lundi 28 février 2011

Débuts de romans (rattrapage) - par Adrienne


Débuts de romans (Exercice n° 15) - Adrienne
Il s'agit d'écrire le premier paragraphe (environ trois cents signes et espaces) d'un roman en y intégrant les éléments suivants :

- un gratte-ciel
- un chat
- un paquet de farine
- un ticket de métro OU un ticket de cinéma
- un homme et une femme (leurs caractéristiques sont libres) qui se croisent sans se voir

L'exercice doit être répété trois fois.

- en optant, chaque fois, pour un point de vue de narration différent : première personne, deuxième personne ou troisième personne du singulier
- en choisissant, chaque fois, un "genre" reconnaissable : roman réaliste, roman de science-fiction, roman noir, roman satirique, roman d'horreur, etc.

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Du côté de chez moi
Longtemps je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine avais-je fermé les rideaux sur les gratte-ciel de la métropole et donné une dernière caresse à mon chat, mes yeux se fermaient si vite que j’avais juste le temps de me dire : « Demain, il faudra que je m’achète un kilo de farine, il n’y a plus de madeleines… ». Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de me lever et de prendre le métro m’éveillait ; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que j’avais observé ce jour-là, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi-même cet homme ou cette femme que je voyais chaque jour sur le quai, lisant le même journal, ayant la même allure, et qui pourtant n’avaient encore jamais eu un regard l’un pour l’autre.



Dans l’escalier
Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d’une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne, où l’homme et la femme se croisent sans se voir, où la vie du gratte-ciel se répercute, lointaine et régulière. De ce qui se passe derrière les lourdes portes des appartements, on ne perçoit le plus souvent que ces échos éclatés, un chat qui miaule, un paquet de farine qu’on déchire, une poubelle qu’on ouvre pour y jeter un vieux ticket de métro trouvé au fond d’une poche alors qu’on y cherchait un mouchoir.



Lettre 1
Tu vois, ma bonne amie, qu’il n’y a pas que les bonnets et les pompons et que depuis que tu as quitté ton couvent pour la ville et ses gratte-ciel, tu as besoin de quelques sous dans ton réticule, non point pour la quête, mais pour t’acheter un ticket de cinéma ! Tu as ta harpe, ton dessin, tes livres, comme au couvent, mais tu as aussi un chat ! Tu as ta chambre, ton cabinet, un joli secrétaire et parfois à l’office tu peux mettre la main à la pâte sans que Mère Perpétue ne soit là pour te gronder quand tu as laissé tomber un paquet de farine.
Ma chère bonne, on t’a dit si souvent qu’une demoiselle devait rester au couvent jusqu’à ce qu’elle se mariât, tu peux donc en déduire que cette dame qui est venue voir ta mère, et cet élégant monsieur à moustaches qui l’a croisée, ce n’était ni une nouvelle femme de chambre, ni le cordonnier ! Conviens que te voilà prévenue ! 

jeudi 24 février 2011

It must have been fun (Versions 1 et 2) - par Martine B.

