mercredi 31 mars 2010

Partir, revenir (Exercice n°12)

Situation : Dans l'avion qui le/la ramène au bercail après avoir passé dix jours ailleurs, un homme ou une femme fait la liste de ce qui a/va changé(r) dans sa vie.

Contraintes : Ecrivez-le sous forme d'une énumération/liste de 7 à 21 lignes ou items ou phrases. Le texte doit débuter par le mot : "Prendre" et se terminer par le mot "recevoir".

Date limite de remise des textes : 15 avril 2010.

Mise en ligne au fur et à mesure des arrivées, comme d'hab.

Au boulot, Gang !

Mar(c)tin

lundi 22 mars 2010

Rencontres en France, 26-30 mars 2010

A l'occasion du Salon du Livre de Paris, je suis en France pour quelques jours et je serai heureux de rencontrer lectrices et lecteurs aux jours et lieux suivants :

- Jeudi 25 mars, Orléans, Librairie Chantelivre (place du Martroi), 17 heures : Rencontre-signature avec Bruno Schnebert ("L'agrégé", coll. "Néo", le cherche midi) et Martin Winckler ("Le Choeur des Femmes", POL).

- Vendredi 26 mars, 19h : Lecture/rencontre à "La Terrasse de Gutenberg", 12 rue Emilio-Castelar, Paris 12e

- Samedi 27 mars, 15h : bibliothèque de Vigneux sur Seine,
(63, avenue Henri Barbusse ; 91270 Vigneux sur Seine)

- Samedi 27 mars, 19h à la bibliothèque de Saint-Germain en Laye (3, rue Henri IV, Jardin des arts ; 78100 Saint-Germain-en-Laye)
(rencontres animées par Régine Detambel)

- Dimanche 28, 15-17h, Salon du Livre, dédicaces sur le Stand POL (Hall 1, N71)

- Dimanche 28, 17h, Salon du livre, débat sur le stand de France Info, stand J10.

- Mardi 30, 19h30-21h, Salon du Livre, dédicaces sur le stand POL (Hall 1, N71)

Et aussi :

France Culture, lundi 22 mars, 19 heures : Martin Winckler sera en direct au "Rendez-vous" de Laurent Goumarre pour parler de son roman "Le Choeur des femmes" (POL, 2009). (On peut réécouter l'émission en podcast sur le site de France Culture).

France Culture, "Les passagers de la nuit", 23 h : du 22 au 25 mars, dans le cadre de la série "Deux voix, cinq minutes", diffusion de "Paroles d'amour", un texte de Martin Winckler, avec Farida Rahouadj et Pierre Val ; Réalisation : Anne-Pascale Desvignes.






vendredi 19 mars 2010

Brève rencontre + 1 livre, 10 - par Zelapin

Je dois vous dire que je ne me trouve aucune circonstance atténuante et que le fait que je le reconnaisse n'allège en rien ma faute.

Je dois vous éclairer sur le motif de cette lettre publique: vous assommer de ma propre culpabilité, vous la faire partager jusqu'à ce que vous la fassiez vôtre, insidieuse et collante, mais aussi vous aider à faire la part des choses dans ce que vous croyez partager.

J'espère que vous irez au bout de cette missive malgré les lignes ci-dessus.

Cela étant posé, écoutez l'histoire de ce crime, vous jugerez après.

Vous connaissez cette petite chapelle romane aménagée en lieu d'exposition, vous connaissez la réputation solide acquise au fil des ans grâce à la qualité des œuvres présentées.

J'y suis venue toutes les semaines depuis son ouverture, j'y ai passé des heures, j'ai même participé aux ateliers proposés par les artistes invités ou en résidence.

Quand on a annoncé Sa venue prochaine, j'ai comme vous jubilé, sauté de joie, débouché une bouteille et patiemment revu, relu, redécouvert tout ce que je pouvais de Lui.

Et puis l'heure est arrivée. J'ai attendu toute la matinée, j'ai vu les toiles, les pièces de ses installations, le matériel audio. J'ai vu le dessous des cartes en attendant l'endroit.

J'avais en main la plaquette de cette expo, je la connaissais par cœur, j'étais entière dans son œuvre.

Quand la voiture s'est garée, j'ai tenu bon, je n'ai pas sauté comme un cabri, comme ces écervelés qui se ruaient vers Lui.

J'ai attendu. A l'entrée, j'ai bien pris le temps de remettre mon carton d'invitation à ce vernissage d'un geste calme et contenu. Je profitais du temps, j'étais, pleinement.

Chacune de mes cellules a vibré à l'unisson de ce que je prenais pour de l'art. Je me suis crue toute entière absorbée par sa création. J'ai pensé comprendre, toucher du doigt.

Je suis revenue chaque jour pendant trois semaines.

Je savais qu'il ne restait que six jours à vivre avec son œuvre, là, tout près de moi.

J'ai décidé alors de le voler, de le prendre chez moi, de garder une part de ce qui au final m'appartenait un peu. J'aurais un talisman.

Tromper le gros neuneu à la sortie s'est montré aussi facile que prévu. J'ai posé exactement le même cahier relié, exactement à la même place, j'ai pris le temps de discuter avec big bêta , et même d'écrire ma phrasounette. Je suis sortie.

Et c'est arrivé.

Il, IL était là, est venu vers moi et m'a lancé: « ah, déjà fini? ». Son index posé sur le cahier m'a aidé à comprendre qu'il me prenait pour une employée du service culturel.

J'ai vite accroché et répondu que oui, mais que j'avais déposé le suivant, « quel succès! ».

Sa deuxième phrase fut: « quel ramassis de conneries, quand même! Comme si ces crétins qui se fendent d'un bravo comprennent quelque chose à ce qu'ils ont vu! Ah, ah, ah! ».

Et Il est entré.

Et je suis revenue, le dernier jour, et toute mon encre de sérigraphie y est passée. J'ai consciencieusement conchié chacune de ses bouses d'un élégant petit pschitt de bleu, ou de vert, ou de rouge. Du primaire pour un primaire. Pas un primitif, ce serait trop d 'honneur.

Jamais un livre d'or n'aura aussi bien porté son nom.

jeudi 18 mars 2010

Cent recettes pour page-turner (Ficelles et chapeaux-claque, 2) - par M.W.


·       Balise a écrit…
·       Je crois que mon « Rhaa, mais comment il fait ? » le plus fréquent est un « Rhaaa mais comment il fait pour que ça se lise aussi vite ? » - J'ai dû finir Les Trois médecins et le Chœur des femmes en deux ou trois jours après les avoir eus en main, et pas faute d'avoir essayé de les économiser/savourer. D'un point de vue purement « technique », il est clair que la division en chapitres courts est un appel au « Bon, allez, encore un petit dernier » « Bon, il était trop court, celui-là, allez, un de plus ». Mais il est clair aussi que ça suffit pas - alors, ya un truc ? Et, en tant qu'auteur, est-ce que vous vous dites aussi « Bon allez, j'en écris encore un dernier avant d'aller manger » ?


Je me suis posé la question à partir du moment où les messages de lectrices (il y en a quelques-uns qui viennent de lecteurs, mais les femmes lisent et écrivent plus que les hommes...) ont utilisé le terme de page-turner pour parler du CDF. Je ne savais pas que j'avais écrit un page-turner, mais en y réfléchissant, j'avais un signe avant-coureur : j'avais envoyé le début à Paul Otchakovsky-Laurens (mon éditeur, fondateur de POL) et il n'arrêtait pas de me réclamer la suite et a fini de le lire sur son iPhone ce qui, quand on connaît la résolution de l'engin, voulait dire quelque chose. Il aurait très bien pu attendre d'avoir tout et de l'imprimer, mais il était impatient de connaître la fin. Aussi impatient que moi... 

Et à force de recevoir des "J'ai lu votre livre en deux jours j'arrivais pas à m'arrêter", je me suis gratté la tête en pensant : "Bon, c'est vrai que quand je l'ai écrit, je ne quittais pas mon fauteuil et mon iMac tout neuf (celui que j'ai au bureau, ce n'est pas vraiment mon iMac, il restera là quand je ne serai plus chercheur au CREUM, mais pour le moment y'a que moi qui m'en sert, et c'est mon premier Mac, ce qui n'est pas rien mais je vais pas digresser, j'en parlerai une autre fois) et mon excitation à l'écriture (moi aussi, je voulais savoir la suite) a dû "passer" à la lecture, sous une forme ou une autre."

Seulement ça, c'est juste de la pensée magique, c'est pas une explication. Je pense que l'explication réside ailleurs, dans des choses visibles et lisibles, mais que j'ai faites intuitivement, et qui opèrent parce que le sujet s'y prêtait. Bien sûr, la taille des chapitres compte. Mais quand je regarde la Maladie de Sachs ou La Vacation, les chapitres sont très courts aussi, souvent plus courts que dans le CDF. 

Il y a deux autres choses dans ce livre-ci : d'abord, une narration moins fragmentée par les points de vue : dans le CDF c'est en gros toujours Jean/Djinn qui raconte, même si parfois quelqu'un d'autre prend la parole. Et c'est son récit qui sert de fil conducteur. Ensuite, je me souviens avoir terminé beaucoup de chapitres sur une interrogation, une surprise, une mise en suspens. Par exemple, Jean et Karma se clashent et puis, de manière inattendue, Karma s'éclipse, ou l'envoie faire autre chose que ce qu'elle attend, et elle se retrouve avec ses critiques, ses questions, ses incertitudes... et donc contrainte à aller de l'avant pour reprendre pied/et ou comprendre ce qui s'est passé. Je pense que la frustration ressentie et exprimée par Jean à la fin de ces chapitres contribue à donner envie de savoir ce qui lui arrive ensuite. Enfin, c'est comme ça que je le ressens.

