mardi 19 octobre 2010

Débuts de romans, 5 - par Younes J. (Exercice n°15)


1) Il lâcha le paquet de farine à la vue des deux fluorescentes amandes qui le fixaient dans les ténèbres. Le chat miaula sec. L'homme ne bougea plus, déglutit un semblant d'humidité dans un palais sec. Il pensait être en sécurité dans cette campagne de nulle part, il n'en avait parlé à personne et avait soigneusement préparé sa fuite après avoir balancé, durant une ronde de nuit, ce chat de malheur du haut du gratte-ciel new-yorkais où il bossait. Le chat était mort sans aucun doute, mais ce qu'il voyait devant lui ne pouvait être que l'âme de ce dernier venue se venger. Ces yeux, il les reconnaîtrait entre mille. Il sentit un petit écoulement de sang sur sa main, là il n'y avait plus aucun doute. La première fois qu'il eut affaire au félin, c'était à Central Park. La dame s'était levée du banc sans lui adresser le moindre regard, son chat la suivit. Il prit leur place sur le banc, un ticket de cinéma oublié attira son attention. Il le toucha à peine qu'il sentit la griffe sur sa peau glacée par le froid. Depuis, la plaie était aussi vivante que le souvenir.

2) En demandant à l'épicier le paquet de farine pour ta mère, tu hésites à acheter le Matin du Sahara. Son prix vaut le ticket du cinoche du quartier qui passe ''Les Incorruptibles'' et un nanard Shaolin truc de Hong-Kong. C'est lundi aussi, il y aurait peut-être une annonce ou deux sur lesquelles tu pourrais postuler. Enfin, tu te dis que le film de De Palma est plus agréable que le casse-tête des lettres de motivation qui n'aboutissent jamais. Le chat de l'épicier t'énerve car il cherche un peu d'affection et sa maigreur ne fait que te renvoyer l'image de toi-même, un jeune casablancais qui s'enlise dans le chômage. Tu l'aimes bien, pourtant tu te retiens de le botter. Le parfum d'une femme éveille tes sens, mais tu préfères lui céder ta place en emportant la farine. Et puis, c'est décidé, tu passeras l'après-midi au Cybercafé. Google Earth te fascine, tu n'en reviens de pouvoir panneauter les grattes-ciels de New York comme un gosse à l'affût de la vie des autres. Au moins, au petit tarif que tu paies, tu peux faire le tour du monde.

3) Je suis du genre méticuleux. Discret aussi, aucune trace même sur le plus banal ticket de métro. Les collègues me collent plusieurs étiquettes dont je n'ai cure. Ce matin, on m'appela très tôt et on me passa la ligne. L'homme parlait arabe, il devait être du Golfe. Ils ont besoin de moi pour une affaire délicate. Des menaces planent sur le plus haut building de Dubaï, Burj Khalifa. L'homme ne voulait rien dire de plus, ce sera très généreux et à moi de décider vite, la connaissance de l'arabe est mon deuxième atout. J'aurais pu l'envoyer balader avec mon arabe de la banlieue parisienne, mais j'aime prendre mon temps. J'ouvre un paquet de farine et me prépare calmement de bonnes crêpes. Mon unique compagnon en raffole et il le fait savoir en ronronnant dans mes oreilles. Je lui dit que je réfléchis à la possibilité de partir pour une mission et que je dois lui trouver de la bonne compagnie durant mon absence. Il a l'habitude maintenant. Comme à chaque fois, une fille sympa qui ne me croisera que le temps de lui confier mon chat.

1 commentaire:

  1. J'aime bien ces atmosphères différentes : ce qu'on en devine du personnage.

    RépondreSupprimer