samedi 31 octobre 2009

Des livres et des enfants

Un jour, j'ai déjeuné avec Bernard Werber. Nous avions tous les deux été invités à un débat par une des animatrices du magazine Muze, l'écrivaine Stéphanie Janicot. Je confie à BW que l'un de mes fils, 17 ou 18 ans à l'époque, dévore ses livres les uns après les autres. BW me répond drôlement : "C'est vrai ? Quand je pense que j'ai tant de mal à les faire lire au mien !"

J'ai bien compris sa frustration, mais je me suis rendu compte que je n'avais jamais écrit pour faire lire mes bouquins à mes enfants. Bien sûr, j'ai écrit des contes pour enfants dont certains que j'ai enregistrés sur CD et ils étaient presque toujours inspirés par eux, mais en dehors de ça, et des bouquins sur les super-héros ou les séries (auxquels certains des plus grands ont d'ailleurs collaboré), et dont je pensais qu'ils jetteraient un oeil dessus plus par intérêt pour les séries que pour ma prose, je n'ai jamais spécialement attendu que mes enfants lisent mes livres.

Pourtant, au fil des années, l'un ou l'autre des plus grands ont lu La Maladie de Sachs, Les Trois Médecins, certains romans policiers (le "Poulpe", en particulier), la "Trilogie Twain". D'un point de vue général, comme un auteur reçoit un certain nombre d'exemplaires d'auteur (une vingtaine, le plus souvent), il y a toujours un exemplaire pour chacun de mes enfants. Mais quand j'ai commencé à publier je leur ai toujours dit que je leur donnais un exemplaire de mes livres pour qu'ils l'aient, mais qu'ils ne devaient jamais se sentir obligés de les lire. Que ces livres, je les écrivais pour gagner ma vie et les élever (entre autres), pas pour qu'ils se sentent obligés de les lire. Mon seul souhait c'est que dans vingt ou trente ans, ou après ma mort (oui j'ai l'intention de tenir encore trente ans), l'un de mes enfants ou l'un des leurs s'ils en ont, en feuilletant l'un de mes bouquins, se dise "Eh, c'était pas déshonorant, ce qu'il écrivait, le vieux..."

L'un de mes plus jeunes fils me demande systématiquement un exemplaire signé depuis qu'il est tout petit, même s'il ne le lit pas, pour en avoir un à lui. Un jour, il a voulu lire Le Numéro 7 et s'y est préparé en regardant tout la série Le Prisonnier (en hommage de laquelle LN7 a été écrit). Après avoir terminé la série et le roman, il m'a dit : "Mais, dis-donc, tu ne t'es pas inspiré d'un roman de SF que tu m'as fait lire, Terminus les étoiles ?" et je lui ai dit qu'il y avait effectivement des ressemblances, tout simplement parce que le NUméro 7 et The Stars My Destination (titre original de Terminus... - et j'en profite pour dire que le titre français est, pour une fois, tout simplement génial) puisent à la même inspiration, à savoir... Le Comte de Monte-Cristo de l'increvable Alexandre Dumas père.

J'étais heureux qu'il me fasse ce commentaire, et qu'il voit la filiation entre les romans, la série et mon propre bouquin, afin qu'il sache que mon inspiration ne vient pas du néant, mais de mes propres lectures.

Plusieurs de mes enfants ont lu Légendes et Plumes d'Ange, il me semble, ne serait-ce que parce que ça leur a apporté des éclairages sur ma famille et ma vie passée, et je pense que les plus jeunes, un jour, les liront peut-être. En tout cas, je suis heureux de les avoir écrits pour qu'ils puissent un jour avoir accès à des souvenirs, des informations, des réflexions qui me paraissent importantes, même si je ne suis plus là pour les leur confier de vive voix. (Tiens, voilà encore une très bonne raison d'écrire, même si on n'est pas assuré d'être publié : laisser les histoires qu'on n'a pas pu passer directement.)

Tout récemment, deux de mes fils ont lu Le Choeur des femmes.
L'un d'eux, qui a vingt ans, m'a dit que ça lui avait plu "même si ce n'est pas le genre de livre qu'il lit d'habitude" (il lit plutôt de la SF et de l'Heroïc Fantasy). Mais il l'a lu spontanément et manifestement, ça ne l'a pas ennuyé.
L'autre, qui a six ans de plus, m'a appelé hier soir après m'avoir envoyé un message enthousiaste pour me dire quel plaisir il avait pris à le lire. Ce qu'il y avait de plus merveilleux dans ce qu'il me disait, c'est qu'il avait vu toutes les allusions, toutes les ficelles, et que précisément, c'est ce qu'il avait adoré - y compris la fin "rocambolesque" : "Eh bien heureusement qu'elle est rocambolesque, c'est ça que j'aime, justement, que ça bouge, que ça remue,  que ce soit émouvant !" (Enfin, il n'a pas dit ça comme ça, mais c'est ce que ça voulait dire.)