Cela étant, je ne suis pas sûr que ça soit "reproductible" à volonté. Quand j'écrivais le CDF, j'étais impatient de connaître la suite de leur histoire (je la découvrais en même temps qu'eux), et mon souci était surtout de ne pas être ennuyeux avec des descriptions de consultations, mes conceptions sur la gynécologie ou la relation de soin, etc. Donc, j'essayais de mettre tout ça en scène dans les situations (ou sous les formes) les plus variées et dynamiques possibles. Mais alors que dans La maladie de Sachs il n'y a pas vraiment d'action centrale (c'est une chronique...) ici, il y avait une interrogation : "Qu'est-ce que ça va donner, cette cohabitation entre deux personnages si différents ?" Et aussi "Bon, on se doute bien que Jean va changer, mais comment, pourquoi ? Et Karma, est-ce qu'il est aussi lisse qu'il en a l'air ? Et Aline, et René/e, qu'est-ce qu'ils viennent foutre là ?"

Ne pas donner toutes les réponses tout de suite, laisser les lecteurs/trices dans un flou suffisant pour qu'ils/elles puissent supposer, deviner, imaginer, s'amuser sans risquer de décrocher... C'est coton, parce qu'on ne sait pas si ça marchera ou pas.

Je ne dirai pas que j'ai utilisé une recette particulière, là encore je l'ai fait de manière intuitive et certainement en m'inspirant de tous les page-turners que j'ai lus sans jamais les analyser, mais en les "sentant" suffisamment pour savoir si ce que j'écrivais, à la relecture, me donnait envie de tourner la page ou non. 

Je pense que dans ce domaine comme dans d'autres, Less is more. Moins on en dit (ou plus on le dit de manière à intriguer le lecteur sans le mettre complètement dans le brouillard), mieux c'est.
Finalement, je pense que c'est ce genre de méthode (plus professionnelle que la mienne...) qui a contribué à ce que tant de spectateurs suivent une série comme Lost avec avidité. (Ou the X-Files, il y a dix ans.) Quand on laisse les choses en suspens, ça incite le public à suivre. Mais si en plus on lui sème des indices bizarres... là, on l'excite suffisamment pour qu'il veuille connaître la suite vite ! L'essentiel, c'est de donner des réponses au fur et à mesure. Ça veut dire qu'il faut les avoir, les réponses ! Donc, qu'il faut les avoir imaginées au préalable, les avoir testées et ensuite tout mettre en place. (Souvent, j'écris sans réfléchir, comme ça vient et puis, à la relecture, il me faut "ajuster"... J'y reviendrai.)

Alors pour reprendre le cas du Choeur des femmes (mais ce que je vais dire là est valable pour tous mes autres romans), j'ai essayé de maintenir l'attention (la tension) en ne laissant jamais Jean souffler. En ne me laissant jamais souffler. En changeant de rythme, aussi souvent que possible.

Mais alors que La Maladie de Sachs et Les Trois médecins changeaient de point de vue narratif à chaque chapitre ou presque, dans Le Choeur des femmes, j'essayais de bousculer Jean (et la lectrice) à chaque chapitre en changeant de ton, de lieu, de situation. Pas de manière totalement arbitraire, mais en me laissant guider par une certaine logique intérieure à la narration : Jean et Karma bossent dans un centre de planification, qui lui même est lié à un centre d'IVG, et à une maternité, etc., alors je leur ai fait explorer les différents lieux de leurs actions, d'une manière plausible par rapport au déroulement de la journée d'un duo de médecins. 

(Le découpage préalable est important aussi pour rythmer le livre : si je sais que je veux conduire l'action sur huit jours, je répartis ce que je veux dire au fil des huit journées, en prévoyant que tel jour il se passera telle chose importante. Du coup, j'ai des repères sur le chemin. Je fais toujours ça quand j'écris un livre : je choisis une trame, le plus souvent temporelle, et j'inscris mon histoire (mes histoires) dans cette trame. De sorte que les histoires, selon leur chronologie, influent en retour sur le rythme. Et en écrivant de manière "modulaire" (par chapitres courts auto-suffisants, ou par "histoires à suivre" courant sur plusieurs chapitres), je peux changer l'ordre des chapitres à volonté ou presque, ce qui permet de jouer sur le rythme également.

Si vous regardez la table des matières de mes romans, vous verrez que la trame est comme une "portée" verticale : les chapitres sont répartis au sein de différents "mouvements" (les parties)
Chaque moment correspond à un décor, chaque décor secréte sa ou ses situations, chaque situation ses personnages, chaque personnage son récit propre. Le plus souvent, je fais ça intuitivement : je saisis la première chose qui me vient à l'esprit et je vois où ça me mène... et souvent ça me mène à des endroits, des personnages ou des situations que je n'avais pas anticipés, et qui me viennent par association d'idées. Le cerveau n'est pas un lieu de découvertes aléatoires : il entretient des connexions solides, et ces connexions sont comme un réseau de routes sur lesquels ont peut se laisser pousser...

Et, en toute bonne logique, si ces routes paraissent excitantes à l'écrivant(e), il  y a de bonnes chances que certains lecteurs aient le même sentiment. Au pire, on court le risque de n'intéresser que les gens qui ont le même sens du suspense ou de l'attente que nous. Mais n'est-ce pas pour ces lectrices/teurs là qu'on écrit ?

Cela étant, je suis quand même surpris qu'on me dise que mes romans se lisent vite, parce que j'écris "long" – et je réécris beaucoup. Et parfois, ce que j'avais décidé de dire en trois phrases prend six pages.

Dans Le Choeur des femmes, je voulais expliquer en trois lignes comment fonctionne un DIU au cuivre en contraception d'urgence et comme j'avais pas envie de m'emmerder (et d'emmerder les lecteurs) à faire une description technique, je me suis laissé aller à une métaphore délirante où les spermatozoïdes se transformaient en spermatocyclistes du Tour de France à l'assaut du col du Tourmalutérus.

Bon, l'inverse est vrai aussi : dans La Maladie de Sachs, j'avais écrit un long monologue de Pauline expliquant en long en large et en travers à Bruno pourquoi son non-désir d'enfant ne tenait pas debout, et à la relecture, j'ai trouvé ça vraiment lourd et emmerdant. Alors, je l'ai supprimé et j'ai transformé ça en une conversation de quinze ou vingt répliques à l'issue de laquelle elle lui met le nez sur ses contradictions, et ça marchait beaucoup mieux.

Enfin, dans le sentiment de rapidité intervient aussi ce qu'on appelle "la langue" (ou "le style"), bref, la façon d'ordonner les mots, de les tisser, si on veut, dans la phrases, et de tricoter les phrases entre elles, à sa manière propre.

Je ne suis pas très fort en descriptions "factuelles", je préfère écrire des dialogues et, c'est toujours plus rapide à lire, sauf quand chaque réplique fait six lignes et ne fait pas avancer l'action. J'ai appris en regardant les séries télévisées que chaque réplique doit contenir une information utile. Les répliques qui n'apportent rien nuisent au rythme. C'est vrai aussi en consultation : si je fais "Mmhhh" au lieu de parler, c'est parce que mon interlocuteur/trice sait ainsi que je l'écoute, mais n'est pas obligé de s'interrompre. Par conséquent, un lecteur va plus vite quand l'écrivain ne se regarde pas écrire... Enfin, je crois.

Reste que tout ça n'est qu'une approximation, pas une suite de recettes (on ne peut pas écrire contre soi-même, donc tout ce que je dis ici n'est certainement pas utilisable par tout le monde) et, si tant est que mon analyse soit juste, et que les éléments qui font du Choeur des femmes ou de The Da Vinci Code ou de Millenium des page-turners (quitte à faire des comparaisons, autant viser haut... ;-) ) soient précisément identifiables, rien ne garantit que si ça marche une fois, ça marchera la fois suivante, et encore moins à chaque fois.

Enfin, ça n'empêche pas d'essayer. 

M.W. 


PS : Est-ce que je me dis "Encore un avant d'aller dîner ?" Non. Si j'ai vraiment envie de connaître la suite (et si je sais qu'elle m'attend en haut de la page suivante), je ne dîne pas... 

"J'ai aimé quelqu'un" (Brève rencontre + 1 livre, 9) - par M.W.


J'ai lu trois fois Techniques de l'amour de Frédéric Boyer.

J'ai aimé quelqu'un de toutes mes forces.

C'est un "petit livre", par le format et le nombre de pages.

Quelqu'un fut l'instant de quelques nuits mon maître, mon souffle, ma faim, ma toute folie.

Ne vous fiez pas à sa légèreté d'objet-livre, car elle est inversement proportionnelle à la gravité de son contenu.

Je ne m'aimais plus que pour l'autre, ce qui revenait à me perdre, en quelque sorte, comme si je n'existais pas.

Ne vous fiez pas à la brièveté des paragraphes en le feuilletant sur la table de votre libraire. Ce livre n'est pas un traité ou un essai, c'est une suite poétique qui parle du deuil que chaque amour porte en lui, dès son commencement, et longtemps après sa fin.

J'ai aimé parler avec quelqu'un que j'ai tant aimé.

