Traducteur et rédacteur le jour, chroniqueur de
séries et romancier la nuit
En 1994, la maison dans laquelle nous emménageons,
MPJ, les 7 monstres et moi, se trouve dans une rue câblée du Mans. A notre
domicile précédent, nous n’avions pas la télévision : l’antenne recevait
mal, et nous regardions uniquement des cassettes vidéo. Dans la nouvelle
maison, une petite pièce du rez-de-chaussée devient immédiatement le
« petit-salon-de-télévision ». Nous y installons un petit canapé,
deux fauteuils, un tapis, une table basse. Et une télé. Il y a des placards
derrière, pour ranger les cassettes. Et nous recevons des chaînes du câble.
Jimmy, Série Club, Téva et, plus tard, 13e Rue.
Entre 1994 et 1997, je collabore à d’autres livres
de Huitième Art, Les grandes séries
américaines (2 volumes) et Les
grandes séries britanniques (1)
dirigés par les collaborateurs les plus solides de la maison :
Alain Carrazé, Jacques Baudou, Jean-Jacques Schleret, Christophe Petit. Après
ces trois ouvrages collectifs en est prévu un quatrième, consacré aux séries
françaises, mais en 1997, les éditions Huitième Art, qui n’ont jamais vraiment
gagné beaucoup d’argent en publiant ces livres, déposent leur bilan. Un autre
éditeur, Les Belles Lettres, accueille le dernier ouvrage Huitième Art, Les nouvelles séries 1996-1997, que je
co-signe avec Alain Carrazé, et dont je rédige plus de la moitié. Trois séries
m’ont particulièrement marqué. Angela, 15
ans (My So-Called Life), une
chronique sensible de la vie d’un groupe d’adolescents des années 90 ; Star Trek : The Next Generation, à
laquelle Christophe Petit m’a définitivement converti et que j’ai regardée
intégralement grâce à lui ; et enfin une série qui a commencé sa carrière
aux Etats-Unis à l’automne 1994 et en France pendant l’été 1996. Diffusée en
milieu de semaine à raison de deux épisodes par soirée, elle a pris tout le
monde par surprise en remportant un succès inespéré auprès du public français
qui, d’ordinaire, regarde peu la télévision pendant les mois de vacances. Si
bien que devant le succès remporté par la 1ère saison, France 2, qui l’a diffusée en bouche—trou,
décide d’embrayer immédiatement sur la 2e saison en la programmant
le dimanche soir, entre septembre et décembre de la même année. Programmée dans
ce créneau, elle battra régulièrement le sacro-saint film de TF1.
Cette série, c’est Urgences (ER), dont la
diffusion se poursuivra aux Etats-Unis jusqu’en 2009. Urgences m’a touché à bien des égards : en tant que spectateur
et lecteur, en tant que médecin et en tant qu’écrivain. Elle démontre qu’on
peut faire de la bonne fiction à partir de la réalité. Les deux grands articles
que je rédige pendant ces années-là, l’un pour Les nouvelles séries 1996-1997, l’autre pour Génération Séries, la revue dirigée par Christophe Petit, sont
probablement les deux plus longs et les plus détaillés écrits au sujet de la
série en langue française au 20e siècle. En 2001, pour un livre
intitulé Les miroirs de la vie, Histoire
des séries américaines, je replacerai Urgences
dans le contexte des autres séries médicales du passé et de l’époque mais
en 1996-1997, consacrer de longs articles analytiques à des séries télévisées
est un travail de pur bénévolat. En dehors d’une poignée d’amateurs de longue
date, personne ne prend les téléfictions au sérieux, ni dans les médias, ni
même à la télévision française. On peut dire sans se tromper que le succès
imprévisible d’Urgences sur F2 a
attiré brusquement l’attention des médias sur le genre. A titre de comparaison,
X-Files avait commencé sa carrière
deux ans auparavant sur M6. Mais ce n’est qu’après l’apparition d’Urgences sur les écrans que d’autres
séries – parmi lesquelles celle de Chris Carter, qui fait également l’objet
d’un article dans Les Nouvelles séries
1996-1997 – ont acquis une certaine notoriété auprès des journalistes. Urgences aura certainement une grande influence
sur le livre que je suis en train d’écrire à ce moment-là. Un roman que je
rédige depuis 1993, de manière intermittente, entre deux tâches urgentes de
traduction ou de rédaction alimentaire, le soir tard ou la nuit, comme les
articles consacrés aux séries.