Version 1

Lou n’aimait pas rendre visite à sa grand-mère. La vue de tous ces vieillards en super forme le déprimait. Il se demandait si à quatre-vingt ans passés, il serait assez fou pour jouer au tennis comme le faisait encore Mamie. Il détestait ces pratiques d’un autre temps. Pourquoi  courir comme des dératés en plein soleil alors qu’on pouvait  s’adonner à n’importe quel sport chez soi dans un environnement sain et climatisé, assisté d’un robot personnel qui contrôlait en permanence votre glycémie et votre rythme cardiaque ? Non franchement, il ne comprenait pas cette génération …
Un dimanche par mois ses parents le conduisaient  à Vert & Bleu, la  résidence pour séniors sportifs où habitait sa grand-mère. C’était un ancien club de golf qui avait été laissé à l’abandon dans les années 2030, à peu près à l’époque où l’exercice physique au grand air était tombé en désuétude. L’ancien club house abritait désormais un bar à jus de fruits, un restaurant diétético-moléculaire,  des salles de soins où officiaient une myriade de kinés, et une salle polyvalente utilisée la plupart du temps pour des bals, car tout ce petit monde avait encore la jambe leste. Sur l’ancien parcours on avait  construit des maisons individuelles,  quelques magasins, un salon de beauté et une entreprise funéraire. Tout était organisé afin que les résidents n’aient pas trop à sortir de leur retraite dorée.
 Lou avait horreur de devoir embrasser les amis de sa grand-mère, comme si cela se faisait encore d’embrasser les gens ! Leur odeur corporelle l’incommodait, et il avait une sainte frousse d’attraper une maladie de peau. Mais le  pire, c’était quand ils se mettaient à radoter sur leur passé, parce qu’ils croyaient que cela intéresserait le p’tits gars, comme ils disaient dans leur langage de vieux. C’est ainsi que quelques semaines auparavant, ils lui avaient parlé d’un drôle d’endroit, l’école. Il avait découvert qu’autrefois on ne travaillait pas tranquillement tout seul chez soi  sur son bureau tactile comme il le faisait,  mais qu’il fallait se rendre en un endroit assez sordide où les enfants s’appelaient des « élèves ». On réussissait à en enfourner une bonne trentaine par classe, (salle minuscule dénuée de tout équipement électronique), et ils transportaient  des sacs qui pesaient une tonne d’où ils extirpaient des objets reliés, en papier. Sur les plus fins ils copiaient des lignes de mots à l’aide d’une sorte de stylet qui leur salissait les doigts. Quand ils  se trompaient, il fallait tout recommencer.  Les autres objets reliés étaient des « livres ». Pour lire,  il fallait prendre chaque feuille entre ses doigts et la tourner pour faire défiler les mots, une véritable perte de temps et d’énergie avait pensé Lou. Une personne d’âge mûr était là aussi, et  d’après Grand-Père elle griffonnait de temps en temps sur une planche de bois rectangulaire de couleur noire ou verte qui était fixée sur l’un des murs. Elle s’énervait aussi quand le groupe devenait bruyant,  et menaçait  de les coller, mais ils avaient déjà l’air scotchés sur leurs chaises, alors pourquoi en rajouter ?
Lou se rappela un film-docu qu’il avait visionné pour son projet d’histoire, dans lequel un certain Monsieur Perez humiliait une pauvre fille parce qu’elle n’avait pas réussi un travail appelé devoir, pour lequel on  obtenait un  score. Elle avait reçu l’humiliation suprême, un zéro sur vingt. Pourquoi sur vingt d’ailleurs ? De nos jours, tout cela n’était plus possible. Lou planifiait lui-même ses journées de travail et faisait ses exercices à son rythme : on ne le forçait ni à accélérer le rythme quand il était fatigué, ni à le ralentir s’il avançait bien. Lorsqu’il avait atteint un niveau de compétences il passait au suivant, tout simplement. Lou n’avait jamais vu le superviseur, car il ne se déplaçait que lorsqu’un enfant ne tenait pas ses objectifs  ou  avait endommagé son bureau tactile, et Lou était  studieux et très soigneux avec son matériel.
Dans ce film, de nombreux autres détails avaient intrigué le jeune garçon. Les « élèves », bien qu’entassés dans cette pièce, ne semblaient pas en pâtir. Ils avaient même l’air de bien s’amuser, surtout quand l’adulte avait le dos tourné. Certains consultaient des messages sur leurs i-phones et y répondaient, d’autres bavardaient en aparté, il y en avait aussi qui se tenaient par la main sous les tables. Lou avait également  observé de nombreux échanges de regards complices, suivis de fous rires interminables. Il s’était promis d’en parler avec sa grand-mère.
Le dimanche suivant Mamie lui avait expliqué que dans sa jeunesse le principal intérêt des garçons et des filles étaient de séduire des personnes du sexe opposé. On savait qu’on plaisait à quelqu’un quand il vous chahutait sans cesse. Il s’ensuivait une sorte de jouxte verbale qui durait un certain temps, puis un beau jour vous ne pouviez plus vous passer l’un de l’autre. C’est alors que vous vous embrassiez, et c’était le début d’une formidable aventure qui vous faisait entrer dans le monde des grands. Mamie  et Papy s’était connus de la sorte, sur les bancs de l’université. La mère de Lou était née quelques années après. Il se demandait  bien comment, d’ailleurs, encore une question à élucider. Désormais c’était quand même plus simple, on pratiquait des FIV en fonction  des études prévisionnelles des besoins de l’industrie et de la finance. Cela avait éradiqué de manière très simple un autre problème d’autrefois dont lui avaient parlé ses parents, le chômage. Ceux qui ne voulaient pas se conformer à ces méthodes de procréation avaient le choix, mais leurs enfants étaient voués à des emplois subalternes, comme celui de soignant par exemple. (Il y avait encore quelques rebelles réfractaires aux médicaliments pour tomber malade.)
 Lorsque les gens se rencontraient de cette  manière totalement aléatoire, on disait qu’ils s’aimaient. Ils écrivaient  des textes  pour exprimer leurs  sentiments, ou alors ils les déclaraient de vive  voix. Etre amoureux mettait les gens dans un drôle d’état, Mamie disait qu’ils avaient «  la tête à l’envers ». ‘Eh bien, ça devait être beau !’, avait rétorqué Lou. Mais Mamie lui avait répondu que cela les rendait heureux, et qu’elle ne connaissait rien de mieux.
Seul devant son bureau le lendemain,  Lou avait du mal à se concentrer. Il ne cessait de repenser aux paroles de sa grand-mère et se dit que finalement, on devait bien s’amuser autrefois.


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Quelques jours après la publication de la version 1, Martine m'écrit qu'en se relisant, elle a des remords et m'envoie une version 2, en me demandant de remplacer l'une par l'autre. Je lui réponds que je publie les deux, afin que tout le monde puisse profiter des modifications. Après tout, on est sur un blog où l'écriture bouge et n'est pas figée... Alors, autant que ça se voie ! 

MW

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Version 2 :