Ne vous fiez pas au titre. Il est comme une première (ou dernière) ironie douloureuse à l'égard du contenu, et probablement du mouvement qui a fait sortir ce texte des doigts de l'auteur.

J'ai aimé jusqu'à ne plus savoir qui j'étais ni qui j'aimais.

Ne vous fiez pas à mon sentiment sur ce livre : il est partiel, partial et ambivalent. Je l'ai lu trois fois parce que chacune de mes lectures me laissait dans la bouche ce goût de cendre que Frédéric Boyer mentionne à deux reprises au moins, et parce que je ne voyais pas comment l'atténuer, sinon en cherchant obstinément sa cause et sa cure dans ces phrases ourlées qui, à travers mes yeux, se sont chargées de tristesse et d'amertume.

Mais je ne saurai jamais à quoi tient le fait que ce soit cette personne-là précisément et pas une autre.

Si je l'ai lu et relu, et relu encore, c'est pour tenter vainement de faire mien ce que Frédéric Boyer a déposé sur le papier comme on insère des fleurs fanées entre deux pages. Mais ses phrases ne sont ni fanées ni sèches à la lecture ; elle s'élèvent, tels des éphémères, lumineuses et intimidantes au point qu'on se refuse à tendre la main vers elles, par crainte de les détruire à force de les désirer.

Comment ce geste, cette position de la main, ce mouvement des lèvres, cette lumière du regard, peuvent-ils être l'expression de l'amour ? Après tout, ce n'est qu'une main, qu'un regard.

Si je l'ai lu et relu et aimé le relire et pleuré en le relisant, c'est parce que la littérature n'est pas un moyen de connaître l'amour, de le retenir ou de le prolonger – pas plus que l'amour n'est un moyen de connaître, de retenir ou de posséder l'autre. La littérature et l'amour sont, l'une et l'autre, insaisissables.

Je peux l'aimer de mémoire.

M.W.
(Toutes les phrases en italique ont été empruntées au livre.)


mercredi 17 mars 2010

Brève rencontre + 1 livre, 8 - par Lyjazz


Je lui écrivais des lettres longues et documentées, de ma plus belle/mauvaise écriture.
Nous attendions toutes les deux nos missives avec excitation. Amitié, sous le signe de la connaissance littéraire.

Son style nourri de classicisme, sa vie parisienne très culturelle, m'ouvraient des perspectives, inédites depuis le fin fond de ma campagne.

Je crois que mon élocution brute et sauvage, mes références autodidactes et pétries de l'amitié des bars, des bals de jeunes où tout le monde boit, avaient l'heur de lui plaire. Par contraste sans doute.

Et pourtant nous nous étions rencontrées sur un point commun : notre amour de l'écriture, notre bac littéraire (A4 à ce moment-là).

Nous étions partis depuis une semaine ou deux d'Annecy, après une première nuit tous ensemble sous les tentes et une baignade dans le lac pour vérifier que nous savions tous nager. Le bus nous avaient fait passer sous le tunnel du Montblanc au lever du soleil et je ne dormais pas, bercée par Logical Song de Supertramp que diffusait la radio (non non, pas de walkman ni de mp3 à cette époque !). Je voulais profiter de chaque seconde de ce voyage, de ce camp d'adolescent itinérant en Italie, et le sommeil était accessoire.

Excitation. Elan de vie.

Le voyage était un peu lent, empêtré dans des km de bus (pas climatisé, vous pensez bien !), des problèmes de personnes entre les animateurs, un vol d'argent, un accident et un rapatriement sanitaire, l'oubli d'une fille sur une aire d'autoroute, la nuit en haut du Stromboli, sans aucune organisation, des mauvais choix. Je me sentais souvent plus mûre que les animateurs. Et Christine aussi.

Je venais de quitter mon amoureux, lui promettant d'écrire. Ce que je faisais tous les jours, en bus, sur la plage, le jour, la nuit. Passant pour une hurluberlue ou je ne sais quoi d'autre, mais je m'en moquais.

A Naples, après plusieurs jours d'attente à cause d'une grève, des nuits à dormir dans une décharge, nous avons pris le bateau pour Messine. Le ciel était superbe, d'orage et de lumières derrière les nuages. 90% des personnes vomissaient. J'étais sur le pont, bras écartés. Je faisais partie des éléments.

Je me souviens de notre arrivée sur l'île de Lipari. Du débarquement du bateau, des sacs à porter, du peu d'aide reçue de la part du groupe. Aucun esprit d'équipe. Que des individualités et des jeunes très jeunes (15 à 17 ans mais peu de 17).

Christine et moi avons démarré notre amitié aussi parce que nous avions 17 ans ½ et que nous étions plus responsables que les autres.

Discussions sans fin. Tentatives d'approches des garçons du coin.

Peu de nourriture parce que peu d'argent : pain, pastèques, pêches, fromage, pizzas parfois. Beaucoup de gelati payées de nos poches et qui nous maintenaient en-dessous de la sensation de faim. Nous vivions d'autre chose. Des rencontres avec les autochtones, de la mer, du soleil, des nuits à la belle étoile et des paysages gravés dans mon esprit. Sable noir volcanique. Plage de pierre ponce.

J'avais dans mon sac L'oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar. Que l'on dirait peu apte à se lire écrasé sous le soleil de l'Italie du sud, mais qui s'adapte partout en fait.
Longtemps je l'ai relu une fois par an. En l'honneur de notre amitié épistolaire qui a duré plus de 10 ans. 

mardi 16 mars 2010

Ecriture et engagement (Ficelles et chapeaux-claque, 1)




Dave a écrit :
La plupart de vos romans ont des aspects politiques (ou, plus généralement, comprennent des commentaires, sur la médecine, les rapports homme-femme, les rapports de domination, les rapports sociaux). Est-ce que vous vous dites, au moment de vous lancer: voilà, telle ou telle question est une question politique importante, et je voudrais l'aborder spécifiquement ?
  Ou est-ce que vous vous dites: je me lance dans mon histoire et, me connaissant, les observations politiques "remonteront" spontanément à la surface, au cours du récit? En gros, quelle est la part d'intentionnalité dans votre intervention politique?


Je commence toujours par l'histoire. J'ai envie de raconter de bonnes histoires. J'ai entendu John Ford et Jean Gabin faire la même réponse à des gens qui leur demandaient ce qu'il fallait pour faire un bon film. Ils répondaient "Il faut trois choses : 1° une bonne histoire, 2° une bonne histoire et 3° une bonne histoire".

J'ai des ambitions littéraires démesurées, comme tout le monde, mais en pratique, j'essaie modestement de raconter des histoires intéressantes - j'entends : surprenantes, imprévisibles par le lecteur, marrantes, avec des rebondissements, etc. Bref : des histoires que je ne vais pas m'ennuyer à écrire, car j'aurais horreur de m'ennuyer à les lire ! 


Alors c'est la narration qui doit primer, pas le "message politique", qui est toujours encombrant si on essaie de construire l'histoire autour. Et je pense que ma manière de voir le monde conditionne le type d'histoire que j'ai envie d'écrire (comme ça conditionne le type de films ou de livres que je préfère lire ou voir). 

Alors, même si je peux me mettre dans la manière de penser d'un personnage que je considère comme "négatif" (LeRiche ou Mathilde dans Les Trois Médecins, les médecins crapuleux de mes polars ou la Djinn du début du Choeur des femmes) je ne peux pas vraiment défendre des idées auxquelles je n'adhère pas. Je suis donc à peu près sûr que, sauf mauvaise interprétation - et encore ! - mes "valeurs" (politiques, personnelles, émotionnelles, sexuelles, que sais-je ?) vont se manifester et "sortir" à l'écriture... Vu la manière dont mes livres sont reçus depuis 20 ans, je suis à peu près sûr que c'est le cas : même La Vacation (où il est quand même dit clairement que l'avortement est douloureux pour tout le monde) n'a pas été repris comme flambeau par les anti-avortements... C'est donc que ma position à ce sujet est très claire...

C'est d'ailleurs pour la même raison, je crois, que lorsqu'on pose cette question aux scénaristes de films ou de séries ("Quel message vouliez-vous faire passer ?") ils ouvrent de grands yeux. Ils ne veulent pas faire passer de message à priori. Ils veulent raconter une bonne histoire. Et leurs valeurs vont inévitablement s'y trouver, puisqu'ils l'écrivent, cette histoire !!!

Pour revenir à votre question, je ne me pose pas vraiment la question du "politique" quand j'écris. Je sais que sous une forme ou sous une autre, à l'occasion de telle ou telle situation ou de telle ou telle scène, ça dira quelque chose de "politique".

Quand, dans Le Choeur des femmes, (j'ai déjà parlé de ça sur ce blog, désolé de la répétition) Karma fait monter Djinn sur la table de gynéco pour lui montrer ce que ça peut avoir de menaçant et d'humiliant, bien sûr, la plupart des lectrices le savent, je ne leur apprend rien. Mais ça fout Djinn en colère et, comme elle représente les femmes prises dans et par le machisme mais qui souffrent d'être tiraillées entre ce machisme professionnel et leur féminité, elle veut comprendre où il veut en venir... et Karma répond que faire écarter les cuisses aux femmes, c'est pas du tout obligatoire. On peut les examiner, leur poser un DIU, leur faire un frottis ou les faire accoucher sur le côté. C'est un fait médical simple, mais c'est politique aussi, je pense.

