samedi 31 août 2013

Les filles comme moi - par Mathilde

Mathilde - c'est un pseudo - est une correspondante internaute de longue date. Elle m'a envoyé le texte qui suit et je lui ai tout de suite proposé de le publier. Il vaut la peine d'être lu par beaucoup. Disclosure : Non, l'écrivain dont il est question dans le texte, c'est pas moi... :-) 

MW 

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Je suis assise à côté de toi.
Tu t'es assis à côté de moi. Tu as dit : « Je vais m’asseoir à côté de Mathilde». Chacune le sien, c'est ça ?
La première fois, quelques jours auparavant, tu as parlé de mes yeux. Parce qu'ils sont bleus.
La première fois, c'était la première fois. L'écrivain, c'était toi. Tu ne pouvais pas savoir.
La première fois, je remarque ta prévenance. Ta chaleur est bonne à prendre.
La première fois, heureuse d'être là déjà.
Nous sommes deux femmes à vos côtés. L'une vous connaît. Je suis l'autre.
Mes preuves à faire. Je suis celle qui est avec.
Tu ne tardes pas à parler d'amour, d'amitié. « Mathilde, je t'enverrai un livre. Un livre magnifique ».
Dans ton pays, il fait chaud. On aime et on le dit.
Le cœur qui s'ouvre même si tu m'aimes un peu vite.
M'a-t-il vue ? Quelqu'un me verra-t-il ? Un écrivain en est-il capable ?
La force qui revient, galopant. Un écrivain. Il me regarde.
Les écrivains mentent. Ce n'est pas faute de le savoir. Les écrivains parlent comme leurs livres. Je les ai déjà entendus. Les écrivains écrivent au fur et à mesure qu'ils parlent parce qu'alors les filles comme moi les aiment.
Les écrivains attirent les filles comme moi.
Les écrivains tiennent en leurs mains, en leur bouche, un monde meilleur.
Tes livres sont pleins de cet enchantement qu'il ne faut pas perdre. Tu cries l'amour que tu lui portes, à lui et ses âmes. Je t'écoute. Je ne sais si je peux te croire. Tu parles d'amour trop vite.
Mais les filles comme moi ne demandent qu'à croire. Dans mes yeux bleus doit se lire mon désir de plaire. Encore. L'on n'y voit moins certainement mes espérances et mon dépit.
Tu en vois tellement des filles comme moi. C'est peut-être si simple.
Tu ne me connais pas.
Tu ne sais pas que je réfléchis pendant que tu parles.
Tu n'envisages pas mes doutes alors que tu me demandes si je n'ai pas froid, alors que tu me sers un verre avant même qu'il ne soit vide, que le cendrier est devant moi à peine ai-je commencé à le chercher des yeux.
Tu me fais rire. Tu nous fais rire.
Je suis bien. Tu es intelligent.
Et tu es écrivain.
Le doute se fait silencieux. Je plonge doucement. C'est si bon.
Le vin, l'exception, l'envie de se laisser aller.

