mardi 30 novembre 2010

La vie en brève, 3 - par Kate Bonobo (Ex. n° 16)


Oyez, Oyez, avis à la population, Benoît XVI est mort !

Lui qui jadis criait « Sus à la copulation encapuchonnée ! » a subi la flagellation sur la Place Saint Pierre pour avoir autorisé l’usage du préservatif aux prostitué(e)s sidaïques.

Dieu n’était pas d’accord, la communauté ecclésiastique en a convenu. Elle a donc jugé le Souverain Pontife pour incitation à la débauche et a chargé un cardinal revêtu d’une auréole de sainteté, certifiée par les autorités cléricales, de lui infliger la sanction divine.

Par les mains du bourreau, le Saint Esprit a encore frappé. L’ordalie est sans appel : il était bien coupable, n’ayant pas survécu.

Benoît, nous implorons Dieu qu’il te fasse rôtir en enfer. Pardonner tes paroles licencieuses s’avèrerait pour lui difficile, à moins de se compromettre devant tous ses saints, ce qui ne ferait pas très sérieux.

Le Pape est mort ! Vive le Pape ! Celui qui lui succèdera devrait être encore plus con que le précédent. Amen.

samedi 27 novembre 2010

La vie en brève, 2 - par Julie (Ex. n°16)



Zénobie Maindefer est morte ce matin à l'âge vénérable de 88 ans. 88, ça fait tout de même plus net que 87 ou 89. On reconnaît bien là son amour déraisonnable de l'ordre, aussi bien matériel que moral, qui l'avait bien jeune détournée d'éventuelles envies de copulation - dont on n'a jamais décelé aucune trace chez elle, même pendant les poussées hormonales de l'adolescence. A cet âge tendre, elle se vouait déjà à rendre l'intérieur familial impeccable, maniant le balai et la Bible avec une ardeur qui confinait à l'auto-flagellation. L'observateur attentif aurait pu remarquer avec une certaine gêne qu'elle en tirait quelque chose de l'ordre du plaisir, mais les voies des grenouilles de bénitier sont impénétrables, surtout quand elles sont comme Zénobie restées vieilles filles, et fières de n'avoir pas contribué à la croissance "infernale" de la population mondiale. Qu'elle retourne donc à la poussière... si toutefois il en reste.

Julie

jeudi 25 novembre 2010

Suicide du Salon du roman - Par Bruno De La Vega (Ex. n°16, 1)


SUICIDE DU SALON DU ROMAN

Le salon du roman est mort, samedi soir en région parisienne.
La rédaction du journal et l’auteur de ces lignes sont bien sûr effondrés et présentent leurs condoléances à la famille de la grande littérature.
Les circonstances qui entourent cette disparition sont tragiques, mais nous ne pouvons écrire ici que rien ne laissait prévoir cette fin. En effet, nous avions rencontré le salon du roman quelques jours avant son geste funeste. Il s’était confié à nous et son ton était quelque peu déprimé : « Vous savez, il en faut de l’énergie pour continuer à me tenir, comme cela, droit dans mes bottes, tous les ans. Alors que, je peux bien vous le dire, j’en ai plus qu’assez de cette population d’auteurs, qui ne pensent qu’à venir chez moi, pour se distraire, passer un week-end de loisirs, à picoler, à s’empiffrer aux frais de la princesse, à assouvir leur besoin de copulation, prétextant me présenter leur dernier ouvrage, la plupart du temps, un livre écrit à la va-vite, de mauvais genre, noir, humoristique ou pire des deux. Je sais bien que c’est de ma faute, que j’aurais du être plus vigilant et ne permettre que la venue de vrais Livres de Littérature, avec deux grand L » 
Nous ne pensions pas que cette auto flagellation était prémonitoire d’une disparition prématurée…mais chaque fois que nous lirons un livre de grande littérature, que les auteurs de mauvais genre osent parfois qualifier de poussiéreux, voire d’ennuyeux, nous aurons une pensée émue pour notre salon disparu.

Bruno De La Vega

lundi 22 novembre 2010

La vie en brève (Exercice d'écriture n°16)

Ecrire la notice nécrologique
D'une personne de votre choix
En exactement quatorze lignes de 70 signes et espaces maximum (donc 980 signes maxi au total)
Ton : de préférence humoristique (voire caustique)
En utilisant les mots "copulation", "flagellation" et "population" au moins une fois


Publication au fur et à mesure de la réception, comme d'habitude.
A vos claviers !
Mar(c)tin

mercredi 17 novembre 2010

"Comment écrivez vous ? "- Des questions en vrac (Ficelles et chapeaux-claques, 7)


·       Connaissez-vous vos personnages ? Je veux dire, est-ce que vous vous inspirez toujours de personnes que vous connaissez ou bien les créez-vous de toutes pieces ? Physiquement les visualisez- vous ?


Ca dépend. Je ne suis pas très bon pour décrire (les gens ou les choses) alors j’ai besoin de modèles. Donc, je m’inspire souvent de personnes que je connais, mais ça ne se voit pas nécessairement, car je ne les décris pas (ou alors, très vaguement). Mais j’ai leur visage en tête, et c’est ça qui m’aide à écrire. Cela dit, une fois qu’ils sont « mis en scène », ils cessent d’être les sosies des personnes vivantes. D’ailleurs, d’un point de vue général, je n’aime pas l’idée que mes amis se « reconnaissent » (à tort) dans mes personnages. Alors de deux choses l’une : ou bien ils sont une caricature (comme le redoutable Maire Esterhazy, petit homme caractériel et mégalomane dans la Trilogie Twain) et tout le monde peut voir de qui il s’agit ; ou bien ce sont des personnages composites et les reconnaissances sont souvent trompeuses. Par exemple, on pense que Bruno Sachs ou Franz Karma, c’est moi, mais je les ai imaginés avec le visage d’un de mes amis de fac, Olivier M. pour l’un, et le visage de mon père pour l’autre. Donc, quand je les écris, je ne pense pas du tout à moi. Ce que j’aime faire aussi, c’est suggérer que mes personnages ressemblent à des comédiens que j’aime bien. Ainsi, Aline, la secrétaire de l’Unité 77 dans le Chœur des femmes  ressemble à  Abby Sciutto, la « lab tech » de la série NCIS. Avec dix ans de plus…
Ensuite, s’il s’agit de dire que je les « connais », non, pas vraiment. Ils ont toujours quelque chose à m’apprendre. Dans mon esprit, mes personnages se définissent par leur comportement, et non par une sorte de contenu psychologique que j’aurais prédéfini.



·       Choisissez-vous d’écrire sur un thème en particulier ou les thèmes que vous abordez s’imposent-ils comme des evidences ?

Je n’écris jamais « par thèmes ». Je ne connais le thème de mes romans qu’une fois qu’ils sont publiés et qu’on (les lecteurs, parfois quelques critiques) en parle. De toute manière, je pense que j’ai des thèmes généraux récurrents : les abus de pouvoirs liés à la médecine, les relations amoureuses et familiales, le partage du savoir… Donc, les thèmes, ils sortent toujours. Quand je me mets à écrire, c’est parce que j’ai une histoire à raconter (d’abord) puis une forme pour la raconter (ça peut être assez long à définir). Et là, je me mets au boulot, en sachant à peu près où je vais, mais sans savoir toujours très bien par où je vais passer. Mais une fois que j’ai mon histoire et ma forme, je ne me pose plus de questions, j’avance. En ce moment, je n’avance pas sur mon prochain roman, parce que je ne sais pas exactement quelle histoire je vais raconter ni sous quelle forme. Jusqu’ici j’avais des histoires simples (et la forme me permettait de les rendre plus complexes, plus étoffées) mais cette fois-ci, j’ai une histoire compliquée, et j’aimerais que la forme soit en accord. Alors, je tâtonne.


·       Comment écrivez-vous ? Le matin ? Le soir ? En silence ? En musique ? Avec le bruit des gens qui passent ?

