dimanche 31 janvier 2010

Merci, Docteur G. (Exercice 10, n°3) - par Marie

S., le 29 janvier 2009

Chère Dr G.,

Ma mère m’a annoncé votre décès lors de son dernier appel téléphonique. C’est ainsi que je suis tenue au courant des dernières nouvelles depuis que je vis à l’étranger : son cancer du sein, la naissance d’une nouvelle nièce, les fiançailles de mon frère... Cette fois-ci, entre le dernier exploit de ma filleule et la vague de froid qui s’abat sur la France cet hiver : « tiens, au fait, j’ai une nouvelle qui va sûrement te faire un peu de peine, et bien, tu sais, Dr G., elle est décédée, ça fait quelques semaines déjà, il faut dire, elle n’était plus toute jeune, elle était malade je crois...»

J’étais émue, comme si une partie de mon enfance disparaissait avec vous. Vous étiez malade ? Qui s’est occupé de vous? Vous qui avez consacré votre vie aux autres; vous, sans mari ni enfant, prenant soin de votre mère âgée, après vos interminables journées de travail ? J’aurais aimé à mon tour être votre médecin. Après tout, n’aurait-ce pas été le meilleur moyen de vous dire merci ?
Merci pour m’avoir donné l’envie dès mon plus jeune âge de devenir docteur. Enfant, j’étais fascinée par ces instruments insolites que vous sortiez de votre mallette lorsque vous veniez à la maison, et à peine étiez-vous repartie que je tentais à mon tour d’examiner la gorge de l’un de mes frères. Adolescente, je voulais devenir médecin généraliste, toujours à l’écoute comme vous, pour aller soigner chez eux la grand-mère, son fils et le dernier-né d’une même famille et les accompagner tout au long d’une vie. Plus tard, lors de mes premiers pas à l’hôpital, vous avez calmé des angoisses que peu de personnes autour de moi comprenaient. Merci.
Tout le monde ne vous appréciait pas autant, certains vous trouvaient parfois un peu dure. De temps en temps, le souvenir de vos années en Afrique devait vous faire trouver bien insignifiants certains soucis des cadres de notre banlieue favorisée de l’ouest parisien. Mais vous étiez toujours disponible et attentive quelle que soit l’heure ou le jour, compréhensive, sachant créer un apaisant climat de confiance, trouvant toujours un prétexte pour, sans l’humilier, ne pas faire payer une personne qui avait peu de moyens.
Lorsqu’à la fin de mes études je suis partie travailler dans un dispensaire en Afrique, c’était peut-être une façon de marcher dans vos traces.
Je ne suis pas devenue le médecin de famille que j’imaginais : je suis maintenant spécialiste à l’hôpital, mais dans mon domaine, le premier motif de consultation est la douleur et «mes» (comme si ils nous appartenaient !) patients souffrent de maladies chroniques qui m’amènent à les suivre de façon régulière, et donc tisser ces liens particuliers qui sont ma raison d’être médecin. Je suis encore jeune et quand par manque d’expérience je ne sais comment réagir dans certaines situations, je me demande «qu’aurait-elle fait ou dit ?»

Ma timidité m’a empêché de vous adresser ces remerciements de vive voix, mais vous étiez croyante et je suis sure qu’ils vous parviendront là où vous êtes maintenant; je vous entends déjà, gênée par votre modestie, me répondre avec votre rire franc «voyons, voyons, je ne faisais que mon travail...!»

Marie

samedi 30 janvier 2010

Merci Patricia (Exercice n°10, 2) - par Gilda

Bonsoir Patricia,

Si longtemps déjà que "People who knock on the door" est à mon chevet, à tous les sens du terme, et que je n'ose pas. 26 ans, je crois, bientôt 27. À l'époque, je n'imaginais pas qu'on puisse écrire à ceux qui écrivaient. Ma planète s'appelait banlieue et à peine Paris, mais seulement pour les cours, dormir et potasser. Ceux qui créaient les livres habitaient une autre galaxie. Il n'existait pas encore l'internet pour les communications interplanétaires. De toutes façons j'aurais craint de déranger. Je ne remercie pas mes parents d'avoir ajouté à une forme de timidité naturelle, trois surcouches (in)dé(lé)biles de principes d'effacement.

Il tombe que comme Arthur, j'étais quelqu'un qui étudiait sérieusement. Les étudiants sérieux ne sont pas du bois dont on fait ordinairement les héros de roman. Comme lui j'avais trouvé le grand amour du premier coup et qui m'avait quitté ainsi que le fait Maggie envers lui. Et une structure familiale qui présentait certaines similitudes, quoi que non religieuses, avec celle dont il souffrait. L'identification avait fonctionné plus qu'avec aucun autre. Au point de m'aider au plus noir du chagrin d'amour : oui il est normal de n'en plus pouvoir manger sinon de façon fractionnée, oui il est normal d'être à ce point abattu. C'était mon premier, je n'en savais rien.
J'ai acquis depuis une certaine expertise.

Ce n'est qu'à mesure que je m'approchais de l'écriture que j'ai compris combien au delà d'un récit et de personnages qui me tenaient à cœur, se trouvait une œuvre, un travail remarquable d'équilibre narratif. Cet art de distiller les quelques détails nécessaires à la vie d'une scène, jamais un de trop, le respect des personnages, jusqu'aux plus secondaires et qu'ils soient issus du quotidien et que ce soit ce qui advient qui mérite transmission. Et enfin votre humour à froid, jamais insistant.

Depuis fort longtemps je n'ai plus l'âge d'Arthur, mais ma vie n'est qu'un éternel recommencement, et je n'ai jamais su me départir ni de mon sérieux au travail ni de mon engagement profond dès qu'il s'agit de sentiments, alors je suis revenue vers lui souvent.
Ces derniers jours, j'ai dû à nouveau le retrouver. J'ai beau connaître à force certains passages par cœur (1), la magie opère : votre écriture possède l'efficacité calme qui fait qu'on y est.

Au fil des ans, à mesure que dans nos sociétés le conservatisme reprend le dessus le côté militant me séduit davantage. Pour ça aussi votre livre offre apaisement.
Il n'y a qu'au 11 septembre 2001 (2), à la mort de mon père, et quand l'amie, mon âme sœur, m'a quittée qu'il n'a rien pu faire. C'est peu en 26 ans.

Il était donc plus que temps que je vous dise merci. Je profite que ce soir un messager de luxe s'apprête à vous rejoindre pour le charger de transmettre. Je sais qu'il voudra bien. Mon «Shoe Repair» à moi s'appelle L'Attrape-Cœurs.

Be seing you
some grateful Gilda

(1) Hélas pour ma vie amoureuse.
(2) Vous n'étiez pas là, je vous expliquerai.

vendredi 29 janvier 2010

Merci Julien (Exercice n°10, 1) - par Tutim

Le 22 juin 2009,


Cher Julien,

Je me rappelle exactement de la première fois où j’ai entendu vos chansons. A cette époque, je me baladais toujours avec un sac à dos orange rempli de grands classeurs et des feuilles doubles à petits carreaux. Ce jour-là, j’étais à la Fnac pour acheter un manuel d’histoire et votre album était en écoute. Une histoire de parents que j’ai trouvée très drôle. Je suis repartie avec votre CD et celui de Carla Bruni. J’avais du flair. Elle est devenue Mme Sarkozy. Et vous, vous êtes devenu la mélodie de mes révisions. Et de la suite. Aujourd’hui, des années après, je vis dans un autre pays et je parle une autre langue. Ben, sur mon iPod, c’est encore vous.
Nous, on a l’impression bizarre de vous connaître. Et puis vous, vous connaissez simplement le public dans l’obscurité des théâtres, ses rires, ses phrases en l’air, ses applaudissements et ses remerciements rapides pour ceux qui attendent et vous rencontrent. Moi, devant vous, je me suis bien sentie bien cruche. Faut dire que je ne m’attendais pas à vous voir débarquer. J’ai pas vraiment cru les autres quand ils m’ont dit « mais si attends, il sort toujours. ». Alors quand je vous ai vu, tout sourire, j’ai perdu mes mots. J’ai oublié les jolis mercis qui s’étaient bousculés dans ma tête pendant toutes ces années. Je vous ai juste dit « je peux avoir une photo ? ». Alors j’ai préféré vous écrire pour vous dire le reste.
J’ai grandi avec votre musique. J’ai rêvé avec vos histoires. J’ai réfléchi avec vos paroles. J’ai rencontré vos personnages. Je les ai souvent vu se répondre sans s’entendre. J’ai écouté vos mots dessiner ces atmosphères serrées, ces moments privilégiés, ces aventures comme le quotidien. J’ai voyagé.
Je vous ai écouté sur mon discman en prenant de grandes décisions. Et puis, il y a eu les fois où je m’endormais, où je lisais, où je regardais les visages bleus incandescents en filant à travers la nuit dans le métro aérien, les fois où je déambulais, les fois où j’étais pressée. Et puis il y a eu les fois où j’ai écrit. Ecrit. Ecrit. Pendant tout ce temps, le rythme de vos mots, la justesse de vos formules et l’éclat de vos décors ont tournoyé autour de moi.
Vous touchez d’un doigt délicat l’enchanté du quotidien. Vous êtes très drôle mais vous n’êtes pas de ceux qui ont besoin de se moquer pour amuser. Non, vos mots à vous observent sans juger. Vous montrez l’absurdité des modes et la petitesse du trop.
Vous n’avez pas la folie des grands mots. Bien au contraire, vous semblez les aimer pour ce qu’ils sont et vous les choisissez avec humilité. Pour n’exclure personne. Pour offrir des tableaux pudiques et touchants.
Vous n’en dites pas trop. Et c’est certainement là votre plus grand talent. Vous jetez votre dévolu sur un détail ou deux qui parlent pour toute la scène. L’intonation de la mélodie donne le paysage. Et on y est. Oui, on y est tout à fait. A New York ou au Festival d’Avignon. Vous avez le sens de la mesure. Vous êtes précis sans avoir la prétention de vouloir couper court à l’imagination de ceux qui vous écoutent. C’est une générosité rare chez les artistes.
Et puis il y a d’autres choses.
Merci pour Tours en juin. On a vécu un moment de grâce.
Vos chansons me rendent heureuse. Alors, je me permets d’emprunter son expression à ce metteur en scène auquel vous faites si souvent référence, même si je ne prétends que de ma main, elle ait le même poids. Je voulais vous dire, Julien, vous êtes un chanteur très bien.

jeudi 28 janvier 2010

"Merci" (exercice d'écriture n°10) - par Ornella N.

Les mots se bousculent.
Vous voudriez lui dire.
Pourquoi il/elle vous inspire.
et pourquoi vous l'admirez.
Comment il/elle vous aide.
Le/la remercier.
Un peu pour tout.
Vous vous décidez à lui écrire.
Vous n'aurez peut-être pas de réponse.
Mais ce n'est de toute façon pas ce que vous attendez.
Vous vouliez seulement lui dire.