Lou n’aimait pas rendre visite à sa grand-mère. La vue de tous ces vieillards en super forme le déprimait. Il se demandait si à quatre-vingt ans passés, il serait assez fou pour jouer au tennis comme le faisait encore Mamie. Il détestait ces pratiques d’un autre temps. Pourquoi  courir comme des dératés en plein soleil alors qu’on pouvait  s’adonner à n’importe quel sport chez soi dans un environnement sain et climatisé, assisté d’un robot personnel qui contrôlait en permanence votre glycémie et votre rythme cardiaque ? Non franchement, il ne comprenait pas cette génération …
Un dimanche par mois ses parents le conduisaient  à Vert & Bleu, la  résidence pour séniors sportifs où habitait sa grand-mère. C’était un ancien club de golf qui avait été laissé à l’abandon dans les années 2030, à peu près à l’époque où l’exercice physique au grand air était tombé en désuétude. L’ancien club house abritait désormais un bar à jus de fruits, un restaurant diétético-moléculaire,  des salles de soins où officiaient une myriade de kinés, et une salle polyvalente utilisée la plupart du temps pour des bals, car tout ce petit monde avait encore la jambe leste. Sur l’ancien parcours on avait  construit des maisons individuelles,  quelques magasins, un salon de beauté et une entreprise funéraire. Tout était organisé afin que les résidents n’aient pas trop à sortir de leur retraite dorée.
 Lou avait horreur de devoir embrasser les amis de sa grand-mère, comme si cela se faisait encore d’embrasser les gens ! Leur odeur corporelle l’incommodait, et il avait une sainte frousse d’attraper une maladie de peau. Mais le  pire, c’était quand ils se mettaient à radoter sur leur passé, parce qu’ils croyaient que cela intéresserait le p’tits gars, comme ils disaient dans leur langage de vieux. C’est ainsi que quelques semaines auparavant, ils lui avaient parlé d’un drôle d’endroit, l’école. Lou avait ainsi découvert qu’autrefois on ne travaillait pas tranquillement tout seul chez soi  sur son bureau tactile,  mais qu’il fallait se rendre en un endroit assez sordide où les enfants s’appelaient des  élèves. On réussissait à en enfourner une bonne trentaine par classe, (salle dénuée de tout équipement électronique), et ils devaient y transporter des sacs qui pesaient une tonne, d’où ils extirpaient des objets reliés, en papier. Sur les plus souples ils copiaient des lignes de mots à l’aide d’une sorte de stylet qui leur salissait les doigts. Quand ils  se trompaient, il fallait tout recommencer.  Les autres objets reliés étaient des  livres. Pour lire,  il fallait prendre chaque feuille entre ses doigts et la tourner pour faire défiler les mots, une véritable perte de temps et d’énergie avait pensé Lou. Une personne d’âge mûr était là aussi, et elle griffonnait de temps en temps sur une planche de bois rectangulaire de couleur noire ou verte fixée sur l’un des murs. Elle s’énervait aussi quand le groupe devenait bruyant,  et menaçait  de les  coller, mais ils avaient déjà l’air scotchés sur leurs chaises, alors pourquoi en rajouter ?
Lou se rappela un film-docu qu’il avait visionné pour son projet d’Histoire, dans lequel un certain Monsieur Perez humiliait une pauvre fille parce qu’elle n’avait pas réussi un travail appelé devoir, pour lequel on  obtenait un  score. Elle avait reçu l’humiliation suprême, un zéro sur vingt. Pourquoi sur vingt d’ailleurs ? De nos jours, tout cela n’était plus possible. Lou planifiait lui-même ses journées de travail et faisait ses exercices à son rythme : on ne le forçait ni à accélérer alors qu’il  était fatigué, ni à  ralentir s’il avançait bien. Lorsqu’il avait atteint un niveau de compétences il passait au suivant, tout simplement. Lou n’avait jamais vu le superviseur, car il ne se déplaçait que lorsqu’un enfant ne tenait pas ses objectifs  ou  avait endommagé son bureau tactile, et Lou était  studieux et très soigneux avec son matériel.
Dans ce film, de nombreux autres détails avaient intrigué le jeune garçon. Les  élèves, bien qu’entassés dans cette pièce, ne semblaient pas en pâtir. Ils avaient même l’air de bien s’amuser, surtout quand l’adulte avait le dos tourné. Certains consultaient des messages sur leurs i-phones et y répondaient, d’autres bavardaient en aparté, il y en avait aussi qui se tenaient par la main sous les tables. Lou avait également  observé de nombreux échanges de regards complices, suivis de fous rires interminables. Il s’était promis d’en parler avec sa grand-mère.
Le dimanche suivant Mamie lui avait expliqué que dans sa jeunesse le principal intérêt des garçons et des filles étaient de séduire des personnes du sexe opposé. On savait qu’on plaisait à quelqu’un quand il vous chahutait sans cesse. Il s’ensuivait une sorte de jouxte verbale qui durait un certain temps, puis un beau jour on ne pouvait plus se  passer l’un de l’autre. C’est alors qu’on s’embrassait, et c’était le début d’une formidable aventure qui vous faisait entrer dans le monde des grands. Mamie  et Papy s’était connus de la sorte, sur les bancs de l’université. La mère de Lou était née quelques années après. Il se demandait  bien comment, d’ailleurs, encore une question à élucider. Désormais c’était quand même plus simple, on pratiquait des FIV en fonction  des études prévisionnelles des besoins de l’industrie et de la finance. Cela avait éradiqué de manière très simple un autre problème d’autrefois dont lui avaient parlé ses parents, le chômage. Ceux qui ne voulaient pas se conformer à ces méthodes de procréation avaient le choix, mais leurs enfants étaient voués à des emplois subalternes, comme celui de soignant par exemple. (Il y avait encore quelques rebelles réfractaires aux médicaliments pour tomber malade.)
 Lorsque les gens se rencontraient de cette  manière totalement aléatoire, on disait qu’ils s’aimaient. Ils écrivaient  des textes  pour exprimer leurs  sentiments, ou alors ils les déclaraient de vive  voix. Etre amoureux mettait les gens dans un drôle d’état, Mamie disait qu’ils avaient  la tête à l’envers. ‘Eh bien, ça devait être beau !’, avait rétorqué Lou. Mais Mamie lui avait répondu que cela les rendait heureux, et qu’elle ne connaissait rien de mieux.
Seul devant son bureau le lendemain,  Lou avait du mal à se concentrer. Il ne cessait de repenser aux paroles de sa grand-mère et se dit que finalement, on devait bien s’amuser autrefois.





mardi 22 février 2011

"Je me souviens" - par Adrienne


En brun, les citations de Perec, en noir, mes variations sur ses thèmes.