La
relation/La maladie de Sachs
Le personnage principal de mon bouquin, un médecin
de campagne nommé Bruno Sachs, est l’un des six protagonistes des Cahiers Marcoeur, gros roman que Paul
Otchakovsky-Laurens a refusé après avoir publié La Vacation. Quand je commence à rédiger ce qui s’intitule encore La relation, et pas encore La maladie de Sachs, je viens de quitter
mon cabinet médical. Et j’éprouve de la culpabilité à l’idée d’avoir
« abandonné » les patients que j’ai soignés pendant dix ans, mais
aussi l’exercice que j’avais entrepris à la suite de mon père et en souvenir de
lui. Le déroulement chronologique du récit est « calé » sur mes
horaires de consultations et mon emploi du temps de généraliste. Et son
objectif est au fond très simple : raconter la vie quotidienne d’un
médecin de campagne français à la fin du 20e siècle et montrer qu’un
médecin est une personne comme les autres.
Ce que La
maladie de Sachs doit aux séries n’est pas apparent au moment où je l’écris
(sinon parce que je remercie beaucoup de personnages de séries télé à la fin,
en les mêlant aux écrivains, aux amis et aux musiciens qui m’ont accompagné
pendant sa rédaction). Avec le recul, je me rends bien compte que parmi ses 113
courts chapitres, certains sont des « one-shot » (des vignettes dont
les personnages ne reviendront pas plus loin dans le livre), d’autres des
épisodes « à suivre » mettant en scène des personnages récurrents, dont
l’histoire court tout au long du livre. La
maladie de Sachs n’est pas un livre aussi haletant qu’un épisode d’Urgences, et beaucoup de lecteurs m’ont
confié avoir eu du mal à « entrer dedans » avant d’avoir atteint la
cinquantième page. Certains m’ont dit « Quand on a lu les quatre ou cinq
premiers chapitres on se demande Mais
est-ce que c’est comme ça pendant tout le livre ? Et puis on regarde
la table des matières, on voit que le nom de certains personnages y figure
plusieurs fois et on se dit : Ah, ils
vont revenir, ceux-là. »
Je considère que j’ai de la chance : les
lecteurs qui ne se sont pas lassés avant la cinquantième page ont été très
nombreux. Et je tiens à dire que j’ignorais absolument comment cette
construction par lente mise en place serait reçue. En posant ainsi les
personnages les uns après les autres, j’avais fait le pari - avec une certaine
inconscience - que les lecteurs « marcheraient » à condition que
chaque chapitre ait un intérêt en soi, qu’il raconte une histoire cohérente (ou
un fragment substantiel d’une histoire plus longue) et que les personnages
soient suffisamment intéressants pour donner envie de lire la suite. J’espérais
aussi que la narration confiée aux patients de Bruno maintiendrait le mystère
autour de « leur médecin ».
Plusieurs années après, en le relisant, j’ai
compris aussi que cette lente mise en place des personnages sous les yeux des
lecteurs transposait, en quelque sorte, la lenteur avec laquelle j’avais
moi-même reçu des patients et appris peu à peu à connaître les liens qui les
unissaient les uns aux autres, conflits larvés, amours trahies, rancoeurs au
vitriol et secrets de famille. Quand je me suis installé, je voyais peu de
patients, et puis, petit à petit, ils ont empli ma salle d’attente non
seulement de leurs corps mais aussi de leurs histoires et de leurs voix. Mais
au début, quand ils étaient rares, je me suis souvent dit : « Mais
est-ce que ça sera toujours comme ça ? » Et, même si je ne l’ai pas
fait volontairement, mais intuitivement, je suis heureux qu’en lisant les
cinquante premières pages du livre, certains lecteurs se soient posé la même
question !