Alors, bien sûr, ça a frappé beaucoup de lecteurs/trices, cette scène (et ses prolongements plus tard, dans l'attitude de Djinn avec Céline, sa "protégée", puis dans le texte/manifeste militant qu'elle écrit un soir de colère) et c'est cette prise de conscience qui m'a permis de faire passer l'idée que l'humiliation n'est pas indispensable pour soigner. Et que si on peut examiner les femmes sans les humilier, on peut toujours soigner sans humilier. J'aurais pu le dire en deux phrases, comme ici, mais est-ce que les lectrices l'auraient "internalisé" de la même manière ? Je ne crois pas.  

Cela dit, au moment de l'écriture j'ai eu envie d'écrire la scène comme ça, sans me poser la question de savoir ce qu'elle signifiait. Et pour tout vous dire, je ne l'analyse qu'aujourd'hui, en écrivant ceci. Parce que fondamentalement, je voulais faire "une bonne scène", et je crois que, narrativement parlant, ça l'était. Message ou pas message. Parce que, des histoires de médecin chef qui oblige ses étudiant(e)s ou ses internes à coucher avec lui, il y en a des flopées dans les hôpitaux français mais je ne crois pas avoir jamais vu ou lu une scène dans laquelle un médecin-chef fait monter un de ses internes sur une table de gynéco pour lui montrer à quel point ça peut être humiliant d'obliger les patientes à faire ça !

En un sens, c'est une scène qui parle à la fois du respect dans la relation de soin, et du respect dans la relation d'affection (ou d'amour), puisque la scène de la table se reproduit à la fin du roman, en écho à la première scène, en montrant le chemin parcouru par les deux personnages  : Djinn va volontairement voir Karma en consultation mais, quand elle monte sur la table, ça ne se passe pas comme elle s'y attend.

En fait, en écrivant ça, je me rends compte à quel point je suis vieux-jeu : je n'ai pas abandonné l'idée des années 60 selon laquelle le sexe, c'est éminemment politique.

Il y a des scènes de sexe ou des scènes d'amour dans mes romans, mais elles ont toujours une fonction dans la narration, ce n'est pas comme la plupart des scènes de sexe dans les films... Dans Les Trois médecins, Bruno écrit une nouvelle pornographique dans laquelle une visiteuse médicale va baiser un grand patron dans son bureau. Il la fait lire au "comité de lecture" de sa revue d'étudiants et ça fait des remous (on est à l'époque du féminisme montant). Certains le trouvent sexiste, d'autres disent que c'est un texte "à la Bataille" qui parle de l'aliénation d'une femme qui sert les intérêts de l'industrie en vendant son corps pour tenir un médecin par la queue. D'autres haussent les épaules : "Ouais, le Bruno, il a juste voulu nous en foutre plein la vue..." Bref, le texte est discuté à l'intérieur du roman.

En fait, j'avais écrit la nouvelle bien avant de me lancer dans l'écriture du roman, mais je ne l'avais jamais publiée. Je ne voyais pas très bien quoi faire de cette nouvelle "toute nue". Si je la publiais seule, c'était la description d'une séance de sexe entre une quasi-prostituée et un type important dans son bureau. La chute résidait dans le fait qu'à la fin, on comprenait que c'était une visiteuse médicale. C'était une métaphore de la profession de VM, mais ça pouvait être ressenti comme insultant par des femmes qui font cette profession pour gagner leur croûte, un point c'est tout. Et le texte ne prouvait rien, sinon que je savais écrire des textes pornographiques. 

Mais quand j'ai eu l'idée de l'insérer à l'intérieur du roman, dans un contexte particulier, ça devenait un texte qui permettait plusieurs niveaux de lecture. Autrement dit, juste après le chapitre où la nouvelle est retranscrite, son analyse par les personnages avait plusieurs fonctions : idéologique (les manipulations du corps (!) médical par l'industrie et l'aliénation des femmes qui sont utilisées par l'industrie à leur insu), narrative (ça dit quelque chose sur Bruno-l'écrivain-en-herbe et sur ses camarades), historique (ça rend compte du type de débat qu'on avait à l'époque, avec une pointe d'ironie), esthétique (je voulais effectivement voir si – et montrer que –je pouvais écrire un texte pornographique) et autocritique (je soulignais qu'il était impossible de dire si j'avais écrit le texte avec une intention politique ou simplement avec l'envie de me faire plaisir et de choquer par la même occasion...). 





À l'opposé, il y a des scènes toutes simples qui donnent lieu à de parfaits malentendus... Dans Mort in vitro, à un moment donné, il y a une fête à la préfecture de Tourmens. Charly Lhombre, l'un des deux personnages principaux, qui a été invité à la fête mais s'y rend un peu contraint et forcé car il a horreur des pince-fesses, ouvre une porte et se trouve face à une scène de partouze. Un présentateur de reality-shows et un gynécologue marron sont en train de s'envoyer en l'air sur un canapé dans des postures invraisemblables avec deux femmes, sous le regard du grand patron d'une multinationale du médicament qui les reluque, un scotch à la main, assis sagement dans un fauteuil empire.

Quand Charly voit ça, ça le fait marrer, il referme la porte sans bruit et il passe à autre chose (parce qu'il s'en fout).

Contrairement à la nouvelle de Bruno, qui occupe plusieurs pages des Trois médecins, la scène de partouze prend dix lignes dans Mort in vitro, mais quand une classe de lycée a lu ça, les élèves m'ont demandé pourquoi j'avais mis une scène de "porno" dans un roman, alors que cette scène (de leur point de vue) ne servait à rien. Et je leur ai expliqué que la scène (le tableau, car c'est une sorte de scène "gelée") en question était une métaphore : " Médecine et Médias forniquant ensemble sous les yeux de l'Industrie et les ors de la République". Evidemment, ils n'avaient pas vu ça, mais personne ne peut le leur reprocher, c'était un clin d'oeil ironique, et une manière détournée de faire un political statement sans avoir besoin de... m'étendre. (Haha.) Eux, et c'est bien naturel, ils avaient tout bonnement vu une scène de sexe. Ca ne m'a pas gêné : encore une fois, ça ne prend que dix lignes du texte, ça peut donc être oublié très vite.

En revanche, un des premiers lecteurs du manuscrit de Mort in vitro m'a appelé, très en colère, en me disant "Je ne comprends pas pourquoi tu dis que les partouzes, c'est vraiment que pour les riches et les pourris !!! C'est vraiment un sale préjugé !!!"

Et ça, ça m'a fait beaucoup rire, parce que lui non plus n'avait pas vu la métaphore. Il avait vu une sorte d'amalgame entre le sexe de groupe et les puissants... alors que ce que les gens font de leur sexualité, c'est leur affaire, à mon avis, et tant que personne ne brutalise ou ne tue personne, je n'ai rien à en dire et pas de jugement à porter. Ce qui m'intéressait dans ce "tableau", c'est l'incongruité du lieu et les personnages qui le composent. Pas la sexualité de groupe !

Tout ça pour dire que l'intention politique peut être là, sous une forme démonstrative ou légère, mais qu'on ne la voit pas toujours pour ce qu'elle est.

Et pour finir : quand j'ai vraiment envie d'aborder de front une question politique qui me paraît importante, j'écris un texte politique, un manifeste, un pamphlet, pas une fiction. C'est cela la beauté de l'écriture : on peut faire ce qu'on veut. La fiction, pour moi (et je ne parle que pour moi), sert à retravailler la confusion des sentiments éprouvés pendant les expériences de la vie. Mais ça n'est pas la seule forme possible. Depuis quelques années, je me suis mis aussi à écrire des poèmes et des chansons (en anglais, beaucoup) pour exprimer mes sentiments à l'occasion d'expériences très intimes. 


Bref, je pourrais dire que ce qui me pousse vers un texte plutôt qu'un autre, c'est mon humeur, plutôt que le "sujet que j'ai envie de traiter". Quand je suis ému et triste, j'écris des poèmes. Quand je suis amoureux, j'écris des romans d'amour. Quand je suis perplexe, j'écris des romans d'énigme. Quand je suis d'humeur chevaleresque, j'écris un roman épique. Et quand je suis en pétard, j'écris un coup de gueule de douze pages, avec trois tonnes d'exemples, et je le poste sur mon site !!! 

M.W. 

lundi 15 mars 2010

Brève rencontre + 1 livre, 7 - par Younes


John Withmight n’existait que dans la tête désabusée de Kader. C’était un anglais flegmatique qui perdait toute mesure devant les belles femmes et surtout devant le corps nu de Katya. The Body avait bel et bien réussi à rattraper The Book pour fusionner et ne laisser que l’étreinte triompher dans l’arène brumeuse de la spiritualité. Pourtant, ce qui était écrit, entendait également un autre sens. ‘Ô John, hold The Book with might’, ainsi formulée en anglais séduisait mieux. Il laissa de côté la version française avec Jean Le Baptiste et il ne saurait probablement jamais quelle adaptation irait le mieux avec Yo-hanan.

John Withmight n’aurait pas vu le jour dans la mosquée du quartier où le nom de Yahya résonnait souvent dans les récitations des fidèles, juste avant l’appel à la prière du vendredi.

La tête désabusée de Kader avait enfanté son alter ego anglais dans un bus où il passait deux heures de sa vie d’adulte entre son quartier dortoir et celui, huppé entre autres, où il travaillait comme chef de chaîne dans une usine de textile délocalisée. Six jours sur sept, avec une flexibilité des horaires à sens positif.