J’ai toujours écrit empêché, depuis que je suis gamin. Ma chambre était un hall de gare (il y avait trois portes, tout le monde passait par chez moi pour traverser l’étage). Et depuis que je suis adulte, j’ai passé le plus clair de mon temps à travailler sur un bureau installé dans mes chambres successives, parfois (en 1993-94, en particulier) avec des bébés dans un lit juste derrière moi, ou sur les genoux - et c’est parfois acrobatique, vu la propension qu’ils ont à foutre leurs menottes couvertes de beurre et de confiture sur le clavier… Je peux écrire en silence ou en musique (mais pas de la chanson, plutôt un trio de jazz, Bill Evans de préférence). Je peux écrire avec des gens dans la pièce (à condition qu’ils ne m’adressent pas la parole, le fait qu’ils parlent ne me gêne pas). J’écris mieux le soir que le matin, sauf quand je suis dans un roman, alors là j’écris jusqu’à pas d’heure et je me lève dès que je me réveille et je suis capable de m’y remettre. Mais globalement je suis plutôt quelqu’un du soir et de la nuit que du matin.


·       Etiez-vous sur depuis le départ que vous seriez ecrivain ? Ou avez-vous été saisi parfois du doute de ne pas réussir a vous faire publier ?


Je sais que j’ai eu très tôt envie d’écrire des livres et « être écrivain », pour moi, c’était ça : aligner les bouquins. C’est ma rencontre avec les écrivains américains de SF (Asimov, Sturgeon, Sheckley, Bester) qui m’a fait comprendre que c’était un métier et qu’on pouvait gagner sa vie avec. En France, il était plutôt sous-entendu qu’on ne pouvait être écrivain que si on avait d’emblée un talent tellement impressionnant que toute la galaxie allait le savoir. Comme personne ne me disait rien de tel, je pensais que je me faisais des idées.
Avant d’être publié pour la première fois, bien sûr, j’ai douté de la possibilité que ça m’arrive. Après le premier livre, j’ai moins douté, mais je n’ai jamais pensé qu’une publication était assurée ou que mes livres allaient toujours plaire. Le dernier roman que j’ai écrit, Les Invisibles, qui sortira en mai 2011, est différent des précédents. C’est un roman policier, mais la narration est très particulière pour moi : il n’y a qu’un seul narrateur, et c’est un homme. Ça ne m’était pas arrivé. Je me suis demandé si les éditrices qui s’occupent de moi au Fleuve allaient aimer, et si c’était intéressant. Je pensais que non, qu’elles me diraient : « Ca ne nous plaît pas. » Et j’étais étonné qu’elles me disent le contraire. Le doute ne disparaît jamais, je pense, sauf quand on est boursouflé d’une très grande vanité.


·       Ecrivez vous des histoires pour plaire ? – Je veux dire, choisissez-vous les sujets de vos romans en ayant dans la tête son « positionnement marketing » (l’expression n’est pas belle pour parler de livres mais enfin…)

Je mentirais en disant que je n’espère pas que mes livres vont se vendre, bien sûr, mais je n’ai plus de complexe à ce sujet parce que je me souviens qu’on avait posé à Howard Hawks (probablement le cinéaste américain que j’aime le plus) la question de savoir s’il faisait des films artistiques ou commerciaux. Et il avait répondu : « Je serais stupide de faire un film en ne voulant pas que les spectateurs aillent le voir. Mais je pense que quand on fait un bon film avec de bons acteurs et une équipe qui a du talent, ça se voit et ça s’apprécie. » Enfin, à peu près. Je le cite de mémoire et je ne peux pas vous dire où j’ai lu ça. Toujours est-il que Hawks (comme Ford, d’ailleurs) s’était très vite affranchi des studios et produisait ses propres films. Alors bien sûr, il voulait qu’ils aient du succès. Parce qu’il savait que le succès commercial, pour lui, c’était la liberté. Mais s’il était indépendant, c’est précisément parce qu’il voulait tourner les films qu’il voulait tourner, et non être l’exécutant d’un studio qui lui aurait confié seulement les films desquels ils espéraient de grosses recettes.
Donc, en ce qui me concerne, bien sûr, j’espère que mes livres vont être très lus (et donc, se vendre beaucoup). Mais je serais incapable de dire quel est leur « positionnement marketing ». J’écris d’abord pour raconter une histoire que je n’ai lue nulle part ailleurs (du moins, sous cette forme). Je fabrique un objet-livre que j’ai envie de pouvoir lire avec plaisir. Et je fais mon possible pour que ce livre plaise au lecteur que je sais être. Par conséquent, j’écris pour ce lecteur-là (et ceux qui lui ressemblent). J’ai la chance qu’il y en ait beaucoup dans ce genre.


·       Quels conseils donneriez-vous aux gens comme nous ? – a part écrire et lire.

Je suis comme vous, donc je n’ai pas de conseils à donner autres que ceux-là : lire beaucoup et écrire beaucoup et saisir toutes les occasions d’écrire, partout où on peut. Une des participantes à ce blog, Elise D., m’a envoyé un texte l’an dernier. C’était le premier texte qu’elle écrivait depuis de nombreuses années, alors qu’elle avait beaucoup écrit pendant son adolescence. Et ça a déclenché chez elle le désir de reprendre. Elle a mis un blog sur pied « Penser avant d’ouvrir la bouche » et comme ça marchait bien, elle a proposé d’en faire un livre à un éditeur de Montréal, qui en voyant le blog a dit oui. Et là, elle bosse sur son bouquin (c’est un livre sur le végétarisme, pas un roman). Il y a un an, elle n’aurait jamais imaginé qu’elle ferait ça. Et tout ce qu’elle a fait c’est lire (beaucoup) et se remettre à écrire.


       Par qui est-il bon de se faire relire ?

Je commence par les personnes à qui (à mon humble avis) il n’est PAS BON DU TOUT de donner nos textes à lire tant qu’ils ne sont pas terminés : les membres de sa famille (parents, frères, soeurs, cousins, cousines, etc.) ; les amis proches ou intimes ; les collègues de travail ; les gens dont on veut devenir l’ami ; les écrivains professionnels ; les profs qu’on aime bien et qui sont des écrivains frustrés…

Dans l’entourage proche, le conjoint est un cas à part.
Personnellement, j’ai toujours donné mes textes à lire à ma compagne, MPJ, et je m’en suis toujours félicité parce qu’elle est à la fois une très bonne lectrice (si elle rit, si elle pleure, si elle tourne les pages très vite, je sais que j’ai réussi à faire ce que je voulais) et aussi parce qu’elle sait désigner, sans complaisance ni malice, les défauts que j’ai laissés passer. Mais je pense que la relation qui nous lie est exceptionnelle. 

Alors je ne suis pas sûr qu’il soit de règle que le compagnon ou la compagne d’un(e) écrivain(e) soit un bon lecteur ou une bonne lectrice. Ça dépend vraiment de la personne et de la relation qu’on a établie avec elle. Autrement dit : c'est indépendant du fait qu'on écrit ou non. 

Mais il faut une indépendance intellectuelle hors du commun et une relation très sereine pour ne pas être tenté(e) de lire sans arrêt dans les textes d’un écrivain une transposition de sa vie et ne pas en être atteint(e) quand on est très proche de l’auteur (ou quand on se sent proche de lui). 

Les amis, en particulier, peuvent avoir des réactions surprenantes. Lorsque j’ai écrit mon premier roman, une fois terminé, je l’ai fait lire à un ami très proche, dont je pensais qu’il serait sensible à ce que j’avais écrit. Sa réaction – très négative – m’a totalement surpris. Comme quoi…

Je pense également qu’il est hautement risqué de faire lire ce qu’on écrit à une personne avec qui on aimerait avoir une relation intime, ou avec qui on ne sait pas exactement sur quel pied danser. Bien sûr, lui donner à lire ce qu’on écrit peut avoir un effet extrêmement positif (si c’est ressenti comme une sincérité) mais parfois aussi très négatif (ça peut être ressenti comme une intrusion dans les sentiments de l’autre, ou ça peut donner un levier à quelqu'un qui désire vous manipuler - et Dieu sait qu'on ne sait jamais qui veut nous manipuler, et Dieu sait qu'on ne se fait jamais manipuler aussi bien que par le biais de ce qu'on chérit le plus au monde). 