Un titre pour un autre
Les quatre années que je passe à rédiger La relation sont aussi celles où
j’accumule l’écriture sur les séries – et où j’accumule aussi le visionnage de
séries. Les années 1994-2000 sont celles d’Urgences,
de Friends, de NYPD Blue, Murder One, Homicide et bien
d’autres. Grâce au câble, je fais le plein d’histoires. Au début de 1997, mon
roman est terminé. Je l’envoie à Paul O-L qui me dit après l’avoir lu :
« C’est le roman que j’attends de vous depuis La Vacation. » Il en programme la publication pour le mois de
janvier suivant. Un jour du printemps 1997, au Virgin des Champs-Elysées, sur
l’ordinateur d’un des libraires, je tape en souriant le titre de mon livre, La Relation, en me disant qu’un jour,
l’écran l’affichera. Et pof ! Il affiche effectivement un roman de ce
titre. Avec le nom d’un autre auteur. Je me dirige vers le rayon et je sors le
volume, un roman publié au Mercure de France par une femme du nom de C. Salty.
Il a été publié l’année précédente. Evidemment, je suis bien embêté. Je croyais
que mon titre était original. J’appelle Paul. Il me dit que bien sûr c’est
embêtant, d’autant que P.O.L et le Mercure (qui appartient au groupe Gallimard)
ont le même diffuseur. L’homonymie risque de prêter à confusion. Il faut que je
trouve un autre titre. Je suis bien embêté, car je tenais à mon titre, pour sa
polysémie. Le mot « relation » renvoie bien sûr aux relations
familiales, thérapeutiques et amoureuses dont il est question dans le roman,
mais aussi à son mode de narration : relater, c’est raconter, et j’ai
choisi de faire raconter le médecin par ses patients et son entourage… au point
de donner à tous les personneages des patronymes d’écrivains (Leblanc,
Destouches, Boulle, Deshoulières…). En relisant le roman, je tombe sur un
passage au cours duquel Bruno Sachs vitupère contre les médecins qui donnent
leur nom à la maladie qu’ils ont décrite. « Comment peut-on être fier de
donner son nom à une saloperie ? » Une ampoule s’allume au-dessus de
ma tête. Je compose une nouvelle page de garde, avec le nom de l’auteur, le
nouveau titre, le sigle P.O.L et je la faxe à la maison d’édition. Cinq minutes
plus tard, le téléphone sonne et j’entends la voix de Paul me dire
« Génial ! » Le roman s’intitulera donc La maladie de Sachs et ce sera justice : c’est l’observation
(au sens médical du terme, qui désigne le document dans lequel un médecin
décrit les symptômes et signes d’examen d’un malade) d’un médecin par ses
patients ; et c’est la description de sa souffrance à lui. Pour une fois,
le terme n’est pas usurpé. Ce qui fait souffrir Bruno Sachs, c’est le désespoir
de se sentir impuissant, insuffisant face à la souffrance humaine.
Une page dans un hebdo
Alors que le livre part à l’impression, fin 1997,
je reçois un coup de fil de François Viot, rédacteur en chef de Télécâble Satellite Hebdo, un magazine
destiné aux abonnés du câble, encore minoritaires en France à l’époque.
Convaincu que les séries vont prendre une importance majeure à la télévision,
il a décidé de créer la première page consacrée aux séries dans un hebdomadaire
télé. Il en a proposé la direction à Alain Carrazé qui, pris par d’autres
projets, lui a suggéré de m’appeler. Ecrire une page sur les séries chaque
semaine, poursuivre le travail quasi-bénévole de critique que j’ai fait pour
Huitième Art et Génération Séries
pendant les cinq années écoulées, c’est évidemment une aubaine, et je saisis
l’occasion sans hésiter. Commencée en janvier 1998, ma collaboration avec TCSH durera sept ans, jusqu’en janvier
2005, et ne cessera que pour des raisons économiques et syndicales (un autre
journaliste, plus ancien que moi dans le groupe de presse, sera recasé à ma
place à la disparition d’une autre revue du même groupe).
