Ce sera quoi, ce roman ?
Ce sera d'abord un roman historique, qui se déroule à Tours (Indre-et-Loire) à deux époques : en 1968 et en 1942.
Ce n'est pas la première fois que j'écris un roman "historique" -- je veux dire situé (au moins en partie) dans le passé. Je l'ai fait pour la première fois dans la ville imaginaire de Tourmens dans Touche pas à mes deux seins, dont les personnages se rencontrent au début des années 80. Puis dans Les Trois médecins, qui transpose la trame des Trois mousquetaires de Dumas (à Tourmens, toujours) dans les années 70. Et j'ai continué avec le triptyque Abraham et fils/Les histoires de Franz/Franz en Amérique qui couvre les années 1963 à 1972, dans une autre (petite) ville imaginaire, Tilliers.
Je me rends bien compte que qualifier d' "historiques" des romans situés dans un passé récent n'est peut-être pas tout à fait approprié. Toutes ces histoires avaient lieu à des époques que j'ai traversées, et dans des cadres que j'ai construits, à la fois par facilité (dans des lieux imaginaires, on fait ce qu'on veut) et pour m'y sentir en sécurité (Tilliers, Tourmens, son CHU, l'unité 77 du Choeur des femmes ont beaucoup de points communs avec Pithiviers, Tours et Le Mans, villes où j'ai passé la plus grande partie de ma vie).
Dans Franz en Amérique, pour la première fois, j'ai situé un de mes romans (du moins, la partie qui concerne le personnage central) dans une ville réelle, Oakland, Calif., et dans la baie de San Francisco.
Dans le roman à venir, je situe de nouveau l'action dans une ville réelle (Tours) et à une époque antérieure à ma naissance (1942).
Ca n'a l'air de rien, comme ça, mais même quand on a de la bouteille, ça représente des difficultés nouvelles. Quand on explore un passé dont on est le contemporain, on a déjà des repères sur ce qui existait ou non dans la vie quotidienne. Quand ce passé est plus lointain, tout devient incertain ; les mots, les expressions, le langage même ont tellement changé qu'on n'est pas toujours sûr qu'on peut s'en servir comme on le ferait aujourd'hui. Est-ce qu'on commandait déjà "un steak-frites" au restaurant en 1968 ? Ou est-ce qu'on disait "un bifteck-frites" ? Et en 1942 ? C'est difficile à dire, non seulement à cause des restrictions, mais peut-être aussi parce que ça ne se disait pas comme ça en 1938.
Est-ce que le mot "chewing-gum" existait dans le langage courant avant la guerre, ou s'est-il répandu après l'arrivée des troupes U.S. ?
Deux sources qui nous permettent de savoir comment on parlait à cette époque-là sont évidemment les textes écrits (le journal, les romans) et les textes enregistrés (le disque, la radio, le cinéma). Je parlerai de ces sources-la dans un prochain épisode.
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Autre exemple : avant 1960, il n'y avait ni faculté, ni CHU de médecine à Tours. Il y avait en revanche une école de médecine, qui connut pas mal de luttes intestines pendant la seconde guerre mondiale. Quelle est la différence entre une école et une faculté ? Il a fallu que je le recherche. Parler du "CHU de Tours" en 1942 aurait été un anachronisme.
La beauté de la recherche historique, c'est qu'en permettant de faire renaître une réalité en partie effacée, elle donne de nouvelles pistes narratives. Dans le premier épisode de ce feuilleton, je vous ai montré des photographies de la bibliothèque et de l'école des beaux-arts de TOurs avant et après leur destruction par les bombardements allemands en 1940. Un ami et lecteur, Jérôme, m'a envoyé une autre photo, impressionnante, qui montre Tours depuis le ciel, après l'incendie qui prit naissance à la bibliothèque et ravagea tout un quartier de la ville. La voici :
Il est évident qu'on n'explore pas une ville de la même manière quand on est au pied d'un immeuble détruit, quand on la voit du ciel ou quand on s'avance dans les décombres. Ca donne au moins trois points de vue différents. Donc, trois formes de narrations, qui peuvent se combiner ou se succéder.
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Bon, mais pourquoi à Tours ?
