Je viens de terminer un livre. Celui dont la couverture est reproduite ci-contre.
C'est un essai.
Ce texte sur lequel j'ai travaillé pendant plusieurs mois a été lu, annoté, commenté, critiqué par les éditeurs, le conseil juridique, les correctrices ; j'ai apporté des précisions, des corrections, des ajouts, opéré des modifications (lorsque j'étais imprécis ou pas clair) ou des coupures (lorsque je ne pouvais pas étayer ce que j'affirmais). J'ai vérifié des références, ajouté des notes de bas de page. Bref, après l'avoir écrit seul, je l'ai relu et complété avec plusieurs personnes.
Le texte final est la résultante de ce travail collectif.
Ces dernières semaines, le texte a été mis en page, et j'ai relu deux séries d'épreuves (une mise en page du livre) en PDF, puis un "BAT" (bon-à-tirer) ; j'ai corrigé des erreurs et apporté des modifications - je n'étais pas seul, bien sûr à le faire. Deux ou trois autres personnes ont tout relu, mot par mot. Cette semaine, le fichier est désormais "finalisé" - si tant est que pareille chose soit possible. Il va partir à l'imprimerie. En principe, il arrivera en librairie début octobre.
Ce livre est un essai qui puise à trois sortes de sources :
- mon expérience personnelle, d'étudiant en médecine, de praticien, de parent, de patient et proche de patients ;
- des témoignages recueillis au cours de mon exercice, mais aussi via les nombreux courriels que j'ai reçus depuis 2001-2003, années de la publication de mon Contraceptions mode d'emploi, de ma chronique radio sur France Inter, et de la création d'un site consacré à la santé et aux droits des patients ;
- des articles de journaux, livres, résultats d'enquêtes, documents, émissions de radio.
Ce livre est un pamphlet. (Mais vous l'aviez deviné en lisant le titre et le commentaire de dos de couverture.) C'est un livre engagé, comme je brûlais d'en écrire à l'époque où j'étais étudiant et lisais Médecine Générale de Jean Carpentier, La consultation de Norbert Bensaïd ou Notre corps, nous mêmes, du collectif des femmes de Boston.
A l'époque, bien sûr, je n'avais pas les outils (les connaissances, la liberté d'accéder aux informations que permet aujourd'hui le web) qui me permettaient d'écrire ce genre de bouquin.
Ni, bien entendu, l'expérience et le recul nécessaires.
Mais bon, là, c'est fait, j'ai écrit un des bouquins qui me trottent dans la tête depuis très longtemps.
Et je le dois à une éditrice, Muriel Hees, qui m'a contacté et proposé de le faire. Car j'avais un peu abandonné l'idée. Je me disais : "A quoi bon ? Je répète toujours la même chose. Tous ces trucs-là, tout le monde les connaît, tout le monde en a conscience. A quoi bon en remettre une couche ?"
Et j'ai entendu une voix me dire : "Vous savez, mais ça n'a encore jamais été écrit. Pas comme ça. Et en ce moment, il n'y a pas tant de gens que ça qui pourraient le faire."
Et nous voilà.
Le livre va paraître. Il aura ou non un écho, tout ça ne dépend pas de moi mais d'un faisceau de circonstances imprévisibles. (1) En tout cas, il existera.
En dehors même de son caractère militant, l'écriture de ce livre-ci a été très particulière : je n'ai pas cessé, tout au long de l'écriture, de recueillir dans les journaux, dans la presse, au jour le jour, des informations qui venaient compléter et parfois illustrer de manière plutôt sombre ce que j'y écrivais. Aujourd'hui même (10 août 2016), alors que le texte est définitif (sauf dans le cas d'une deuxième édition augmentée, ce qui est encore plus aléatoire), je lis dans la presse deux informations que j'aurais pu y inclure.
La première concerne l'Examen National Classant, le "nouvel internat" imposé à tous les étudiants en médecine depuis quelques années. L'article concerne les étudiants d'Amiens, faculté classée "dernière" à l'ECN. Cet article, qui donne la parole aux étudiants, montre très bien le mépris avec lequel on les traite, mépris que certains enseignants de leur faculté (comme dans beaucoup d'autres facultés françaises) manifestent aussi à l'égard de la médecine générale.