2 Je me souviens que quand j'avais sept ou huit ans, ma tante avait une Mercedes décapotable bleu ciel et que je m'étonnais qu'on veuille donner de l'argent pour une voiture qui n'avait que deux places. 

4 Je me souviens qu'en 1990 nous avons emmené nos amis roumains voir les fêtes au Heysel à l'occasion des 60 ans (et des 40 ans de règne) du roi Baudouin et qu'il faisait un temps magnifique.

42 Je me souviens qu'en 1968 je confondais le "Rideau de Fer" avec la "Barrière de Fer", qui était de l'autre côté de la ville où j'habitais, de sorte que je m'attendais à voir des chars russes en allant à la boucherie de l'oncle Marcel, le samedi suivant.

54 Je me souviens que Voltaire est l'anagramme de Arouet L(e) J(eune) en écrivant V au lieu de U et I au lieu de J.

87 Je me souviens que mon père nous a dit un jour qu'il avait eu dans son enfance la toute première édition de Tintin au pays des Soviets mais qu'il l'avait prêtée à un ami qui ne la lui avait jamais rendue.

95 Je me souviens que dans les films américains de mon enfance, tout le monde parlait le français, les cow-boys comme les indiens, et que je ne m'en suis étonnée que le jour où j'ai vu un western doublé en allemand. 

101 Je me souviens des matchs de tennis auxquels on assistait à la mer avec mon oncle qui était tout émoustillé à l'idée de rencontrer Jacky Brichant.

105 Je me souviens de "Bébé Cadum".

101 Je me souviens que mon père avait un cousin Paul qui avait de splendides moustaches.

112 Je me souviens que Colette était membre de l'Académie royale de Belgique.

123 Je me souviens que la violoniste Ginette Neveu est morte dans le même avion que Marcel Cerdan.

125 Je me souviens que je me demandais ce que c'était que cette tache sur le front de Gorbatchev.

138 Je me souviens que nous avons vu passer une étape du Tour, lors de vacances en France, et que des gens criaient "Allez Eddy" comme des hystériques.

145 Je me souviens que j'ai vu le Bal des Sirènes avec Esther Williams et que je me suis demandé comment elle faisait pour pouvoir rester si longtemps sous l'eau sans respirer.

152 Je me souviens que Warren Beatty est le petit frère de Shirley McLaine.

161 Je me souviens que mon grand-père ne ratait aucun film avec Mireille Darc parce qu'il était sûr que 
tôt ou tard elle s'y promènerait à poil.

167 Je me souviens qu'on chantait "Only you" avec les Platters et "Gigi l'Amoroso" avec Dalida.

177 Je me souviens que nos profs nous parlaient au moins une fois par an du Spoutnik alors qu'on n'était même pas nées lors de son lancement.

187 Je me souviens qu'à 18 ou 19 ans mon frère était tellement fan de Patrick Dewaere qu'il s'était fait permanenter pour avoir des bouclettes et qu'il s'était laissé pousser le même genre de moustaches.

196 Je me souviens que Marina Vlady est la soeur d'Odile Versois.

210 Je me souviens que Fausto Coppi avait une amie que l'on appelait "la Dame blanche"

211 Je me souviens que j'avais douze ans quand j'ai découvert le Nutella chez une amie. Chez nous c'étaient de grands pots de Kwatta, bien moins chers, mais sans noisettes.

230 Je me souviens que mon père racontait qu'à la fin de la guerre, une balle allemande avait fait voler en éclats la vitre de la chapellerie familiale.

242 Je me souviens qu'il me racontait aussi qu'en mai 1940, alors que toute la famille était fin prête pour partir en exode, son père avait brusquement changé d'avis et décidé de rester: mon père en avait été fort déçu, il avait déjà son sac au dos avec le saucisson pour le pique-nique.

259 Je me souviens que Charles de Gaulle a été pour moi un nom de rue avant d'être celui d'un homme politique.

265 Je me souviens de Lee Harvey Oswald.

282 Je me souviens que Maurice Chevalier chantait en roulant les R et que je ne comprenais pas pourquoi, vu qu'il n'était pas Flamand.

291 Je me souviens que quand il était petit , mon frère aimait les films de Jerry Lewis et Dean Martin, et encore plus ceux avec les Charlots.

301 Je me souviens que Sidney Bechet jouait Petite Fleur.

313 Je me souviens de Bourvil.
Je me souviens d'un sketch de Bourvil dans lequel il répétait plusieurs fois en conclusion de chaque paragraphe de sa pseudo-conférence: "L'alcool,non, l'eau férrugineuse, oui!"  

329 Je me souviens que dans Le Ménage de Caroline (Michel de Ghelderode) je jouais le rôle de Colombine mais que mes parents ne s'étaient même pas dérangés pour venir me voir.

346 Je me souviens que des Provençaux avaient dit à mon père que le meilleur pastis était le Casanis, donc pour lui c'était "un Casanis, sinon rien".

363 Je me souviens du film de Kubrick, A Clockwork Orange, qui m'a causé des cauchemars pendant de longues années.

364 Je me souviens de ma joie quand une amie de ma mère m'avait offert toute sa collection de la Comtesse de Ségur.

382 Je me souviens des peintures d'Emile Claus qui avaient été exposées à Ostende.

416 Je me souviens que les meilleurs amis de mes parents avaient une "Peugeot" et que je me demandais où ça allait finir parce qu'à chaque nouvel achat le chiffre augmentait: 304, 404, 504... mais alors ils sont passés à Mazda.