Il passait la majorité du parcours le nez collé à la vitre détectant les changements du ton architectural d’un quartier à l’autre. Sur la même ligne, il côtoyait évidemment ses filles de l’atelier et là, il essayait de n’être plus que l’ombre de quelque inconnu, un fantôme pour leur laisser un espace supplémentaire de vie où il n’occuperait aucune position hiérarchique étouffante, et qui les emprisonnerait dans une raideur et une posture qu’elles entameraient bientôt courbées sur leurs surjeteuses piqueuses.

Il fuyait loin, très loin, mais il n’osait lire par pudeur et par peur du ridicule. Dans sa ville, les filles de l’atelier, telles qu’on les désignait par essor du phénomène économique, avaient la réputation d’avoir en horreur les intellos et les prises de tête qui vont avec.

Une seule fois, il fit exception à cette règle de conduite avec la poésie de Heinrich Heine dont il parcourait quelques pages en Allemand qu’il apprenait le soir à l’Institut Goethe . Il entretenait encore l’illusion de partir à l’étranger, en Allemagne surtout. Une toute dernière illusion qu’il s’était promise à lui-même.

Le verset sortit de la bouche de l’homme assis à ses côtés dans le bus. Il n’avait rien de particulier et ne parlait vraisemblablement aucune langue autre que l’Arabe, mais le recueil lui suffisait pour donner tout heureux et partager une interprétation de la conviction adressée à Jean. Il dit au lecteur de Heine que la

Connaissance, le Savoir, la Science se prenaient avec force et il lui cita ‘’Ya Yahya, khoudi al Kitab bi qouwwah’’.

Etait-ce un signe ? Que prendre avec force ? Le Livre ? L’Allemand ? ou la poésie ?
John Withmight naquit plus tard, sur le même trajet en l’absence d’autres signes, de l’impossibilité à déchiffrer quand les portes étaient closes et que les Katya s’échinaient.

dimanche 14 mars 2010

Brève rencontre + 1 livre, 6 - par Gilda

C'est un petit livre tout blanc et tout fin de 63 pages et heureusement.
Je dois partir, deux jours à Bruxelles, pour la Foire du Livre. Nous sommes convenus avec une blogueuse de nous y retrouver. Le programme est alléchant, il y aura entre autres Pennac en scène et son Merci, dont je suis curieuse. Et puis ma meilleure amie. Bizarrement j'en suis sans nouvelles précises depuis début janvier. Trop de travail sans doute, toujours sur-occupée. J'ai un manuscrit à lui confier sur lequel j'aimerais son avis car c'est elle qui m'a poussée à organiser mes textes en vue du papier.
Le papier n'est pas mon monde, l'internet si. Mais je tiens compte de ce qu'elle me dit.

Mes bagages sont bouclés, je prends toujours trop de choses, ôte donc quelques bouquins - je vais à un salon où il y en aura -. À l'instant de refermer la porte je vois ce petit livre, si léger, si fin. Acheté la veille à la Librairie Compagnie où Anne Godard présentait son "Inconsolable" qui m'avait tant impressionnée.

La vie avait été rude les mois qui précédaient, maladies confirmées ou annoncées mais sérieuses pour ma fille ou pour moi, problèmes au travail, homme de ma vie dont je n'étais plus tout à fait la femme, tracas financiers. Restaient : mon fils, l'amitié, les livres. Sous la pression des événements, des peurs et de l'épuisement, écrire, j'avais du mal.

Depuis janvier cette éclaircie qui se dessinait. Il fallait vite reprendre pied avant la prochaine saison de calamités.

Me retrouver quelques jours au milieu des livres, beaucoup de livres, et revoir des personnes bien-aimées, serait probablement l'occasion d'oublier "l'usine" aussi et la façon dont j'y étais, comme tant d'autres, traitée, déguster quelques bières en bonne compagnie, puis repartir du bon pied.

La période difficile m'avait laissée exténuée, vidée, et équipée d'un sentiment de solitude glaçant. Les amis, c'est normal, ne sont pas toujours disponibles au gré de nos besoins de secours. Je suis un animal qui en cas de malheurs tend à se taire et se terrer. Aux autres de deviner. Pas très malin comme attitude mais c'est alors ainsi.

Je vois ce petit livre, si léger, si fin et le glisse vite fait dans la poche de mon blouson.

Le voyage se passe bien. L'hôtel économique est dans un quartier apeuré, le tenancier terrifié me déconseille de sortir avec mon appareil photo. Impavide, je file à la Foire.
Mais quand je croise l'amie que j'espérais retrouver, prévenue par mail plus tôt, son attitude a changé. Je ne sais pas pourquoi. J'étais persuadée qu'on tomberait dans les bras l'une de l'autre ; qu'on trouverait un moment à nous ; qu'on parlerait.
Ma fille avait été si malade, le reste du temps si compacté, on reprendrait notre amitié là où avant elle en était.

Non.

Elle me regarde comme une étrangère. Mon grand-père en ses derniers moments, qui ne se souvenait plus de qui étaient ces gens mais de nous avoir déjà vus, avait cette même façon. Elle me congédie, C'est mieux qu'on ne se voie plus.

Je tombe sidérée.

Au lendemain j'obtiens quelques mots qui ne sont pas fâchés. Comme si l'amitié dépendait de CDD. Le mien auprès d'elle n'est pas renouvelé sans aucun signe avant-coureur fors le silence messager.

Disjonction. Je ne peux plus faire confiance à personne, ni croire en l'amitié. Mur porteur effondré. État de choc.

Une femme dans le métro a un geste simple qui à cet instant me sauve (non, tout le monde ne veut pas me tuer). À l'hôtel, je passe une nuit.

Le lendemain un rendez-vous prévu chez un vieil ami. Je fais pour l'honorer un effort inouï. De moi ne reste qu'une enveloppe, l'intérieur n'est que mécanismes. Je n'habite plus à ma carcasse. Sur le quai, en attendant le train pour me rendre en sa ville proche et comme il fait, ou j'ai, très froid, je mets ma main libre de bagage dans une poche du blouson.

Il y a un bouquin.
Ah, tiens, c'est vrai.

Pas envie de lire. Le fumeur tenant un paquet de cigarettes, préoccupé, s'en allumerait une. Le livre, je l'ouvre.

Il commence par "Ça commence". Je me sens détruite, commencer est la seule chose que je peux faire, de toutes façons je suis morte hier, il faut bien commencer à nouveau. Et par miracle, parce que le texte est parfaitement écrit, chaleureux, parce qu'il parle d'une amitié solide et fondatrice entre deux hommes qui n'ont pas démérité, l'un pour écrire l'autre pour éditer, je me laisse embarquer.

Je ne le sais pas encore, les 48 heures suivantes resteront un danger, une dérive de tempête, mais dès lors je suis sauvée.

* * *

le livre : «Jérôme Lindon » de Jean Échenoz

un lien : Le geste qui sauve
http://tinyurl.com/ylaubsu

une autre version, un pas de côté : Le jour d'après trois ans après à peu de choses près.
http://tinyurl.com/yhmsocr

Secrets de fabrique, grosses ficelles et chapeaux à double fond

Dans le message qui accompagne sa contribution, l'une des écrivantes m'écrit : "Les gens qui vous lisent sont avides de conseils, aimeraient que vous leur expliquiez comment vous vous y prenez, vous. Pour créer des personnages. Pour raconter vos histoires. Pour réussir vos chutes. Enfin, vous ne souhaitez peut-etre pas partager vos secrets..." 

Je lui réponds que je serais ravi de partager ce que je sais, et lui suggère (et à vous par la même occasion) de m'envoyer des questions aussi terre-à-terre que possible, et j'essaierai d'y répondre.

Mais d'abord, je vais essayer d'expliquer pourquoi ce message m'a fait plaisir, pourquoi je ne vois aucun inconvénient à partager, et enfin pourquoi je suis excité à l'idée de recevoir des questions des écrivant(e)s.

D'abord, je trouve plutôt rafraîchissant qu'on me parle de mon travail d'écrivant, et non pas forcément de mes motivations de médecin. Même si je crois être un "vrai soignant" (pour la définition, je vous renvoie à mon Webzine...), je me suis mis à écrire bien avant d'avoir conscience que je pouvais soigner (et qu'on pouvait me demander du soin). Techniquement parlant, mon expérience d'écrivant précède de près de dix ans mon expérience de médecin. Pourtant, on ne m'interroge pratiquement jamais à ce sujet, en dehors des allusions obligées à "mes influences", "mon inspiration", "mes engagements"... Et de même que j'aime expliquer à des étudiants en médecine comment poser un stérilet sans faire mal ou comment identifier "la question cachée" derrière le motif de consultation avoué d'un patient, j'aime bien expliquer "comment j'ai écrit mes livres" (ou mes nouvelles).

Le premier écrivain que j'ai lu expliquant dans quelles circonstances il avait écrit telle ou telle de ses nouvelles est Isaac Asimov, dans l'un de ses recueils (je crois qu'il s'agissait de "Histoires Mystérieuses", (coll. "Présence du Futur", Denoël). Il prenait manifestement plaisir à raconter qu'il avait eu l'idée de telle ou telle histoire en parlant avec un de ses amis ou en faisant un pari avec le rédacteur en chef d'une revue, ou en relevant un défi lancé par un collègue écrivain. Pour Asimov, writing was fun, et ça l'est pour moi aussi. Quand j'écris, je m'amuse (enfin, j'essaie). Et j'aime raconter. Alors, raconter comment j'ai écrit (ou comment j'ai essayé d'écrire) ça m'amuse aussi, forcément...