L’année 1998 est donc doublement importante pour
mon travail d’écrivain. D’abord parce que je publie mon deuxième roman. Ensuite
parce que je deviens critique de séries télévisées dans un organe de presse.
En pratique, le deuxième événement est bien plus
important que le premier : la perspective de devenir pigiste régulier dans
un magazine est un soulagement pour le traducteur free-lance que je suis. Sauf incident, une fraction de mon revenu
« tombera » chaque mois, je peux compter dessus. Ce n’est pas
négligeable. MPJ travaille dans une administration territoriale (l’un des
services de la mairie) mais en dehors de ma vacation à l’hôpital (j’en aurai
deux quelques années plus tard) mes propres revenus sont plus aléatoires. Or,
nous attendons un troisième enfant ; en comptant les cinq grands nés de
nos premiers mariages et les jumeaux nés en 1993, ça va donc nous en faire…
huit ! Et non, ça n’est pas un accident. Je ne me souviens plus exactement
comment nous en sommes venus à décider d’avoir un nouvel enfant à notre âge (en
1997 j’ai 42 ans, MPJ 41) et ça ne s’est pas fait sur un coup de tête :
nous sommes allées consulter le gynécologue qui a mis les sept autres au monde
(Le Mans est une petite ville) et qui est depuis devenu notre ami, pour lui
demander si c’était « raisonnable » et il nous a rassurés en nous
disant qu’une grossesse après quarante ans, pour une femme en bonne santé, ça
n’est pas en soi « déraisonnable ». Et rétrospectivement, bien sûr,
je me dis que c’était peut-être tout de même de l’inconscience. Ou de la folie.
Toujours est-il qu’en janvier 1998, à quelques semaines de la naissance de cet
enfant, la perspective de mettre un peu de beurre dans les épinards me rassure
beaucoup.
A la même époque, mon expérience de traducteur et
de rédacteur scientifique entamée quinze ans plus tôt à Prescrire puis à Que Choisir
Santé porte ses fruits. Je viens de signer quatre contrats pour la
rédaction de livres de vulgarisation médicale pour le Sélection du Reader’s Digest français. Autant dire qu’en ce début
1998, mon horizon est plein : j’ai des bouquins à écrire, une rubrique
régulière à assurer, une activité hospitalière modeste mais solide, et une vie
conjugale et familiale riche avec une tripotée d’enfants tous pleins d’énergie.
Nous sommes plutôt fauchés, car tous nos revenus sont engloutis dans les
remboursements de la maison et les dépenses d’intendance, et nos
« ex » respectifs semblent passer leur temps à nous « pourrir la
vie » (je reprends ici l’expression de MPJ en l’adoptant pleinement), mais
nous sommes parfaitement heureux et en janvier 1998 nous n’avons qu’un seul
espoir, extrêmement banal : celui que l’enfant à naître sera en bonne
santé.
Quand je reçois le premier exemplaire de La maladie de Sachs, j’ai des sentiments
partagés. Je suis heureux d’avoir enfin écrit un deuxième roman, mais après
avoir feuilleté mon exemplaire, je le repose en soupirant et je dis à
MPJ : « Pfff… C’est gros, c’est déprimant, personne ne va lire
ça. » MPJ répond : « Taratata ! Ca intéresse tout le
monde. » Malgré toute la confiance que j’ai en elle, je pense qu’elle dit
ça pour me faire plaisir. Et je me remets au boulot.
Voyages à Hollywood
En un sens, les sept années que je passerai à Télécâble Satellite Hebdo ne sont pas
dissociables de celles qui ont suivi le succès de La maladie de Sachs, mais je vais en parler séparément, car ma
collaboration à l’hebdomadaire m’a valu des expériences extrêmement
gratifiantes sans lien direct avec mon activité de romancier.