L’aptitude à commenter sereinement ce qu’un ou une autre a écrit est proportionnelle au respect qu'on peut avoir pour l'écriture et pour l'auteur(e), proportionnelle à l'honnêteté intellectuelle que l'on est capable d'avoir, et inversement proportionnelle à la frustration propre qu’on peut éprouver à (ne pas) écrire . C’est pour ça entre autres que je ne lis pas les manuscrits et que je préfère ne pas en recevoir. Il faut que je sois particulièrement détaché de mes propres préoccupations d’écrivain pour lire la prose d’autrui sans m’énerver… 

En ce moment, je suis en train de lire un livre par obligation, et ce livre ne me plaît pas. Je le trouve superficiel, je n’arrive pas à le saisir. Sans pour autant savoir s’il s’agit du style, du contenu, des deux ou de ma propre frustration à ne pas pouvoir écrire « à la hache » en ce moment. Alors, je me méfie de ma lecture, je cherche les points positifs, j’essaie de voir ce que je ne vois pas, car je suis sûr que c’est un très bon livre, mais je n’arrive pas à voir en quoi, et ça m’embête, car ça voudrait dire alors que je ne suis pas un bon lecteur…

Bon, mais tout ça ne nous dit pas à qui faire lire…

Il est rare, en France, de trouver des gens qui relisent de manière dépassionnée, technique, intelligente et aidante. Le plus souvent, ceux qui existent (et n’ont pas d’ego ou de désir rentré d’écrire) travaillent dans les maisons d’édition. Donc, les meilleures personnes pour relire un manuscrit, pour en voir le potentiel et pour aider l’écrivain à le (re)travailler, c’est un éditeur ou une éditrice. Chevronné(e) de préférence.

Pour ma part, j’ai eu la chance de pouvoir faire lire mon premier roman à trois personnes qui avaient toutes les qualités requises, et qui n’étaient pas éditeurs/trices. C’étaient trois écrivains, qui portaient sur mon travail un regard bienveillant mais pas du tout complaisant. Ils (deux hommes et une femme) avaient leurs propres préoccupations mais étaient aussi dotés d’une distance (et d’un humour) qui leur ont permis de me lire le crayon à la main, sans se transformer en profs castrateurs ni tomber dans la dithyrambe bêtasse.

Et ils m’ont bien fait comprendre qu’ils préféraient ne pas me donner d’avis sur un travail inachevé.

C’est pour ça que je conseille toujours de finir un manuscrit avant de le donner à lire. On ne peut rien dire d’un fragment. A la rigueur des trois premiers chapitres ou des cinquante premières pages (mais qu’est-ce qu’on peut dire en dehors de : « J’aimerais lire la suite » ou « Je me suis ennuyé » ?) mais pas de quelques pages, à moins de tomber sur un(e) écrivant(e) dont les textes sont impressionnants par leur ton, leur rythme, leur mouvement, même en quelques pages. Et je dois dire, à ma grande joie, que ça m’est arrivé à plusieurs reprises depuis que ce blog existe. Il y a parmi les participant(e)s à ce blog des personnes dont les textes m’ont coupé le souffle. Mais c’est une opinion purement personnelle, pas un jugement absolu, alors généralement, j’essaie de ne pas être trop dithyrambique mais d’être encourageant, et surtout j’invite à ne pas m’envoyer de manuscrit, même si je ne déteste pas lire de très bons textes de une à trois pages.

·       Vous imposez-vous un nombre de pages/chapitres à écrire par jour ?

Non, je ne m’impose jamais rien. Parfois je sais que je dois rendre un texte à telle date, alors c’est le délai qui m’impose de m’asseoir et d’écrire pour rendre mon travail à l’heure. Mais je n’ai pas besoin de me dire « tant de pages aujourd’hui ». Je me débrouille pour le faire à temps, avec des ajustements si je suis en retard, mais le plus souvent minimes (un mois pour un roman, quelques jours pour un article). La seule chose que je m’impose, c’est de respecter les délais. Ça m’aide à travailler d’ailleurs : quand Paul me dit que pour insérer un de mes livres correctement dans le planning de publications, il faudrait qu’il l’ait à telle date, je me donne la date en question pour finir. En sachant que si je ne le fais pas, eh bien le bouquin paraîtra six mois plus tard, et voilà tout… 


·       Notez-vous les anecdotes du quotidien pour les réutiliser ?

Non, pas vraiment. Il m’arrive de transcrire des histoires du quotidien dans l’un de mes journaux ; il m’arrive aussi de recourir à une anecdote du quotidien dans un de mes livres, mais je ne note pas pour réutiliser. Ce que je note pour réutiliser, ce sont plutôt des réflexions, des paroles, des listes de mots ou de phrases qui me servent à organiser ce que j’ai pensé en lisant autre chose, par exemple. Mais c’est le fait de noter qui est important en soi, pas la note elle-même puisqu’il m’arrive souvent de ne même pas relire mes notes pour un projet, et de les retrouver une fois le livre publié et de me dire « Ah, c’est marrant, j’avais écrit ça… »


·       Avez-vous besoin de ruptures de rythme pour avancer dans un roman ou au contraire d'un certain train-train?

J’ai besoin, quand je n’avance pas (quand le projet n’a pas encore pris forme dans ma tête), de faire autre chose pour ne pas y penser, et d’y revenir ensuite. Quand je suis dedans, en général, j’ai envie de ne faire que ça. Je ne sais pas si on peut parler de « train-train ». Quand j’écris pleinement un roman, je suis littéralement possédé, je ne pense qu’à ça et je ne veux penser qu’à ça, et je n’écris que ça et je ne veux pas écrire autre chose car tout autre sujet m’emmerde. Mais il peut m’arriver de ne pas entrer dans cet état avant d’avoir écrit la moitié du livre, ou au contraire, d’y entrer dès la quarantième page. Alors là encore, je n’ai pas de « règle ». Chaque livre est une aventure en soi.

·       Relisez-vous vos textes avant d’arriver à la fin ? Ou bien écrivez-vous l’ensemble d’abord pour ensuite revenir sur le texte?

Les deux. J’écris des romans qui sont compliqués (parce que polyphoniques, anti chronologiques, etc.) et souvent longs. Donc, j’ai besoin de me relire périodiquement pour me rappeler ce que j’ai écrit ! Quand je suis suffisamment avancé dans l’écriture du roman, j’ai aussi, en général, tout relu trois ou quatre fois depuis le début. Je termine, et ensuite je relis soigneusement pour régler le problème des incohérences de narration, ôter les échafaudages, etc. Je n’ai jamais complètement fini de relire. Mais une fois que le livre est terminé, ma relecture ne modifie que des détails (au plus, un paragraphe). Elle ne modifie pas la structure du livre, jamais. Les problèmes de structure je les ai toujours réglés au début, car ce n’est que lorsque j’ai la structure définitive que je peux avancer. Si je ne l’ai pas, je piétine. Et quand je piétine, je sais que ça veut dire : « Tu n’as pas ta trame."


·       Bon, mais… et le plaisir dans tout ça ?


Ah, le plaisir…
Bonne question, ça. Je me rends compte que dans mon « Comment j’ai gagné ma vie… » il n’est pas beaucoup question de plaisir. Sans doute parce que j’ai une relation bizarre au plaisir de l’écriture  - et au plaisir, tout court.

J’éprouve du plaisir quand je lis un livre qui me transporte. Et il ne fait aucun doute que je cherche à écrire des livres qui transportent, à reproduire (chez les autres) le genre d’ivresse que je peux ressentir en lisant. Cette ivresse-là, je ne la ressens pas souvent pendant que j’écris, et en tout cas pas avant d’avoir atteint un certain stade dans un texte ou un livre. Il y a quelques semaines, j’ai écrit un texte sur Montréal (pourquoi j’y vis, comment j’y suis arrivé) pour un prochain livre/magazine qui lui sera consacré au printemps prochain par les éditions Autrement. Il m’a fallu trois ou quatre réécritures successives pour mettre le doigt sur ce que je voulais vraiment dire, et pendant que je cherchais, je n’éprouvais pas de plaisir à écrire. J’écrivais, mais ça ne me faisait pas plaisir à proprement parler. Quand j’écris, la plupart du temps, je ne ressens rien de particulier. Je ne sens pas mon corps. Je suis concentré sur les mots qui s’alignent comme par miracle sur la page blanche virtuelle inscrite dans le noir de l’écran (merci la fonction « plein écran » des traitements de texte moderne !). Je ne ressens du plaisir que lorsque j’arrive à mettre en mots exactement ce que je cherche à dire. Et ça, le plus souvent, ça se passe à la fin des romans, au moment de la résolution des histoires, des conflits. Au moment où tout se dénoue. Je n’ai compris comment le faire que peu de temps avant (ce n’est pas planifié de longue date) et j’éprouve une grande excitation et un grand plaisir à le mettre en mots.

