis à beaucoup voyager, en France et en dehors. Et j'ai lu beaucoup plus.
Au début des années 2000, à la faveur des traductions de Sachs, j'ai fait beaucoup de voyages à l'étranger. (Ce qui m'a permis de dépasser ma phobie de l'avion...) J'ai découvert que dans tous les aéroports du monde, il y avait de grandes librairies, toutes ou presque riches d'un rayon fourni de livres en anglais récents, du roman policier au best-seller de self-help en passant par des livres d'histoire et de vulgarisation scientifique. J'ai acheté beaucoup de livres à la librairie de l'aéroport de Montréal, en particulier. (Elle a malheureusement disparu depuis.)
Parmi ces livres, les ouvrages de sciences humaines (Anthropologie, Psychologie cognitive, Archéologie, Histoire des peuples) étaient nombreux.
Ce qui était frappant, c'est le nombre de livres, leur diversité et leur accessibilité, sans commune mesure avec ce qu'on trouvait dans les "Relais H" des aéroports français.
C'est grâce à ces librairies que je me suis peu à peu initié à l'anthropologie et à la psychologie évolutionniste. J'ai lu beaucoup d'ouvrages depuis vingt ans, mais peu m'ont marqué comme les trois que je cite ici.
Anatomy of Love (1992) (Traduction : Histoire naturelle de l'amour) par Helen Fisher. C'est une description des pratiques de "mating" (accouplement) dans le monde entier. Fisher est anthropologue et spécialiste des comportements, elle puise dans des travaux nombreux, menés depuis près de 100 ans (à l'époque) aussi bien dans des sociétés industrialisées que parmi des populations premières encore protégées. Son livre décrit les comportements et rituels amoureux, depuis le "courtship" (l'approche amoureuse) jusqu'aux séparations, en passant par les négociations autour du sexe, les rituels de la grossesse, la naissance et les structures familiales.
C'est un livre éclairant, qui montre que les comportements amoureux ont des passages obligés communs dans toutes les cultures, et dérivent probablement de comportements très anciens, développés par l'évolution au fil de plusieurs centaines de millions d'années de développement de l'humanité, avant l'avénement de l'agriculture. (Il y a 8-10 000 ans). Ce qui m'a beaucoup frappé, c'est la manière dont Fisher décrit des notions d'anthropologie, de sociologie, d'histoire des populations d'une manière limpide, accessible à des lectrices n'ayant aucune notion préalable en la matière (ce qui était mon cas). Elle s'appuie aussi sur des connaissances biologiques solides et ne s'aventure jamais à affirmer ce qui ne peut pas l'être. Je ne peux pas préjuger de la qualité de la traduction, mais quand on veut comprendre les bases biologiques et anthropologiques des relations amoureuses, c'est à mon avis un livre tout à fait indispensable. Par la suite, elle a consacré plusieurs livres au désir et à l'attraction, en particulier Why We Love et Why Him ? Why Her ? tout aussi passionnants, dans lesquels elle établit une typologie des liens amoureux fondée sur la biologie et les connaissances en psychologie cognitive.
L'ouvrage fondateur co-signé par Cosmides et John Tooby s'intitule The Adapted Mind and the generation of culture. (Le cerveau adapté et la genèse de la culture...) Il n'a pas été traduit mais vous trouverez des ouvrages en français sur la page wikipédia de la psychologie évolutionniste.
Mother Nature, l'ouvrage monumental de Sarah Blaffer Hrdy (1998 - En français : Les Instincts maternels, traduction tronquée parue aux Ed. Payot) est probablement LE livre qui m'a le plus marqué au cours de ces vingt dernières années. Au fil de mes lectures de psychologie évolutionniste, je le voyais mentionné et cité sans arrêt, et j'ai fini par le chercher pour le lire. Ce n'était pas facile : il est paru en 1998 et n'a pas été réédité depuis, on le trouve en édition usagée sur les sites de libraires d'occasion.