(Ici, une éclairante analyse de Maxime Gignon, professeur de santé publique à Amiens, pour montrer que "être la dernière fac à l'ECN", ça ne veut strictement rien dire...)
La seconde information concerne la prescription à 10 000 femmes enceintes, entre 2007 et 2014 d'un médicament (la Dépakine) toxique pour le foetus. Cette toxicité est subodorée les années 80 et les revues médicales en parlent depuis au moins 10 ans (2006). Voici ce qu'en écrit La revue Prescrire qui avait déjà averti ses lecteurs (médecins et pharmaciens) en 2009 !!!
La lecture de ces deux articles m'a conduit à réfléchir aux livres que j'écris, et aux motifs qui me font les écrire.
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Je ne peux parler que pour moi-même, mais si j'écris des livres, c'est d'abord parce que j'aime lire.
J'écris les livres que j'aimerais lire. Sur des sujets qui me touchent. Dans une certaine mesure, je vois ça comme les conteurs qui reprennent des histoires qu'ils ont entendues et en font une version nouvelle ; ou les metteurs en scène qui montent "leur" Molière ou "leur" Shakespeare. On raconte toujours des histoires qui nous tiennent à coeur, et on les raconte comme on a envie de les entendre et de les donner à entendre.
J'écris aussi parce que j'aime apprendre - et transmettre ce que j'ai appris, ce que j'ai cru comprendre. J'ai la conviction (ou l'illusion) que le savoir accentue notre liberté (ou réduit notre asservissement), et j'aime penser que, via le savoir, la liberté se partage.
Donner à lire, partager le savoir, c'est le résultat espéré ; je ne le maîtrise pas : il dépend de la vie du livre après que je l'ai écrit. Après qu'il a quitté mes mains.
En revanche, que j'écrive un essai ou un roman, j'ai le sentiment que le moteur de l'écriture est toujours le même : exprimer une émotion, des convictions, une révolte, une aspiration, un espoir. Je n'ai pas d'ambition "artistique" à proprement parler : je ne vise pas à écrire une "oeuvre", à "révolutionner le langage" ou à "bouleverser la littérature". Je me suis toujours demandé ce que ces expressions signifiaient, d'ailleurs. Est-ce qu'elles ont un sens pour un livre qui vient de paraître ? Comment peut-on dire qu'un livre change (mettons) la manière de raconter sans savoir quels autres livres ont été écrits après lui, et quelles manières de raconter antérieures il a rendues obsolètes ?
Plus prosaïquement, j'ai le désir que mes livres touchent aujourd'hui celles et ceux qui les lisent, que ça provoque des émotions et une réflexion en écho à ce qui me les a fait écrire. Que ça change (ne serait-ce qu'un tout petit peu) leur perspective, leur regard sur le monde, leurs perceptions. Et que ce soit "interactif" : autrement dit, que les lecteurs m'en parlent. C'est pour ça que, dès que ça a été possible, j'ai mis mon adresse courriel dans mes livres.
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Encore une fois, l'accueil d'un livre et son écho public sont imprévisibles. Mais j'ai le sentiment que le genre compte beaucoup dans la durée de cet impact. Et qu'un roman a plus de chances de "rester" - ou d'être lu au-delà de sa vie en librairie.
En dehors de textes religieux comme la Bible (qu'on peut considérer comme une oeuvre de fiction et de propagande politique, étant donné l'histoire de sa composition), l'immense majorité des textes qui "restent" sont des romans ou des pièces de théâtre, pas des pamphlets ou des livres d'histoire. Les textes ancrés dans la réalité immédiate se démodent très vite, parce que la réalité bouge tout le temps, alors que la fiction - qui parle essentiellement à nos sentiments - reste suspendue et, parfois, se patine avec le temps.
Tous les romans ne "restent" pas, même ceux qui ont eu beaucoup de succès ou été "couronnés" au moment de leur parution (consultez la liste des prix Goncourt, pour vous en convaincre). D'autres, écrits en trois mois en 1946 et mésestimés au moment de leur sortie, sont vingt ans plus tard tirés à 50 000 exemplaires par an en poche et font figure de classiques au bout de 70 ans (c'est à dire, aujourd'hui). Quand ils restent, c'est sans doute parce que quelque chose (l'histoire, la "patte", encore une fois) continue à parler aux nouveaux lecteurs qui les ouvrent... et les lisent jusqu'au bout. Suivez mon regard.
