Ecrire c'est exprimer en mots des souvenirs, des
expériences, des émotions, des idées et leur donnant une forme – poésie, essai,
fiction, chanson, scénario – qui restitue au plus près l'impression initiale
que nous en avons eu, à l'intérieur de nous.
Ecrire, c'est coucher sur le papier quelque chose qu'on a
sur le cœur ou dans la tête, pour le regarder au lieu d'en être habité et
parfois rongé.
Ecrire, c'est faire passer de l'intérieur à l'extérieur ;
autrement dit : opérer un déplacement – ou, comme on le dit en mécanique, ou à
propos d'un véhicule : une translation. C'est un voyage dans lequel on se perd
– et dans lequel on aimerait bien perdre celui ou celle qui va le recevoir. C'est
trouver le mot juste pour soi et pour l'autre.
Ecrire c'est transcrire ses pensées en s'efforçant de ne pas
se trahir. Et c'est difficile, et c'est facile : qui pourra dire si nous les avons modifiées,
travesties, habillées ou maquillées entre le moment où elles ont éclos dans
notre tête et celui où elles sont fixées sur la page ?
Ecrire, c'est organiser des mots qui n'existaient pas sous
une forme qui sera conservée (les paroles s'envolent, les écrits restent, même
si à l'heure de l'informatique et de l'internet, ça n'est plus vrai) et partagée.
Ecrire, c'est produire de la lecture ; c'est une activité de
passeur. J'écris pour passer le mot. Et parfois, pour faire passer la pilule. J'écris pour transmettre - autrement dit, pour passer le relais au lecteur.
D'un autre côté, traduire, c'est faire passer un texte
initialement écrit dans une langue en une autre langue – en restituant au plus près la
construction, les nuances, la forme du texte initial.
Traduire, c'est transformer un texte en un autre texte, pour
donner accès à ceux qui ne pouvaient pas le lire dans son état premier. C'est
une grande responsabilité : il ne s'agit pas de transcrire ses pensées mais
celles de quelqu'un d'autre, et c'est furieusement difficile. Qu'il soit mort
ou vivant, on ne peut pas facilement lui demander si c'est bien ceci, et non
cela, qu'il a voulu dire. Et il n'est même pas sûr qu'on ait intérêt à le faire.
Traduire, c'est transcrire dans une langue ce que quelqu'un (le plus
souvent quelqu'un d'autre, mais parfois aussi soi) a écrit dans une autre.
Traduire, c'est faire passer d'un référent à un autre. C'est aussi une translation.
Traduire, c'est se lancer dans un voyage au cours duquel on espère, si possible, ne rien perdre de ce qu'on
a reçu. C'est transcrire des mots en s'efforçant de ne pas trahir leur auteur, et
de ne pas tromper le lecteur qui les attend. C'est trouver le mot juste pour
deux autres que soi.
Traduire, c'est reproduire un texte existant sous une forme
qui n'en sera ni la réplique exacte, ni une vague imitation – afin de partager
son sens et son essence, à défaut de ses sons.
Traduire, c'est réécrire une lecture. Pour traduire avec plaisir (et mettre du plaisir dans ce qu'on écrit), il faut aimer ce qu'on lit. C'est aussi une
activité de transmission, le passage d'un relais. Mais quand je traduis, je suis le relais.
Et comment traduire sans se trahir, quand on est soi-même poète, ou écrivain ?
Et comment traduire sans se trahir, quand on est soi-même poète, ou écrivain ?
Mar(c)tin
"Mais quand je traduis, je suis le relais."
RépondreSupprimerCette dernière phrase résume et clos à merveille
J'écris et je mets en scène, je retrouve exactement ce que vous dîtes à propos de traduire, quand je mets en scène le texte d'un autre. C'est une chose étrange aussi de mettre en scène un texte traduit, a qui être fidèle, quand tant de filtres se sont fait, sinon à soi même ? A sa première lecture ? (Je suis une insupportable metteur en scène pour les acteurs, quand ce sont mes propres mots,les contraignants à une fidélité excessive... sourire )
RépondreSupprimerJ’écris comme me viennent à l’esprit les soliloques servitudes de mes effractions ; parce que l’écriture est une humeur. J’écris comme un voleur, à la dérobée, sans autorisation ni diplôme. J’écris pour forcer le temps à traduire une destinée à des congénères illettrés. J’écris comme on croit en l’existence, la pudeur en moins. J’écris dans l’inquiétude d’une écriture vraie qui ne se laisse appréhender que dans le mensonge. J’écris à la dérobée, clandestinement, sans imaginer un instant qu’un regard inquisiteur se portera sur mes soliloques. J’écris pour me compromettre dans la contradiction. J’écris pour contredire cette compromission. J’écris dans l’espoir de boucher mes trous de mémoire avec un ferment lactique imbibé de gaz hépatique au renvoi sarcastique. J’écris à chaque minute, pour faire tampon périodique sur la ponctuelle irrégularité du temps. J’écris selon mes humeurs, à brûle-pourpoint, avec des relents au goût jaunâtre. J’écris pour effrayer les psychanalystes, trop oublieux de leur propre vide. J’écris les assemblages hétéroclites de mes morceaux posthumes. J’écris pour résister à ma perte. J’écris à la perte de mon réel. J’écris pour faire de mon réel un organe sexuel.
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