Il est bien sûr difficile de retracer très
précisément une collaboration aussi longue, mais comparée à ma contribution à La revue Prescrire, on peut dire que ce
fut le jour et la nuit. François Viot n’avait rien d’un grand timonier, c’était
un rédacteur en chef ouvert, plein d’humour, souple, curieux de tout - et
d’abord de l’univers en expansion des séries. Je lui ai très vite expliqué que
j’étais un rat de bibliothèque, non un journaliste d’investigation, et que je
ne ferais pas beaucoup d’interviews ou de reportages, que je préférais m’en
tenir à une activité de critique - à savoir : regarder les séries, les
décrire, les commenter, indiquer leur importance, faire ressortir leurs
qualités. Depuis ma première rencontre avec Huitième Art et Génération Séries j’avais vu beaucoup de
séries classiques et contemporaines, parfois encore presque inédites en France
(comme les Star Trek), et j’en
regardais encore plus depuis notre arrivée dans la nouvelle maison. Peu à peu,
j’ai commencé à recevoir des cassettes envoyées par les chaînes pour m’annoncer
la diffusion de telle ou telle nouveauté. Ma page comprenait un « Pleins
feux sur » une série que je trouvais importante, une demi-douzaine de
notes plus courtes sur des séries en cours (ou un épisode marquant de l’une
d’elles) et des échos faisant état des nouvelles productions, des annulations,
des projets, des événements.
Assez vite, la page a été très lue et, au bout d’un
an ou deux, mon activité rédactionnelle s’est élargie à d’autres tâches. J’ai
fait de temps à autre des interviews d’acteurs en visite à Paris (Billy
Campbell, qui jouait alors dans Once and
Again, la belle série de Zwick et Herskowitz ; Adrian Pasdar, que j’ai
pu interroger sur la marquante mais éphémère Profit puis, plus tard, David Chase, le créateur et maître d’œuvre
de The Sopranos). Mais j’ai surtout
eu la chance de faire, grâce à Alain Carrazé et à Télécâble, deux voyages marquants à Hollywood, sur le plateau de
plusieurs séries importantes. NYPD Blue,
alors diffusée exclusivement sur Canal Jimmy, commençait à faire parler d’elle
parmi les « élites intellectuelles » parisienne. Ainsi, Alain
Finkielkraut s’était fendu à son sujet, dans les pages du Monde, si je ne m’abuse, d’un article intitulé (de mémoire)
« La meilleure série télévisée du monde ». Alain, qui était à
l’époque le conseiller aux achats de la chaîne câblée (sur laquelle il anima
aussi, de 1992 à 2001 une émission bimensuelle épatante, Destination Séries) , avait mis sur pied un voyage de presse sur le
tournage de NYPD Blue. Il emmena une
poignée de journalistes rencontrer et interviewer plusieur des acteurs
principaux – parmi lesquels Dennis Franz, interprète du personnage principal,
Andy Sipowicz – ainsi que certains des producteurs et visiter les plateaux. C’était ma première
incursion sur un plateau de télévision et j’en suis toujours très impressionné.
Dans un hangar immense, on avait reconstitué, pièce par pièce, le commissariat
du 15th Precinct. Le hall d’entrée avec les bureaux d’accueil et l’escalier
(qui n’allait nulle part) ; le palier du premier étage avec l’autre bout
de l’escalier (venant de nulle part) et les fenêtres donnant sur les pièces
d’en face ; la salled es détectives, dont les cloisons pouvaient être
déplacées afin de pouvoir installer les caméras où le décidait le
réalisateur ; le vestiaire-toilettes dans lequel Andy, Bobby Simone ou
Medavoy tenaient tant de conciliabules « off the record »…
Dennis Franz, qui était devenu à l’époque, à 50 ans
passé l’une des stars les plus populaires de la télévision américaine grâce à
son rôle de flic maudit cherchant sa rédemption, avait joué dans plusieurs
films de Brian De Palma. C’était un comédien solide, et je peux témoigner que
c’était – et que c’est probablement toujours – un type adorable. Loin de se
prendre pour une vedette, il fit preuve avec nous d’une générosité
impressionnante, répondant à nos questions bien au-delà du temps qui nous avait
été accordé par la production (et alors même que son attachée de presse venait
régulièrement lui rappeler qu’il avait d’autres obligations), sans cacher à
quel point personnage d’Andy était le rôle de sa vie, et qu’il jouissait
pleinement du succès qu’il lui valait.
