mercredi 17 mars 2010

Brève rencontre + 1 livre, 8 - par Lyjazz


Je lui écrivais des lettres longues et documentées, de ma plus belle/mauvaise écriture.
Nous attendions toutes les deux nos missives avec excitation. Amitié, sous le signe de la connaissance littéraire.

Son style nourri de classicisme, sa vie parisienne très culturelle, m'ouvraient des perspectives, inédites depuis le fin fond de ma campagne.

Je crois que mon élocution brute et sauvage, mes références autodidactes et pétries de l'amitié des bars, des bals de jeunes où tout le monde boit, avaient l'heur de lui plaire. Par contraste sans doute.

Et pourtant nous nous étions rencontrées sur un point commun : notre amour de l'écriture, notre bac littéraire (A4 à ce moment-là).

Nous étions partis depuis une semaine ou deux d'Annecy, après une première nuit tous ensemble sous les tentes et une baignade dans le lac pour vérifier que nous savions tous nager. Le bus nous avaient fait passer sous le tunnel du Montblanc au lever du soleil et je ne dormais pas, bercée par Logical Song de Supertramp que diffusait la radio (non non, pas de walkman ni de mp3 à cette époque !). Je voulais profiter de chaque seconde de ce voyage, de ce camp d'adolescent itinérant en Italie, et le sommeil était accessoire.

Excitation. Elan de vie.

Le voyage était un peu lent, empêtré dans des km de bus (pas climatisé, vous pensez bien !), des problèmes de personnes entre les animateurs, un vol d'argent, un accident et un rapatriement sanitaire, l'oubli d'une fille sur une aire d'autoroute, la nuit en haut du Stromboli, sans aucune organisation, des mauvais choix. Je me sentais souvent plus mûre que les animateurs. Et Christine aussi.

Je venais de quitter mon amoureux, lui promettant d'écrire. Ce que je faisais tous les jours, en bus, sur la plage, le jour, la nuit. Passant pour une hurluberlue ou je ne sais quoi d'autre, mais je m'en moquais.

A Naples, après plusieurs jours d'attente à cause d'une grève, des nuits à dormir dans une décharge, nous avons pris le bateau pour Messine. Le ciel était superbe, d'orage et de lumières derrière les nuages. 90% des personnes vomissaient. J'étais sur le pont, bras écartés. Je faisais partie des éléments.

Je me souviens de notre arrivée sur l'île de Lipari. Du débarquement du bateau, des sacs à porter, du peu d'aide reçue de la part du groupe. Aucun esprit d'équipe. Que des individualités et des jeunes très jeunes (15 à 17 ans mais peu de 17).

Christine et moi avons démarré notre amitié aussi parce que nous avions 17 ans ½ et que nous étions plus responsables que les autres.

Discussions sans fin. Tentatives d'approches des garçons du coin.

Peu de nourriture parce que peu d'argent : pain, pastèques, pêches, fromage, pizzas parfois. Beaucoup de gelati payées de nos poches et qui nous maintenaient en-dessous de la sensation de faim. Nous vivions d'autre chose. Des rencontres avec les autochtones, de la mer, du soleil, des nuits à la belle étoile et des paysages gravés dans mon esprit. Sable noir volcanique. Plage de pierre ponce.

J'avais dans mon sac L'oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar. Que l'on dirait peu apte à se lire écrasé sous le soleil de l'Italie du sud, mais qui s'adapte partout en fait.
Longtemps je l'ai relu une fois par an. En l'honneur de notre amitié épistolaire qui a duré plus de 10 ans.