Ornella


PS : Taille maximum : 3000 signes
Date limite de remise : 7 février

mercredi 27 janvier 2010

Something happened, 11 - par Zelapin récidiviste

Sisters, brothers,
ce soir, je meurs d’envie de vous faire part d’une aventure qui a transformé ma vie. Vous me voyez là, heureuse, épanouie, me dorant la capsule (ouais, j’aime pas me dorer la pilule mais la capsule) au soleil, des amis à la pelle, du fric juste ce qu’il faut, mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Dans ma vie d’avant, j’ai reçu une bonne baffe, de celle dont on ne se relève pas toujours, donnée par celle que je croyais être mon amie. Ca vous dit, un petit flash-back?
Avant donc, j’étais du genre cool, pas à cheval sur les principes, je faisais pas mal la bringue (comme maintenant me direz-vous, mais vous allez voir que non), je bossais par-ci, par-là et je claquais tout vite fait. « Y’avait rien à gagner, les journées passaient, tout était simple »*. Je ne prévoyais rien. Avec le recul, je peux dire que je vivotais, sans passion mais contente.
Un jour, il a commencé à pleuvoir un petit peu, les herbes étaient toutes jaunes, j’avais beau chanter, danser, j’avais froid. Les amis de passage se faisaient plus que rares.
Puis ça s’est mis à cailler sérieux. Plus de fêtes, plus trop de soleil, l’ambiance était retombée.
J’entretenais de bons rapports avec ma voisine, même si elle ne faisait que passer aux soirées, même si je n’avais jamais eu de grandes discussions avec elle. Elle m’avait trouvé deux trois petits boulots, je l’avais dépannée quelques fois ; un voisinage en bonne entente. Alors forcément, ce matin-là, c’est chez elle que je suis allée, histoire de boire un petit café, histoire de faire durer l’été, histoire de voir encore du monde, avant d’essayer de trouver de quoi gagner trois sous pour la mauvaise saison.
Mais figurez-vous que cette frustrée m’a reçue sur le pas de la porte. J’ai pas compris tout de suite qu’elle n’allait pas me faire entrer, alors j’ai proposé d’aller en ville. J’aurais pas dû. Elle a commencé par « tu crois que j’ai le temps et l’argent de trainer dans les bars ? C’est toi qui vas payer, avec quoi ? ».
Six minutes après, c’était comme si j’avais complété tous les psycho-tests de tous les magazines, je venais de me faire passer le savon le plus copieux de ma vie, je savais qui j’étais et qui je n’étais pas, interprétation et morale en prime.
En gros, un truc comme quoi j’avais bien chanté tout l’été, que là, j’avais qu’à danser pour me réchauffer. Le plus drôle, c’est que je n’ai pas réalisé sur le coup la portée de ce que je venais d’entendre, j’ai seulement pensé « c’est râpé pour le kawa ».
Je suis rentrée, j’ai bien calé ma chaise longue au sud, à l’abri du vent, et j’ai profité des derniers rayons de soleil.
Et dans ce calme retrouvé, j’ai pensé qu’elle n’avait au final pas tort, cette vielle bique de fourmi ; il allait falloir m’organiser pour ne pas avoir à mourir un peu à chaque début d’automne. Et je devais gagner ma croûte plus décemment pour ne jamais manquer de café.
Tout bien considéré, c’était pas plus mal d’en avoir pris une telle couche, j’ai fait un gros gros point sur ma vie, je ne suis pas allée jusqu’à « colonne de gauche ce qui va et de droite ce qu’il faut changer », mais pas loin. Je ne me suis pas étendue sur la déception causée par ce désistement côté amitié, j’ai préféré me dire qu’on ne voyait pas la vie par le même prisme.
Je vais pas raconter de salades, quand ma décision a été prise, un petit rictus moqueur m’a contracté le zygomatique, je n’enviais pas sa vie et c’est un euphémisme.
Je ne m’étends pas sur les jours qui ont suivi, un peu vache maigre, mais ma traversée du désert s’est muée en traversée des mers.
Et oui, c’est à cette époque-là que je suis venue en Jamaïque.
Fallait être logique, chanter, danser, ….er, ….er, c’est ce qui m’a toujours branchée, et ne pas avoir froid pour ne pas crever, c’était une sorte de postulat de base.
Vous connaissez un meilleur endroit pour ça ? Pas moi, et je le vérifie tous les jours.
J’ai un peu bossé la voix, un peu la danse, et là, je rentre en studio avec Lavilliers.
Merci Fourmi !
*(merci Charlélie Couture, « le mois d’août 75 »)

mardi 26 janvier 2010

Something happened, 10 - par Maud K.

Appuyée contre le tuyau froid dans les toilettes, elle pleure. Les larmes salées entrent dans sa bouche, dégoulinent dans son cou, collent ses cheveux. Elle aime leurs contact parce qu'elle les connait bien, elles sont de fidèles petites compagnes qui lui piquent la langue, l'ancrent à la vie et lui rapellent qu'elle est encore faite de chair et de sang.
Elle compose le numéro, encore et encore, et écoute les tonalités se perdre dans le vide, et l'espoir monte et se brise, à chaque fois. L'espoir de quoi?
Il ne répondra pas. Et même s'il le faisait, pour dire quoi de plus? Il ne ressent plus rien, Il a rencontré quelqu'un d'autre, et maintenant, Il aimerait bien qu'elle le laisse tranquille, parce qu'il aimerait bien voir la fin de son film. Voilà. Cinq ans, cinq minutes, plié et emballé.
A mesure que les mots prennent du sens, le froid s'insinue dans sa poitrine, le Grand Vide s'installe, et les larmes l'abandonnent.
Ce n'est pourtant pas la première fois qu'Il arrache des petits morceaux de son coeur, ni même qu'il la quitte, mais la douleur est toujours aussi vive. Les autres fois, elle a persévéré. Pardonner et s'annihiler pour qu'Il l'aime un peu plus longtemps.
Tant qu'elle tient le téléphone, le Lien, dans sa main, elle cautérise la plaie avec. Mais le Grand Vide a chassé tout l'espoir et elle fini par reposer le téléphone.


Le brouillard qui suit s'étire lentement. Une coquille vide qui mange, qui dort, qui se lève. Regarder son répondeur comme un énemi silencieux. Ne pas supporter d'être seule mais ne supporter de voir personne. Flotter entre le temps et l'espace.


Aujourd'hui elle est à cette soirée avec des amis, au milieu de tous ces gens, elle sourit et hoche la tête en temps voulu, elle trouve qu'elle ne s'en sort pas si mal. Elle donne le change.
C'est une soirée avec des copains qu'elle n'a pas vus depuis très longtemps, et chacun raconte un peu ce qu'il est devenu. La fille en face d'elle reviens d'Australie. C'était une copine au lycée, elles habitaient la même rue et se disputaient toujours la première place à l'école.
C'est marrant les chemins que prennent les gens, les voies qu'ils suivent et qui les emmènent plus ou moins loin de leurs idéaux d'adolescence.
Miss Australie est habillée simplement mais semble à l'aise dans ses vêtements. Ses boucles d'oreilles viennent du Mali, elle est allée enseigner le français en Virginie quelques années après le bac. C'est fou cette façon qu'a la vie de vous déposer exactement là où vous devez être si vous savez saisir les opportunités qu'elle vous donne.
Elle a des amis un peu partout dans le monde et explique que ce qu'elle aime vraiment, ce sont les rencontres inattendues et enrichissantes.
Elle n'a pas peur de vivre. Elle n'a pas besoin de béquille.
C'est sans doute à ce moment là que le petit rayon de soleil a percé le brouillard. Elle regarde cette fille sourire et agiter les mains devant elle et elle se dit : "Pourquoi pas moi?" .
Elle regarde sa vie et elle se demande ce qu'elle fait là. À quel moment s'est-elle trompée de chemin et s'est-elle perdue en route? Accepte d'exister. Fais taire la petite fourmi laborieuse et écoute ta vraie voix. Saute dans le train en marche, pars attraper tes rêves avant qu'ils ne s'échappent.
Voilà. Quelques secondes pour des années.

Elle a vidé son appartement et rendu les clefs. Ses classeurs, ses cours et ses polycopiés d'internat sont chez ses parents dans un carton à la cave, ils attendront son retour. Son sac à ses pieds n'est pas trop gros, et elle se regarde dans le miroir au dessus des toilettes. Elle se trouve belle sans maquillage.
Elle est prête.

lundi 25 janvier 2010

Something happened, 9 - par Jo Alouest

Ma chère Sophie.
Quel plaisir de recevoir ta lettre!

J'avoue qu'à l'heure de l'internet, de facebook et copains d'avant, je ne me serais jamais imaginée qu'on se retrouverait grâce aux pages blanches!

Oui, beaucoup d'eau a passé sous les ponts, beaucoup d'eau qui a charrié sa dose de déchets et de limon.
Comme je te l'ai dit au téléphone, j'ai divorcé, changé de boulot, et quitté ma chère Paris. Je sais, ça fait beaucoup...

Tout le monde se demande (et parfois me demande) ce qui m'est passé par la tête!
A toi, je sais que je peux le dire.
Que tu comprendras.
Ou que tu ne jugeras pas même si tu ne comprends pas.

Comme tu le sais, j'étais une femme comblée, avec un bon job qui me prenait beaucoup de temps, un mari gentil et trois beaux enfants.
Tu te souviens, en cours d'histoire, le distingo que faisait Mrs. P. entre causes profondes et causes immédiates? Là, c'est un peu pareil: si je devais résumer ce chambardement à une chose, je choisirais une chanson de Linda Lemay, qui m'est tombée dans les oreilles, un soir. Cette chanson s'intitule "j't'ai pas entendu...".

Elle m'a ramenée quelques mois en arrière, lorsque je me vidais de mon sang et que le docteur m'a dit: "votre foetus est mort, il faut l'extraire, sinon, il va vous tuer!"
Je me suis souvenue de tout: de l'echo, de l'anesthésiste en goguette, de tout le reste qui est indiscible, des étriers à l'aspiration, des transfusions et des flashs à la con (Comme ce livre que tu m'avais prété, La Vacation de M.W.), des reflexions sympa à la sortie de l'hosto...
Et puis, je suis allée regarder mes enfants, les vivants, ceux qui ont tenus, dormir.
Et je me suis rendue compte que je ne faisais que ça, depuis le début, les regarder dormir, en dehors de mes horaires à la con dans un boulot bien payé qui me bouffait ma patience, mon énergie, mes convictions et mon âme.

Puis mon mari est rentré, et une fois de plus, on a même pas pu échanger un silence sereinement.

Je suis allée à la fenêtre, il y avait tellement de lumières que je voyais à peine les étoiles, j'ai ouvert et j'ai entendu les voitures, auxquelles je ne faisais plus attention. Auxquelles je n'avais jamais fait attention, en fait.


Et là...

Comment dire?

Comment le dire sans insulter les victimes de catastrophes naturelles?
Je l'ignore...
Les premiers mots (bateaux, certes) qui me viennent sont:
Une digue s'est rompue, une vague m'a emportée, j'étais en pleine tempête...
J'ai vécu un tremblement de mère.

Je suis retournée écouter mes enfants respirer, j'ai réveillé mon mari, et j'ai parlé.
Plus que jamais, mais en moins de mots.
Le lendemain, je m'inscrivais au concours et je donnais ma démission.

Le divorce n'a pas tardé et a été serein.
On a choisi une région qui nous attirait tous les deux, L. et moi, pour l'inscription au concours.
On voulait rester proches pour les enfants.
Il a obtenu une mutation, et moi, quelques mois plus tard, mon concours.
Aujourd'hui, on a fait un tour à la plage avec les enfants (et des moufles!).
Hier, avec mes élèves, nous avons observé une salamandre, apportée par une maman.
Je jardine (Si, si!!!), on se promène, j'ai dû passer mon permis!

Je suis là le soir, le matin, le midi, pour les devoirs, les bobos et les bagarres.
Ils dorment, je viens d'aller remettre une bûche dans la cheminée, tout est calme.
Dehors, y'a plein d'étoiles, et des arbres, et des mulots.
Demain, c'est grêve! Je les emmène à la manif!