451 Je me souviens d'Orson Welles quand il dit "Rosebud..." dans le film Citizen Kane.

469 Je me souviens de Brigitte Bardot quand elle chantait Sidonie a plus d'un amant, Moi je ne crains personne en Harley-Davidson ou La fin de l'été

A la demande de l'auteur, l'éditeur a laissé à la suite de cet ouvrage quelques pages blanches sur lesquelles le lecteur pourra noter les "Je me souviens" que la lecture de ceux-ci aura, espérons-le, suscités.

dimanche 20 février 2011

Deux en un


Un : Deux ans à Montréal

Il y a deux ans, en février 2009, j'arrivais à Montréal.
Quand j'y pense aujourd'hui, j'éprouve un sentiment mêlé d'étonnement et d'évidence.
Je rêvais de vivre en Amérique du Nord depuis que j'y avais passé un an, à l'adolescence. J'étais amoureux de Montréal depuis la première fois que j'y avais mis les pieds pour la première fois, en 1999, grâce à La Maladie de Sachs et aux multiples invitations qui m'avaient permis d'y revenir presque chaque année.

A mon arrivée, j'étais très heureux, mais ceux qui m'ont accueilli ici (les amis, les collègues du CREUM) m'ont dit à plusieurs reprises : "Tu vas peut-être être déçu."

Ca fait deux ans que j'habite ici et je ne suis pas déçu le moins du monde. Je me sens chez moi, dans cette ville, dans ce pays.

Qui plus est, vivre à Montréal m'a libéré à bien des égards. Mon statut de chercheur, même s'il est modeste et temporaire, m'a ouvert beaucoup de portes et de perspectives. En deux ans, j'ai pu assurer deux charges de cours - l'une (à l'automne 2009) d'éthique clinique, l'autre (à la session d'hiver 2011) de création littéraire. J'ai écrit deux romans (Le Choeur des femmes, paru chez P.O.L en 2009 ; Les Invisibles, à paraître au Fleuve Noir en mai 2011). J'ai publié plusieurs dizaines d'articles et de chroniques, dont une demi-douzaine en langue anglaise. J'anime actuellement un atelier d'écriture "Ethique et Fiction", et on m'en a confié deux autres, l'un au festival "Métropolis Bleu" de Montréal (fin avril 2011) ; l'autre à la Faculté de Lettres de Tours (fin mars 2011). J'ai participé à une dizaine de colloques en tant que contributeur et fait une quinzaine de conférences (dont trois ou quatre par Skype !). J'assure trois chroniques : l'une, mensuelle et médicale, sur le site passeportsante.net ; la seconde, culturelle et mensuelle dans les journaux du groupe "Centre France" (dans l’édition du dimanche, face à la page « Livres ») ; la troisième, médicale et bimestrielle, dans le magazine de consommation santé québecois « Protégez-vous ».

Je n’arrive pas à écrire régulièrement pour « Rover Arts », le blog montréalais culturel anglophone. J’y ai posté trois articles sur la télévision l’an dernier et depuis, plus rien. C’est sans doute le reflet de mon relatif désintérêt critique pour les séries. Je continue à en regarder (j’aime ça ; comme j’aime lire et aller au cinéma) ; mais je n’ai plus grand-chose à en dire. En tout cas, pas en ce moment.


Paradoxalement, je me sens au moins aussi "occupé" que je l'étais en France, mais beaucoup moins fatigué. La plupart de mes activités se déroulent à Montréal (bon, je vais à Chicoutimi la semaine prochaine et à Sherbrooke en mars, mais ça reste ponctuel). Je passe beaucoup de temps dans le bus et le métro (40 minutes de trajet entre domicile et bureau) mais je lis beaucoup plus qu'auparavant (dans le TGV entre Le Mans et Paris, je m'endormais...).

Je lis beaucoup plus.  J'écris toujours beaucoup. J'ai le sentiment de penser plus. Plus librement. Plus clairement.

Partir c'est rompre avec un grand nombre d'habitudes, d'objets, de gens, de comportements. Ce n'est pas nécessairement s'isoler ou rompre. C'est, remettre certains compteurs à zéro. Et si pour certaines choses c'est angoissant et difficile, pour d'autres, c'est une bénédiction. 



Deux : Résolutions pour 2011

Il n'est jamais trop tard pour prendre de bonnes résolutions pour l'année, alors voici les miennes :