Ensuite, s'il m'est facile de partager c'est parce que je ne crois pas vraiment avoir de "secrets". J'ai appris à écrire en lisant, puis en imitant, puis en expérimentant. Et je continue à faire la même chose, même si  l'expérimentation s'appuie aujourd'hui sur une expérience beaucoup plus grande que lorsque j'avais quinze ans. Mais je serais bien en peine de vous révéler "mes secrets", parce que je ne sais pas exactement comment je fais... et parce que ce qui me paraît réussi peut paraître raté à d'autres : ainsi, l'écrivante/lectrice qui a suscité cette entrée m'a révélé avoir beaucoup aimé les deux premiers volumes de la Trilogie Twain, beaucoup moins le troisième, dont la construction "en abyme" lui a semblé casser le rythme de la narration adopté dans les deux premiers. Et je serais bien en peine de contester son opinion puisque, à mon sens, le lecteur a... toujours raison.

Non, ce n'est pas une déclaration démagogique. Mais si l'on admet qu'il y a autant de lectures possibles d'un livre que de lecteurs, et si l'on part du principe qu'un lecteur qui dit avoir lu un livre d'un bout à l'autre est de bonne foi, alors, il n'y a pas de raison de penser qu'il y a des lecteurs qui ont raison, et d'autres qui ont tort : chaque livre est "fait", ou non, pour les lecteurs qui le lisent. Un écrivain très lu a la chance que ses livres soient "faits" pour beaucoup de lecteurs.

Et si certains lecteurs ne les aiment pas, c'est qu'ils ne sont pas "faits pour eux"... ou pas tout à fait. Le lecteur a donc toujours raison... mais seulement pour lui, pas pour les autres, qui peuvent avoir un avis différent. Idéalement, un livre qui rencontre des lecteurs "faits pour lui" (car c'est réflexif...) a des chances d'en toucher d'autres (les premiers transmettront l'envie de le lire à d'autres). Idéalement, je le répète, car ce n'est pas toujours vrai : combien de fois avons-nous tous "tanné" des amis pour qu'ils lisent tel ou tel bouquin, pour entendre finalement dire : "Oh, je suis désolé, mais il m'est tombé des mains..."

Un livre qui a du succès, c'est un livre qui rencontre beaucoup de lecteurs qui le trouvent fait pour eux... Ca ne veut pas dire qu'ils ont "raison", ni que les autres on "tort". Le plaisir de la lecture, c'est tellement subjectif, tellement privé, que c'est comme le sexe : ce que j'aime moi n'est pas nécessairement ce qu'un(e) autre aimera. L'essentiel, c'est d'y trouver plaisir et ça n'enlève rien à personne. Je suis évidemment jaloux comme un pou du succès de librairie d'une Amélie Nothomb, d'un Bernard Werber ou d'un Marc Lévy (qui ne le serait pas) mais si tant de lecteurs aiment leurs livres, qui suis-je pour dire qu'ils ont tort d'acheter ces livres-là et pas les miens ?

Tout ça pour dire que parler de la manière dont j'ai conçu ou construit tel ou tel bouquin ne me paraît jamais pouvoir relever du "secret de fabrique" ou de la "recette secrète" à conserver jalousement, car ce serait idiot : il faudrait non seulement que ce "secret" soit un ingrédient ou un procédé que personne ne peut reproduire et qui donne à mes livres un goût aussi inimitable et aussi universellement apprécié que celui d'un Yqem ou du Coca-Cola - on en est loin ; mais il faudrait aussi que, ce secret, je le maîtrise au point de savoir le réutiliser à volonté à chaque livre, et d'être ainsi assuré de contenter un nombre identique (voire croissant) des lecteurs/trices.

Alors, bien sûr, il existe des écrivains à "recettes" (je ne citerai personne, vous en avez toutes et tous un ou deux en tête). Mais je ne suis pas sûr que même eux se voient ainsi, du moins au début. Le succès aidant, ils se retrouvent enfermés dans une formule dont ils n'arrivent pas à se sortir... ou se satisfont parfaitement de réutiliser, livre après livre, les mêmes ficelles. Mais pour eux, est-ce une "recette", ou bien la trame, la forme dans laquelle ils se sentent le plus à l'aise ? Je veux dire : est-ce qu'ils écrivent toujours le même livre pour faire plaisir au lecteurs ou pour se faire plaisir (ou, d'ailleurs, pour se rassurer) ?

Impossible de répondre à cette question. Et, d'ailleurs, quelle importance ? S'ils sont contents d'eux-mêmes et si leurs lecteurs le sont aussi, franchement, qu'est-ce que ça peut foutre ?

Oui, oui, je vous entends d'ici : "Mais s'ils écrivent de la merde ?!!!"
Eh bien, personne n'est obligé de les lire, et puis "la merde", c'est tout relatif. A cet égard, je reste très circonspect. Je prenais beaucoup de plaisir à lire des romans-photo, quand j'étais gamin. Ils stimulaient terriblement mon imagination. Si je n'en lis plus, est-ce que parce que les romans-photo d'aujourd'hui (je suis sûr qu'il en existe encore) sont "moins bons" que ceux d'hier, ou bien est-ce parce que j'ai trouvé du plaisir dans d'autres modes de narration, d'autres combinaisons de mots, d'autres sortes d'histoires ? Et est-ce que, d'une certaine manière, Oui-Oui, Le Club des Cinq et les romans-photos ne m'ont pas, chacun à leur manière, préparé à lire d'autres choses ? Est-ce que je dois m'étonner de ne plus aimer Oui-Oui ? (Ou, du moins, de ne plus y trouver le même plaisir ?)

Ainsi, quand un(e) lecture/trice me dit avoir été "déçu(e)" par Le Choeur des femmes, par exemple, alors  que La maladie de Sachs  l'avait "bouleversé(e)", je n'ai rien à répondre. Il s'est passé dix ans, j'ai changé, il ou elle a changé, ce n'est pas le même livre. Tout est différent. Tout le monde ne peut pas vivre une brève aventure flamboyante à Paris avec un(e) amant(e) et retrouver la même flamme, intacte, cinq ou dix ans plus tard à Casablanca...

Un livre, c'est l'aventure d'une nuit, d'un week-end, d'un mois. Ca ne garantit en rien qu'on aimera tous les livres de (toutes les aventures vécues avec) son écrivain. Chaque livre, c'est un risque, pour le lecteur comme pour l'écrivain. C'est comme l'amour. On n'est jamais sûr que ce sera aussi bien que la fois précédente...





Maintenant, ça ne veut pas dire que je n'ai pas des trucs, des tours de passe-passe, des chapeaux à double fond bien à moi dont j'entends faire sortir des lapins ou des rhinocéros. Mais ce ne sont pas des secrets, ni même des recettes, plutôt des coquetteries, des figures préférées, comme la posture dans laquelle un escrimeur se tient avant l'assaut, les attaques, les parades et les bottes qu'il maîtrise le mieux (avec lesquelles il se sent le plus à l'aise). J'aime bien l'analogie avec l'escrime pour des raisons à la fois littéraires, cinématographiques (mon héros de l'écran, à quinze ans, c'était Jean Marais dans Le Capitan et Le Capitaine Fracasse) et autobiographiques (j'ai fait de l'escrime entre 12 et 17 ans).

Et ces trucs, je veux bien les donner si on me les demande, ça me fera plaisir. Mais je ne suis pas sûr qu'ils soient utilisables par un autre que moi. En tout cas, ils peuvent au moins donner des idées à ceux qui me liront, ou les conforter (et ce n'est pas rien) dans l'idée que leurs trucs, leurs bottes secrètes ou leurs coffrets à double fond, valent bien les miens.

Et puis, l'idée qu'on me demande "comment je fais" m'excite car, j'en suis sûr, je vais être surpris par les questions, et en tentant d'y répondre, je vais me surprendre à décrire tout un tas de comportements d'écriture intuitifs dont je n'avais pas conscience.

Autant dire que je vous attends de pied ferme !
Messieurs, Mesdames, en garde !
J'ai des réponses. Qui a des questions ?