A travers des personnages et leur histoire, les romans emportent les lecteurs dans un monde fabriqué et inconnu du lecteur. Avec le temps, ces personnages et les péripéties deviennent parfois des archétypes. Comme les personnages de l'Odyssée, Colin et Chloé sont des personnages légendaires. Mais ils ont été couchés sur le papier tout de suite, tandis que Pénélope et Ulysse ont d'abord été des personnages transmis par la tradition orale.
Les essais, eux, (qu'ils parlent d'un livre, d'un film, d'un pays, d'une situation, d'une idée) scrutent un monde existant pour en montrer des facettes méconnues ou cachées. Quand ces livres-là ont le bonheur de résister au temps, c'est peut-être parce que la manière dont ils sont écrits continue à nous parler, même si le monde qu'ils décrivent a disparu ou beaucoup changé.
Parce qu'ils parlent d'une réalité fluctuante, ils sont plus souvent éphémères que les romans, il me semble. Certains restent parce qu'ils acquièrent une valeur historique. Mais beaucoup sont vite dépassés : la réalité est plus intéressante à regarder au jour le jour que par le prisme du livre qui en parlait hier.
Et il en va tout particulièrement, je crois, des livres de "dénonciation", qui révèlent une réalité mal connue. Ils courent toujours le risque d'être démodés avant même d'avoir été lus. C'est le cas du livre que je viens de terminer : il ne pourra jamais être "complet" ou "définitif". Une lutte comme celle-là, ça n'est jamais fini.
C'est un risque ; ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas le prendre.
Je me souviens qu'adolescent, j'avais été fasciné par le "Speaker's Corner", ce lieu de Hyde Park, à Londres, où n'importe qui peut s'exprimer publiquement sur n'importe quel sujet. Avec ou sans porte-voix.
Et je me rends compte que (encore une fois, je ne parle que pour moi) les livres, en un sens, sont des porte-voix. D'abord pour celui ou celle qui écrit, et qui se met en valeur en affichant ses textes, tout comme le chanteur ou l'acteur se mettent en valeur sur scène, le peintre ou le sculpteur dans une exposition, l'athlète au cours d'une compétition.
Quand on a, comme c'est mon cas, la chance de pouvoir publier ce qu'on écrit (ou qu'on est invité à écrire), il me semble qu'on doit se servir de ce porte-voix qu'est le livre pour faire entendre d'autres voix que la sienne.
Dans le meilleur des cas, le son sera entendu par beaucoup et portera loin. Dans le cas contraire, on peut espérer que ceux qui prendront la peine de l'entendre trouveront le message suffisamment important pour le transmettre à leur tour, à leur manière.
MZ/MW
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(1) Contraceptions mode d'emploi est sorti en septembre 2001. Tous les livres qui ont été publiés à ce moment-là ont été (on le conçoit) plutôt passés sous silence par les médias. Le mien était un manuel pratique qui ne s'est pas trop vite démodé, alors il a trouvé son public. Mais les autres n'ont pas tous eu cette chance. Autant dire que la destinée d'un livre est plus qu'aléatoire.
Merci pour ce beau texte, Marc. Une très belle introduction pour ton livre. Un porte voix, c'est exactement ça. Comme je te l'ai dit, je vais en offrir un à chacun des étudiants qui viendra en stage au cabinet. Leur faire découvrir "Prescrire", "Pratiques", la magnifique deuxième version de l'ouvrage de Marie Thérèse Lussier et Claude Richard, tes ouvrages, ceux de Christian (Lehmann) et de tant d'autres. Je suis persuadé que ces nos jeunes qui pourront faire évoluer les choses. Dr Franck Wilmart
RépondreSupprimerJ'ai très hâte de lire votre livre Martin Winckler!
RépondreSupprimerVous mettez en mots la colère et la frustration des femmes, face à plusieurs médecins masculins et aussi parfois féminins qui se croient des dieux parce qu'ils sont médecins...alors qu'ils\qu'elles doivent être au service de leurs patientes avec respect, dans un soucis de leur transmettre leur savoir pour qu'elles deviennent le plus possible en contrôle de leur corps et de leur santé.
Vos écrits font du bien à ma colère de femme médecin de famille !
Suzanne Cummings MD (au Québec)