Et toi, comment va la vie?
Jo

dimanche 24 janvier 2010

Something happened, 8 - par Tutim

Je l’ai appris comme ça.
Ca m’a fait l’effet d’un mauvais rêve au réveil.
Un vague brouillard qui fout le cafard. Qu’on chasse de la main et qui revient aussitôt.
Et aujourd’hui, face à cette feuille, je ne sais pas si je dois saluer un coup du sort ou une ironie du destin alors je pleure.
Voilà, je n’avais pas pensé à Xavier depuis des années. Parfois, en entendant un garçon du même prénom se présenter, le noir de ses yeux revenait secouer mes souvenirs. Mais sans émotion particulière. Xavier a épuisé mon énergie les années où on a été ensemble. Il est parti à coups de cris et de promesses abandonnées. En me laissant un souvenir doux-amer. Celui de mon premier amour. Celui d’un homme qui ne m’a franchement pas aidée à savoir ce que je voulais de la vie mais qui m’a permis de comprendre ce que je ne voulais pas. Et c’était déjà beaucoup.
Le temps est passé. J’ai grandi. Je me suis mariée. J’ai eu des jumelles. Sarah et Laura. Deux merveilles. J’ai été une jeune maman. Et une jeune divorcée.
Le mois dernier, j’ai fêté mes trente ans. On est allées au cinéma avec mes filles. Je leur ai acheté des pop-corns qu’elles ont jetés en riant. Je n’ai pas repensé à Xavier.
Et puis, le soir de l’enterrement de jeune-fille de ma cousine, on l’a déguisée en Barbie et on est entrées dans un bar. On était cinq, déjà un peu bourrées. On riait comme des adolescentes. On s’est affalées sur un canapé. Et là, face à moi, un peu plus vieux mais toujours aussi beau, j’ai aperçu Xavier en pleine conversation avec deux hommes plus âgés. Je l’ai immédiatement reconnu. Même s’il essaie de se vieillir avec ses petites lunettes et ses chemises bien repassées, il a toujours l’air un peu perdu de son adolescence.
Je me suis levée. Je voulais savoir ce qu’il était devenu. Mais j’ai immédiatement compris que les dix ans qui nous séparaient de notre histoire s’étaient évanouis. J’avais à nouveau vingt ans, des espoirs, beaucoup d’ambition, pas un sou, et une admiration infinie pour sa manière de regarder le monde. Le verre à moitié plein. En me voyant, il a souri. Il m’a demandé pourquoi j’avais un string sur mon pantalon. Je lui ai raconté Aurélie, son futur mari, sa conversion à l’islam, sa grossesse restée secrète et son ventre plat. Il a ri et a effleuré ma main. Je crois qu’il n’a pas vraiment voulu me toucher. C’est juste tombé comme ça. Comme notre rencontre, comme ses yeux brillants, ses études de droit, sa carrière, le mariage de sa sœur. C’est arrivé quoi. Comme ce qui a suivi, la soirée passée à surprendre le regard de l’autre, les sourires sincères et sa main sur la mienne.
Il était quatre heures quand on s’est retrouvés chez moi, sur le futon du salon. En voyant la pile de DVD Disney, il m’a demandé si j’avais des enfants. Je lui ai montré une photo de mes deux beautés. Les filles étaient chez leur père alors je n’ai pas réfléchi. On a allumé la télévision, il passait une redif de Ruquier et on a repensé à nos samedis soirs devant Ardisson. Il m’a entouré de ses bras. J’ai eu chaud. Je me suis sentie bien. Je n’ai pensé à rien. Ou plutôt si, j’ai pensé enfin. Enfin.
Le lendemain, il est parti en notant mon numéro. Il m’a parlé d’aller au cinéma la semaine suivante, de rencontrer les filles, de les amener à EuroDisney. D’être heureux ensemble.
Mais il n’a pas appelé.
Je me suis posé toute sorte de questions, j’ai émis des hypothèses, j’ai essayé de me remémorer notre conversation dans le moindre détail. Je me suis même dit qu’il lui était peut-être arrivé quelque chose.
Alors le week-end suivant, j’ai cherché dans mes carnets pour retrouver le numéro de ma meilleure amie de l’époque. Je savais qu’ils étaient restés en contact parce qu’ils étudiaient dans la même université. Je ne lui avais pas parlé depuis des années mais je n’avais aucun autre moyen de joindre Xavier.
Elle n’avait pas changé de numéro et au bout de trois sonneries, elle a décroché. Je lui ai vaguement demandé de ses nouvelles. Et, à peine ai-je prononcé le nom de Xavier qu’elle m’a dit : « C’est marrant que tu me parles de lui parce que je ne l’ai pas vu depuis des mois mais j’ai reçu son faire-part de mariage la semaine dernière. »
J’ai vu trouble.
Elle a ajouté : « Et tu sais quoi ? Il se marie avec une juge. »

samedi 23 janvier 2010

Something Happened, 7 - par Elizabeth L.

Something happened


Le jour où quelque chose arrive qui va changer votre vie, vous ne l’avez pas prévu. Il commence comme un jour tout à fait ordinaire, voire particulièrement morne, un de ceux dont on se dit, par la suite, « si on me demandait ce que je faisais le 38 janvobre, je serais bien en peine de le dire ». Est-ce qu’il pleuvait ? est-ce qu’il y avait du soleil ? (ce qui est rare en janvobre dans nos contrées, il faut bien l’avouer).

Comment sait-on que c’est ce jour-là que tout a basculé ? Quelquefois il existe un signe. On reçoit une lettre. Ou un coup de téléphone. Un télégramme, autrefois. Un e-mail, aujourd'hui. On déménage. On part. On tombe. On tombe amoureux. On tombe de haut. On a un accident. Au lieu d’être au travail, ce matin-là, les pompiers vous emmènent et on se retrouve aux urgences. La journée se désagrège, fond, coule par la bonde de l’évier, disparaît. On la recycle ensuite sous forme de souvenir.

Mais bien souvent, il n’y a rien qui puisse servir de repère. C’est seulement après coup qu’on va constater le changement, observer ce qu’il a d’irrémédiable, et se demander à quand on peut le faire remonter. Quand on s’aperçoit qu’on a perdu la bague de fiançailles de sa grand-mère. Depuis quand est-ce qu’elle n’est plus dans le coffret à bijoux ? Est-ce qu’elle a pu être volée ? Quand l’ai-je vue pour la dernière fois ? Et l’amour que l’on croyait ressentir, où est-il passé ? Depuis quand est-ce qu’il n’est plus là ? C’était peut-être ce jour-là, le mardi 38, ce jour ordinaire de janvobre, qu’il a disparu. Tout ce qu’on sait, c’est que rien ne sera plus jamais comme avant.

vendredi 22 janvier 2010

Something happened, 6 - par Lyjazz

C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit....

Non, c'était plus justement pendant l'interrogation du début de l'adolescence.

L'interrogation et l'enthousiasme pour l'écriture, pour le secret.

La sensation qui perdurait de ne pas être comprise, d'être toujours plus vieille que l'âge que l'on me donnait. Plus âgée, plus mûre dans ma tête.
Avec l'idée que ce que je vivais était décalé avec ce que j'étais vraiment, à l'intérieur.

Mes parents surtout, très occupés, ne me comprenaient pas.
J'étais équilibrée dans mon corps cependant. J'observais et vivais ces événements : mes premières règles, les transformations de ma pilosité, de mes seins. Et je continuais de faire du sport, de partir faire de longues promenades en vélo. Avec des temps d'arrêt, de lecture et de réflexion, plus intenses et intériorisés. Mes relations avec les garçons du quartier, mes camarades de jeux depuis toujours, étaient en train d'évoluer : ils voyaient en moi la jeune fille en devenir, ils commençaient à être troublés, et moi-même j'étais sur cette brèche entre les deux.

Je regrettais un peu de ne plus être considérée comme auparavant, je n'avais pas encore envie de ressentir du désir de leur part, et j'avais envie de leur montrer que je portais mon premier soutien gorge...

Par exemple j'étais agacée de voir que certains garçons se cachaient le soir quand on rentrait du cours de judo, pour me surprendre et en profiter pour m'embrasser ou me toucher les seins. Et quand même j'aimais bien les combats au sol, pendant lesquels on pouvait sentir le corps de l'autre, dans le registre de la pulsion maîtrisée de l'art martial, mais avec un plaisir non dissimulé et mêlé, presque ambigu.

J'avais un camarade judoka en classe qui avait un an de plus que moi, mais était bien plus grand et fort, contre lequel je ne combattais pas. Cependant nous ressentions un trouble lorsque nous étions en présence. Fait de l'odeur du tatami et des kimonos, des vestiaires, de ce que nous partagions comme sensations pendant les cours. Fait de notre adolescence et de confiance parce que nous étions bien dans nos corps.

Et nous nous retrouvions parfois, lorsque nous avions une heure de libre, le samedi matin, dans une grange à l'extérieur du village. Un endroit tranquille, avec du foin en haut, que nous atteignions en vélo, excités par l'air frais, les odeurs de la nature, notre complicité, l'aventure, la découverte, la tendresse.

Je racontais, sans trop de détail, nos rencontres, mes questions, mes interrogations, sur mon journal intime, que je cachais dans mon secrétaire, ou sous mon matelas.

Un jour ma mère m'a appelée, invitée à venir dans ma chambre. Ou plutôt convoquée. Elle a sorti mon cahier vert. M'a dit qu'elle l'avait lu. M'a expliqué que je ne devais pas penser de cette manière, ni écrire ça. Que mes pensées et mes interrogations ne devaient pas avoir lieu, que c'était dangereux. Que je devais « faire attention aux garçons ».

En fait je ne sais plus ce qu'elle m'a dit. Je ne me souviens d'aucune de ses paroles sauf de cette antienne qu'elle m'a répété des années après : « fais attention avec les garçons ».

Je me souviens seulement d'un grand froid. De mon élan de vie qui s'est recroquevillé à cet instant. De ce bruissement dans ma tête. De son regard courroucé. De cette trahison. De ma peine profonde. De mon sentiment d'être acculée et de ne plus pouvoir me réfugier nulle part. Je n'étais plus moi si je ne pouvais plus écrire ni dire ce qui m'interrogeait, si mes paroles personnelles étaient niées et considérées comme des mots interdits.

Elle était tellement manipulatrice que j'ai été obligée de dire oui, de certifier que c'étaient des mots en l'air, pour la rassurer, m'en débarrasser.
Je me souviens que j'ai repris ces passages et que je les ai enduits d'encre de chine, très proprement, comme une chape de béton. Le coeur lourd.

Ensuite, je suis restée longtemps sans écrire. Même si j'ai encore reçu des coups de mes parents après un appel au secours. Je ne pouvais plus. Je ne faisais confiance à personne ni à rien.

J'ai passé des années à faire le pitre en classe, à être le boute en train. Comme une façade. Pour faire sortir ce jaillissement d'énergie qui m'habitait et que je ne pouvais plus dire.
Personne ne me comprenait.

Et je ne pouvais même pas écrire ces mots.
Juste lire. Sans arrêt. Même en marchant.

Il m'a fallu deux ou trois ans je crois avant de me redonner cette permission d'écrire pour moi et non plus seulement pour les professeurs.
j'ai continué d'écrire, mais sur des bouts de papier, des feuilles format A4 que je pliais en quatre et gardais dans un livre, dans ma poche, dans mon sac. J'écrivais partout. Dans toutes les situations. Partout où mes émotions devaient être dites et n'étaient pas comprises.

Je n'ai plus jamais fait confiance à ma mère. Je sais de quoi elle est capable. Je sais qu'elle ne me comprendra jamais.

J'ai tergiversé jusqu'à mes quarante ans avant de devenir mère.

Maintenant que j'ai des enfants je fais très attention à cette confiance, à leurs ressentis. J'ai des antennes.