Il m'a dit aussi que c'était un livre plus optimiste que les précédents, et je lui ai dit que j'étais d'accord, et que d'ailleurs, si on lit mes "romans médicaux" dans l'ordre de parution, ils vont du plus noir (La Vacation) au plus optimiste (Le CDF). La fin du CDF n'est pas seulement optimiste, elle est "on the upbeat" comme on dit en anglais - euphorique. ("Libérée", a dit MPJ quand je lui ai rapporté la conversation.)

Ca m'a touché, évidemment, que l'aîné de mes fils (qui paraît-il me ressemble physiquement beaucoup...) aime ce livre encore plus que les précédents.

Et ça m'a fait plaisir de penser qu'à mesure que j'avance, mes livres sont de plus en plus euphoriques et libérés.

Dans le message qui a précédé son appel, mon fils m'a demandé "C'est quand la nomination pour le Fémina ?" Je lui ai répondu que les listes de prix littéraires étaient closes et que le livre n'avait figuré sur aucune, ce qui n'a rien d'inhabituel : Les Trois Médecins est le seul de mes romans qui ait figuré, très brièvement, sur une liste des prix de l'automne, la première sélection du Fémina, en 2004.

Mais j'ai ajouté que je n'ai pas de quoi me plaindre, puisque le livre est lu et que son enthousiasme, en plus des messages que je continue à recevoir tous les jours de lectrices et d'un nombre croissant de lecteurs du CDF, vaut tous les prix littéraires.

Bon, je le répète, je n'écris pas pour mes enfants (et parfois je rougis d'embarrassement à l'idée que mes enfants lisent certaines scènes ou certaines phrases de mes livres). Mais quand l'un d'eux me dit qu'il a aimé l'un de mes bouquins, pourquoi cacher que j'en suis très fier ?

5 commentaires:

  1. "laisser les histoires qu'on n'a pas pu passer directement." : je prends conscience à vous lire que mon principal chantier du moment, si je ne devais conserver qu'une raison de l'écrire c'est celle-là. Pour que plus tard ils sachent.
    Après, je ne sais pas trop pourquoi il y a des choses qu'on peut être capables d'écrire et pas de dire de vive-voix ; même si j'ai bien compris que dans votre cas c'était plutôt d'une question d'âge des enfants qu'il s'agissait.
    Peut-être que ça fait ça quand ce qu'on a traversé est trop invraisemblable pour être cru. Alors autant lui donner l'emballage d'une fiction puisque déjà ça y ressemble (?).

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  2. Emmanuelle Mignaton1 novembre 2009 à 10:47

    C'est vraiment bizarre comme parfois, dans nos vies, les situations se répondent...
    A propos de "lire" et de "nos enfants"...

    Bien sur, je ne suis pas écrivain, et si mes enfants lisent parfois mes textes, ce ne sont pas des livres. Mais ce sont des témoignages, et là où je rejoins Martin, c'est que j'ai témoigné par écrit d'évenements de ma vie qu'ils ne connaissent pas, donc de ce qui les a construit, "d'où ils viennent" bien malgré eux.

    Enfin, j'écris plutôt aujourd'hui pour parler d'enfant(s) et de lectures.
    Je vais essayer de faire court.
    Un de mes fils, Thomas, 14 ans, devait lire pendant ces vacances de la Toussaint, "Pierre et Jean" de Maupassant. Maupassant est un écrivain que j'adore, mais mon fils n'aimant pas vraiment lire, je n'ai rien dit. Il est à une période où il prend le contrepieds ou presque de tout ce que je dis... Donc, par crainte qu'il déteste Maupassant d'emblée parce que sa mère l'aime, mieux valait ne rien dire.
    Et puis hier, il me dit : "Tu connais le livre?". Je lui réponds que oui, que je l'aimais bien, même si ce n'est pas mon préféré de Maupassant, et que l'histoire de ces deux frères pourrait peut-être lui faire penser à ce qu'il pourrait vivre avec son frère. Passons sur ce détail. Pour ceux qui connaissent l'histoire, ils comprendront.