Cela dit, le plaisir, pour moi, c’est surtout après. Quand quelqu’un me dit ce qu’il/elle a ressenti en lisant telle ou telle phrase. Un message ou une lettre qui m’arrive de très loin écrit par quelqu’un qui s’est donné la peine de m’écrire pour me parler de sa lecture, ou de sa vie. Une personne qui s’arrête près de moi pour me dire comme ça, très vite, presque en s’excusant, que tel ou tel de mes textes l’a touchée.

Le plaisir c’est aussi quand le texte est devenu un livre. Quand je tiens le livre entre mes mains. Il est là. Il est beau. Je suis content. 






Merci à toutes et à tous ceux qui m'ont envoyé leurs questions... 
Mar(c)tin 


lundi 15 novembre 2010

Comment j'ai gagné ma vie (en/d') écrivant, 3


3e épisode : De Comics en Séries

En 1992 ou 1993, un jeune éditeur nommé Didier Pasamonik me contacte (par l’intermédiaire de Que Choisir, je pense) et me propose de réaliser un petit bouquin que lui a commandé un groupement de pharmaciens. Il s'agit d'un guide des médicaments incompatibles avec l'alcool. Je lui dis que je suis prêt à le faire, bien sûr, et il me propose de le rencontrer. Quand j’arrive dans son bureau, je découvre des affiches de comic-books. Je lui demande s’il en édite aussi. Il me répond qu’il lance une collection pour un fabriquant français de jeux vidéos. En effet, la maison américaine de comics Dark Horse dispose de la licence de nombreux personnages de jeux et la boîte française y voit une nouvelle source de profit en relation avec les jeux qu’elle-même commercialise. J’explique à Didier que je suis traducteur et que s’il en cherche un… Il me répond qu’il en a déjà un, très occupé, et que ça n’est pas de refus. Pendant les quelques années qui vont suivre, je vais régulièrement traduire, de l’anglais au français, des comics divers et variés, mettant en scène des personnages très connus ou très à la mode dans le monde des comics et des jeux à ce moment-là (The Mask, Predator, James Bond, Star Wars, Grendel, Alien…) et les premières adaptations de certains mangas, déjà traduits aux Etats-Unis, mais pas encore en France : Caravan Kidd, Outlanders

Comme j’ai bouffé des comics en quantité industrielle entre 1966 et 1977, je n’ai aucune difficulté à trouver la bonne longueur et le ton qui convient pour traduire ces textes bourrés d’expressions de tous les jours, mais aussi de mots-valises ou de « technobabble », le vocabulaire pseudo-scientifique inventé par la série Star Trek qu’utilisent deux techniciens penchés sur un moteur de fusée en panne :
- Damn ! Le cyclotron positronique a grillé, on est foutus !!!
- Non ! Attends ! Si je réaligne les vecteurs luminoiridescents sans faire fondre le bouclier de confinement, ça nous donnera assez d’énergie pour remettre les réacteurs à plasma en phase et l’orage magnétique nous éjectera hors du champ de gravitation du trou noir.
– Tu crois ? 

Je suis payé à la page, au tarif syndical de l’époque qui avait cours dans le milieu de la BD. Comme la boîte de jeux vidéo veut lancer ses albums le plus vite possible, et comme je travaille très vite, on m’envoie beaucoup d’albums à traduire. Pendant deux ou trois ans, j’arrondis mes fins de mois en alternant comics et articles médicaux. De plus, on m’envoie les albums à parution, ce qui fait le bonheur de mes enfants, bien entendu. Ils sont eux-mêmes la première génération d’enfants qui grandissent avec les jeux vidéos et ils ne manquent pas de BD à la maison, mais montrer aux copains une BD traduite par papa, c’est vraiment la classe.

Traduire de la BD est vraiment de l’écriture sous contrainte. Non seulement de style (il faut respecter celui de l’original) mais de longueur. Quand on traduit de l’anglais en français, on écrit entre 20 et 30 % « plus long » (en nombre de signes). L’anglais est plus bref, beaucoup de mots sont plus courts, et les anglo-saxons raffolent d’acronymes, y compris dans les expressions courantes : ASAP signifie « As Soon As Possible », DOA « Dead on Arrival » et les deux acronymes s’utilisent telles quelles dans le langage parlé. Je suis donc obligé d’adapter. ASAP devient « Fissa » et DOA, « DCD ». Plus que de l’adaptation, la traduction de comic-books est souvent une re-création. 

De nombreuses années plus tard en 2004, j’aurai l’occasion de traduire de nouveau des comics. L’éditeur de Semic France, qui distribue alors encore les comics de DC (la firme propriétaires des personnages de Batman et Superman), a décidé de publier un recueil des aventures de Batman dessinés par Neal Adams, l’un des plus grands dessinateurs des années 70.  Il connaît mon intérêt pour les comic-books (j’ai écrit entretemps un grand livre sur les super-héros) et me propose d’écrire une préface. Je lui demande qui traduit et, comme il ne le sait pas encore, je propose de le faire : les histoires qu’il va publier, je les ai lues quand j’avais 12 ou 13 ans. Les traduire (pour certaines, les retraduire correctement, car les éditions de BD étrangères en fascicule bon marché, dans les années 60 étaient plutôt bâclées) c’est une occasion de renouer avec mon enfance. Et pour rester dans le ton de l’époque, ma traduction essaiera de retrouver le vocabulaire et le ton des années 60, celui que je lisais dans les romans pour la jeunesse et les récits de science-fiction… C’est probablement de ce recueil (Batman par Adams, Semic, 2005) que je suis le plus fier, mais malheureusement, je crois qu’il est désormais introuvable, la maison d’édition lyonnaise ayant perdu les droits des personnages au profit d’une multinationale italienne.  

Ma collaboration avec le fabriquant de jeux vidéos (que je ne verrai jamais et avec qui je serai toujours en contact par téléphone puis par courriel) se terminera de manière un peu abrupte,  deux ou trois ans plus tard. Pour des raisons que j’ignore, mon employeur me paye de manière de plus en plus irrégulière au point qu’arrive un jour où je refuse de continuer mes traductions pour lui : il me doit environ 16.000 francs (2500 €) de l’époque. J’ai beau le relancer, rien n’y fait : on me promet un chèque qui n’arrive jamais, et pendant ce temps, moi, je mange mon frein en me demandant comment je vais payer mes traites.

On est en 1995 ou 1996, MPJ et moi avons acheté une maison suffisamment grande pour y loger nos 7 enfants (les cinq nés de nos premiers mariages et les jumeaux, nés en 1993 après deux ans de vie commune et mon départ du cabinet médical). Le remboursement de cette maison est notre priorité (avec l’alimentation, les vêtements, les transports…). Nous travaillons tous les deux, mais nous n’avons pas un sou d’avance.

Comment faire pour récupérer le juste salaire d’un travail que j’ai fait avec d’autant plus de sérieux qu’il est un des plus agréables qu’on m’ait confiés ?
Le pire qu’on puisse faire à un commerçant c’est d’altérer son image…  Dans l’espoir de faire céder mon mauvais payeur, je bluffe : je lui explique que je travaille à Que Choisir et dans plusieurs revues d’informatique qui publient des revues des jeux  qu’il conçoit et commercialise et que s’il ne me verse pas ce qu’il me doit dans la semaine, il aura droit à la pire campagne de contre-publicité du siècle. Et vous savez quoi ? Le jour même où j’envoie mon courriel (je vous jure !) un message m’informe que le chèque vient de partir. Ce souvenir précis d’échange de courriel me permet de parler de mes premiers pas sur l’Internet.