- Terminer le roman que j'essaie d'écrire depuis six mois.
- Cesser de consulter mes boîtes à courriels tous les quarts d'heure
- Finir le livre sur la médecine de famille
- Ecrire trois articles en anglais même si c'est difficile
- Terminer la version écrite de la conférence sur la sexualité des étudiants en médecine que j'ai donnée il y a quinze jours
- (et la publier)
- Lire un roman et des nouvelles en anglais (je ne lis que des livres de sciences humaines en ce moment)
- Rassembler tous les articles de ce blog pour en faire un livre qui s'intitulerait "Ma vie au clavier" (première pensée) ou "Profession : écrivain" ou autre chose (suggestions bienvenues)
- Passer moins de temps à regarder des séries (mais j'ai beau avoir beaucoup réduit ma consommation, je n'arrive pas à descendre sous la quinzaine) et plus de temps à voir ou revoir des films avec mes garçons (mais il y en a tellement !)
- Composer le grand livre sur l’éthique dans les séries médicales dont je rêve depuis longtemps (mais faudrait d’abord que je rattrape mon retard dans House, M.D. et que je me procure les saisons de ER qui me manquent... Et que je revoie tout.) 
- Faire un peu plus d'exercice - mais ça prend du temps de lecture et d'écriture et franchement, en dehors de la marche à pied (j'en fais tous les jours) et de la natation (fait froid et y'a pas de piscine tout près)... Bon, MPJ vient de m'offrir un vélo pour mon anniversaire, mais il va falloir attendre mars ou avril pour m'y remettre.
- Ecrire plus régulièrement (une fois par semaine) sur ce blog. Plus, ça ne me paraît pas vraiment souhaitable : ça risque de prendre du temps aux autres activités et de toute manière tous les lecteurs/trices de ce blog n'arriveraient pas à suivre, d'ailleurs plus personne ne m'envoie de textes pour les exercices.
- Lorsque je serai résident permanent du Québec, postuler pour une bourse d'aide à l'écriture du Conseil des Arts du Canada. J'ai moins honte de le faire ici que lorsque je vivais en France, où j'ai toujours trouvé indécent de demander une aide publique ou une résidence d'écrivain, alors que je gagnais déjà très bien ma vie. J'avais le sentiment que je prenais la place de quelqu'un d'autre, qui en avait plus besoin que moi. Ici, je n'ai pas ce sentiment. Probablement parce qu'ici, je n'ai pas le sentiment d'être un privilégié. Mais juste un écrivain parmi beaucoup d'autres. 
- Etablir un programme de travail plus régulier chaque jour. Genre : répondre au courrier entre le lever et le départ pour le bureau ; lire dans le bus et le métro (c'est déjà le cas) ; écrire entre 10 h30 et midi (entre midi et une, les membres du CREUM déjeunent ensemble, et parfois l'un de nous présente un travail et on l'interroge entre deux bouchées de sandwich ou de salade de tofu) ; écrire entre 13.30 et 18.30 ; lire dans le métro et le bus au retour ; travailler entre 20.30 et 23.00 ; résoudre les problèmes intellectuels de la journée en rêve pendant la nuit.
Oui, ce serait le rêve.
Faut juste que je case le reste dans ce beau programme. Le reste, c'est la vie matérielle...

Allez. Y'a plus qu'à. 

