dimanche 17 octobre 2010

Débuts de romans, 4 - par Thomas L. (Exercice n°15)


Les gueulements du chat emplissaient le palier du quatrième étage, aussi efficacement au moins que l’odeur de pourriture qui faisait comme une mélasse à respirer. Les gars enfoncèrent la porte. Tableau classique. Le vieux couple incurique, c’est le moins qu’on puisse dire. Le mari rongé par les vers sur le sofa du salon, il avait dû y passer en premier. La femme dans la chambre à coucher, sur le lit, rongée par le chat, elle. C’est comme ça qu’il avait survécu, le matou, en boulottant une oreille par ci, un orteil par là, lorsqu’elle avait cessé de le nourrir, pour raison impérieuse comme on le voit. Mais les lieux étaient à l’abandon depuis bien plus longtemps que ça, il suffisait de regarder les dates sur les tickets de ciné qui trainaient un peu partout, ou sur le paquet de farine éventré dans les chiottes, plein de vers lui aussi. Le mari, Alzheimer, d’après le concierge, et la femme commençait à perdre la boule aussi, à force de porter son bonhomme à bout de bras depuis des années. Ces deux-là, ça faisait déjà un bon bout de temps qu’ils se croisaient sans se voir. L’odeur, ça m’a jamais dérangé, mais le chat faisait peine à voir. J’ai laissé les gars du labo bosser, et je suis descendu prendre un café au bistro pelotonné en bas du gratte-ciel.


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Il faut que tu saches comment les évènements se sont produits, de quels endroits et de quels temps sont venus les étrangers qui ont bouleversé ta vie. Je te dois cette lettre. Je ne voulais pas t’impliquer dans tout ça, mais je ne pouvais pas prévoir que ton chat dénicherait le Cube au fond de ton fournil, derrière les sacs de farine. Je n’avais pas eu le temps de trouver une meilleure cachette. Le mauvais sort s’en est mêlé : au moment où tu apportais le Cube à l’Ancien, la capitaine sortait de la Zone avec sa compagnie, à une rue de toi à peine, en direction des gratte-ciel effondrés qui forment comme des dents à l’horizon. Aurait-elle vu ce que tu tenais entre tes mains que tout le reste t’aurait été épargné. L’Ancien ne t’aurait pas délivré ce laisser-passer pour les Vieux tunnels, avec mission d’amener l’objet opalescent et étrangement pesant au Conseil. C’est vrai, il aurait dû faire rappeler la capitaine, mais après les troubles du mois précédent, comment lui en vouloir de sa méfiance ?


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La vieille trottinait sur le trottoir, son cabas à la remorque. Il ne contenait guère qu’un paquet de farine et un paquet de croquettes pour son minet, mais, hé !, les choses sont lourdes à cet âge. Et les distances sont longues, c’est pourquoi elle farfouilla dans son sac à la recherche d’un ticket, et fit signe au conducteur du bus qui approchait. La marche du véhicule n’était pas bien haute, mais les marches prennent de la hauteur lorsqu’on a trop de décennies de trottinement dans les jambes. Toute empêtrée à hisser le cabas, la vieille ne fit pas attention au jeune homme qui descendait du bus - sans l’aider ! - et lui ne porta pas davantage attention à la vieille, car on n’a pas le temps de poser son regard sur les ancêtres lorsqu’on est un jeune trader en uniforme, engoncé dans un costume sur mesure malcommode, la gorge nouée dans une cravate serrée de près, en qu’on est en retard pour une nouvelle longue journée dans les bureaux climatisés d’un gratte-ciel quelconque. C’est dommage qu’ils ne se soient pas vus, reconnus. Cette histoire familiale aurait - peut-être, mais le sort est rarement tendre avec les histoires familiales - connu une conclusion plus heureuse.
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