D'abord, une précision : je parle toujours de « L’Internet » ou du « Web » à l’américaine (« The Internet », « The (World Wide) Web ») et non « Internet » à la française, comme s’il s’agissait d’une entité souveraine (« Dieu », « De Gaulle », « Matignon »…). Certains me disent que c’est snob, je pense que c’est en fait plus juste. Le terme désigne le « Réseau des Réseaux », le système qui a permis à tous les réseaux de s’interfacer, je pense qu’il mérite un article. Régulièrement, je suis obligé de batailler avec les correcteurs de mes livres qui corrigent mon « L’Internet » en « Internet » et ça m’horripile prodigieusement. On a ses petites manies.

J’ai eu ma première adresse électronique en 1993 ou 1994. Le serveur, Compuserve, aujourd’hui disparu, est alors l’un des plus populaires d’Amérique. Je ne sais plus pourquoi je m’y abonne, mais je le fais dès que je le peux, c’est à dire dès que je peux m’acheter un modem (l’internet passait alors encore par les lignes téléphoniques classiques, via un modem interne installé sur l’ordinateur) et me payer l’abonnement. Au début, les services proposent surtout des informations internationales, des logiciels gratuits à télécharge, l’e-mail bien sûr, mais aussi des forums d’utilisateurs ou d’amateurs : les groupes « alt ». On ne communique pas encore en « chat » comme on le fait couramment aujourd’hui, mais par l’intermédiaire de « mailing lists » : les membres envoient des messages à un modérateur, qui les réexpédie groupés à l’ensemble de la liste. Je m’intéresse essentiellement, à cette époque-là aux forums d’informatique domestique qui peuvent m’aider à améliorer ma connaissance des machines et des logiciels, mais un forum en particulier prendra rapidement une grande importance.  Mais n’anticipons pas.

En 1989, l’année où j’ai publié La Vacation,  je suis tombé sur un livre sensationnel. C’est un beau livre, dans le style des livres de cinéma, richement illustré, mais consacré à une série télévisée. Le Prisonnier, chef-d’œuvre télévisionnaire est signé d’un duo qui m’est jusque là inconnu, Alain Carrazé et Hélène Oswald, et publié chez une maison d’éditions manifestement nouvelle : 8eArt. Un an plus tard, Carrazé récidive avec Jean-Luc Putheaud et Chapeau Melon et Bottes de Cuir. Des gens qui respectent les séries et ressuscitent de pareille manière les classiques télé de mon enfance sont inévitablement des gens intelligents. Je me suis acheté un magnétoscope en 1982 (après la naissance de mon premier enfant…) et, au milieu des annes 80, l’apparition des chaînes privées et en particulier de Canal et de « La 5 » a permis aux spectateurs français de découvrir des séries inconnues et aux nostalgiques comme moi de revoir leurs séries d’antan. 

J’ai enregistré et revu tout Mission : Impossible (malgré une diffusion dans le désordre le plus total) et j’ai acheté en Allemagne, à la sortie de la version allemande de La Vacation l’extrordinaire The Mission : Impossible Dossier, ouvrage hyperdocumenté du journaliste Patrick White qui raconte par le menu toute la production de la série. M : I (1966-1973) était ma série préférée quand j’avais 12 ou 13 ans. Vingt-cinq ans plus tard, elle n’a rien perdu de sa force narrative et de son intelligence. 

Je prends la plume (enfin, le clavier) et j’écris aux éditeurs de 8e Art en leur disant, en substance, ceci : « Je vous remercie du travail que vous avez déjà accompli. Etant donné la mauvaise réputation des séries américaines, je comprends que vous ayez voulu commencer vos publications par des séries classiques britanniques. J’espère que vous serez amené à traverser l’Atlantique. La série classique par laquelle vous devez commencer, c’est Mission : Impossible et voici pourquoi. » Et je termine ma lettre par une description critique de plusieurs pages. Fin 1991, je reçois un coup de fil d’Alain Carrazé qui me propose de le rencontrer et me dit : « Les lecteurs de 8eArt, à qui nous demandons de nous suggérer quelles séries traiter, nous réclament en majorité Mission : Impossible. Nous avons lu votre lettre avec attention. Voudriez-vous co-écrire le livre avec moi ? »  

Je suis allé le voir très vite. Il m’a présenté Hélène et Pierre Jean Oswald. Leur travail d’éditeurs militants dans plusieurs maisons créées par eux au cours de la deuxième moitié du 20e siècle (Editions Oswald, Nouvelles éditions Oswald/NéO) avait permis de découvrir ou redécouvrir de nombreux auteurs de roman policier, de science-fiction et de littérature fantastique, en particulier grâce à la collection « Le Miroir Obscur ». Après la fin de NéO, leur aventure se poursuivait dans la nouvelle entreprise, modeste mais très courageuse qu’était 8eArt. Entre Pierre Jean, Hélène et moi, la sympathie et l’amitié ont été immédiates. Je n’étais qu’un jeune écrivain, auteur alors d’un seul roman, mais ils m’ont tout de suite adopté, comme l’avaient fait Daniel Zimmermann et Claude Pujade-Renaud quelques années auparavant. Pour eux, j’ai tout de suite été un écrivain et non un simple « fan de séries ». Et le premier livre que j’ai fait pour 8eArt m’est d’autant plus cher qu’il serait impossible à faire aujourd’hui.

Car PJ et H ne voulaient pas publier des livres « pour les fans », mais de beaux livres contenant des textes de qualité. Hélène était tombée amoureuse du Prisonnier et c’est ce qui avait lancé leur nouvelle aventure éditoriale. Mais auparavant, elle regardait peu la télévision et considérait (comme beaucoup d’intellectuels) que les séries étaient des sous-œuvres de mauvaise qualité. Depuis leur rencontre avec Alain Carrazé, qui en avait une connaissance encyclopédique et portait un jugement critique souvent très fin quant à la qualité des productions, les Oswald s’étaient mis à regarder des séries ; ils venaient de publier Destination Danger (série britannique qui avait lancé Patrick McGoohan, le créateur, producteur et acteur du Prisonnier) et en préparaient un autre consacré à Amicalement Vôtre, une série mineure mais très populaire en France à l’époque, et envisageaient déjà une… série de livres décrivant les meilleures œuvres du genre. 

Mission : Impossible, dont j’écrivis toutes les parties analytiques et descriptives (les trois quarts du livre) tandis qu’Alain se chargeait de l’histoire de la production et d’interviews exclusives avec quatre de ses cinq acteurs principaux, fut la cinquième monographie 8eArt. Ce fut aussi la dernière, malheureusement, mais c’est le plus beau livre, esthétiquement parlant, qu’il m’ait été donné de publier. Car la description détaillée des thèmes de la série, le « découpage d’un épisode typique », le travail d’analyse épisode par épisode (il y en eut 171 dans les années 60, 35 lors de la reprise de la série en 1988), les entretiens exclusifs et l’historique de la production sont illustrés de magnifiques photographies que nous envoyèrent un grand nombre de collectionneurs privés et que même les comédiens n’avaient jamais vues. Si je me souviens bien, le tirage était limité (5000 exemplaires) et comme tous les livres 8eArt, l’ouvrage fut vendu par souscription. Les premiers souscripteurs (et les auteurs) eurent droit à une photographie numérotée ne figurant pas dans l’ouvrage. Comme Alain, j’eus droit à une vingtaine d’exemplaires. Chacun des cinq acteurs de la série originelle eut droit aussi à son exemplaire. Barbara Bain (‘Cinnamon Carter’) et Greg Morris (‘Barney Collier’) nous firent l’honneur de nous écrire pour nous remercier. Grâce à Alain, j’eus l’occasion de rencontrer et d’interroger Martin Landau (‘Rollin Hand’) lors d’un passage à Paris… et de lui faire signer l’exemplaire de MPJ (ils ont en effet un point commun…)

Tout ceci pour dire que l’histoire de ma relation écrite avec les séries a commencé par la réalisation d’un rêve d’adolescent. Un rêve que j’ai eu tard (je n’aurais jamais imaginé, en 1968, rencontrer les acteurs de ma série préférée) mais que j’ai pu transformer en un travail de création. Si notre Mission : Impossible n’est pas la mine d’information que reste le livre de Patrick White, ça n’en est pas moins l’un des livres les plus beaux et les plus littéraires qu’on ait jamais consacré à une grande série.