Comme tous ses camarades de la série, d’ailleurs,
Franz passait cinq jours sur sept à tourner, douze à quinze heures par jour, et
consacrait ses week-ends à des œuvres caritatives diverses et variées, apparaissant
bénévolement dans des spectacles ou des manifestations pour des associations
d’aide à l’enfance ou de lutte contre le sida. Tous ceux qui étaient présents
au moment de l’interview – qui eut lieu sur une terrasse ensoleillée des
studios Fox – peuvent témoigner que ce jour-là, nous avons rencontré non
seulement un très grand comédien, dont le caractère jovial, l’humour et la
générosité contrastaient furieusement avec le personnage sombre qu’il
interprétait, mais aussi un type épatant.
Pendant les trois jours que nous avons passé à
Hollywood, j’ai eu avec Alain et un autre journaliste l’occasion de visiter un
autre plateau, qui m’a laissé un souvenir assez inoubliable. Le
« set » était situé de l’autre côté de l’allée sur laquelle se trouvait
celui de NYPD Blue. Alain avait envie
d’aller le visiter et, sans vergogne, il se dirigea vers les personnes qui se
trouvaient à l’entrée. L’une d’elles était le comédien Adam Arkin (fils d’Alan
Arkin, excellent acteur de films indépendants qu’on a vu en particulier jouer
le rôle du grand-père dans Little Miss
Sunshine.) Adam Arkin a fait l’essentiel de sa carrière au théâtre et à la
télévision américaine, pour des rôles récurrents ou réguliers dans des séries
de grande qualité : Northern
Exposure, The West Wing, Life, et tout récemment Sons of Anarchy. Mais cette année-là
(début 1998, si je me souviens bien), il interprétait l’un des rôles principaux
d’une série médicale qui avait commencé le même jour et à la même heure qu’Urgences. Il s’agissait de Chicago Hope, la deuxième série du
scénariste-producteur David E. Kelley (Ally
McBeal, The Practice, Boston Legal…).
Arkin sortait du plateau. Je ne me souviens pas de
ce qu’Alain lui a dit, ni de ce qu’il a répondu et il n’a pu rester
longtemps avec nous; j’ai cependant le net souvenir que lui aussi était un type
charmant, ravi de voir des journalistes français venir lui serrer la main et
lui dire à quel point ils aimaient ce qu’il faisait. Mais la plus forte
impression m’est venue en pénétrant sur le set de Chicago Hope. Car, derrière des portes en bois faites d’un
contreplaqué quelconque, nous nous sommes retrouvés dans un couloir d’hôpital
plus vrai que nature, silencieux et désert (on n’y tournait pas à ce moment-là)
mais impressionnant d’authenticité, depuis les dalles de sol disposées en
damier jusqu’aux salles d’opération. L’un des techniciens de la série offrit de
nous faire visiter. Quand je lui demandai si le matériel opératoire et les
appareillages qui se trouvaient là fonctionnaient , il me répondit que oui,
bien sûr et, en ouvrant les tiroirs des meubles métalliques, me montra qu’ils
contenaient tout ce que devait contenir un « bloc opératoire »
véritable. « Tout le matériel est loué à une entreprise spécialisée
dans la fourniture aux studios » expliqua-t-il. « C’est moins coûteux que
de le faire fabriquer… et ça contribue à l’authenticité du show… »
Critique de séries
La page que m’a confiée François Viot aura une
importance très grande dans la suite de mon itinéraire d’écrivain. Car si j’ai
artificiellement séparé ma collaboration à TCSH de mon succès littéraire, les
deux sont intimement liés : j’ai commencé ma page séries quelques mois
avant que La maladie de Sachs remporte
le Livre Inter et me fasse connaître d’un grand public de lecteurs. Or, ce public
est aussi celui qui, à l’époque, regarde des séries sans l’avouer – parce qu’en
1998, ça « ne se dit pas ». On a sans doute de la peine à s’en
souvenir, étant donné l’omniprésence des séries aujourd’hui en première partie
de soirée sur les chaînes et sur les couvertures des magazines – voire parfois
en une des quotidiens, mais, en 1998, reconnaître qu’on regarde des séries, ce
n’est pas sérieux, c’est faire preuve de paresse intellectuelle, c’est une
insulte à ces arts « sérieux » que sont la littérature, le théâtre,
le cinéma. Ce n’est même pas aussi respectable que de lire des bandes dessinées
qui, elles, comptent de vrais Zauteurs (Hergé, surtout…). Bref, pour beaucoup
de gens (beaucoup d’enseignants, en particulier) c’est vulgaire.