Lyjazz

jeudi 21 janvier 2010

Something Happened, 5 - par Zelapin

C’était un de ces repas du vendredi soir de fin de printemps, entre parents d’élèves, autour de pizzas ou pâtes ou restes rapportés par les convives. Cette fois-là, un couple d’amis des hôtes (mais n’ayant pas d’enfants fréquentant même école) était invité.

Un peu avant le dessert, alors que tous les enfants jouaient depuis belle lurette dans le jardin, l’un des invités se mit à raconter comment avoir vu « Jeux interdits » avait profondément affecté sa vie affective future. Il pensait l’avoir vu trop jeune, pas encore sorti de l’enfance, et avoir souffert pour le restant de ses jours et encore aujourd’hui d’une anormale angoisse d’abandon.

On s’efforça de plaisanter sur le sujet, sans pour autant parvenir à dissiper la forme de gravité qui avait pris place, flottant au-dessus de la table comme mêlée aux effluves du jasmin de ces premières soirées chaudes.
Fixant pour la plupart les flammes de bougies (y-avait-il déjà des moustiques ?), ou un point imaginaire derrière le visage de leur vis-à-vis, chacun se perdit en lui-même, cherchant ce qui, en matière de fiction, aurait bien pu le marquer autant que leur ami.

Au début, ce furent surtout des expériences cinématographiques que l’on évoquait, puis le propriétaire exposa comment il se sentait proche de Philippe Djian pour avoir été fortement secoué par « l’attrape-cœur » de Salinger, sa façon de lire en ayant été modifiée, l’amenant à être plus critique ensuite, beaucoup plus sensible au rythme, au style, à la langue qu’auparavant.

Alors, la littérature et son pouvoir (quasi-magique) de modifier chez le lecteur sa perception du monde devint le sujet officiel ; tous avaient au moins un livre fétiche, frontière avant/après, au sujet parfois très éloigné des conséquences engendrées.

Les plus âgés des enfants, ayant peut-être ressenti l’intensité de ce qui se jouait s’étaient rapprochés, formant un deuxième cercle dans la pénombre autour de la table.

C’est alors que la jeune femme amie des hôtes mais peu connue des autres prit la parole, intimidée. Son trouble était perceptible de très loin, elle était visiblement gênée de l’intimité qu’elle allait dévoiler, mais déterminée à livrer son expérience à ce point de la conversation. Elle expliqua qu’à 12 ans elle avait lu «L’herbe bleue », le journal d’une adolescente qui devient toxicomane et que ce qu’elle lisait s’imprimait au fur et à mesure dans son corps, dans son esprit, au point d’avoir la nausée quand le personnage l’avait, de ressentir physiquement de la douleur lors des épisodes de manque. En délivrant ces souvenirs, elle repoussait sans cesse une mèche invisible (elle avait les cheveux très courts), comme si elle avait à nouveau 12 ans et une frange longue. Ce qui l’avait le plus marquée était qu’à l’époque, quand elle « sortait » de sa lecture, elle éprouvait une sorte de malaise, en particulier avec ses parents, comme si elle prenait elle-même de la drogue ou commettait des vols pour en acheter. Elle avoua qu’une fois ce livre fini, elle avait eu la sensation presque biologique d’entrer dans l’adolescence.
Ce fut la dernière à s’exprimer sur le sujet.

Après un temps de flottement, la conversation reprit un rythme plus rapide et une orientation toute différente (sauf pour elle, qui resta longtemps muette, captive de sa narration).

Je faisais partie des quelques enfants assis près de la table, j’avais aussi 12 ans. J’ai compris alors avec jubilation (j’avais déjà lu ce mot « jubilation », promis, je pouvais donc l’éprouver en toute connaissance de cause) que je faisais partie d’un groupe que je ne quitterai (i hope so) plus jamais, celui des lecteurs.

mercredi 20 janvier 2010

Something happened, 4 (VO sans sous-titres) - par Martine B.

My dear colleagues, my dear friends,

Thank you all for coming. You know I hate speeches, but I want to say how grateful I am to you all, let’s just hope it won’t be too boring! Here we go, then!

When I arrived in Normandy at the age of fifty-two I was at a loss with what to do with my life. I got out of the ferry thinking I would just stay in France for a holiday and then go back to England. I was fed up with my job in which I felt stuck. Was there anything in store for me? I doubted it. Not that I lacked inspiration, but all I liked was out of reach. I loved writing, I dreamt of translating novels, but who would be interested in an ageing amateur? I knew I would never be one of the happy few…Well, on 30 June 2000 I got out of the ferry in Ouistreham with no precise destination in mind; all I needed was a careless holiday. As I was walking down Rue de la Mer I caught sight of a notice in a window. It read: “Chambre libre”. I immediately felt at ease in this place, and the landlady soon took me to my room. Little did I know then that this encounter was to change my life!

For a few weeks I just slept an incredible amount of time and went for long walks on the beach. When I came back Dominique would wait for me with a good cuppa and a few biscuits. I was not very talkative, but I found her warm presence soothing. I soon met a few friends of hers and started to be a bit more sociable. At the end of August I was facing a dilemma. I did not feel like returning to Britain, having not felt so well for ages, moreover my children and ex-wife had good positions and did not depend on me anymore, but how would I support myself without a job?

Conversely, would I lose much if I resigned from my job as a history teacher? I knew I would miss some of the pupils, but certainly not FC. Fat Cow was the nickname the kids had given one of our colleagues and without openly admitting it we thought she was getting what she deserved. It was the only thing we agreed about, though, as this two-faced nightmare had managed to install an atmosphere of suspicion which made all team work impossible. Just thinking of her made me sick and I developed a rash which got worse and worse until my decision was final. One morning I got up and knew: I would not go back there. Never again.

We had a wonderful weather that autumn. I still went for long walks, taking my camera with me. The light is so unique on Normandy beaches. Dominique often joined me, collecting drift wood that she used in many amazing ways to decorate her house or to frame photographs of her new-born grand-child. I soon joined a club. Taking photos was a fantastic hobby, but I can tell you now that it was more than that, forcing me to focus on something new, to see life through a different lens. After a while I felt ready to go back to “normal” life and work. Dominique had heard that the museum needed a part-time bilingual guide. There were few applicants, and I was given the job. As a former teacher I loved talking of WWII to the kids who came here on school trips, and I was happy to have some spare time. As I read somewhere the other day, “once you are used to your freedom…”

Jean, from the club, urged me to exhibit my photographs. I was quite reluctant first, but I finally submitted to his friendly pressure. To my surprise my work interested a few people, and I got a couple of good reviews in the local press, as well as a few photos published in national magazines. Last year as you know, I opened my gallery in Caen. As you all know it is keeping me extremely busy and I have decided to retire from the museum.

I will miss working with you, but the good news is that Dominique and I are moving into the house next door and you are welcome to pop in whenever you like. In the meantime, I’ll just drink to you!

Cheers everyone! Thank you for coming!

mardi 19 janvier 2010

Something happened, 3 - par Flo

C’était un mardi, je crois, je n’en suis plus très sûre aujourd’hui.

Dans quelques jours, ça va faire 3 ans.

Un mardi comme un autre, la vie qui s’étire longuement, retour du travail, allumer la télé, se faire à manger, bâcler la nourriture, se nourrir sans savourer.

Et ce poids, toujours, sur les épaules, sur le coeur. Ce poids qui n'en est plus un, tant j'ai pris l'habitude de vivre avec, comme un compagnon, comme une obligation. Je tourne en rond, je cherche, je me cherche.

Il était là ce soir-là, nous avions échangé des banalités comme souvent, sans y mettre le cœur, en se forçant bien sûr.

22 heures, il était déjà sorti depuis plus d’un quart d’heure, dans l’hiver humide du Sud, promener le chien. Ces promenades qui duraient une éternité, ce besoin de prendre l’air, de sa part, de la mienne, j’étais blottie sous les couvertures, je regardais une émission quelconque, absente à moi-même, absente à la vie.

Ca a sonné d'un coup, m’a fait sursauter comme à chaque appel à cette période. Qui appelle à cette heure, mais surtout, qui appelle sur un numéro que nous ne communiquons jamais ??

Et surtout, pourquoi est-ce que je me suis levée ce soir-là, alors que j’avais laissé tant de fois retentir la sonnerie, tremblante, paralysée d’affronter la réalité, celle de l’extérieur, celle de ce monde que je ne maîtrisais pas, plus, cet univers où tout m’échappait.

J’ai décroché, mue par une force qui me dépassait, comme un noyé s'accroche à la bouée qu'on lui lance.

-J’aimerais "lui" parler s’il vous plaît
-Mais qui êtes-vous pour appeler ainsi, il est 22H30??"
-Sa copine, depuis plusieurs mois
-Ah ça tombe bien, je suis sa femme, depuis 7 ans.

Du reste, je ne me souviens guère. Mes jambes tremblaient tellement qu’il a fallu que je m’assoie. J’ai senti le même effarement en face, mais peut-être moins violent, moins bouleversant.

J’ai raccroché, et je l’ai entendue, cette voix intérieure : « si tu ne fais rien aujourd’hui, c’est ton enterrement que tu signes. C’est maintenant ou jamais, enfin, pour VIVRE. »

Tout chambouler. Quitter une ville, un boulot. Des points de repère, mais construits sur des fondations de sable. Repartir à zéro, encore, enfin. Vivre enfin, déployer ses ailes, respirer, oublier la peur, celle chevillée au corps depuis si longtemps, découvrir que cette boule énorme, sur le plexus, étouffante, n’est pas une fatalité. Se prendre en main, prendre en charge, décider, assumer, surmonter l'insurmontable, repousser des limites qui paraissaient inatteignables, apprendre à savourer, devenir légère, si légère...

Flo

vendredi 15 janvier 2010

Fantômes et enfants volés - à propos de "Rapport de police", de Marie Darrieussecq (POL, 2009)

C’était il y a vingt ans. J’étais un jeune écrivain. Jeune parce que je n’avais pas mûri. Jeune parce que mon premier roman avait été publié un an auparavant. Ça n’avait pas été un succès de librairie malgré toute l’énergie et tout l’espoir que j’avais mis dedans. Mon second roman (commencé avant mais terminé après) avait été refusé par Paul Otchakovsky-Laurens. Je m’habituais, lentement mais sûrement, à l’idée d’être l’homme d’un seul roman.

Je fréquentais souvent la maison P.O.L, non seulement parce qu’on m’y avait confié des traductions mais aussi parce que c’était le seul endroit où j’avais le sentiment, en y mettant les pieds, que j’étais un écrivain.

Paul et Jean-Paul et les autres sont des gens généreux. J’y étais toujours bien accueilli (ça n’a pas changé...) et j’en repartais souvent avec les livres fraîchement arrivés de l’imprimerie. Ce jour-là je repars avec le premier roman d’une inconnue. Sur la couverture, des rails de chemin de fer. Et je me mets à lire le livre dans le train. Il y est surtout question des carrefours imprévus de l’existence mais aussi (anecdotiquement) de trains.

Je ne sais pourquoi, je me suis mis à voir dans le récit de multiples allusions à mon propre roman, La Vacation, dont une partie de l’action se passe en train. À partir de cette apparente ressemblance, je me suis mis à en voir d’autres, si nombreuses qu’au bout de ma lecture, j’en ai été convaincu : l’auteure m’avait lu, et elle me faisait signe.

Cette idée m’a enflammé. On m’avait lu ! Et pas n’importe qui : une auteure P.O.L. J’avais beau en être un, moi aussi, tous les autres auteurs maison me paraissaient plus brillants, plus imposants, plus importants, plus littéraires. Peu importait que celle-ci fût plus « jeune » que moi dans la maison, éditorialement parlant. Mon premier roman était engagé et sombre. Ce premier roman-ci était brillantissime. C’était dégoûtant. Mais au moins, elle m’avait lu et multipliait les clins d’oeil à chaque page.