Mar(c)tin 




lundi 7 février 2011

Du principe de plaisir - par Isadora


Un texte qu'on m'a envoyé. 
Toutes les réactions sont les bienvenues. 
MW 

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J’aime le ménage bien fait.
J’aime ce soleil qui entre dans mon appartement, dans ce petit espace à moi, qui me ressemble.
J’aime avoir quelqu’un qui fait cela pour moi : qui a rangé, nettoyé, parfumé, préparé, cuisiné. Avec amour. Qui est là quand je veux. Qui part quand j’ai envie d’être seule.
J’aime ne pas avoir quelqu’un qui fait cela pour moi.
J’aime avoir les deux.
J’aime ne pas rendre de comptes.
J’aime ne rien faire.
Mais j’aime qu’on me remercie d’avoir fait.
Je préfère qu’on me remercie.
Donc je préfère avoir fait.
Mais j’ai rarement envie de faire.
C’est la paresse.
J’aime appartenir à quelqu’un, mais je ne veux pas qu’on me possède.
J’aime posséder quelqu’un, mais il paraît que ce n’est pas possible.
J’aime l’idée de me donner à lui, mais comme il ne me prend pas vraiment, cela ne me coûte pas grand-chose.
J’aime regarder autour de moi et que cela soit propre, net, épuré.
Je n’aime pas que le temps me prenne trop de temps.
J’aime prendre le temps d’aller choisir ce qu’il faut, de mettre de l’ordre et faire du beau, en moi, autour de moi, par moi.
Je n’aime pas que cela soit incompatible avec prendre le temps de faire mon travail.
Je n’aime pas être angoissée par l’idée de ce que j’ai à faire.
Je n’aime pas avoir une boule au ventre à l’idée d’être attendue, pour un cours, un papier, une œuvre, une production, une note, une bête obligation.
Je n’aime pas sentir cette boule fuir dans une autre angoisse, quand je vois un nom qui s’affiche, ou ne s’affiche pas, sur mon écran, sur mon téléphone.
Je n’aime pas penser à l’amour quand je devrais travailler.
Je n’aime pas penser au travail quand je voudrais aimer.
Je n’aime pas devoir penser à l’argent, et devoir en gagner.
J’aime être invitée.
J’aime qu’on paye pour moi.
J’aime qu’on m’offre des cadeaux.
J’aime être belle pour un homme.
J’aime être belle par un homme.
Je n’aime pas acheter quelque chose pour être belle, pour lui plaire, et qu’il ne soit pas là.
Je n’aime pas faire quelque chose pour lui plaire, comme on essaierait de se vendre.
J’aime quand il m’offre quelque chose pour être belle, pour lui plaire, et qu’il est là.
J’aime être courtisée et gâtée.
Je n’aime pas sentir une attente en retour.
Je n’aime pas sentir le reproche, la frustration, la déception, la colère, dans la voix, les gestes, les regards de celui qui offre et qui ne reçoit pas, sauf ma joie.
Je n’aime pas devoir accorder mes faveurs en échange de leurs attentions, alors je ne le fais pas.
Je n’aime pas me sentir coupable.
Je n’aime pas décider d’être libre puis regretter le revers de la médaille.
Je n’aime pas quand ils m’embrassent et que je ne ressens rien, sinon ma gêne, ma neutralité, mon indifférence.
Je n’aime pas quand leurs mains se posent sur mon corps et que ma seule vibration est un mouvement de fuite.
Quand ils insistent et que le malaise monte.
Que je m’invente compliquée pour ménager leur peine d’amour-propre.
Je n’aime pas la tristesse qui m’envahit quand l’absence de désir me submerge par le vide.
Je n’aime pas cette peur qui me saisit quand il me montre son envie de moi, qu’il me demande de décider et que je ne sais plus.
Je n’aime pas quand il me donne le choix et qu’il me faut alors écouter mon envie.
Et qu’en toute lucidité je suis bien forcée d’admettre que non, je ne veux pas.
J’aime quand il ne me laisse pas le choix et me force à le désirer.
J’aime quand il ne me guette pas.
J’aime quand il est entendu que c’est ainsi.
Je n’aime pas quand il ne me laisse pas le choix et que malgré tout, non, cela ne vient pas.
Je n’aime pas ne pas dire un mot, ainsi consentir, rester froide, glaciale, ou mécanique, et qu’il ne le remarque pas.
Je n’aime pas qu’il ne devine pas si désir ou non il y a chez moi, là, pour lui.
Je n’aime pas qu’il ne s’arrête pas quand il constate que je ne suis pas là, présente.
Je n’aime pas me demander s’il l’a remarqué ou pas.
J’aime être prise.
Je n’aime pas, dans le plaisir d’être prise, imaginer ce que serait l’horreur des mêmes gestes, un peu plus brutaux, un peu plus violents, beaucoup moins consentis.
Je n’aime pas cette peur de la frontière mince qui sépare le oui d’un non, l’envie d’un cauchemar.
Je n’aime pas alors devoir me dire qu’heureusement je n’ai rien senti.
Je n’aime pas imaginer ce que ce serait si j’avais senti.
J’aime me rêver offerte à n’importe qui.
Je n’aime pas croiser n’importe qui et avoir peur.
Je n’aime pas être cette vierge imprenable et glacée quand mes songeries me portent vers la luxure la plus assumée.
Je n’aime pas ne pas oser.
Je n’aime pas attendre une occasion pour oser.
Je n’aime pas devoir choisir entre mes différents moments pour en faire une image, une identité, un personnage.
J’aime penser qu’il existe, celui avec qui je suis tour à tour toutes les dimensions de moi, de mes envies, de mes fantasmes, celui qui m’unifie, opère ma synthèse, et me veut douce, perverse, carrément sexuelle, sensuelle, en cuir, en satin, en coton, en dentelle, œil de braise, œil rieur, inquiétante, rassurante, toutes les femmes en moi, parce que j’aime alors être une femme.
Je n’aime pas ne pas être un homme.
Je n’aime pas ne pas pouvoir pénétrer toutes les femmes, toucher leurs seins et embrasser leur bouche.
Je n’aime pas ne pas pouvoir être pénétrée si je caresse une femme.
Je n’aime pas ne pas pouvoir la pénétrer.
J’aime être pénétrée par lui.
J’aime le sentir en moi, complètement.
J’aime le prendre en moi.
Je n’aime pas avoir peur de lui faire peur.
Je n’aime pas devoir me calmer quand, avide, vorace, je brûle de ne pouvoir l’absorber plus en moi.
J’aime et n’aime pas sentir cette rage monter en moi, cette douleur exquise, ce plaisir à mourir, quand je le prends en bouche, en moi, sous mes mains, de toutes les façons possibles, et que cela n’épuise pas mon désir, et que ce désir est dans une impasse, qu’il ne peut trouver d’issue, qu’il explose en moi, que j’ai envie d’en pleurer, à le griffer, le mordre, l’embrasser, le cajoler, le chouchouter, le supplier, et qu’en cela il me possède, il est mon maître, parce qu’alors il détient la clé, celle de mon envie, qu’il ne me la rend pas, et que je ne m’appartiens plus.
J’aime ses regards douloureux.
J’aime m’imaginer, croire l’espace d’un instant, qu’il souffre du même mal.
J’aime penser que ses morsures sont d’une même raison.
J’aime quand il jouit.
Je n’aime pas que la jouissance marque la fin de cette souffrance.
Je n’aime pas quand il s’en va, apaisé, et qu’il ne revient plus, ou trop tard.
Je n’aime pas qu’il ait moins besoin de moi que moi de lui.
Je n’aime pas formuler mon désir en besoin de lui.
Je n’aime pas ne désirer que lui.
J’aime ne désirer que lui.
J’aime désirer un autre que lui.
J’aime désirer.
J’aime me sentir frémir.
J’aime me sentir aux aguets, dans l’attente d’un objet sur lequel fixer ce désir volatile qui me pique et m’agace et me pousse à sourire, à bouger, à danser, à charmer.
J’aime le revoir et être surprise, comme une première fois.
J’aime le rencontrer toujours une première fois.
J’aime refaire les mêmes gestes comme une millième fois.
J’aime me sentir éternelle en respirant son odeur.
J’aime l’aimer comme une centenaire.
J’aime quand il me serre fort et que je me sens comme un arbre enraciné, enfin.
J’aime surprendre des regards inconnus et des rencontres fugaces comme des promesses de mille histoires possibles, en germe, qui ne seront pas et qu’on imagine, dans un pays de mots, de livres, où l’on part en voyage et l’on découvre mille contrées inconnues.
J’aime désirer tous les hommes comme on rêve une histoire.
J’aime regarder le ciel, et Paris, et la mer, et les arbres, et sentir, et respirer, et laisser l’extérieur, ses paysages, sa chaleur, ses parfums, ses dépressions, ses éclaircies, ses tempêtes, ses couleurs, m’envahir, m’ouvrir, me saisir, me prendre, m’emporter.
J’aime mes livres.
J’aime regarder un livre et sentir ma respiration se suspendre dans la promesse d’un bonheur, d’une lecture à venir, laisser ce désir m’étreindre, savourer l’attente, regarder, toucher, feuilleter, pour finalement le reposer.
Ou pour l’ouvrir. Et me laisser toucher, et partir dans une étreinte avec les mots, les images, les évocations, les souvenirs qui s’éveillent à leur passage, les espoirs qui ouvrent un œil, les rêves qui se forment un instant, et se dissipent en nuage défait.
J’aime et je n’aime pas avoir mal devant tant de beauté.
J’aime et je n’aime pas sentir en moi cette urgence.
J’aime et je n’aime pas être touchée à pleurer de vouloir sauver le beau dans toutes ses épiphanies, de ne pas supporter qu’il meure, ne pas supporter que tout ne soit que passage, moment, mouvance, éphémère, instant, sursis.
J’aime et je n’aime pas avoir envie de hurler, de frapper du marbre, de saisir, de faire des marques dans le réel, faute de le maintenir, de le rendre permanent, de toucher l’Être et non le mouvement.
J’aime et je n’aime pas pleurer devant la tâche, parce qu’elle est tragique, qu’elle est condamnée d’avance, et que pourtant là seulement est le sens, le seul sens possible, dans l’œuvre, création, procréation, enfantement, amour, désir, connaissance, savoir, science, pétrissage de matière, de mots, jets de couleur, atteinte de la forme pure, dépassement de l’imperfection dont est grevée toute matière, toute réalité, tout sensible, toute existence, et recherche d’une voie pour y faire advenir autre chose, quelque chose de parfait, qui nous délivrerait de l’angoisse un moment, cette angoisse devant l’implacabilité de la mort et du devenir, parvenir à y trouver une joie, dans un rire, quoi ?, cruel, carnassier, provoquant, moqueur, entier, plein, spontané, enfantin, naïf, lucide, triste, énorme, tendre, dans une caresse, un baiser, un réconfort, reprendre des forces et recommencer, encore, encore, encore.


