jeudi 15 décembre 2022

"Lequel de vos livres me recommandez-vous ? "

(Autun, juillet 2018) 


Il m'arrive régulièrement, comme à beaucoup d'autrices, de signer dans des librairies. Souvent, c'est après une rencontre. Parfois, entre deux lectrices qui ont eu vent de ma présence et avec qui je bavarde, je vois s'approcher une personne qui ne me connaît pas, ou qui a (vaguement) entendu parler d'un de mes livres. Et parfois, la conversation l'a intriguée, elle veut en savoir plus. Et la question qui lui vient, souvent, est la suivante : "Je n'ai encore rien lu de vous. Lequel de vos livres me recommandez-vous ?" 

Pendant longtemps, j'ai réagi en disant quelque chose comme : "Je les aime tous mais... qu'est-ce que vous aimez lire ?" et en leur décrivant rapidement l'histoire de chaque roman posé sur la table. 

Il y a quelques jours, j'ai reçu deux messages à quelques heures d'intervalle. L'un me disait : "Je désire offrir Le Choeur des femmes à ma fille qui a treize ans. Pensez-vous qu'elle puisse le lire, et voulez-vous lui faire une dédicace ?" 

J'ai répondu oui aux deux questions et j'ai confectionné une dédicace sur un marque-pages, que j'ai glissé dans une enveloppe et lui ai envoyée. (Oui, il m'arrive de faire ça...) 



Le second message disait : "Je voudrais offrir l'un de vos livres à une de mes amies, mais comme je les aime tous, je ne sais pas lequel choisir. Que me conseillez-vous ?" 

J'ai longuement réfléchi, et je lui ai répondu ceci : 

"Vous seriez en droit de lui offrir n'importe lequel de mes livres qui vous ont plu et que vous aimeriez partager. Et je suis sûre que votre choix serait parfait pour elle. 

Mais puisque vous me demandez mon avis, le voici : offrez-lui celui qui vient de paraître, Franz en Amérique. J'ai passé deux ans à l'écrire, il m'est très cher et je suis triste que ce livre passe inaperçu. Il aborde tous les thèmes que j'ai abordés dans les précédents, et bien d'autres. Et j'ai beaucoup travaillé pour en faire à la fois un roman d'aventures, un roman d'amour, un roman d'initiation, un roman historique, un récit de voyage et quelques autres trucs encore. C'est un gros livre, mais d'après ce que ses premières lectrices m'ont dit, on ne s'y ennuie pas et on n'a pas envie de le terminer.  Et il est relié (par les personnages, la ville, la narration) à plusieurs de mes autres romans. Si votre amie l'aime, j'espère qu'elle aura envie d'en lire d'autres. (Et si vous voulez pour elle une dédicace à insérer dans le bouquin, je vous l'enverrai volontiers.) 

Ce qui est valable pour moi l'est tout autant pour les autres écrivantes. 

Il y a beaucoup de raisons d'offrir le dernier livre en date d'une autrice. D'abord, celles que j'ai énoncées ci-dessus : on vient de travailler très fort à écrire un livre dans lequel on a beaucoup mis de soi. On a envie de le partager avec le plus grand nombre de personnes possible. Mais si l'on n'est pas l'une des habituées de la rentrée littéraire, ou abonnée aux gros tirages, il y a peu de chances que la presse parle de notre livre. Sa vie dépend alors de deux groupes de personnes : les libraires et les lectrices. Ce sont elles qui le font circuler. 

Il y a une autre raison, qui n'est pas anecdotique.

Un jour, un journaliste et critique français demandait au cinéaste John Ford si pour lui tourner des films était une activité artistique ou commerciale. Et Ford a répondu : "Je ne sais pas si mes films sont artistiques, mais j'espère que le public ira les voir. Parce que c'est le public du dernier film en date qui permet au suivant de se tourner." 

En ce qui me concerne, je n'écris pas pour qu'on parle de moi dans les journaux ou qu'on me montre à la télé. J'ai eu la chance que ça m'arrive, et j'en suis reconnaissant aux personnes qui l'ont favorisé, mais ce n'est pas pour ça que j'écris. J'écris pour trois raisons : pour exprimer ce que je pense et ressens ; pour partager ce que je sais ou crois savoir ; pour gagner ma vie et écrire le livre suivant. Et c'est le cas de l'immense majorité des personnes qui écrivent. 

A un journaliste qui lui demandait s'il publiait pour la postérité, Paul Otchakovsky-Laurens, à qui je dois d'être devenu un écrivain publié, répondait en substance : "Je me fous de la postérité. Je publie des livres aujourd'hui pour que les écrivains rencontrent leur public aujourd'hui. La postérité, ça ne nourrit personne." 

Alors, c'est important pour une autrice, que le public s'intéresse à son dernier livre en date. (Même s'il n'est pas interdit de (s)'offrir les livres précédents...) 

Donc, si vous avez envie d'offrir le livre d'une de vos autrices préférées à une amie, offrez lui son dernier livre en date. Les fêtes approchent, et si vous en avez les moyens, c'est un plus beau cadeau qu'un livre de poche. 

Certes, c'est un risque : vous ne l'avez peut être pas lu, ou vous ne savez pas s'il lui plaira. Mais la vie c'est risqué. Mais si vous aimez cette autrice, faites-lui confiance, et donnez sa chance à son dernier livre en date. Et donnez à vos amies la chance de découvrir un livre tout neuf, un pays encore inexploré. 

Bonne fin d'année, et bonne année nouvelle à toutes et à tous. 

Et bonnes lectures. 

Martin Winckler



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