    Il voulait surtout me lire le dernier chapitre, car me dit-il, "je n'ai pas tout compris". Pendant une heure environ, il me lit donc ce texte. Et je suis scotchée, car je trouve qu'il lit pas mal du tout. Pas de bégaiement, pas d'hésitation, le ton qu'il faut me semble-t-il. Bon, je lui dis "j'aime bien quand tu me lis ce texte". Il est surpris mais content, car il sait que je ne fais pas des compliments si je ne les pense pas.
    Et là, son frère de 21 ans, qui passait près de sa chambre et a du m'entendre, dit : "Il a bien de la veine Thomas que tu lui dises ça, tu ne m'as jamais dit à moi que je lisais bien".
    Je lui réponds que c'est parce qu'il ne m'a jamais rien lu, et que j'en suis désolée mais que ce n'est pas bien grave.
    "Mais si, me dit-il, pourquoi je lirais plus mal que Thomas? ".
    Je lui dis qu'il peut toujours essayer s'il a le temps, le temps que moi je finisse avec son frère, et je suis toute ouïe.
    Et tout à coup, je pense à quelque chose : en septembre, sur France Culture, j'ai entendu Marie-Christine Barrault lire le début du "Choeur des Femmes", et désolée, Martin, je n'avais pas du tout aimer, mais alors pas du tout. Je n'avais pas trouvé ça du tout réaliste, on aurait dit en plus Christine Ockrent, que je déteste presque, bref j'étais très déçue.

    Je propose à Quentin de lire le début du "Choeur des Femmes". Il est jeune, 21 ans, il fait des études de biologie, il est en master, il a des cours en fac de médecine cette année, on pense que Jean est un homme, donc je me dis qu'on va voir ce que ça va donner, il n'est pas trop éloigné du personnage dans la vie. Pas tout proche non plus, mais bon...l'idée m'est venue comme ça.

    Et Thomas tout content de dire, "Oh oui, un texte de BMW"! (vous vous souvenez qu'il vous avez appelé Bon Martin Winckler il y a quelques années, je me demandais où il avait été chercher un truc pareil dans sa petite tête de gosse de 10 ans à l'époque).

    Bon alors, me direz-vous, ça a donné quoi cette lecture? Eh ben, je dirai que c'était bien, plutôt bien. J'étais bien, à l'écouter. Une expérience vraiment sympa, qui m'a appportée quelque chose pour le comprendre un peu mieux. Car je voyais à son visage ce qui l'étonnait.Et on a pu après avoir une discussion sur ce que ressentent les étudiants en médecine, puisqu'il a un copain proche en 4 eme année, et une amie en 3eme année.

    PS : Il a cependant le défaut de sa mère, Quentin : il parle trop vite.

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  3. si vos livres sont de plus en plus euphoriques, c'est en rapport avec ce que vous vivez, non? On vous a un peu "aidé" à l'affirmer, votre liberté, en vous virant plusieurs fois. Pour l'euphorie, je sais pas, et ça ne me regarde pas, mais si vous vivez de plus en plus ce que vous avez envie de vivre, ça doit aider... M'enfin, c'est une projection depuis la France, avec ce qu'on sait de vous et ce qu'on imagine.
    Sur l'écriture plus précisémment, il y a des choses que je n'aimerais pas écrire tant que mes parents peuvent me lire, ou mes enfants. Pareil pour le blog, j'y expose des choses volontairement que je n'aimerais pas savoir lues par des proches, des conaissances, alors que je prends plaisir à les savoir lues par des personnes que je ne connais que virtuellement.
    Bizarre...
    Et pour finir, je comprends que l'appel de votre fils vous ait autant satisfait, c'est un lecteur particulier, et pour vous unique et singulier.

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  4. Emmanuelle Mignaton1 novembre 2009 à 13:51

    @ Gilda :
    J'aurais pu aussi écrire cette phrase, exactement :"Peut-être que ça fait ça quand ce qu'on a traversé est trop invraisemblable pour être cru. Alors autant lui donner l'emballage d'une fiction puisque déjà ça y ressemble(?)".
    J'ai la même démarche que vous, sur ce qui m'est arrivé à une période de mon adolescence, et que personne ne veut croire. Quelque chose de trop lours pour tout le monde, donc oui, l'emballage de la fiction, oui, c'est ça.
    Et on dira : "C'est trop, trop tout pour être vrai".
    Mais je le crois profondément en moi, je le sais, j'en suis sûre : la réalité dépasse la fiction.

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  5. A propos de "Des livres et des enfants"

    La fin euphorique du "Choeur des Femmes" me fait penser à celle du film "Fisher King", de Terry Gilliam.
    L'histoire du film et celle du livre n'ont rien à voir entre elles. Par contre, dans les deux cas, les cheminements des protagonistes sont des traversées menant de l'ombre à la lumière.
    Je me rappelle encore d'une interview du réalisateur où il hésitait à mettre une fin aussi "euphorique" à son film. Finalement les acteurs lui ont dit "mais, si, vas y !"

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