Isadora 

mardi 1 février 2011

Japon Onirique (Exercice n°17 - 1) - par Alexandre H.


Cela fait des années que je rêvais d’aller au Japon, détonnant mélange d’ultra-modernité et du traditionnel le plus préservé. L’une des réactions les plus immédiates à mon arrivée à l’aéroport a été mon sentiment de frustration en tant qu’analphabète. Renforcée par le fait que le dépaysement est insolite : pas de désert infinis, de mendiants envahissants ou d’animaux étranges. Juste ces faciès si singuliers dans un décor somme toute pas si différent. Bien sûr, il fallait sortir de Tokyo pour mieux appréhender l’unicité nippone. Voir des femmes en kimono complet, fardées de blanc, leurs délicates petites pendeloques plantées dans un chignon savamment élaboré, côtoyer des policiers en uniforme et gants blancs pour faire la circulation, ou de tristes employés de bureau en costumes gris me saisissait car le voyage était finalement aussi temporel.

Ce voyage, c’était une sorte de pèlerinage au fond. Je voulais voir Hiroshima la martyre, les cerisiers en fleurs et leurs parterres de neige florale rose, contempler les toris rouges et noirs dont les pieds étaient baignés par la mer, aller me plonger dans une baignoire de boue chaude et rêvasser à la possibilité de peut-être devenir célèbre dans ce pays où les modes et les engouements sont si inattendus. J’avais envie de parcourir l’archipel dans ses moindres recoins. Partir à l’assaut du froid nordique d’Hokkaido jusqu’à la chaleur étouffante d’Okinawa dont la longévité des habitants a valu le statut de Crète asiatique. 

J’aimais et m’abandonnais à cette insularité, tentant vainement de me fondre dans la population mais étant aussi distinct et évident qu’un gyrophare.

Me revenaient alors en mémoire ces prémices de cinéphilie qui m’avaient particulièrement attendri vis-à-vis du Japon. Ces films récents si subtils… C’est d’ailleurs la subtilité et la délicatesse qui semblent définir ce pays si insolite. J’aimais en regarder ses vieux. Derrière chaque visage ridé, dans chaque cheveu gris, je retrouvais un peu de Mme Koide, cette vieille femme née de l’imagination d’un Gallois, vivant recluse dans sa ferme mais qui avait été l’héroïne de La vallée des lucioles dans sa jeunesse, conservant son secret oublié des jeunes, roulé dans une affiche de cinéma que le temps avait épargnée. 

C’est aussi en regardant les sobres yukatas des anciens. Je me disais qu’ils représentaient l’équivalent de nos bérets.

Ce qui allait peut-être me manquer le plus tangiblement allait être ce chant si particulier des cigales japonaises, sorte d’appel lancinant en quatre temps, plus varié que celui des nôtres. Je m’étonnais d’ailleurs de l’absence de babioles s’y référant dans toutes les boutiques à touristes, car je n’avais encore jamais entendu un tel chant ailleurs. J’en ferais la manifestation vocale d’Amaterasu.

Ainsi s’entendrait la voix du soleil levant…