J’appelai Paul. Qui était cette femme ? J’avais envie de la rencontrer. Pour en avoir le coeur net.
Paul me répondit qu’elle vivait à l’étranger, que le nom sur la couverture était un pseudonyme (« Ah ! Elle aussi, elle porte un nom d’emprunt !!! »).
Pourrais-je la rencontrer ?
Oui, elle venait à Paris de temps à autre. Il lui donnerait mes coordonnées. Elle m’appellerait si elle avait, elle aussi, envie de me voir.

Elle appela. Comme le studio où elle séjournait lors de ses passages à Paris était minuscule, elle proposa qu’on se retrouve dans un café.
Nous sympathisâmes immédiatement : elle était aussi heureuse et stupéfaite que moi d’avoir été publiée par P.O.L et de côtoyer des écrivains qu’elle lisait et admirait.

Mais avant que j’aie pu lui citer, le sourire en coin, tous les clins d’oeil que j’étais certain d’avoir vu dans son texte, elle me déclara, très embarrassée : « Je suis désolée, je n’ai pas lu La Vacation, Paul me l’a donné hier en me disant que c’est un très beau livre, mais je n’ai pas eu le temps... »

Je ne sais pas comment, ensuite, ni avec quel embarrassement, je lui expliquai que mon désir de la rencontrer n’était pas seulement guidé par mon appréciation du livre mais aussi par... mes projections... mais je me souviens parfaitement que ça la fit rire aux éclats. Et que ça me fit rougir de confusion. J'en rougis encore.

À partir de ce jour-là j’ai lu tous ses livres et elle a sans doute lu certains des miens. Je l’ai reçue chez moi et elle m’a reçu chez elle quand elle est venue vivre en France. J’ai essayé de la soutenir moralement à travers plusieurs crises qu’elle avait bien voulu me confier. Bref : nous sommes devenus amis.

Rétrospectivement, je ne suis pas étonné d’avoir imaginé que certaines phrases, certaines situations, certaines allusions de ce roman « parlaient de moi » : je croyais voir des signes partout, à l’époque. Je me souviens ainsi avoir cru mordicus, phrases à l’appui, que Dans la Tour, un roman de Danielle Mémoire, parlait de (mon admiration pour) Georges Perec !

Il faut dire que je lisais beaucoup de littérature anglo-saxonne depuis longtemps et que ses auteurs ne cessent de citer les autres écrivains, de leur faire des clins d’oeil, d’intégrer des citations à leurs textes. Le premier (que je sache) à procéder ouvertement de même en France était justement Perec qui, à la fin de La Vie mode d’emploi donne la liste de tous les auteurs dont des citations « plus ou moins modifiées » sont insérées dans son roman.

L’allusion, l’influence, l’hommage étaient donc à mes yeux des composantes presque obligés de toute composition littéraire, et le sont, aujourd’hui encore, des miennes : Les Trois Médecins est un « remake » affiché des Trois Mousquetaires ; Le Numéro 7 est écrit en hommage à Terminus les étoiles d’Alfred Bester... lui-même fortement inspiré par Le Comte de Monte-Cristo ; l’une des « B stories » de Un pour Deux lorgne du côté du scénario de Bullitt, quant au Choeur des femmes il revendique aussi bien l’influence de Barberousse de Kurosawa que celle de Buffy the Vampire Slayer et de The Princess Bride, le film de Rob Reiner.

C’est cet état d’esprit, constant depuis que je lis et que j’écris, qui explique sans doute pourquoi, à aucun moment je n’ai pensé à mal en lisant ce premier roman qui semblait évoquer le mien. Ce qui me faisait faire le rapprochement était la relation de chacun avec la langue, les jeux de mots, l’humour grinçant de certains passages... et l’histoire d’un manuscrit baladeur et d’un train. Mais les deux livres sont aussi différents que possible. Il m’aurait semblé ridicule de penser que l’auteure s’était inspirée de mon bouquin, ou qu'elle en avait plagié certains aspects.

Et pourtant, « Il y a plusieurs bénéfices à s’affirmer plagié », remarque Marie Darrieussecq dans son essai, Rapport de police : « le manque de reconnaissance peut y trouver une certaine consolation ; on certifie soi-même son authenticité, puisque, bon plagié, on se place tacitement hors des méchants plagiaires ; on affirme implicitement être un auteur qui compte ; on se rêve fondateur. » (p. 306).

Cette description recouvre tout à fait mon état d’esprit de l’époque et me permet aujourd’hui de comprendre pourquoi, en certaines circonstances, un auteur peut s’imaginer qu’il a été plagié.

Cette illusion – et les excès, commis de bonne ou de mauvaise foi, qui en découlent parfois – est l’un des aspects que développe Marie Darrieussecq dans cet essai passionnant, mais ce n’est pas, et de loin, le principal.

Après avoir brièvement et très factuellement rappelé que Marie NDiaye l’accusa de « singerie » pour Naissance des fantômes et Camille Laurens de « plagiat psychique » pour Tom est mort, lui reprochant d’avoir repris dans ce dernier roman les mots, les phrases, les sentiments qu’elle-même exprimait dans Philippe, un récit autobiographique dans lequel elle raconta la mort de son premier-né après un accouchement saboté par un gynécologue incompétent et imbécile, Marie Darrieussecq déclare tout de go que le plagiat, en lui-même, « ne l’intéresse pas, mais qu’elle y a été sensibilisée » par les accusations dont elle a fait l’objet.
Et, de fait, tout le livre vient appuyer cette précision liminaire et démontrer que ce qui l’intéresse est ce qu’il y a derrière l’accusation de plagiat : bien plus que le reproche d’avoir « copié ».

C’est un livre étonnant que Rapport de police. Ce n’est pas, en effet, un essai sur le plagiat en tant que tel : son sujet est plus précisément ce qu'elle nomme la "plagiomnie" - mot-valise né de plagiomanie (fantasme d'être plagié) et de calomnie - et la souffrance de ceux qui en sont les cibles. Ce n'est pas non plus un réglement de compte : elle parle précisément, mais peu de l'accusation portée par Camille Laurens ; elle ne parle pratiquement pas de celle de Marie NDiaye, au point que le lecteur, lui non plus, n'a rien à en dire à la fin de sa lecture... et ne le regrette pas. Tout le livre est en revanche une réflexion rigoureuse sur ce qu’est l’écriture de fiction, ce qu’elle met en jeu dans le regard des lecteurs – qu’ils soient écrivains ou non – et en quoi la fiction peut, à des moments cruciaux, mettre en danger les certitudes toutes faites et les dogmes culturels de certaines sociétés.

Évoquant la figure et l’itinéraire de plusieurs écrivains accusés de plagiat (Freud, Celan, Ossip Mandelstam, Danilo Kis, Daphné du Maurier et d’autres), Marie Darrieussecq nous fait non seulement voyager dans l’histoire de la littérature grâce à une narration d’une grande richesse, mais décrit également, par touches discrètes et humbles, ses goûts de lectrice et son métier d’écrivain. Elle revendique la fiction comme son seul mode d’expression, expliquant qu’elle n’aurait probablement pas écrit cet essai si elle n’avait pas été accusée, et qu’elle n’en écrira probablement pas d’autre. On le regrette vivement, car cet essai est un coup de maître.

Loin de décortiquer le plagiat en tant que tel, Rapport de police s’attache en effet essentiellement à ce qui motive cette accusation : le désir de reconnaissance ou de réparation d’un écrivain ; mais aussi un « dispositif idéologique, qui oppose d’un côté l’originalité, de l’autre l’usurpation : inauthentique, l’écrivain qui ne prétend pas écrire ‘avec son coeur’ et ‘selon la nature’ est perçu comme l’usurpateur d’une expérience qui n’est pas la sienne. » (p. 164) L’exigence d’une originalité en littérature, rappelle Marie Darrieussecq, est née à la fin du XVIIIe siècle en France et en Allemagne, avec Rousseau et son « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple » des Confessions.

Mais l’originalité est une chimère, comme elle le démontre avec force exemples, et surtout celui-ci, éclairant : prenant un volume au hasard sur une étagère, elle lit cette phrase : « Le soleil commençait à brûler les visages ; la poussière emplissait les yeux continuellement. » Dans un autre, pris au hasard également, elle lit : « Le soleil était brûlant et nulle brise ne venait déranger la poussière tamisée. » Le premier ouvrage est Une partie de campagne, de Maupassant. Le second, Les raisins de la colère de John Steinbeck. Après avoir donné de multiples autres exemples de « duplication » des phrases dans ces deux livres, « J’affirme », écrit Marie Darrieussecq, « que deux livres totalement étrangers l’un à l’autre présenteront toujours des ressemblances troublantes. Les ressemblances s’exacerbent, c’est une évidence, quand les deux livres traitent des mêmes thèmes (ici aussi originaux que la campagne, les champs, la route, le départ...) (...) J’affirme que deux livres, n’importe lesquels, lus parallèlement dans une optique malveillante ou paranoïaque, pourront toujour passer pour plagiat l’un de l’autre. » (P. 153-154)

Marie Darrieussecq, qui envoya son premier roman à P.O.L parce qu’il publiait Camille Laurens et qui ne s’est jamais cachée d’avoir été très émue par la lecture de Philippe, a-t-elle pour autant « plagié » le livre emblématique de l’auteure qu’elle admirait ?


Pour avoir lu Philippe dès sa publication, et l'avoir lu une seconde fois attentivement juste après une lecture tout aussi attentive de Tom est mort afin d’en avoir le coeur net, il me semble surprenant qu’on se pose seulement la question. Les deux livres ont beau avoir (à première vue) le même thème, la douleur à la mort d’un enfant, ils n’ont rien de semblable. Le ton, l’approche, la langue sont différents. Le premier est un livre autobiographique. Le second, manifestement, ne l’est pas plus que Truismes (que je sache, M.D. ne s’est jamais transformée en cochonne) ou que Naissance des fantômes (elle n’a pas perdu son mari). Et surtout ceci : ces deux écrivains n’ont pas la même écriture...

Quand on est une auteure reconnue, quand on sait « qu’un livre ce ne sont pas des mots mis les uns à côté des autres (...) » qu’un livre c’est « une tension, un seul geste, un mouvement, ce qu’on appelle le style », qu’est-ce qui peut pousser un écrivain doté d’un style aussi personnel que l’est Camille Laurens à retrouver dans le livre d’une autre des phrases qu’elle a écrites ?