La deuxième fois. Quelques jours plus tard. Tu es écrivain. Encore.
Mes yeux sont bleus. Encore. Je les ai pris avec moi.
Entre cette première et cette deuxième fois, l'empreinte a fait son œuvre.
Les filles comme moi pensent beaucoup.
Ton envie de me revoir me porte.
Porteuse de promesse. Peu importe quoi, je me sens devenir prête à tout.
L'audace s'est engouffrée en quelques jours. Tu sens bon. Tu es écrivain.
L'imagination gambade, la crainte murmure. L'inconnu qui fait moins peur.
Un sentiment nouveau. Une revanche sur les trop nombreux autres. Je veux vivre !!!
Le mérite éprouvé après le sacrifice, l'humiliation. Le mérite d'être là, près de toi. L'écrivain.
Toi, tu n'as qu'à me servir, me demander encore et encore si je n'ai pas froid. L'écrivain est serviable. L'écrivain sait vivre. L'écrivain plaît forcément aux femmes.
Tu as dû te dire que j'étais ce genre de filles. Celles qui aiment les écrivains. Qu'il n'était point besoin d'en faire plus. C'était gagné. L'admiration.
J'écoutais, je riais, je fumais, je buvais.
Conquête.
Le lettré a conquis la femme aux yeux bleus.
L'écrivain a trouvé auditoire. Tu ris moins que lors de la première fois. Tu lis. Tu aimes lire.
Les autres que moi ne t'écoutent pas. Ils rient. L'alcool fait son œuvre. Il est tard.
J'écoute parce que je suis polie. Je t'écoute parce que j'ai compris. Parce que les filles comme moi écoutent. On est à peu près certains qu'elle écouteront toujours. Tu le sais, toi. L'écrivain.
Je te regarde souvent. Je te trouve beau. J'imagine que tu pourrais m'embrasser dans le cou et que ça pourrait me plaire.
Vous parlez littérature. Je ne dis rien.
Vous devisez sur sa force, sa place dans le monde, sa place dans les hommes.
Si une fille comme moi n'était pas à votre table, peut-être n'en parleriez-vous pas de la même façon.
Je ne dis rien.
Pourtant.
Je fume, je bois. J'écoute.
Tu es toujours à côté de moi. L'écrivain. Je sais à présent.
Je sais à présent que tu ne me poseras pas la question. Je ne l'attends plus. Des mots affleurent mes lèvres quand vous parlez sans moi. Vous ne savez pas.
Vous ne savez pas. Tu ne sais pas. Toi qui me parles d'amour aussi simplement que je ne le ferai jamais, tu ne me l'as pas demandé.
Je vous regarde parler. Je me regarde. J'admire de loin ma patience, ma faculté à souffrir en souriant.
Tu ne sais pas et tu ne sauras pas. Je devrais ne pas t'écouter lorsque tu lis. Comme les autres. Mais je t'écoute parce que la situation tutoie le ridicule. Personne n'est à l'abri. Les filles comme moi n'aiment pas causer de peine.
Surtout aux écrivains.
J'ai envie de rentrer. Vous nous proposez de rester. Ce serait plus raisonnable. Chez nous, c'est loin.
Non merci.
Tu insistes. Ils insistent.
Je conduirai.
Il aurait peut-être suffi à ce moment-là que tu me le demandes. Pour que je reste. Peu importe ce qui se serait passé. Là n'était pas l'important.
Tu ne me l'as pas demandé.
Vous nous raccompagnez jusqu'à la voiture. Tu m'embrasses très chaleureusement.Tes lèvres s'attardent sur mes joues, tes mains serrent mes épaules.
Oui, je t'écris. Oui, l'écrivain. Je t'écris pour te dire comme je t'aime moi aussi, quelle rencontre extraordinaire fut la nôtre. Je t'écris parce que les filles comme moi écrivent aux écrivains. Je t'écrirai puisque tu le veux. Bien davantage que moi.
J'irai jusqu'au bout de mon rôle.
De l'indulgence. Tu ne sais plus comment il convient de faire.
De l'amertume. Pas tant que ça. Parce que je vais te le dire même si tu ne me l'as pas demandé.
Ce que je fais dans la vie ?

J'écris.

lundi 19 août 2013

Shéhérazade en noir : Edward D. Hoch - par Martin Winckler

à Danièle Grivel et Roland Lacourbe 

J'ai toujours lu des nouvelles policières. Je piquais Hitchcock Magazine à ma mère ; l'un de mes premiers achats fut une anthologie de Bergier et Sternberg intitulée Les chefs-d'œuvre du crime (je l'ai toujours) ; j'ai lu cent fois les Confessions d'Arsène Lupin, Les Mémoires de Sherlock Holmes, les Histoires Mystérieuses d'Isaac Asimov. J'aimais l'exposition rapide, le ton immédiatement perceptible, les personnages bizarres, l'action imprévisible, la chute sèche ou grinçante.

Pour un garçon qui s'escrimait à écrire, la nouvelle était un modèle à suivre, un objectif réaliste, tandis que les voyages extraordinaires de Jules Verne, les anticipations de H.G. Wells et les systèmes d'horlogerie sophistiqués d'Agatha Christie me paraissaient hors d'atteinte. C'est donc en suivant les traces de mes nouvellistes préférés que j'ai commencé à écrire ; à l’adolescence, en Amérique, en même temps que j'apprenais à taper à la machine, j'écrivis plusieurs nouvelles en anglais ; pendant mes études de médecine, un texte de Theodore Sturgeon intitulé "Suicide" fut ma première traduction littéraire ; et mon premier texte de fiction achevé, "Spectacle Permanent", fut accueilli en 1987 par deux nouvellistes chevronnés, Claude Pujade-Renaud et Daniel Zimmermann, dans leur revue Nouvelles Nouvelles.