Martin Vingt Clercs


samedi 13 mars 2010

Brève rencontre + 1 livre, 5 - par Tutim

J’avais rendez-vous avec mon éditeur. Je m’étais promis de relire l’épilogue de mon dernier roman pour pouvoir en reparler sereinement avec lui et il me restait quinze stations pour m’y atteler. Il faisait chaud. Le métro était quasiment vide.
En entrant dans le wagon, mon regard fut immédiatement attiré par une jeune femme qui lisait et je m’installai face à elle. Elle était assise en tailleur juste au milieu d’une banquette à deux places. Elle se tenait très droite. Ses cheveux étaient relevés en un chignon bien serré ce qui me laissa penser qu’elle était danseuse. Je la trouvai ravissante et je n’aurais su dire pourquoi. Peut-être était-ce l’imperfection gracieuse de ses grands yeux ronds, la position de ses doigts sur son livre ou la subtilité de son geste quand elle entreprit de réajuster la barrette qui retenait l’une de ses mèches un peu plus souples que les autres. Ou peut-être un peu de tout ça.
Son sac était posé près d’elle, grand ouvert. En le laissant ainsi à la portée du regard et des mains baladeuses, elle s’était déconnectée du monde qui l’entourait. Pourtant, comme nous, elle avait entendu les messages de la RATP prévenant de la présence de pickpockets mais elle ne les avait pas écoutés. Et comme nous, elle avait vu les gens serrer bien fort contre eux leurs sacs à mains mais elle ne les avait pas regardés. Non, elle vivait dans un monde qui lui était propre.
Je la bénis d’avoir commis cette imprudence puisqu’elle m’offrait la possibilité de la connaître un peu mieux. Son sac était une besace grande et informe comme celles que trimballent les jeunes femmes qui ont peur de manquer. En me penchant, j’aperçus un coffret à CD et j’imaginai leurs mélodies bercer vingt paires d’yeux mémorisant les gestes que la danseuse leur enseignait. Il y avait aussi un livre dont la couverture était, comme celui qu’elle tenait à cet instant-là, recouverte d’une page de magazine si bien que je ne pus en apercevoir le titre. Le reste était enfoui en dessous et je dus me contenter de la partie visible de ses secrets.
Je relevai la tête en ayant l’impression de la connaitre un peu mieux. Elle était toujours plongée dans son livre faisant abstraction des va-et-vient environnants.
C’est à cet instant-là que j’ai su qu’elle serait l’un des personnages de mon prochain roman. Depuis quelques semaines déjà, je m’attelais à la construction de l’intrigue et j’étais poreuse à l’inspiration que m’offrait le quotidien. L’aubaine était trop belle. J’en étais certaine maintenant, ma danseuse serait là, dans mes pages et j’espérais qu’ensemble, on écrirait une jolie histoire.
J’avais mal au cœur de devoir la quitter sans lui dire ma gratitude. J’aurais voulu me présenter, la remercier, lui dire qu’elle avait éveillé en moi cette petite étincelle de désir qu’on appelle inspiration. Mais j’eus peur qu’elle ne comprenne pas alors je renonçai. En me levant, je laissai tomber l’exemplaire de mon livre que j’avais déposé à côté de moi, sur la banquette.
Il heurta le pied de la danseuse ce qui la sortit de sa torpeur. Elle se pencha pour le ramasser. Elle sourit en me le tendant. Son sourire était immense. Mon cœur se mit à battre plus vite devant le regret de la quitter ainsi. Le métro s’arrêta et je m’apprêtai à sortir du wagon quand une voix m’interpela. C’était la sienne. En désignant le livre que je tenais maintenant à la main, elle me dit :
« Vous ne savez pas la chance que vous avez de ne pas l’avoir terminé. » Et en relevant une mèche échappée de son chignon, elle ajouta : « J’y ai pensé longtemps après l’avoir fini et maintenant, j’attends juste le prochain. »
Quand je lui souris, des larmes vinrent s’agglutiner au coin de mes yeux. Je regardai les portes du wagon se refermer avec leur sursaut habituel. Et quand je réussis enfin à articuler un « merci », elle était déjà loin et les larmes dans ma gorge trop nombreuses pour qu’elle me comprenne de toute façon.



jeudi 11 mars 2010

Brève rencontre + plein de livres, 4 - par Alex Cessif

"Nous n'avions pas la télé!
Ce qui est aujourd'hui un signe extérieur de richesse lucide, ou de snobisme, était dans le mi-temps des années soixante un signe extérieur de ringardise. Un peu comme avouer que nous avions l'eau courante sur le palier.
Alors je lisais!
De tout et n'importe quoi pour justifier l'apprentissage de la lecture: les étiquettes des denrées sur la table, des bédés aux toilettes, que d'aucuns n'y voient aucune allusion laxative, c'est fondateur la bédé. Cabu, Reiser, Goscinny, Crumb, Stan Lee et tant d'autres. Fondateur mais pas très sérieux dans la cour des grands. La bédé n'était pas encore l'art neuvième et Angoulême pas encore son festival de Cannes.
Assez naturellement vint le temps des Cocteau, Genevoix, Giono, Guitry, Bazin.
Bazin tiens justement!
Sans histoires de "la veille à la télé" où s'évoquaient en conversations merveilleuses le partage entres potes à la récré, j'étais un peu isolé lorsque s'échangeait comme des images, la trouille de "Belphégor"contre la saga des "Rois maudits" (j'avais pas encore lu Druon).
Alors, lorsqu'un matin "Folcoche" déboula dans la conversation, je brandis "Vipère au poing" mon Bazin tout frais lu de la veille. Mais là: Caramba! encore raté. La version visuelle de Pierre Cardinal ne correspondait pas à mon récit et, très vite, le cercle qui me ceignait se mit à saigner d'une hémorragie de copains s'éloignant en me traitant de fumiste. Déjà le pouvoir de l'image sur les mots. Et ce serait moi l'usurpateur?
Je me sentais pourtant en ce temps là une manufacture d'images nocturnes sous ma couverture avec ma lampe de poche. Un passager clandestin de mes nuits interdites de lecture à l'électricité volée à EDF avec la complicité de quelques piles et reconduit à la frontière de mes rêves invalidés par la petite lucarne.
Vite, un livre!"

mercredi 10 mars 2010

Brève rencontre + 1 livre, 3 - par Christine C.

C'est une histoire très brève qui m'est arrivé à Lisbonne dans un bus orange de la Carris, il y a presque 25 ans.

J'avais 25 ans. J'avais choisi de quitter la France et principalement mon métier ( journaliste dans la presse régionale), accessoirement mon grand
chagrin d'amour. Ou le contraire.

C'est une mère de Saint ( mae de Santo) de Salvador de Bahia qui m'avait conseillé cette rupture. Tourner la page. Je n'aimais plus mon métier sans
doute aussi parce qu'il ne m'aimait pas. Pas mon métier, mon chagrin d'amour.

J'étais partie en vacances au mois de janvier, à Lisbonne et j'étais miraculeusement tombée amoureuse d'un jeune portugais dans le train.
Ensuite, j''ai lu Tabacaria (bureau de tabac) de Fernando Pessoa. J'ai lu Os Culs de Judas (le Cul de Judas) de Antonio Antunes. J'ai commencé à
apprendre le portugais avec une brésilienne qui habitait derrière la gare Montparnasse. J'y ai appris des phrases que je n'ai jamais réutilisé pour héler
le porteur de bagages ou demander au garçon d'étage d'appuyer sur le bouton de l'ascenseur.

Un an a passé avant que je prenne la décision de tout quitter. Le jeune Portugais avait une fiancée qui s'appelait Hortensia et allait se marier.
C'était déjà du passé quand j'ai débarqué pour apprendre le portugais et lire la poésie portugaise en portugais. Je dis souvent que je suis née à
Lisbonne cette année là. C'est une façon de dire que cette ville et ses habitants m'ont sauvé la vie. Ses poètes aussi.

Voilà comment je me suis retrouvée dans le bus orange de la Carris assise à parler en portugais avec une hollandaise et un chinois. Ou un béninois et
un espagnol. Je ne me souviens plus avec qui j'étais. Peut être même que j'étais seule et je lisais. De la poésie portugaise. Um pais de poetas. Un pays de poètes.

J'avais loué une chambre dans une maison à Estoril. La propriétaire était la demi soeur de Fernando Pessoa. La femme de ménage prétendait que je
dormais dans le lit du poète.

Ça a été très bref. A un moment je me suis retrouvée seule dans le bus. Un jeune homme avec des lunettes moitié chauve s'est levé juste avant l'arrêt,
il s'est dirigé vers moi, m'a souri et sans un mot, m'a tendu un morceau de papier . Il est descendu. J'ai déplié le papier et j'ai lu avec difficulté son
écriture de pattes de mouches :

Realizar o amor é desiludir-se Quando nao é desiludir-se é acostumar-se Acostumar-se é morrer. Por mim so amei na minha vida e amo a um estrangeiro de quem nao vi mais do que o perfil, a um cair de tarde quando estavamos numa multidao...
et c'était signé : Fernando Pessoa.

Je n'ai jamais revu ce jeune homme. De toute façon, tout s'est passé si rapidement que j'aurais été incapable de le reconnaître. J'ai l'impression d'avoir
rêvé mais j'ai conservé le petit bout de papier.

mardi 9 mars 2010

Brève rencontre + 1 livre, 2 - par Marina L.