Dans le texte accusateur qu’elle écrivit en 2007, (« Marie Darrieussecq ou le syndrome du coucou », Revue Littéraire, éditions Léo Scheer, septembre 2007), Camille Laurens cite en exemple les phrases de Tom est mort qu’elle reproche à M.D. de lui avoir « volées »: « ‘Faites un enfant, nous disaient nos proches. (...) Retomber enceinte de Tom. Je ne voulais pas de bébé, je voulais Tom.’ Je n’ai pas eu besoin d’aller chercher Philippe dans ma bibliothèque pour me souvenir que j’y ai écrit, répondant aux gens qui nous disaient d’ ‘en faire un autre’, ‘Je ne veux pas d’un autre. Je veux le même. Je veux lui.’ »

Loin d’afficher sa propre expérience douloureuse pour répondre directement à l’accusation injuste et cruelle selon laquelle elle « parle de ce qu’elle ne connaît pas » (il faut lire attentivement Rapport de police pour comprendre, à demi-mot, que Tom est mort été inspiré à Marie Darrieussecq par la mort de son propre frère, et la douleur de sa propre mère, et non par la lecture de Philippe...) l’accusée réplique avec délicatesse et simplicité : « Après la mort d’un enfant, tout ce que les gens trouvent à dire, c’est : ‘Faites-en un autre.’ Et ce que répondent les mères c’est : ‘Pas un autre, lui, le même.’ Je le sais. Je ne le sais pas de la connaissance de Camille Laurens. Mais je le sais. (...) Mes romans ne racontent pas mon histoire privée mais ils naissent évidemment d’elle. Cette trace, la forme de mon imaginaire en est aussi déterminée que celle de mon corps et celle de ma mémoire : ces trois dimensions ne sont pas séparables. » (p. 160-161)

Et elle poursuit en citant les mêmes mots de douleur dans Pour un tombeau d’Anatole de Mallarmé et insiste : « Qu’on compare, si on y tient tant, les phrases de Camille Laurens (et les phrases qu’elle incrimine chez moi) aux phrases de Duras écrivant sur la mort de son fils. Et quel mal y aurait-il à y trouver des échos, puisque dans ce très court texte matriciel, de deux pages, Duras ouvrait le chemin à ce dire-là, sur ce que les femmes, sans doute, devaient écrire, après que les hommes n’ont pas toujours su le faire. » (p. 162)

C’est que, comme le démontre résolument et avec une grande humilité cet essai formidablement documenté, on n’écrit jamais que dans l’écho des autres. Pas d’un autre, mais de tous les autres, qui ont déjà tracé leurs mots avec la plume trempée dans l’encre ou le sang de l’expérience humaine. On écrit dans la trace des livres qui nous ont accompagnés et emplis.

Sans s’étendre sur les accusations de plagiat dont elle fit l’objet (elle n’y fait allusion que de loin en loin, sans amertume ni alacrité, toujours avec à-propos), l’auteur de Truismes pousse sa réflexion sur des pistes beaucoup plus sérieuses. Revenant longuement sur les figures de Mandelstam et de Chalamov, elle explique comment l’accusation de plagiat s’inscrit aussi dans une volonté de décréter ce qui « peut » et « doit », ou non, être écrit et, plus précisément encore, comment la fiction fait, dans les sociétés totalitaires, l’objet d’une surveillance, d’une tentative de contrôle dont le traitement de la littérature en Union Soviétique fut l’exemple le plus monstrueux.

À l’imaginaire, toutes les polices de la littérature opposent le réel. À la fiction, le témoignage. Les premiers seraient impurs, immoraux. Seuls les seconds seraient respectables et parleraient du monde. Ce à quoi Marie Darrieussecq répond : « S’il y a écriture, la fiction devient un équivalent-monde. La fiction – témoignage de l’imagination – devient vraie. Et il n’y a plus de frontière valide entre fiction et non-fiction. Il n’y a plus que des livres – ou des faux livres. » (p. 254).

De même, reprenant les accusations portées contre Jonathan Littell lorsqu’il décide de faire raconter Les Bienveillantes à la première personne par un bourreau nazi, elle rappelle que « ceux qui accusent Littell de complaisance, voire de « sadisme » (!) sont ceux-là mêmes qui confondent narrateur et auteur, témoin et personnage, romancier et historien. L’énonciation est le lieu exact où passent la liberté et la morale de la fiction. »

Je ne peux qu’adhérer à cette vision des choses, car si l’écrivain n’avait le « droit » de parler que de ce qu’il a vécu, alors comment un homme qui n’a jamais avorté de son ventre aurait-il le droit d’écrire La Vacation ? Comment admettre qu’un généraliste quinquagénaire et barbu fasse raconter Le Choeur des femmes à la première personne du singulier par une chirurgienne intersexuée trentenaire ? Et de quel droit ai-je donc pris la parole pour faire parler Madeleine, la paysanne morte allongée sur la table de dissection des Trois Médecins ?

« (...) Il y a l’écriture qui recueille la parole des morts. », écrit Marie Darrieussecq, « Cette écriture est nécessairement d’imaginaire. Donner voix aux fantômes ce n’est pas parler à la place de l’Autre. (...) Mais les morts parlent en nous. Parler pour, voilà ce que peut être le témoignage imaginaire. Parler pour celui qui n’a pas la parole, pour celui qui est empêché de parole. (...) Non pas pour faire parler les morts, ni parler à leur place, mais parler pour eux. Vers eux. Cela demande une écriture. Et une éthique de l’écriture. » (p 255.)

Et elle conclut ce très beau chapitre intitulé « Le témoignage imaginaire » par ces mots : « Ecrire pour celui qui n’écrit pas, c’est, aussi, écrire pour le lecteur. Ni à sa place, ni pour lui plaire ; mais pour lui faire une place : un creux dans le livre, une possibilité d’identification et de questionnement. Un chemin à plusieurs dans la neige. »

Rapport de police, livre au titre surprenant mais d’une vigoureuse polysémie, est un bouquin à la fois engagé et réconfortant. Son auteure n’est ni revancharde ni amère, elle est animée d’une colère contenue, à l’égard non de celles qui l’ont accusée, mais de la petitesse, de l’immaturité de ces accusations, en regard de tout ce qui devrait révolter les écrivains, et de tout ce qui opprime la fiction : la calomnie, les baîllons politiques, idéologiques et économiques, le silence, le mépris, les exécutions sommaires, les exils.

Ce qu’elle partage dans ce livre avec nous, avec une modestie, une clarté, une générosité et une rigueur documentaire que j’ai, pour ce qui me concerne, rarement trouvés dans un essai littéraire écrit en français par un "non-professionnel de la critique" (bibliographie et index occupent cinquante pages à eux seuls), ce n’est pas, cette-fois-ci, son imaginaire de romancière, mais son éclairante expérience de lectrice et son amour des livres, comme en témoignent les dernières et magnifiques phrases du texte :

« À lire, on est moins seul. À lire, on pense. Lire m’emplit du désir d’écrire. La lecture, c’est l’Autre de l’écriture. L’espace que l’Autre ouvre en moi me permet de (lui) parler, sinon je serais folle. (...) Merci à tous les livres que j’ai lus. Sans eux, je n’aurais pas écrit. Ma vie n’y aurait pas suffi. »


En refermant Rapport de police je me demandais comment j’allais pouvoir rendre compte justement de cet « équivalent-monde », de ce livre étonnant.

À moins de les recopier servilement en tout ou en partie, ou de les paraphraser sans la moindre intelligence, on ne vole pas les livres (les enfants) des autres ; on les adopte et ils enrichissent notre vie et nos pensées, nous éclairent ou nous renforcent. Comment, alors, s’étonner qu’ils résonnent en ce que nous faisons, ce que nous écrivons, et en ceux qui nous lisent ?

Et puis, je me suis soudain souvenu de l’anecdote par laquelle j'ai inauguré ce compte-rendu. Et j'ai fait la grimace devant l'ironie de ce souvenir. Car, voyez-vous, le premier roman publié par P.O.L dans lequel j’avais cru me (re)trouver s’intitule Index. Son auteure se nomme Camille Laurens. Vingt ans après, je bénis le ciel de n'avoir pas plongé dans mon fantasme en croyant qu’elle m’avait (très bien ; trop bien ?) lu, mais d'avoir pris le risque d'aller à sa rencontre, pour, en fin de compte, la faire rire de ma confusion et nouer une amitié qui dura très longtemps.

En 2007, j'ai regretté vivement que Camille Laurens n'ait pas senti que ce qui lui faisait mal dans Tom est mort (et qu'elle a pris pour "un vol d'enfant", un plagiat) était la résurgence d'une douleur trop intense pour pouvoir être éteinte complètement par la seule écriture. Aujourd'hui, je regrette profondément qu'elle ne soit pas allée rencontrer Marie Darrieussecq pour lui dire ce que ce roman réveillait en elle.

Elles n'auraient sans doute pas ri - car le thème de leurs livres est trop grave - mais elles auraient pu – pourquoi pas ? – mesurer ensemble ce que Philippe et Tom et mort ont à la fois de différent et de commun, qui ne doit rien à un quelconque plagiat : la sensibilité et l’intelligence de deux femmes, de deux écrivains.

Martin Winckler

Something happened, 2 - par Gilda

J'aimerais rentrer tôt pour une fois ce soir. C'est l'investiture de Barack Obama. Un moment qu'on sent historique ne se dédaigne pas.

La responsable du service où je tente de conserver un sens à un boulot d'informaticienne qui n'en a plus, a encore planté un processus de mise-à-jour avec des scripts de commandes automatisées.

Je ne veux pas d'ennuis. Il reste deux ans et demi de maison à payer.
Après je partirai.
Mon salaire sert à rembourser les prêts. Des contraintes liées à mon contrat font que si je démissionne il me faudra le faire en mode anticipé.

Je ne veux pas d'ennuis, elle a fait planter la mise-à-jour, ça n'est pas la seule fois. Les données au lendemain doivent être disponibles : je dois donc rester "after hours" pour réparer.
Barack, raté ; même si je travaille vite et bien.
Les plantages générés par les maladresses d'autrui sont plus longs à diagnostiquer : on ignore ce qu'ils ont précisément effectué. Il convient de procéder par essais ou étapes dissociées.

La cheffe déboule dans le bureau, furieuse. Comment ça pas encore fini.
Sans l'accuser directement j'essaie, Telle commande n'a pas été acceptée par le système, il faut reprendre le processus.
Sa colère hélas dès en entrant était incontrôlable. Contre elle-même ? À cause de tout autre chose ?
J'ai conscience d'encaisser parce que je suis là, seule à être restée tard.
Ça aide à ne pas perdre le contrôle ni répondre à la violence verbale par la violence physique. Je sens pourtant qu'en gardant calme je pompe sur des réserves profondes, celles que la dureté des années précédentes, les deuils, les maladies, les ruptures dont celle qui a failli m'achever, ont tant asséchées.
Et à présent les cris de cette femme à qui l'entreprise confie charge de hiérarchie alors que sa psychorigidité et son instabilité d'humeur confinent au pathologique, et qui depuis deux ans use également mes collègues et quelques hautes hiérarchies qui se prétendent impuissantes et ferment leur bureau à clef quand elles la savent sur zone.

Ce soir-là, je lui laisse le dernier mot, un très sec On en reparlera, censé m'effrayer, et pars en saluant. Je sais qu'elle dormira mal cette nuit ou avec l'aide de la chimie. Je n'ai à me reprocher que d'avoir fait preuve d'un trop grand sérieux.

Dans la rue, m'abat la rage devant l'injustice. Je l'ai trop contenue. Elle se venge en intensité. Je paie pour l'incompétence d'une personne bien plus que moi payée.

À l'instant où je quitte le bâtiment une décision se prend en moi de toute fermeté : je n'y remettrai plus les pieds, c'est fini d'être traitée comme un punching-ball ou une serpillière, pour l'argent comment on fera, mais cet esclavage s'arrête là.

Je n'ai pas décidé, ça se décide en moi.

Et pas même pour venir rechercher mes affaires personnelles.

L'animal interne intime a senti rôder la mort. Depuis 4 ans elle tente toutes sortes d'approches et de séductions. Je ne veux ni tuer, ni me tuer.
Cette fois-ci il ne s'agit pas d'une maladie, ni de peine infligée par quelqu'un qui compte - je ne vois cette personne que par contrainte professionnelle -, j'ai un degré de liberté qui est de cesser ma présence en ces lieux. Je le saisis. Éloignement. Aucun job ne vaut de mourir, sauf ceux qui consistent à risquer pour sauver.

J'appelle une amie qui pourra m'aider - et le fera, grâce lui soit rendue, elle n'a rien à y gagner que certains ennuis -, une autre qui ne comprendra pas - mais ça ne m'étonne pas -. Le lendemain je vois notre médecin de famille, auquel mon état n'échappe pas. J'ai peu à dire, il voit.