Ma carrière de critique de séries télévisées ne faisait que commencer. Elle allait se poursuivre avec d’autres livres 8eArt mais aussi ma collaboration à deux revues : le trimestriel Génération Séries et l’hebdomadaire Télécâble Satellite Hebdo.

(A suivre…) 

samedi 13 novembre 2010

Débuts de romans, 10 - par Thierry V. (Exercice n°15)


1
Ce n’est qu’une question d’équilibre. Tu te tiens méthodiquement sur le rebord du toit. La hauteur du gratte-ciel est impressionnante, mais tu restes droit car tu hésites. Tu peux sauter, tu vas le faire, ce n’est pas la question. Tu iras t’écraser sur le parvis de marbre, tu t’étaleras comme un sac de farine entre les deux tours. Mais tu dois faire un choix : te déplacer légèrement sur ta gauche te donne la possibilité d’atterrir sur la baraque de la vendeuse de sandwiches, qui ne t’accorde jamais un regard ; un pas sur ta droite et tu recolores pendant quelques heures le bassin et son eau bleu faïence. Tu prends ton portefeuille, dans lequel quelques tickets de métro se battent avec un malheureux billet. Tu jettes les tickets, qui tourbillonnent comme des imbéciles dans l'air saturé d'humidité, et tu gardes le billet. Tu ne veux pas mourir sans argent. Les graviers du toit craquent. Tu tournes légèrement la tête et aperçois un chat qui s'approche de toi, toujours le même. Il s'arrête et attend. Tu te concentres à nouveau. Quel que soit ton choix, tu peux sauter. Tu l’as déjà fait la semaine dernière, tu le referas la semaine prochaine, tu sais que ça ne changera rien.

2
Avant d'arriver jusqu'au magnat de l'immobilier du vingt-deuxième étage, qui comptait l'engager sur une affaire compliquée, Jerricho Mass dut passer le contrôle du rez-de-chaussée du building, un contrôle assez humiliant lorsqu’il vida ses poches de ses indiscrétions : deux billets de cinéma datant d’un rendez-vous calamiteux où était projeté un remake japonais d’Une étoile est née, un paquet de chewing-gums humides et collants, un ancien paquet de Kleenex de sous-marque, protégeant discrètement ce qui pourrait passer pour de la farine et une carte postale pliée en quatre, sur laquelle un chat ahuri se pendait à un arbre au-dessus de l’inscription « Accroche-toi » suivie d’un « bébé ! » rayé et remplacé par un « crétin !!! » et signé par une « Graziella » à l’écriture tremblotante. Les deux vigiles, qui ne lui adressaient pas un regard, se gondolaient à la vue de la carte, jusqu’au moment où, dans un demi-sourire de circonstance, Jerricho reconnu le plus grand des deux, passé il y a quelques semaines dans une émission de nuit sur les hémorroïdes. Jerricho récupéra ses petites affaires et gagna l’ascenseur en sifflotant l’air de Guantanamo Tcha-Tcha, utilisé depuis peu dans une publicité pour une crème rectale révolutionnaire, air qui poussa le vigile sorti de l’anonymat dans quelques amers regrets.

3

Je viens de quitter le 39ème étage d’un building de banlieue pour le 4ème étage d’un immeuble parisien. Mon ascension sociale est inverse au nombre de mètres carrés que j’occupe désormais. Les gens de l’immeuble ont l’air d’être sortis d’une publicité pour une soupe saveur tradition bio. Ils sont généralement artistes ou juste indépendants. S’ils n’ont aucun renseignement sur votre statut social, ils vous croisent sans vous adresser un regard. Ils ont parfois des tickets de métro sur eux, car ils ne le prennent qu’occasionnellement. Certains possèdent des chats assez gras et forcément câlins, qui sortent dans la cours intérieure avec leurs enfants, et tout ce petit monde joue avec application son rôle dans ce film tiré d’un scénario inédit de Marcel Carné. En tant que sociologue, je me régale. En tant que cinéphile, j’ai des angoisses. Mais ce n’est ni l’immeuble, ni vraiment ces gens, ni cet appartement mal insonorisé qui découpe mon sommeil en tranches fines, c’est ce placard incrusté à même le mur de ma pièce principale. Je n’y ai rien entreposé pour le moment, au vu de l’humidité qui se dégage des murs intérieurs. Mais je sais que quelque chose en sort chaque nuit. Hier, j’ai presque vidé un paquet de farine à l’intérieur et à l’extérieur du placard. Et ce matin, il y avait clairement des traces de pas, de petits pas, comme ceux d’un enfant, des traces blanchâtres qui parsemaient mon parquet, déjà en triste état.

lundi 8 novembre 2010

J'ai une pile de bouquins sur mon bureau

J'ai une pile de bouquins sur mon bureau. Une dizaine environ.

Je les ai commandés en ligne à des bouquinistes d'Amérique du Nord (ces livres sont tous en anglais et le marché du livre d'occasion, usagé ou neuf, est très florissant en Amérique du Nord. et les sites qui en vendent très pratiques, je vous recommande en particulier Abebooks.ca (ou .co.uk ou .fr). Comme j'ai reçu de l'argent il y a un mois (la deuxième partie de mon à-valoir pour Les Invisibles, qui paraîtra en mai au Fleuve Noir), je me suis fait plaisir et j'ai commandé la somme colossale de... 300 Dollars de bouquins.
Ils sont tous arrivés en rafale, un ou deux par jour, depuis une semaine.

Un tiers des bouquins sont des livres de biologie darwinienne (le plus souvent consacrés au comportement sexuel des humains) ; un tiers sont des livres de critique littéraire darwinien (autrement dit, des livres qui appliquent un regard évolutionniste aux arts - voir ce que je dis ailleurs de The Art Instinct et de On the Origin of Stories) et un tiers qui parle de théorie littéraire, tout court. Ces derniers, je les ai commandés pour me soutenir dans ma démarche d'écrire de la littérature en anglais.
Le problème bien sûr est que je ne peux pas tous les lire en même temps. Je lis vite, mais j'ai quand même besoin d'un peu de temps. Et cependant, je n'arrive pas à laisser les bouquins en place, soit sur mon bureau à l'université, soit sur mon bureau chez moi. C'est comme si j'avais absolument besoin de les avoir avec moi dans l'un et l'autre lieu, alors je les fourre dans mon sac et je les trimbale avec moi.

Je sais, à une époque où on reproche aux écoles (françaises) de surcharger le cartable des écoliers et lycéens, le fait de trimbaler une ribambelle de bouquins sans obligation a l'air d'une forme de masochisme. Mais il n'en est rien. C'est juste que... j'ai envie de dévorer ces livres, et je ne peux pas. Alors j'ai du mal à les laisser s'empiler quelque part. J'ai besoin de les faire bouger pour avoir le sentiment qu'ils vivent (et que j'apprends quelque chose rien qu'en les déplaçant).

En ce moment, je finis The Score : The Science of the Male Sex Drive, de Fay Flam. Excellent livre qui synthétise de manière très rigoureuse tout ce qu'on sait de la masculinité (scientifiquement parlant). Je me régale. Ca me donne plein d'idées pour un bouquin à venir. Mais le problème est le suivant : une fois que je l'ai fini, lequel des autres livres je lis ? Je sais pas.

Alors... je les trimbale tous. Comme s'il n'y en avait pas d'autres encore sur mes étagères, à la maison et au bureau ! Mais on est fou ou on ne l'est pas.

Mar(c)tin

PS (Une heure plus tard). J'ai bien fait de (presque) tout emporter. J'ai fini The Score dans le métro. Et j'ai décidé de lire Evolution, Literature and Film, un "reader" (une anthologie de textes repris dans plusieurs autres ouvrages). Heureusement, je l'avais sous la main. Et c'est vachement bien. C'est un très gros livre, mais je pense que je vais continuer à trimbaler les autres...

dimanche 7 novembre 2010

Débuts de romans, 9 - par Alex C. (Ex. n°15)


I- Le bonheur en ce temps me coûtait le prix d'une place de cinéma.
Parfois impécunieux, je devais choisir entre un ticket, les croquettes du chat ou un sachet de farine, et pas que le jour de la chandeleur. Moi cinéphile, elle déchirant le passeport pour ma salle obscure  favorite, je ne saurais dire combien de fois nous nous aperçûmes sans nous voir.
« - si je veux parler cinoche avec vous, comment je fais? »
C’est depuis ce jour que je me fais rouler dans la farine…..

