jeudi 15 avril 2010

Partir, revenir (exercice n°12, 18) - par Marie L.


Prendre le temps. C’est ce qu’elle s’était juré de faire, pour elle, dans l’avion qui l’avait emmenée à New York trois semaines auparavant. Elle avait prévu de rentrer au bout de dix jours, mais au dernier moment elle avait changé son billet. On ne prend pas le temps comme on prend un avion. Alors ce temps dont elle avait besoin, elle avait décidé de se le donner, pour de bon. Trois semaines face à elle-même, pour décider. Revenir ou pas ?
En marchant dans les rues, sans savoir vraiment où la menaient ses pas, elle énumérait mentalement ce qui l’avait poussée à s’envoler.

Sa mère trop présente. Sans doute. Mais depuis quelques temps déjà elle savait s’en éloigner avant de lui laisser une chance de la ressaisir de son cordon nécrosé de solitude.

Son père. L’absent de toujours. Elle ne savait pas parler lorsqu’on lui a dit qu’il était parti. Le tabou autour de son nom, les photos cachées par ses ainés dans les agendas, le silence de plomb, comme toujours pour « ce qui risquerait de faire de la peine ». Elle ne saurait même pas dans quelle allée chercher.

Ses frères, si proches, si lointains, trop occupés par leur nombril d’ados quand elle aurait eu besoin d’une image masculine forte, enveloppante, de quelqu’un pour la soulager du poids de l’angoisse de cette mère abandonnée.

Cette sœur, inconnue, et qui le restera cas il ne peut en être autrement.

C’est comme ça. On n’y peut rien. Il ne faut pas remuer le passer. Ces petites phrases aussi, surtout, elle les a fuies. Trop occupés à occulter ce passé si effrayant pour eux, et pourtant si riche, ils en avaient tous oubliés le présent. Et ça c’était devenu insupportable.

Un avion au dessus d’elle la sort de sa méditation ambulante. Elle sent la crispation autour d’elle dans la rue. Elle n’était pas née à l’époque, mais elle sent bien que chez les anciens la mémoire est vivante. C’est ça qu’elle est partie chercher, à de milliers de kilomètres de chez elle. La mémoire de son histoire. Et pour la retrouver, il fallait s’éloigner de la toile familiale.

Lucie. La lumière. Elle ne pouvait pas continuer à vivre dans l’ombre. Elle a pris son temps et sa décision, la décision de s’offrir le plus beau cadeau. Aujourd’hui, c’est sa vie à elle qu’elle a choisi de recevoir.

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