Plus tard je consulterai un ami spécialisé dans l'aide aux salariés malmenés. Le dossier constitué ne servira pas : l'entreprise est grande et le service chargé du personnel se montrera à mon égard d'une correction parfaite.
J'avais pendant longtemps donné satisfaction.

Pendant 3 mois je dormirai sans arrêt. Mon bien-aimé en rit encore. J'encaisse 23 ans d'efforts faits dans un emploi qui ne me convenait pas. Jeune on s'embarque, en se disant le temps d'un peu puis je changerai ; les jours passent, la famille s'agrandit, il faut sans faille gagner sa vie. Adultes et raisonnables, on reste, on s'use, on subit.

Je pars désendettée. Le jour de la signature des remboursements j'ai perdu mes semelles de plombs. Il m'a fallu beaucoup d'efforts pour ne pas m'envoler. D'un seul coup délestée.

Un an après, quelques séquelles, légères. Certaines amnésies. Un chagrin d'amour (quel luxe !). Et un manuscrit, ou doit-il rester à l'état de fichier sans éclabousser du papier ?
Une vie simple, dépenses minimales. Du restant de ma prime je n'ai rien gardé. Certains de mes amis étaient plus mal lotis.
Une vie simple, mais la grande vie : mon temps, enfin, m'appartient.
Le jour d' Obama sera le dernier où je l'aurai vendu.
Si j'y parviens et s'il le faut je vendrai mon travail mais plus mes heures. À moins que pour aider ceux que j'aime.

Méfiez-vous de la liberté, quand on y a goûté, on ne peut s'en passer.

(spéciale dédicace au tenancier qui fait partie de ceux qui longtemps en amont m'ont aidée à piger qu'il ne fallait pas tout accepter et en revanche le faire des mots lorsqu'ils venaient, même maladroits et désordonnés).

jeudi 14 janvier 2010

Something happened, 1 - par Marion

Ce qui s'est passé, un jour
(Encore une histoire de (médecin) soignant)

Il y a peu, j'ai lu un livre d'un docteur soigneux. Ca m'a rappelé...
Une dame qui avait entre quarante et cinquante ans, je suppose ...
Élégante, posée, souriante. Elle avait un cabinet près de la résidence pour étudiants, à Paris.
Je la voyais de temps en temps pour mes gros rhumes.

Puis un jour, je suis là, devant elle, je suis mal, fatiguée. Une fois de plus.
J'ai envie de pleurer mais je ne pense pas que sur ce point un médecin peut m'aider.

On ne m'a pas aidée quand j'ai tant pleuré, à 15 ans.
"Vous manquez de fer, ça va passer", "... c'est ça l'adolescence".
Moi, je voulais presque crever, mais je voulais quand même la suite de l'histoire alors bon.

Elle m'a bien regardée, m'a dit que j'étais très jeune, que j'avais l'air intelligente et sensible, mais qu'il y avait quelque chose... que j'étais souvent fatiguée, quand même.
Je ne sais plus comment elle a amené et tourné la question...
M'avait-on déjà dit des choses méchantes ?
La première chose qui est venue, c'est qu'on m'avait dit que je n'étais pas belle, à l'école, entre autre... mais quelle banalité, une insulte de môme en plus, en moins, pourquoi celle-ci ?
(Pourquoi pas les crachats, les sobriquets, les bousculades, ou cet horrible "ah, non, pas elle" avant que mon voisin de classe ne se lève et n'aille plus loin, comme si j'étais pestiférée... ou encore... les coups de pieds, en gym, discrètement..., ma casquette qu'on jette dans la poubelle, un matin, mon vocabulaire que l'on moque, mon incompréhension des expressions à la mode qui rend tout le monde hilare,...) Des trucs de gosses, quoi ! Heureusement, j'avais dépassé ce temps là, j'avais enfin des copains, des copines, je faisais rire mais pas moquer, j'avais finalement tout pour moi...
Alors pourquoi je lui dis "on m'a dit que je n'étais pas belle", comme ça, en rougissant, en pleurant, en tremblant sottement, devant cette dame si respectable ?
Elle, elle y accorde cette importance cruciale, ça a du poids, enfin, ce mal là.
Ah, bah oui, tiens, je ne l'avais pas senti, mais maintenant que vous mettez le doigt dessus, ça fait mal.
Elle me parle de reconstruire ? Moi, je me croyais en construction, et de mieux en mieux, presque achevée !
Mais alors, les pleurs qui reviennent, parfois, longtemps, le "mal de vivre" comme chantait quelqu'une d'une voix poignante, ça pourrait être aussi ça ? Je suis repartie en me sentant bizarre, changée. Tous mes points de vue avaient besoin de se réajuster.

15 ans depuis et j'en tremble encore, en l'écrivant, mais ça va.
C'est comme un de ces virus qui s'installent et reviennent quand le corps et l'esprit faiblissent (c'est mon air-peste). Tout est pareil, tout a changé.
Je n'en ai plus peur, je sais que c'est une part de moi, juste, sans méchants ni gentils, ni moi ni les autres, que ça m'a donnée. Je ne m'en sens plus coupable (de ne pas avoir toujours eu le mode d'emploi pour vivre avec les autres, d'avoir trop voulu me singulariser). Quand je merdoie, je sais où chercher. Et j'ai toujours un peu tendance à vouloir me singulariser. On ne se refait pas...
Mais il y a peu, something happened : j'ai lu un livre de docteur.
Alors j'ai repensé à vous, Madame le Docteur, et j'espère avoir bientôt votre adresse pour y placer ces mots, car je vous suis reconnaissante.

Marion.

mercredi 13 janvier 2010

Exercice d'écriture n°9 : "Something happened"

Un jour, sans prévenir, quelque chose arrive.
Un événement, une rencontre, un accident, un livre, une révélation.
Et ça change tout.
Vous ne voyez plus le monde de la même manière.
Vous décidez de rompre.
Avec votre famille, votre boulot, votre ville, votre vie.
Vous partez loin ou vous vous enfermez.
Quelque chose est passé.
Quelque chose s'est passé.
C'était hier.
Aujourd'hui, vous racontez.

En 5000 signes maxi.
Remise jusqu'au 20 janvier minuit (heure de votre méridien)

samedi 9 janvier 2010

Encore une chose, Jésus - par Serge A.

Il y a une chose que je dois encore te dire Jésus. Je ne suis pas content de toi. Je ne t’ai pas envoyé sur terre pour faire ton intéressant. Te montrer au bras d’une putain ou faire la noce…
Quoi, c’était à Cana ? Et alors ? A Cana ou ailleurs c’est pareil. D’ailleurs le bruit court que tu es un rien porté sur la bibine et que tu n’es jamais le dernier à lever le ciboire. Tu ne peux pas mettre un peu d’eau dans ton vin ?
Sur un plan plus général, laisse moi te dire que ta mise en cause du petit commerce au temple il y a quelques temps est fort discutable et de nature à déstabiliser le marché.
Et quand tu fais le rebouteux, tu crois que tu ne fais pas des mécontents ? De là à être traîné devant les tribunaux il n’y a qu’un pas. Je t’assure ce n’est pas une vue de l’esprit.
On dirait que tu ne fais pas la différence entre le bien et le mal, ce n’est pourtant pas faute d’en avoir parlé ensemble !
Et cette troupe de théâtre itinérante que tu as montée, « le groupe des douze », tu crois que ça me fait plaisir ?
Quoi c’est ta passion ? Et alors ? Ca va te mener où ?
On se souvient des auteurs pas des acteurs !
Sans parler de cette nouvelle lubie que Judas t’as fourrée dans la tête, monter un grand spectacle sur le Golgotha, pourquoi pas avec feux d’artifice pour que tout le monde en parle ?!
Décidément, chacun sa croix… Que tu ne sois pas un saint, passe encore, mais quand même tiens toi un peu, nom de dieu !
Alors, écoute moi bien Jésus, de deux choses l’une : où tu remontes à la maison ou c’est moi qui viens te chercher !

jeudi 7 janvier 2010

Des livres et un fauteuil - par Martin W.

Je suis en train de me remettre à lire.
Je n'ai jamais vraiment cessé (on lit beaucoup quand on surfe) mais je me remets, depuis un an, depuis mon arrivée à Montréal, à lire des livres, plutôt en anglais (mais pas toujours : depuis quarante-huit heures je dévore Rapport de police, l'essai que Marie Darrieussecq a consacré au plagiat littéraire et qui paraît ce mois-ci chez P.O.L - et dont je vais sûrement parler dans un prochain texte publié ici même).
Je lis dans le bus et dans le métro. Ou plutôt : je lis entre le moment où je monte dans le bus 24, au coin du parc Baldwin et de la rue Fullum et où je sors du métro à la station Université de Montréal, car quand pendant les correspondances, entre le 24 et la ligne orange, au métro Sherbrooke, et entre la ligne orange et la ligne bleue, à Jean-Talon, je lis en marchant ; et pareil au retour.
Je lis parce que j'ai horreur de m'ennuyer. Et pour ne pas m'ennuyer, je préfère lire des livres qui me passionnent. Alors, comme je ne sais pas toujours quel livre va me captiver (me faire oublier le bus ou le métro, et parfois le moment de descendre ; me faire oublier le temps que je passe à "ne rien faire de constructif" quand je voyage d'un point à un autre sans pouvoir clavailler), j'en emporte plusieurs. Ainsi, je suis toujours sûr d'avoir de la lecture adaptée à mon humeur du moment.
Depuis quelques jours ou quelques semaines, brusquement, la lecture dans les transports en commun ne m'a plus suffi : je me suis senti douloureux de devoir cesser de lire en arrivant au bureau ou en rentrant chez moi.

Bon, quand je rentre chez moi le soir, il n'est pas anormal que je cesse de lire, pour le temps des retrouvailles, du dîner, d'une éventuelle activité familiale : en ce moment, depuis l'achat d'un téléviseur grand format, c'est un film tous ensemble - je vous recommande Up ! et l'hilarant De père en flic) ou un épisode de Supernatural avec les jumeaux (on va bientôt finir la Saison 1).

Mais je ne me couche pas après le film, et je pourrais lire après.
Et, au bureau, est-ce que je ne ferais pas mieux de continuer à lire le livre que je tenais au moment de sortir mes clés plutôt que perdre mon temps à surfer sur le web ? Est-ce que lire ça ne fait pas aussi partie de mon boulot actuel de chercheur ?

Curieusement, lire chez moi ou au bureau ne me tente pas. Ou plutôt, je n'arrive à lire qu'à l'écran. Et je me suis demandé pourquoi.
La réponse n'est pas du tout "psychanalytique", je ne me plonge pas dans l'écran de mes ordinateurs parce que je cherche à fuir la réalité de mon lieu de travail (que j'adore) ou de mon logement familial (où je me sens très bien) mais tout simplement parce que, pour lire, il me faut des conditions favorables.

Vous allez justement me dire : "Mais le métro, le bus ! Ca n'a rien de favorable." Eh bien, en un sens, si.
Parce que lire debout ou assis dans le métro ou le bus a pour vertu (supplémentaire) de créer des conditions favorables au voyage en métro ou en bus. Dans le métro et dans le bus, la lecture est l'anesthésique (comme la musique que j'écoute à l'Ipod, d'ailleurs) qui me permet d'oublier que je passe quarante-cinq minutes à voyager d'un point à un autre. La lecture en voyage m'offre simultanément une anesthésie à la réalité physique et un remède à l'ennui. Mais la compréhension que j'ai du texte est dans une certaine mesure compromise par les conditions de lecture. Je ressens souvent le besoin de relire ce que j'ai lu en voyage, comme si je ne l'avais pas aussi bien assimilé que si je l'avais lu dans un bon fauteuil.