C'est un livre très important, tant dans le domaine de l'anthropologie, de la médecine, de la sociologie que pour le féminisme. Ecrit par une primatologue, c'est une somme biologique et historique de ce qu'est "l'être mère". En partant des rôles sexués observables dans tout le monde vivant, Hrdy passe aux primates, puis aux humains, et montre qu'être mère (la nature de la maternité), c'est pas de la tarte. C'est une lutte quotidienne, permanente, contre les prédateurs, les partenaires potentiels et la progéniture. Chez les personnes humaines, c'est en plus une lutte contre le corps social. Y compris (et pas moins violemment) quand les femmes ne veulent pas être mères...
Ce livre fascinant, passionnant comme un roman historique (et c'en est un) m'a sans aucun doute conduit à repenser tout ce que je croyais avoir compris de la santé des femmes. Il m'a certainement amené à concevoir et à décrire ce que je nomme "la charge physiologique" dans C'est mon corps (L'Iconoclaste, 2020). Le poids d'être mère, ça commence par le poids d'être femme -- un poids qui existe pour l'immense majorité des femmes, même quand elles décident de ne (ou ne peuvent) pas être mère.
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Pendant l'année que j'ai passée aux Etats Unis (1972-1973) et lorsque j'y suis retourné en 1976, j'ai rencontré beaucoup de femmes de tous âges qui m'ont sensibilisé aux inégalités entre femmes et hommes. Comme j'avais envie de comprendre, je me suis procuré des livres. L'un d'eux, Sisterhood is Powerful, est depuis devenu un classique.
J'ai toujours aimé les comédies romantiques, le mélodrame et la science-fiction, et j'ai un faible pour les histoires de voyage dans le temps. Quand un roman mêle tous ces genres, je suis bon public. Parmi tous ceux que j'ai lus, un titre se détache parmi tous les autres, c'est The Time Traveler's Wife d'Audrey Niffenegger (Traduction française : Le Temps n'est rien, Ed. Lafon).
C'est un roman d'amour, un roman de science-fiction, et c'est aussi une construction narrative époustouflante, qui nous fait voyager le long de la vie des deux protagonistes (un homme qui se déplace spontanément dans le temps, la femme amoureuse de lui et qu'il aime) de manière aussi surprenante et (en apparence) arbitraire que les déplacements temporels du personnage masculin. C'est un texte magnifique qui me bouleverse et me fait pâlir de jalousie chaque fois que je le relis... Je lève mon chapeau et je m'incline bien bas devant la maîtrise de l'autrice.
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Je suis fasciné depuis toujours par la langue anglaise, et par sa cohabitation parfois complexe avec le français. L'une des autrices qui m'ont le plus éclairé sur le sujet est la linguiste Henriette Walter, grâce à son épatant ouvrage Honni soit qui mal y pense. Il raconte l'histoire parallèle des deux langues, et montre que tous les préjugés sur "l'invasion linguistique" du français par l'anglais n'ont aucun sens. Les deux langues se sont toujours enrichies mutuellement à mesure qu'elles évoluaient.
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Le dernier livre dont je voudrais parler, j'en ai terminé la lecture ces jours-ci, pendant la première semaine de 2021. C'est une fois encore un livre d'histoire(s). Il s'intitule The Story of Jane.
"Jane", c'est le nom de code que s'étaient donné les femmes du réseau informel qui organisa des avortements clandestins à Chicago entre 1968 et 1973 (date de la décriminalisation de l'avortement aux Etats-Unis). Le livre est l'histoire orale de ce réseau, rassemblée par l'une de ses participantes auprès de ses camarades. Il a été publié pour la première fois en 1995 et réédité l'an dernier.
A l'heure où les législateurs français refusent aux sages-femmes l'autorisation de pratiquer des IVG par aspiration, ce livre nous raconte qu'il y a cinquante ans, des femmes militantes et bénévoles ont appris à pratiquer des IVG sans danger en se passant des médecins.
Ce n'est donc pas seulement un document historique remarquable, c'est aussi un modèle de lutte et d'émancipation et une leçon pour tous ceux qui voudraient laisser croire que les femmes ne sont pas capables d'assumer elles-mêmes la prise en charge des gestes les plus essentiels à leur liberté.
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Mathilde Larrère et Aude Lorriaux, Des intrus en politique
Grâce à son livre Marie-Galante, Emmelene Landon nous permet de le retrouver vivant, et je la remercie profondément.
Montréal, 12 janvier 2021.