II-  « L’état des lieux d’une bicoque, ça me changera des gratte-ciels » pense Emile, sans se douter de ce qui l'attend.
Sur le plan de travail un paquet de farine oublié et des traces de mains d'une femme lui rappelle la dame blanche du métro. il n'arrive pas à se séparer du ticket focalisant sur le bout de carton toute son obsession de celle qui le snobe.
Un "objet" tombe et résonne sur le plafond.
"-Un grenier" se dit Emile, «il y a un grenier!"
Des empreintes, de pieds cette fois, montent les marches  tandis qu'un chat noir les descend. Émile pousse la trappe en haut de l'échelle. Perdu dans la pénombre sous une poutre, un jambon sèche, pendu.
L'imitant, Le corps de la dame blanche en suspension sous une corde, tournoie lentement autour d'un tabouret renversé.

III- « encore une livraison et je raccroche ». Charlie en a ras-le-bol des plan foireux de Stan pour passer la coke. Le dernier en date :
Planquer dans un paquet de farine cent grammes de colombienne et le livrer au 30éme étage à une nana qu’il n’a jamais vue.
Au pied du gratte-ciel, un chat lui file entre les jambes.
Bad trip ou mauvais trope.
C’est rien de le dire : pas d’ascenseur, pas de lumière. Ils vont se croiser sans se voir,
C’est vraiment sa dernière : va expliquer à Stan que la came a disparue…..




Alex Cessif 
dusportmaispasque

jeudi 4 novembre 2010

Comment j'ai gagné ma vie (en/d') écrivant, 2

Deuxième épisode : Des mots et des maux 




La Vacation fit l'objet de quelques bons articles (dont un, plutôt louangeux, dans Le Monde, et un autre, également positif, dans Libération) mais ne fut pas un succès de librairie. Cependant, P.O.L ne donnant pas d'à-valoir, j'eus la bonne surprise, un an plus tard, de toucher des droits. Ceux des 800 et quelques exemplaires qui avaient été achetés par des lecteurs curieux, mais aussi les droits du passage en poche (chez Pocket) et d'une traduction en langue allemande chez Argon Verlag, une maison indépendante de Berlin. Cette traduction me valut, d'ailleurs, un ou deux ans plus tard, un périple de quelques jours dans l'Allemagne juste réunifiée qui fut mon premier voyage d'écrivain estampillé à l'étranger. Si je me souviens bien, l'ensemble des droits se montait alors à environ 30 000 Francs de l'époque (4 000 Euros d'aujourd'hui). En 1990, pour moi, c'était beaucoup d'argent.

Les éditeurs d'Argon s'étaient intéressés au livre parce qu'à ce moment-là, le débat sur l'avortement renaissait Outre-Rhin, les deux Allemagnes ayant eu, avant la chute du mur, des politiques différentes. J'étais plus étonné qu'un éditeur de poche achète les droits d'un livre qui n'avait pas fait parler de lui. Au Salon du Livre suivant, une jeune éditrice nommée Marion Mazauric, alors directrice de J'ai Lu et grande admiratrice de P.O.L, vint me dire qu'elle avait beaucoup aimé La Vacation et regrettait de n'avoir pas pu acheter les droits avant Pocket. Comme je lui faisais part de ma surprise, elle m'expliqua qu'un éditeur de livres de poche est un éditeur comme les autres : il se constitue un fonds à partir des livres publiés en première édition et, quand il repère le roman d'un jeune auteur prometteur, il n'hésite pas à le prendre en faisant un pari sur les livres suivants. « Si l'un de vos romans à venir est un succès, c'est en poche que vos lecteurs viendront chercher les précédents... » Son enthousiasme à l'égard de mon roman était si impressionnant que je n'oubliai jamais cette conversation... sans savoir que nous serions amenés à travailler ensemble, dix ans plus tard.

Je ne travaillais plus à Prescrire, et mon activité médicale s'était accrue, mais j'étais passé à d'autres activités d'écriture. Peut-être pour se dédouaner moralement de m'avoir licencié de la revue (j'avais déjà trois enfants, je ne roulais pas sur l'or), le Grand Timonier de la revue m'avait proposé de reprendre la traduction d'une revue anglaise, The Drug and Therapeutics Bulletin, que sa compagne traduisait pour un éditeur belge et dont il assurait la supervision scientifique. L'éditeur en question payait la traduction au lance-pierre, mais la revue de quatre pages paraissait en principe tous les quinze jours et la somme qu'il me versait (quand il me la versait) n'était pas ridicule.

Quelques mois après la publication de La Vacation, je décidai de terminer mon gros-premier-roman-en-travail, Les Cahiers Marcoeur. Paul O-L le refusa, en m'expliquant que le manuscrit de 700 pages dactylographiées en simple interligne n'avait ni le degré de maîtrise, ni la cohérence de La Vacation. Voyant que j'étais très affecté par ce refus, et pour souligner qu'il ne doutait pas une seconde de me voir écrire d'autres livres qu'il serait heureux de publier, il ajouta : « Je crois vous avoir dit l'importance que j'apporte à Proust et à sa Recherche... Eh bien (dit-il en posant la main sur mon manuscrit), ce que vous m'avez apporté là, c'est Jean Santeuil... »

C'était un grand compliment ; un compliment écrasant. Je ne me rappelle pas s'il m'a consolé sur le moment mais je me suis dit que, quitte à avoir produit un livre inachevé, il valait mieux avoir écrit Jean Santeuil que L'homme sans qualités. Je n'avais pas la force de produire un troisième livre ; il fallait tout de même que je continue à compléter les revenus modestes du cabinet médical, d'autant que je m'étais associé avec l'une de mes remplaçantes et que, même si je voyais plus de patients qu'elle, nous partagions les horaires et le local de travail et ne consultions chacun qu'à deux tiers de temps pour conserver une vie de famille.

La mienne était assez compliquée : quelques à l'automne 1988, quelques semaines après que Paul O.-L. avait accepté mon manuscrit, j'avais - dans des circonstances romanesques - rencontré MPJ.  Elle élevait seule, avec un salaire modeste, et sans l'aide de leur père, deux garçons de neuf et dix ans. J'en avais trois âgés de dix, huit et deux ans. J'étais marié depuis 1977. Je n'étais pas heureux, et depuis longtemps. MPJ et moi, nous étions très très amoureux et nous étions faits pour nous entendre. En 1991, je suis parti vivre avec elle au Mans. Je travaillais à l'hôpital à temps partiel mais, à mon cabinet de campagne, je ne pouvais pas voir plus de patients qu'il n'en venait (si j'avais été spécialiste, ils seraient venus plus nombreux, et plus vite...) . Alors, je me suis arrangé pour écrire plus.

Paul O.-L., qui comprenait très bien que je ne me remette pas tout de suite à un roman, m'a proposé de traduire des nouvelles de l'écrivain américain Harry Mathews, dont il avait déjà publié Le naufrage du Stade Odradek lorsqu'il était encore éditeur chez Hachette puis Cigarettes dans sa propre maison. Mathews, lit, parle et écrit parfaitement le français et ses deux romans avaient été traduits par Georges Perec, dont il était l'ami intime, et par sa propre épouse, l'écrivain Marie Chaix. Il m'apporta un soutien sans réserve pour traduire ses nouvelles puis, quelques années plus tard, son beau roman Le Journaliste. Entre les deux œuvresde Mathews, Paul me confia en traduction l'extraordinaire roman d'un autre écrivain américain, David Markson.