Et justement, je n'ai pas de bon fauteuil pour lire. Ni au bureau, ni à l'appartement.
Je n'ai plus de fauteuil.

Enfant et adolescent, j'avais LE fauteuil de lecture idéal.
C'était un truc qui semblait avoir été taillé dans un cube, avec une assise profonde, entre des bras et un dos larges. Originellement il était rouge. Il y avait un coussin carré au fond. Il était très profond : enfant, je lisais dedans assis en travers, la tête appuyée contre l'un des bras, les jambes repliées sur l'autre. Et il nous arrivait, avec mon frère (ou avec André, mon plus ancien camarade d'enfance) de nous y asseoir côte à côte pour y lire des BD ensemble.

Adolescent, puis jeune adulte, je m'y asseyais de manière plus classique, mais lisais avec une jambe posée sur l'un des bras.

A partir du moment où je n'ai plus vécu seul (je me suis marié à l'âge de 22 ans) j'ai emporté ce fauteuil dans tous mes logements. A l'exception de l'année que j'ai passée en Amérique, j'ai lu tout ce qui m'a modelé dans ce fauteuil : les romans d'Agatha Christie et de Simenon, les nouvelles de Conan Doyle et de Maurice Leblanc, les comic-books et la SF, Michel Vaillant et Blueberry, tout Perec et tout Belletto, les premiers romans de Camille Laurens et de Marie Darrieussecq. J'ai probablement relu le manuscrit de mes premières nouvelles et de mon premier roman dans ce fauteuil. Et s'il m'est arrivé de m'y endormir, c'est après y avoir lu longtemps.

Quand j'ai commencé à vivre avec MPJ, nous habitions dans un logement tout petit, et nous avions une télé toute petite. Il nous arrivait souvent de nous y asseoir tous les deux pour regarder un film ou une série, moi au fond, elle assise pelotonnée contre moi entre mes bras. Nos cinq premiers enfants l'occupaient aussi collectivement : un grand au fond avec le plus jeune sur les genoux, un sur chaque bras et un autre sur une chaise, derrière, les bras et le menton posés sur le haut dossier.

Quand nous sommes allés vivre dans la grande maison qui a été notre logement familial pendant quinze ans, le fauteuil a brièvement occupé le "petit salon de télévision" (qui, comme son nom l'indique, servait exactement à ça) puis est monté au deuxième étage, dans la chambre de l'aîné de mes garçons.

Mais ce fauteuil, depuis longtemps fatigué et défoncé, que MPJ avait habillé de grands replis d'un épais tissu crème pour masquer sa déchéance, ce fauteuil dans lequel deux générations d'enfants et de jeunes adultes ont lu des romans et des BD et regardé la télé et joué à des jeux vidéo, nous l'avons jeté, au bout de quarante-cinq ans de bons et loyaux services, avant de quitter la maison.

Et je n'ai jamais trouvé son remplaçant.

A l'époque où La maladie de Sachs nous a apporté un confort financier que nous n'avions jamais eu ni même rêvé, MPJ m'a offert un excellent fauteuil relax dans lequel je pouvais m'installer pour regarder les séries dont je faisais la critique.

Je n'ai jamais pu vraiment lire dans ce fauteuil : je m'y endors. Je ne peux pas dire pourquoi. Il est un peu trop confortable, sans doute. Ce fauteuil-là, nous l'avons emporté et il est placé juste en face de la télévision, et ce sont plus souvent mes enfants qui s'installent dedans que moi, en ce moment.

L'autre fauteuil, le vieux, l'ancien, le fauteuil perdu, j'y étais bien mais pas trop. Il m'enveloppait. Je m'enfonçais dedans. Il me protégeait. Il avait la forme, finalement, de la boîte en carton dans laquelle Calvin et Hobbes, les personnages du cartooniste Bill Watterson, se transforment, se démultiplient ou partent pour une autre dimension.

Si je gagne de nouveau beaucoup d'argent avec un livre, un jour, je ne m'achèterai pas une grosse voiture ou des vêtements de prix ou des voyages au bout du monde (rien de tout ça ne m'intéresse), mais je me mettrai en quête d'un nouveau fauteuil.

Un fauteuil dans lequel je pourrai lire comme quand j'étais enfant. Un fauteuil dont je ne voudrai pas sortir. Un fauteuil dans lequel lecture et relecture, une nouvelle fois, seront un voyage immobile.

Il y a sûrement un fauteuil comme ça pour moi, quelque part. "Out there".
Avec un peu de chance, je m'endormourirai dedans. Un livre à la main.

Mar(c)tin

lundi 4 janvier 2010

Out of the Past (11) - par Younes


Salut Steph

Que t’ont révélé à l’époque ces lignes qui parcourent mes paumes ? Je t’avais mis au défi car mes mains n’étaient pas sœurs. Tu avais regardé puis dit que c’était intéressant. J’étais tellement sûr que tu ne pouvais rien lire dedans et puis j’ai imaginé qu’il y avait des choses terribles que tu ne pouvais me prédire.

Je n’ai jamais promis d’oublier, j’ai parfois des pics de ces moments joliment désignés ‘’out of the past’’ dont je profite pour satisfaire ma curiosité et savoir un peu plus sur cette bande qui pensait faire des films d’auteurs, chacun dans son bled méditerranéen. Enfin, c’est une sorte de résidu de ces promesses de créer un réseau, de se donner des nouvelles, d’être un courant artistique peut-être, après chaque atelier comme d’autres le feraient à la fin de leurs vacances. Il m’arrive quand l’âme est apaisée des tourments de la vie de penser qu’il est permis d’oublier et de regarder ailleurs.

Tu étais l’une des personnes les plus proches de moi et tout aussi désavantagé physiquement, je te taquinais en me proposant comme le premier rôle de ton premier long métrage, un danseur !

Je ne t’ai pas raconté le dernier rêve où je t’ai vue, ce devait être après Naples, ou après Marrakech ou même après mes balbutiements dans la vie parisienne si agitée. Tu m’as tourné les talons et tu as monté un escalier, vêtue d’une robe noire. Je m’étais dit qu’on ne se reverrait plus jamais tellement mon interprétation était prémonitoire. D’ailleurs, je ne sais pourquoi ce fut le cas et nous ne sommes jamais croisés, même par hasard, dans la jungle urbaine à Eiffel. Encore moins dans le microcosme du milieu du cinéma.

Mes lignes si enchevêtrées dans le passé, dans le présent et s’enfonçant loin dans l’avenir ne me racontent rien et je ne leur demande rien. Je les regarde de temps en temps et je souris de leurs énigmes vis-à-vis d’un homme qui a le désir vagabond et éphémère.

Je veux aussi te dire que je termine mon cycle cinéma, cette tourmente où je m’étais empêtré pour toute une décennie. J’aurais aimé tourner au moins une scène où l’on verrait un jeune homme qui tombe sous les tirs des balles en essayant de sauver les bobines de son film. Que valent ces dernières dans une ville qui meurt brûlée ? Ce devait être lui, l’imam corrompu ou un personnage de cet ordre-là. Des promesses de cinéma non tenues et qui resteront dans leur tiroir.

J’ai été heureux de savoir que tu as réalisé ton premier film et je souhaite que tu continues à tenir tes promesses dans ce sens.
Bonne année Steph.

younes

samedi 2 janvier 2010

Out of the Past (10) - par Jérôme

Chère toi,

Je pensais être revenu de l’amour et de l’amitié, seulement tu hantes toujours mes songes.

Notre histoire a cessé voilà bientôt 16 ans, colère et frustration ne sont plus que regrets, mais internet m’offre la chance de m’excuser, à défaut de te retrouver.

Nous avons beau être de la même année, je n’étais pourtant qu’un petit garçon au moment de notre relation, incapable de comprendre tes soucis de jeune adulte, à mille lieues de tes préoccupations de femme et à des années lumière de tes désirs.

Immature, incapable de faire des concessions et ne voulant pas renoncer à mes rêves, je n’étais tout simplement pas à la hauteur !

Je ne te méritais tout simplement pas et étais alors trop borné pour comprendre que ma stupidité mettait en péril notre couple, aveuglé par un égocentrisme tellement commode pour fuir toute forme de responsabilité…

D’ailleurs, je t’en ai voulu… longtemps, à tel point que le réveil (si tardif) fut extrêmement douloureux, quoique salvateur.

En effet, mes échecs, rendez-vous manqués, mauvais choix et déceptions, ainsi que les hémorragies lacrymales qui s’en suivirent, ont (enfin) fini par me faire intégrer la réalité.

Mais depuis quelques années maintenant, je vis avec le remord de pas avoir fait les efforts que tu méritais et de ne pas avoir tenu compte de tes conseils avisés, tout comme de tes nombreux avertissements.

Notre première nuit ensemble, intégralement passée à discuter, reste la plus belle de toute ma vie et les quelques merveilleux jours qui ont suivi (ceux d’avant nos disputes), ponctués de rires et de tendresse, constituent désormais de beaux souvenirs.

Y repenser fait mal, mais pour rien au monde je ne voudrais perdre cette douleur, car celle-ci contribue à me rendre meilleur !

J’aspirais à tant de choses dans la vie alors qu’une femme seule suffisait à la changer.

Tu étais celle-là, je t’ai mal aimé et tu t’en es (logiquement) allée.

J’espère que ton actuel compagnon, lui, comprend la chance qu’il a d’être à tes côtés et te présente, outre mes plus sincères excuses, mes meilleurs vœux pour 2010 !

Et qui sait : même si ce n’est qu’en tant que correspondante ponctuelle, peut-être aurais-je le bonheur de te voir revenir dans ma vie ?

Amicalement,

Jérôme

vendredi 1 janvier 2010

Out of the Past (9) - par Anonyme

Jack, et les autres...



je ne suis plus une jeune fille mais à l'époque, tu aurais pu être mon père. Plus aujourd'hui. Et le mien, qui aurait donc le même âge que toi aujourd'hui, n'est plus là. Je n'en aurais pas voulu d'autre que lui. Et personne ne le remplacera.

Je suis celle qui t'amuse. Celle sur qui tu passes tes nerfs comme on dit...ton souffle d'inspiration que tu expires ensuite avec un semblant de mépris comme tout fumeur un peu dégoûté par son obsession, son tic, son besoin de tenir un truc entre les mains pour avoir une contenance, une impression de faire quelque chose tout en restant planté sur des quais de gare par exemple...

Moi, je ne t'ai laissé nulle part. Mais tu persistes à croire que je te suis redevable.

J'ai passé 30 ans à t'aimer. De loin, de près. Et ça n'a pas été gratuit non plus. Pour t'encourager à continuer sur les chemins de la gloire, j'ai payé comme il se doit, c'est à dire comme tout le monde. J'ai participé à ton succès.

Le temps passe. Tu as vieilli. Moi aussi. Mais je suis toujours plus jeune que toi... est-ce si misérable ? Pourquoi n'aurais-je pas le droit à mon temps de vivre sur cette Terre ? Pour qui te prends-tu ? Dieu n'existe que dans tes fantasmes. Et les muses ne sont que des êtres humains. Des femmes vivantes, en chair et en os avec des pensées réactives.

Je ne peux plus t'aimer. Pas après avoir VU ce qu'il fallait que je vois une bonne fois pour toutes, c'est à dire : LA REALITE



Tu peux faire tout ce que tu veux, chanter, danser, gesticuler, poétiser, te proclamer porteur de la grande parole, ... je suis encore LIBRE d'aimer qui et quand je veux.



Sois rassuré, je n'irai plus au pied de la scène, ça t'empêchera de me narguer dans la foule.



Une fan déçue pour un ange déchu