Une rencontre textuelle
C’était en novembre, Marie tenait à me faire découvrir un café « Le Zimmer » à Paris.
Une fois assise, mon regard fut attiré immédiatement par un texte encadré intitulé « Désirs ». Ce texte ancien datant de 1692 aurait été trouvé dans une église de Baltimore, l’auteur est inconnu. Mon cœur palpitait en lisant ces conseils de vie avec cette dernière phrase "Tâchez d'être heureux". Le patron du café avait écrit ceci  tout bas « Ne volez pas ce texte, nous pouvons vous en donner une copie ». J’allais donc repartir avec ma découverte. Je pliai la feuille en deux et la rangeai dans mon sac. Puis, je parlai à Marie d’autres choses et du livre que je lisais « De la vie dans son art, de l’art dans sa vie » de la comédienne Anny Duperey. Je lui racontai la relation épistolaire entre cette comédienne et l'une de ses amies peintres et comment ses femmes échangèrent plusieurs années sur leur vie et sur tous les plans de leurs vies d’ailleurs.
Le lendemain assise cette fois-ci dans le métro, je repris la lecture du livre d’Anny Duperey. J’arrivais alors à la page 146. Quelle ne fut pas ma surprise ! Elle citait et reproduisait entièrement dans son livre ce même texte « Désirs » que j’avais découvert la veille dans un café ! Très amusée,  je compris alors qu’il était temps de m’interroger sur mes…désirs !
Une petite histoire vraie.
Merci,
M.L

dimanche 7 mars 2010

Brève rencontre + 1 livre, 1 - par Muchanuit

Je marche derrière elle à une vingtaine de mètres de distance.
Elle est grande , mince, serrée à la taille dans un manteau marron. Ses cheveux retombent sur ses épaules, en vagues légères. Ils sont blond-dorés. Ils bougent à chacun de ses pas. Elle marche vite, sur de hauts talons aiguilles. Elle porte au bras gauche un sac fourre-tout, jaune paille.
Le trottoir est large. Il y a peu de monde . Un homme me dépasse, puis la dépasse. Il s'est retourné sur elle puis a continué son chemin. Un autre fait de même, puis une femme qui, elle, ne se retourne pas.
Elle, elle n'a pas bougé la tête ni modifié son allure.
Un couple avec un chien en laisse arrive en sens inverse. Le chien précède le couple sans tirer sur la laisse.
Je baisse un instant les yeux pour regarder le chien, et les repose aussitôt sur les omoplates de la femme.
Mon regard s'attarde et remonte sur ses cheveux dansants.
Un homme arrive en face d'elle, s'arrête à sa hauteur. Il l'aborde. Il est de la même taille qu'elle,vêtu de noir, un chapeau noir sur la tête.
Ils se serrent la main, elle pose son sac par terre, serré entre ses deux pieds.
Je ralentis. J'arrive à leur hauteur et les dépasse.
J'ai aperçu son profil. Elle porte des lunettes à grosses montures, son front est dégagé , un peu bombé, sa peau est claire, son nez bien droit au dessus d'une bouche épaisse et très rouge. Elle porte un foulard rouge à rayures dorées que je ne voyais pas de derrière.
J'avance encore un peu, de plus en plus lentement. Je m'arrête. Je me retourne.
L'homme n'a pas bougé. La femme est accroupie et fouille dans son sac. Ses gestes sont vifs. De temps en temps elle pose sa main droite au sol, s'appuie dessus et reste sans bouger. L'homme est un peu incliné vers elle, il remue les mains. Il lui parle.
Elle commence à sortir des objets de son sac et les pose par terre. Enfin elle se relève. Elle fait face à l'homme. Elle tient dans ses mains, devant elle,un gros livre noir.
L'homme lui parle.
Elle feuillette rapidement le livre puis le referme et regarde l'homme.
Il la regarde aussi, porte sa main gauche à sa poche, en sort un revolver, le tient braqué sur la femme.
J'entends deux claquements et je ne vois plus la femme ni l'homme.
La foule forme autour d'eux un attroupement compact.

mercredi 3 mars 2010

Brèves rencontres + un livre (exercice proposé par Gilda)

J'aurais bien un petit sujet d'écriture à suggérer mais je ne sais pas trop comment le tourner.

Il s'agirait de rencontres et d'un côté fortuit. Mais avec / à cause de / grâce à / les bouquins. Ceux qu'on a avec soi ou dans la poche ou qu'on est dans un lieu public en train de lire à un moment donné et qui du fait des circonstances vont soudain compter d'une façon particulière, changer le cours des choses, nous condamner ou nous sauver ou simplement être la source d'un quiproquo, d'un gag.

Gilda


mardi 2 mars 2010

Brèves rencontres

Ce matin mardi 2 mars 2010, je prends le bus plus tôt que d'habitude pour aller à la RAMQ (la caisse d'assurance-maladie du Québec) pour faire renouveler nos cartes de sécu, à ma "gang" et à moi.

Le bus 24 est direct, il suffit que je descende au coin de Sherbrooke et Aylmer et que je descende deux rues plus bas, jusqu'au 425 Boulevard De Maisonneuve, et que je prenne mon tour. Quand je monte dans le bus, à trente mètres de chez moi, il est bourré, ce qui est inhabituel : il se remplit en général après que j'y suis monté. Mais la ligne verte est arrêtée ce matin, pour une heure ou deux. Je monte, je me serre parmi les autres voyageurs.

A la station Sherbrooke, les deux tiers descendent pour prendre le métro. Je me dirige vers le fond du véhicule : il y a une place assise et j'ai envie de lire. Une femme d'une trentaine d'années est debout, je lui désigne la place, elle secoue la tête avec un sourire.

Je ne suis pas assis depuis cinq secondes qu'elle s'approche de moi et demande : "VOus êtes Martin Winckler ?" Elle m'explique qu'elle a lu plusieurs de mes livres, qu'elle lisait "Plumes d'Ange" quand je le publiais en ligne sur le site de POL en 2002-2003, qu'elle m'a écrit, que je lui ai répondu, et que j'ai mis son nom dans les remerciements. Elle me le rappelle. Je m'en souviens, mais je ne me souvenais pas qu'elle vivait à Montréal. Elle me demande si j'aime vivre ici. Nous bavardons un moment, je lui dis que je dois descendre au coin d'Aylmer et Sherbrooke et elle dit : "Moi aussi".

Ce n'est rien, juste une rencontre fortuite, mais pendant toute la journée je me suis posé la question : quelle probabilité y a-t-il d'être reconnu, dans le bus, à Montréal, par quelqu'un avec qui j'ai dû échanger quelques messages il y a sept ans... et qui descend au même arrêt que moi. Bon, elle allait bosser, j'allais à la RAMQ.

Nos chemins se sont séparés. Mais c'était bien d'avoir partagé ça, il y a sept ans, et de faire ce tout petit bout de chemin ensemble, ce matin.

(Sourire mi-attendri, mi-ironique)

Comme quoi, on peut construire un monde à partir des expériences les plus simples...
On peut se faire un monde à partir des plus brèves rencontres.
Tant qu'on n'en fait pas une maladie...

M.

lundi 1 mars 2010

Un atelier au mont Saint-Hilaire


Le dernier week-end de février 2010, je me suis joint à un groupe d'étudiants en histoire de l'U de Montréal qui partaient en "reading week-end" dans un chalet de la réserve naturelle Gault, au Mont Saint-Hilaire (à 40 km de Montréal) sur l'initiative de Dominique Deslandres, professeur d'histoire à l'UdeM.

Le but de ces deux ou trois jours était à la fois de rompre avec la vie citadine, mais aussi de passer du temps avec des personnes nouvelles (pour les étudiants, il s'agissait de mieux faire connaissance, aussi, et de passer du temps avec des camarades). Comme une partie du weekend est consacrée aux promenades, l'autre aux jeux et activités de toutes sortes (jeux de société ou de cartes, et le vendredi soir nous avons fait une fameuse partie de "boulettes")... Dominique D. m'avait proposé de venir animer un mini-atelier d'écriture avec ceux et celles qui auraient envie de s'y mettre. 

Après une longue ballade en raquettes entre midi et 15 heures et après un casse-croûte de pain de jambon et de fromage, nous nous sommes donc assis avec des blocs de papier, des stylos et des crayons.


Je n'avais pas passé beaucoup de temps à préparer des exercices, j'ai essayé d'en proposer quatre ou cinq qui permettent une progression, les voici :

- écrire un haïku qui mentionne un élément de la nature ou du corps humain, un sentiment et l'écoulement du temps

- écrire la description d'un livre ou d'un film marquant en dix lignes à l'intention d'une personne à qui le faire lire/voir

- écrire une phrase "marquante", puis passer la phrase au voisin, qui doit ensuite prendre cette phrase comme la première d'un court dialogue, et qui doit le poursuivre (sur cinq phrases de dialogue en tout)

- penser très fort à un souvenir agréable puis le raconter, en 15 minutes, vu par d'autres yeux que les siens (autrement dit, s'il s'agit d'un souvenir auxquels sont mêlées plusieurs personne, choisir le narrateur parmi les autres)

J'en avais d'autres en tête (par exemple : décrire un roman qu'on aimerait lire mais qui n'existe pas ; imaginer un personnage historique, à un moment particulier de son itinéraire, le représenter avec un objet signifiant et décrire son état d'esprit, ses projets, ses aspirations, à ce moment précis ; etc.) mais le travail sur ces quatre courts exercices a pris trois heures, pendant lesquelles une douzaine des participantes (c'étaient toutes des femmes, à une exception près) ont travaillé d'arrache-pied, et pour certaines en luttant contre leurs résistances.

Et la confrontation des textes (que les participants pouvaient lire ou non aux autres, rien n'était imposé) a permis de leur montrer certaines choses dont je suis intimement convaincu : quand on sait lire, on sait écrire ; écrire, c'est un travail, pas un don ; dans un groupe de douze personnes, on peut se sentir proche de la manière dont plusieurs autres personnes écrivent, sans pour autant écrire exactement comme elles ; les thèmes comptent moins que le traitement du thème ; c'est le traitement (le ton, la forme, les mots, le rythme) qui est personnel à chaque écrivant

Ça m'a donné encore plus envie d'animer des ateliers, mais des ateliers de longue durée. Un atelier mensuel où je n'inviterais pas seulement les participants à dénouer leurs bloquages mais aussi à partager et à inventer des outils d'écriture, de lecture, de relecture, de correction, de construction...

Ça m'a aussi donné envie d'écrire une sorte de petit livre/atelier qui s'intitulerait "L'écriture pour tous".

"On écrit avec son désir et je n'en finis pas de désirer" (Roland Barthes)
M.