Je dois avoir le gène du père de famille – celui qui implante dans le cerveau l'obsession de bosser pour nourrir et habiller ses mômes. Rien ne remue autant que Les Pauvres Gens de Victor Hugo. Quand la femme du pêcheur, angoissée de ne pas voir son mari rentrer dans la tempête, recueille deux enfants dont la mère vient de mourir et les ramène dans sa cahute, j'ai la gorge qui se serre. Et quand le pêcheur apparaît, vivant mais bredouille, et apprend le malheur, j'ai les larmes aux yeux. Je sais qu'il va dire « Va les chercher, on en a déjà cinq, ça nous en fera sept, mais c'est pas grave, je travaillerai plus. » Et quand sa femme dit (c'est le dernier vers du poème : « Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà. » je pleure franchement. Ma nouvelle vie était encore plus familiale qu'avant. D'abord parce que, quoique « recomposée », nous formions une vraie famille. Ensuite parce que nos cinq enfants, qui se partageaient tous entre deux foyers, tenaient à passer les week-ends ensemble chez nous. J'avais de moins en moins envie de faire des aller-retours deux ou trois fois par jour entre Le Mans et mon cabinet médical (et des centaines de kilomètres les dimanches de garde).

En 1993, j'ai cédé ma clientèle médicale à un autre médecin. Immédiatement, j'ai cherché d'autres traductions. J'ai envoyé mon CV à quelques grands éditeurs de livres de médecine, et l'une d'elles, Andrée Piekarski, directrice de Flammarion, m'a répondu. Elle allait publier un énorme traité européen des maladies du foie – un de ces forts volumes de deux ou trois mille pages sur papier bible – et cherchait quelqu'un pour pallier la soudaine défection d'un des traducteurs. Elle m 'en a d'abord confié une centaine de pages puis, au bout de quelques semaines, en voyant à quel rythme je les lui renvoyais, m'en a confié plus, avant de me demander finalement de lui traduire l'index du livre.

C'était une tâche monstrueuse ; quand je l'ai acceptée, je n'avais aucune idée de ce qu'elle représentait. Et aujourd'hui encore, je remercie le ciel d'avoir fait cette expérience au début des années 90 et non pas dix ans plus tôt. La différence : elle était de taille. Quand on n'a pas d'ordinateur, traduire est déjà compliqué. Mais traduire un index est une tâche infernale. Car chaque mot de l'index originel, s'il apparaissait plusieurs fois dans le livre (et c'est presque toujours le cas dans un ouvrage de cette taille), pouvait, en fonction du contexte, avoir été traduit chaque fois par un mot français différent. Adapter un index ne se résume donc pas pas à traduire les mots alignés au kilomètre. Il faut, pour ceux qui sont polysémiques, chercher pour toutes ses occurrences comment on les a traduits (ou non) en français !
Vous voyez le souk ? Sans ordinateur, j'aurais mis des mois. Je pense sincèrement qu'à l'époque, mon habitude déjà ancienne de travailler avec un ordinateur me donnait un avantage sur les traducteurs qui ne s'y étaient pas encore mis. Car on louait ma rapidité à traduire, ce qui n'aurait pas été le cas si je n'avais pas été équipé. Alors, Dieu (ou le Diable) bénisse l'informatique. Et le fax. Quand je travaillais sur un livre entier, on m'envoyait toutes les épreuves par la poste. Quand je travaillais sur des textes cours, on me les faxait. J'avais un appareil à impression thermique et il m'arrivait donc de rentrer chez moi pour trouver douze pages de papier mal imprimé à mettre en français pour avant-hier. Je le faisais parce qu'accepter était le plus sûr moyen de gagner de l'argent rapidement mais aussi de fidéliser mes clients. De plus, il y avait alors peu de traducteurs professionnels (ou en voie de se professionnaliser) qui étaient médecins. Il y avait en revanche beaucoup de médecins qui expédiaient des traductions

À partir de 1993, j'ai fait beaucoup de traductions médicales. Pour Flammarion, mais aussi pour les éditions françaises de revues médicales américaines comme le JAMA ou des magazines reprenant des articles anglo-saxons provenant de revues diverses.

J'ai également, pendant deux ou trois ans, participé à une entreprise brève mais extrêmement intéressante. Que Choisir, l'association de consommateurs, avait lancé un mensuel parallèle à son magazine d'information, mais cette fois-ci consacré à la santé. Que Choisir Santé s'inspirait des méthodes de l'association pour mener des enquêtes sur le comportement des médecins et sur un certain nombre de traitements et de méthodes thérapeutiques. Le rédacteur en chef cherchait un conseiller médical. Il avait (si je me souviens bien) rencontré l'équipe de Prescrire, qui n'avait pas voulu collaborer à l'aventure - ou avait formulé des conditions draconiennes à toute collaboration, ce qui revenait au même ; mais pendant leurs échanges, quelqu'un avait prononcé mon nom. Pendant deux ans, je fus le conseiller médical, mais aussi un des rédacteurs réguliers d'un magazine de santé innovant par son approche, mais dont la formule (il était vendu en kiosque) ne trouva jamais son public au milieu de magazines de santé moins rigoureux, moins « sexy » et bourrés de publicités pour des produits sur lesquels ils ne pourraient, bien entendu, jamais émettre la moindre critique.

Entre les traductions et Que Choisir Santé, j'étais bien occupé, et je passais le plus clair de mon temps sur mon clavier ou à corriger/relire des épreuves sur la table de la salle à manger. Souvent, le soir, à 18h45, je sautais sur le scooter que MPJ m'avait offert pour mes 38 ans et j'allais expédier, en Chronopost, la disquette de traductions que l'une ou l'autre des revues qui me confiaient leurs traductions attendaient de recevoir à la première heure, le lendemain matin.

Depuis 1994 ou 1995, je m'étais abonné à un tout nouveau service disponible en France, Compuserve. C'était l'un des premiers services internet comprenant non seulement le courriel mais aussi des informations sur des sujets divers et des logiciels à télécharger. Dès que j'avais pu le faire, je m'étais acheté un modem téléphonique (qui n'était pas inclus dans les ordinateurs) et je m'étais abonné. Cet abonnement, lui aussi allait avoir des répercussions

Je me souviens, un jour, avoir demandé à l'une des rédactrices en chef si je ne pouvais pas la lui envoyer en fichier attaché avec un courriel. Elle m'a répondu : « Ohla... Il faut avoir l'internet, c'est ça ? » J'ai répondu qu'il suffisait d'un modem et d'un abonnement à un prestataire de services (c'était déjà pas cher à l'époque, et si c'était dans mes moyens, ça devait l'être pour une revue !!!). Elle m'a dit « Je crois que quelqu'un a une connexion internet dans l'immeuble mais ici, on ne sait pas s'en servir... » Alors j'ai continué à recevoir les articles par fax ou par courrier et par apporter mes disquettes en Chronopost...

La traduction est un métier notoirement sous-rémunéré, alors qu'elle demande beaucoup de travail. Les traductions médicales étaient payées au feuillet de 1500 signes quand je traduisais des textes courts, à la page quand il s'agissait de textes plus longs comme un traité de médecine. Les traductions littéraires ont, en principe, des tarifs contractuels avec un minimum garanti, qui croît avec la notoriété du traducteur (et les aides à la traduction que l'éditeur reçoit du Centre National du Livre), mais beaucoup de traductions non littéraires et non scientifiques (livres pratiques, en particulier) sont commandées à des petites mains (qui font de la traduction en attendant mieux, pas par vocation) et sont très mal rémunérées. 

Avec le temps, , mes clients se sont mis à apprécier mes traductions fiables et rendues à l'heure et j'ai pu faire monter les prix un peu. Mais la plupart de mes employeurs (en particulier les revues médicales) restaient pingres et quand ils m'accordaient ce qu'ils disaient être un tarif intéressant, ils voulaient que je le tienne secret pour ne pas donner des idées à leurs autres traducteurs. Je ne sais pas à qui j'aurais pu en parler. Je ne connaissais personne d'autre qui faisait de la traduction. 

La traduction médicale me permettait de vivre parce qu'elle était proportionnellement mieux payée, mais elle était tout de même moins intéressante et moins épanouissante que les traductions de littérature. Au début des années 90, je me suis trouvé embarqué dans deux nouvelles activités d'écriture, pas toujours rémunératrices, on le verra, mais qui allaient me faire voir du pays : la traduction de comic-books et la critique de séries télé.

(à suivre...)