L'idée initiale du roman m'est venue à Paris, dans une librairie (j'ai beaucoup d'idées qui sont nées dans des librairies), la librairie anglophone Brentano's, avenue de l'Opéra. A l'époque (et ça a pu changer, car le lieu a fermé et rouvert pendant les quinze années écoulées), ladite librairie était partagée en deux et les deux parties reliées par un (long ?) couloir, très sombre qui vous faisait, littéralement, passer d'un monde (de livres) à un autre.
En passant par là, un jour, j'ai eu l'idée d'une histoire au cours de laquelle un lecteur serait "transporté" de son univers à un autre en passant par un couloir. Le narrateur/protagoniste entrerait dans une (cette ?) librairie et, en empruntant le couloir, se retrouverait... ailleurs.
Initialement, je voulais donc situer le roman à Paris, et -- pour des raisons que j'explique plus loin -- je ne me sentais pas à l'aise dans une ville que je connais un peu, mais pas très bien. Je n'ai jamais vécu à Paris, j'y ai passé au plus quinze jours et pas en la visitant ou en me promenant dans les rues. De Paris, je connais surtout très bien le métro, plus que les monuments.
Plutôt que Paris, qui ne m'était pas suffisamment familière, j'ai cherché où je pourrais situer l'action. J'aurais pu retourner à Tourmens, mais je voulais me rapprocher de la réalité historique, et je me suis rendu compte que Tours était plus proche de ce que que je voulais explorer -- la ligne de démarcation, qui sépara la France en deux entre la capitulation de juin 1940 et novembre 1942, date à laquelle les troupes allemandes occupèrent tout le territoire français pour répondre au débarquement allié en Afrique du nord.
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Pourquoi dites-vous que ça se passe "en 68 et en 42" (et pas l'inverse : "en 42 puis en 68") ?
Parce que la protagoniste remonte le temps.
J'ai toujours été fasciné par la notion de voyage temporel. J'ai lu des tas de bouquins sur le sujet (sa possibilité ou son impossibilité physique).J'ai lu des flopées de time travel stories, à commencer par le roman de H. G. Wells, mais aussi beaucoup de nouvelles et romans de SF américaine. La fin de l'éternité, d'Isaac Asimov, m'a laissé un souvenir marquant, tout comme certaines nouvelles de Robert Heinlein ("All you Zombies") ou de Robert Sheckley ("A thief in time"). J'ai aussi une tendresse particulière pour un roman de Heinlein (qui aimait beaucoup le time travel) intitulé A door into summer (Une porte sur l'été). (Il y a souvent des chats dans les romans de Heinlein, et je me demande si je ne vais pas en mettre un dans le mien.)
Plus récemment, j'ai été très marqué par la construction narrative de The Time Traveler's Wife (en français Le Temps n'est rien), le roman de Audrey Niffenegger, et par une superbe nouvelle de Geoffrey Landis intitulée "Ripples in the Dirac Sea" (traduite et reprise en français dans un recueil chez Presses Pocket). L'un et l'autre sont aussi des histoires d'amour.
"Une autre fois se déroulera à deux époques : en 1968 et en 1942.
L’argument est le suivant. (NB : certains détails, ainsi que les noms des personnages, sont temporaires et vont très probablement se transformer pendant l'écriture.)
Stanford et Tours, 1967-68
Rachel Osler vit à San Francisco, entre une mère québécoise et un père américain. Brillante et volontaire — malgré une épilepsie apparue pendant l’enfance, et pour laquelle elle prend des barbituriques en continu à faible dose — elle est fascinée par la seconde guerre mondiale et la Résistance. En effet, sa marraine Carole Danvers, amie intime de sa mère, séjournait en Touraine au début de la guerre lorsque les Etats-Unis étaient encore neutres. Alors que la majorité des Américains ont fui l’Europe juste après Pearl Harbour, Carole est restée en France et a pris part à un certain nombre de faits de résistance dans la région de Tours : espionnage au profit des Alliés, transport clandestin de messages et d’armes, participation aux réseaux qui permettaient de franchir la ligne de démarcation pour échapper à l’occupant.
Fascinée par la seconde guerre mondiale, Rachel est d’abord partie passer une année d’échange en Allemagne en 1965, à la fin de sa scolarité secondaire. À son retour, elle s’est lancée dans des études d’Histoire. Grâce à une bourse d’études, elle entre à l’Université Stanford, en Californie. Carole Danvers, qui vit non loin de là, l’accueille à bras ouverts. Au milieu de sa deuxième année d’université, Rachel se met en tête d’écrire une biographie de sa marraine pour illustrer le rôle majeur des femmes dans la Résistance — rôle auquel les historiens ne semblent pas beaucoup s’intéresser au cours des années 60. Mais lorsqu’elle demande à Carole de lui raconter ses souvenirs, celle-ci refuse obstinément de parler de ses activités pendant l’Occupation ; elle lui demande même de ne pas remuer un passé encore douloureux pour elle.