Pas pour tout le monde, heureusement.
En 1994, sur l’initiative de Gérard Danou, lui-même
médecin et critique littéraire, j’ai participé à un colloque de Cerisy intitulé
« Le corps souffrant : Médecine et Littérature ». J’y ai
retrouvé Anne Roche, professeur de littérature comparée à Aix-en-Provence, que
je connais depuis quelques années. Après avoir tous deux collaboré (sans le
savoir) à Cher Cahier, un ouvrage de
Philippe Lejeune consacré à la pratique du journal intime, nous sommes devenus
amis. Anne m’a fait venir à plusieurs reprises parler à ses étudiants
lorsqu’elle leur faisait étudier La
Vacation. (1) Anne n’est pas « seulement » enseignante, elle est
aussi écrivain, critique, anthologiste et spectatrice de séries. J’ai été son
lecteur avant qu’elle soit la mienne, des années auparavant, grâce au savoureux
La cause des oies, un livre
réjouissant qu’elle a co-signé avec Geneviève Mouillaud. Bien évidemment, j’ai
suggéré son nom à Gérard Danou pour le colloque et en retour, Anne, qui est
déjà venue à Cerisy, nous a suggéré plusieurs autres intervenants de qualité. En
1994, j’ai entendu parler des colloques de Cerisy-la-Salle au travers des
« Actes » qui en sont régulièrement publiés, et je sais que c’est un
haut lieu de rencontres intellectuelles dans tous les domaines de la
littérature, des arts et des sciences humaines, mais je n’ai jamais eu
l’occasion de m’y rendre. Anne m’explique que les journées sont consacrées aux
exposés, les soirées à des activités de délassement : projections de
films, lectures publiques, débats, etc. Tous les deux nous décidons de proposer
chaque soir, à nos co-locuteurs, une initiation aux séries télévisées, en leur
projetant des épisodes d’œuvres qui nous paraissent importantes. Il y aura bien
sûr Urgences et Code Quantum - laquelle déclenchera de belles levées de boucliers,
d’ailleurs. Mais cette première expérience nous conduira à co-diriger,
ensemble, huit ans plus tard, à Cerisy un nouveau colloque consacré aux séries
télévisées, le premier du genre en France.
Lorsque l’année 1998 commence, je suis donc, aussi
paradoxal que cela puisse paraître, plus engagé dans la critique télévisée que dans
la production littéraire proprement dite. Lorsque La maladie de Sachs arrive en librairie, j’ai quatre bouquins à
écrire (et deux à superviser) pour Sélection.
On m’a confié une ou deux autres traductions importantes, et MPJ et moi
attendons un huitième enfant. De toute évidence, mon calendrier professionnel et
familial ne pourra jamais être plus plein que ça !
Comme on peut se tromper !
(A suivre…)
(1) Que je sache et sauf oubli, à l’heure où
j’écris ceci, Anne est encore la seule universitaire française qui ait dirigé
plusieurs mémoires de maîtrise consacrés à l’un ou l’autre de mes romans ;
il faut savoir qu’en France, le plus souvent, les étudiants doivent trouver les
enseignants qui acceptent leur sujet et sa supervision ; de nombreux livres
et auteurs sont rejetés sans appel. Le choix des sujets doit le plus souvent se
plier aux goûts et aux priorités des directeurs – ainsi qu’à leurs lubies. En
Amérique du Nord, en revanche (et j’ai pu le constater dans de nombreuses
universités) on accueille avec joie les étudiants qui entreprennent de
défricher des terrains encore inexplorés. On trouve que c’est enrichissant…