J'ai, depuis toujours, un faible (c'est peu dire) pour un genre particulier : le "crime impossible" et en particulier l'énigme en chambre close. En 1985 et 1988, l'anthologiste, écrivain et critique Roland Lacourbe publie deux anthologies sur ce thème - les premières d'une longue série. Je serai un de ses fidèles lecteurs et - plus tard, son correspondant, son ami et le traducteur de quelques textes pour ses recueils. Parmi tous les auteurs qu'il m'a fait découvrir, le plus marquant, le plus attachant se nomme Edward D. Hoch. Ses nouvelles sont souvent très courtes, son style sec et efficace, ses constructions diaboliques, son intelligence et son humour noir délectables. Presque exclusivement nouvelliste, Hoch avait pour spécialité le crime impossible, sous toutes ses formes : assassinat dans une pièce close ou inaccessible, défenestration d'un PDG qui met quatre heures pour tomber du vingt-et-unième étage, strangulation d'un parachutiste au cours d'un saut en solo. Il avait aussi le don de créer des personnages hauts en couleur : Nick Velvet, le cambrioleur qui dérobe, sur commande, des choses apparemment absurdes – le tigre d'un zoo, l'eau d'une piscine, une toile d'araignée, le journal de la veille … ou la poussière d’une pièce vide ; Simon Ark, le prêtre copte âgé de 2000 ans qui enquête sur des événements en apparence surnaturels ; Jeffery Rand, l'agent secret spécialiste des codes secrets ; Ben Snow, détective au temps de la conquête de l'Ouest. Parfois, au détour d'une nouvelle, ses personnages se rencontrent…

J'ai une affection particulière pour le capitaine Leopold, officier de police désabusé qui, dans une ville sans nom du Connecticut, se penche sur des crimes d'apparence banale. Hoch n'est jamais simpliste, et ces histoires sont toutes d'une grande finesse psychologique et imprégnées d'une profonde humanité. J'ai trouvé la même humanité, mêlée de désespoir, dans deux recueils de ses nouvelles noires, inédits en France, The Night My Friend et People of the Night. Hoch s'y montre l'égal discret mais puissant d'un William Irish ou d'un James M. Cain.

Le personnage d'Ed Hoch qui m'est le plus proche, ça ne surprendra personne, est un médecin de campagne, Sam Hawthorne, qui vit à Northmont, bourgade imaginaire de Nouvelle-Angleterre. Le charme de ses enquêtes de détective amateur réside bien sûr dans leur cadre (les victimes et les assassins sont ses patients et ses voisins) mais découle aussi de leur déclinaison en chronique : la première des soixante-douze enquêtes du bon docteur se déroule en 1922, année de son installation ; la dernière en octobre 1944. Toutes ont pour trame de fond des faits historiques et sont racontées au coin du feu par le vieux praticien, un verre de brandy à la main, à un auditeur anonyme qui pourrait être vous ou moi.

Intelligent, chaleureux, concis, précis et toujours surprenant, Hoch était considéré comme un "grand maître" par les auteurs, amateurs et critiques du genre. Mais il reste un écrivain rare. Une dizaine de recueils sont disponibles en langue anglaise ; sans Roland Lacourbe qui l'accueillit dans toutes ses anthologies, et rassembla quinze nouvelles dans Les Chambres closes du Dr Hawthorne (Rivages), il serait resté ignoré en France. Malgré cela, des deux côtés de l'Atlantique, son œuvre discrète mais impressionnante reste en grande partie méconnue. Il détient un record : celui d'avoir vu figurer chaque mois, pendant trente-cinq ans (de 1973 à 2008, année de sa mort), un texte inédit au sommaire de l'Ellery Queen's Mystery Magazine et publia de son vivant neuf cent cinquante nouvelles. Je ne pourrai jamais les lire toutes, et j'en suis heureux : tant que je vivrai, j'aurai ses presque mille et une nuits noires à découvrir.



Rivages rééditent Les Chambres closes du Dr Hawthorne au format de poche. Lisez-les, vous m'en direz des nouvelles ! 

NB : Ce texte a paru dans les pages du Monde à l'été 2012