Contrariée par le mutisme de Carole, qu’elle adore et tient en haute estime, Rachel ne se décourage pas. L’université Stanford ayant une antenne à Tours, elle postule pour aller y passer sa troisième année d’université. Une fois là-bas, elle a bien l’intention d’enquêter sur les faits de résistance locale afin de retracer l’itinéraire de Carole et de ses camarades de clandestinité.
Au printemps 1968, Rachel est en France depuis six mois. Membre active d’un groupe d’étudiantes féministes nourries de contre-culture californienne, elle participe au bouillonnement qui va bientôt donner naissance aux mouvements de Mai dans l’Hexagone. Mais malgré tous ses efforts, elle désespère de pouvoir retrouver la trace de Carole. Les associations d’anciens résistants semblent ignorer son existence, ou l’avoir oubliée - tout comme celle des innombrables femmes qui ont participé à leurs combats. Alors qu’elle voit avec inquiétude s’approcher la fin de son séjour en France, Rachel se met à commander un nombre croissant de livres portant sur la seconde guerre mondiale à la librairie Franco-Américaine, que fréquentent les étudiantes de Stanford. Elle se lie peu à peu d’amitié avec Myriam Molina, la libraire. L’oncle de Myriam, Moïse, qui tient la librairie avec elle, a été résistant en Touraine, avant d’être déporté. Il est revenu des camps, très marqué. D’abord distant, il aide Rachel à consulter des archives départementales difficiles d’accès, mais reste muet sur sa propre participation aux réseaux de résistance locaux. Et quand elle mentionne Carole Danvers, il nie l’avoir rencontrée. Un soir, Myriam et lui invitent Rachel à dîner (ils vivent au-dessus de la librairie). Quand Rachel insiste pour le faire parler de “sa guerre”, Moïse se met en colère et lui signifie de partir.
Bouleversée par l’attitude de Moïse, pour qui elle a beaucoup d’affection, Rachel se met à explorer les archives de Touraine de manière frénétique et y passe le plus clair de son temps, au point d’oublier de se nourrir, mais aussi de prendre son traitement anti-épileptique avec toute la rigueur nécessaire pour éviter des « absences » - des crises d’épilepsie qui donnent à l’entourage qu’elle est figée et sans vie, et qu’elle vit comme des « trous noirs ».
Avec ses camarades de Stanford, Rachel va beaucoup au cinéma. Un soir, Myriam lui propose d’aller voir une reprise du film de Michael Curtiz, Casablanca, à l’Olympia, vénérable cinéma de quartier situé rue Emile Zola.
Pendant les Actualités diffusées avant le film, une salve de lumières déclenche une crise d’épilepsie, et Rachel « s’absente ».
Quand elle se réveille…
Tours, Septembre 1942
Rachel reprend connaissance à l’hôpital de Tours, en 1942. La ville grouille de soldats allemands et d’officiers nazis. Quand elle essaie de dire qu’elle vient de 1968, on la traite de malade mentale et on la transfère au service de psychiatrie. Là, un étudiant en médecine nommé Maurice Malineau l’écoute, et semble croire à son récit incroyable. Bientôt, elle réalise que Maurice fait partie d’un réseau de résistance, et qu’il connaît Carole Danvers. Plutôt que se torturer à comprendre pourquoi et comment elle a fait un bond de vingt-six ans en arrière, Rachel se met en tête d’échapper au service de psychiatrie et de retrouver la femme qui deviendra sa marraine… "
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Merci de partager ce processus créatif, c'est passionnant . Évidemment cela donne envie de lire la suite de votre blog . Mais aussi de poser des mots sur le papier. Je réfléchis de plus en plus à écrire sur la vie des femmes de ma famille mon arrière grand mère,veuve très jeune qui a élevé mon grand père maternel seule avec une indépendance énorme pour l'époque (début du 20 ème siècle) . Ce processus doit encore faire du chemin dans ma tête.aussi je comprends votre propos sur le le "mûrissement". Amicalement Marc , au plaisir de vous lire . 😘
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