dimanche 1 novembre 2009

Je me souviens (6) par Salomé

Je me souviens de la chicorée que tu mêlais au café, des étiquettes des paquets Leroux que tu échangeais contre des torchons, du lait cru que tu ramenais de la ferme d'à côté dans ces pots à lait en aluminium munis d'une anse en bois que tu appelais laitières, des tartines de confiture maison – la fraise, ma préférée.

Du tiroir du bout de la table de la cuisine, caché sous la toile ciré, que j'ai mis longtemps à découvrir et qui recelait des trésors de cartes postales.

Des œufs à la coque, du pâté de lapin, du bœuf en daube et des soupes, forcément meilleures que celles de nos mères. Des framboises gorgées de soleil que nous mangions sur pied, des haricots verts et des petits pois extra-extra fins. Du canard que nous trempions dans le café des adultes, à la fin du repas de midi, une fois la vaisselle faite.

Du bac à sable, de la charrette, des gravillons dans l'allée qu'il ne fallait pas toucher, de la cave où, l'hiver, nous jouions aux juifs cachés pendant la guerre.

Du plancher qui gémissait sous nos pas, des cadavres parsemés au plafond de la chambre, témoins de notre éphémère victoire au lancer de tatane contre des hordes de moustiques, des édredons en vrai duvet dont le gonflant n'avait rien à envier aux couettes d'aujourd'hui.

De ton sempiternel maigre chignon gris qu'un petit matin, en allant aux toilettes, j'avais surpris pas encore fait, révélant des cheveux d'une longueur que les miens n'avaient pas le droit d'atteindre, signe indiscutable de ta féminité malgré les années.

De tes paroles d'une sagesse surannée. Tes « Prends -ton temps, Jean-Philippe ! » d'une époque où l'on pouvait se permettre de faire les choses en s'appliquant et qui contrastaient délicieusement avec les « Mais dépêche -toi donc ! » de ma mère habituée à mener plusieurs choses de front. De tes « Il ne faut pas dire du mal des gens », qui, du coup, mettaient fin à de nombreuses conversations.

J'ai hérité de tes laitières, de ta cafetière émaillée, et j'ai conservé le goût de la chicorée.

2 commentaires:

  1. Emmanuelle Mignaton1 novembre 2009 à 13:35

    Je me retrouve dans ses souvenirs-là.
    Et nos enfants, de quoi se souviendront-ils?
    Lire les "Je me souviens" de nos enfants dans quelques années, que ce serait étrange....

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  2. Ah oui, c'est vrai, on appelait cela la laitière! J'avais oublié...Et le chignon pas encore fait... et les petits plats, meilleurs que ceux de nos mères... c'est bien vu tout ça, et cela m'impressionne comme cet exercice nous renvoie à une sorte de mémoire à la fois personnelle et collective.

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