dimanche 18 avril 2010

Ecrivains modèles et livres pour île déserte - par Mar(c)tin WZ

Sur ma page Facebook, il y a quelques jours, j'ai mis le portrait des cinq écrivains qui m'ont le plus influencé :
Isaac Asimov,
Alfred Bester,
Arthur Conan Doyle
Daniel Zimmermann,
Georges Perec


Le choix était difficile, mais ils correspondent à ma définition de l' « influence ». A mes yeux, ces cinq écrivains sont des modèles. Les modèles auxquels j'ai voulu ressembler, pour des raisons différentes, et dans l'esprit desquels je crois que j'écris. J'y reviendrai plus loin.

Le même jour ou peu après, une rédactrice du Magazine Littéraire sollicite ma participation à un Hors-Série dans lequel on demande à des écrivains de dresser une liste de dix livres (une « bibliothèque idéale de poche ») et d'écrire 1000 signes sur l'un d'eux. La liste (si je m'en souviens bien, car je ne l'ai pas sous les yeux, elle a dû rester sur mon Mac au bureau et je ne l'ai pas glissée dans ma Dropbox, semble-t-il, mais j'ai l'impression d'égarer des fichiers sans arrêt en ce moment) est à peu près celle-ci (dans l'ordre chronologique de lecture)

NB : Deux de ces « livres » sont des intégrales, un troisième regroupe deux romans habituellement publiés séparément, mais comment choisir dans Sherlock Holmes et dans Lupin, qui forment un tout ?

Les mythes grecs de Robert Graves
Les Aventures de Sherlock Holmes (l'intégrale) d'Arthur Conan Doyle
Les Aventures extraordinaires d'Arsène Lupin (l'intégrale) de Maurice Leblanc
Terminus les étoiles et L'homme démoli, d'Alfred Bester
La vie mode d'emploi de Georges Perec
Le Carnet d'Or de Doris Lessing
On the origin of stories, de Bryan Boyd
Histoire naturelle de l'amour de Helen Fisher
Le Choeur des femmes de Martin Winckler

et... un dernier que j'oublie pour le moment, ce sera intéressant de retrouver de quoi il s'agit.

Si je parle de ça aujourd'hui, c'est en réaction à un commentaire d'Emmanuelle M. (qui intervient aussi sur ce blog) à l'absence de femmes dans ma liste d'écrivains sur Facebook.

Dans un premier temps, je me suis dit (et j'ai répondu, défensivement) : mais je cite au moins deux livres écrits par des femmes dans ma liste du MagLit.

Et puis, à la réflexion, j'ai pensé : « Mais pourquoi est-ce que je me sentirais coupable ? »

Qu'est-ce que ça peut foutre, qu'il n'y ait aucune femme dans la liste de mes écrivains « modèles » ? Est-ce si anormal que ça ? Trouverait-on anormal que dans la liste des écrivains modèles d'une femme écrivaine il n'y ait que des femmes ? Un modèle, c'est quelqu'un à qui on veut ressembler, physiquement ou moralement. Ici, il s'agit plutôt du « moralement » (je ne suis ni acteur ni top model...), mais vouloir ressembler à des figures tutélaires de mon genre, est-ce si anormal que ça ?

Et puis j'ai lu tous ces écrivains avant de le devenir moi-même. Chronologiquement, les trois premiers (Conan Doyle, Asimov, Bester) ont été des modèles à travers ce qu'ils ont écrit (leurs fictions mais aussi leurs commentaires sur l'écriture et/ou leur itinéraire individuel) et ce que leurs livres m'ont « fait » – et, ce faisant, suggéré ce que je pourrais produire à mon tour chez des lecteurs.

J'aurais d'ailleurs aussi bien pu citer Herbert George Wells, Jules Verne, Agatha Christie, Georges Simenon, Stanislas-André Steeman, Henri Vernes (Bob Morane), Enid Blyton (le « Club des cinq »), le Lieutenant X (« Langelot, Agent Secret »), que j'ai dévorés enfant. Mais aucun d'eux ne m'a « influencé » en tant qu'écrivain, par leur personnalité ou par leur enseignement, autant que les cinq autres.

Interestingly enough, tous les écrivains de ma liste avaient un autre boulot et une autre formation initiale que celle d'écrivain : Asimov était biochimiste, Bester faisait des relations publiques, Conan Doyle était médecin, Zimmermann était prof (et l'est resté jusqu'à la retraite). Perec, contrairement à ce qu'on raconte le plus souvent, n'était pas sociologue, il avait interrompu sa formation et était devenu documentaliste au CNRS.

Interestingly enough aussi : quatre des cinq écrivains sont nés au vingtième siècle ; trois sont de langue anglaise (Asimov, Bester, Conan Doyle) et considérés comme un écrivain « de genre » et non « de littérature générale », trois (Asimov, Perec, Zimmermann) m'ont, en outre, « auteurisé » - le premier en truffant ses recueils de nouvelles de commentaires sur la manière dont il les avait écrites, le deuxième en dédramatisant, dans des entretiens ou des textes, sa propre accession à l'écriture, le troisième en m' « adoptant » et en me « parrainant » matériellement, affectivement, en me publiant, en me parlant, en m'exhortant, en me soutenant moralement.

Et quand je dis que ces écrivains m'ont influencé, j'ai bien conscience qu'ils l'ont fait très tôt dans mon évolution de lecteur et d'écrivain, et que je n'ai pas fini d'évoluer (voir plus loin). Mais ce sont eux qui me sont venus à l'esprit immédiatement.

Il n'y a pas de femme dans la liste. Mais j'ai lu des écrivaines importantes avant l'âge de trente ans, en particulier dans le domaine du policier ou du noir (Agatha Christie, Patricia Highsmith) ou de la SF (Catherine Moore, Ursula Le Guin, Leigh Brackett). Je ne les ai pas lues parce que c'étaient des femmes, mais parce que j'aimais leurs livres. Et j'aurais probablement pu être « influencé » par certaines d'entre elles si leur biographie avait été accessible et si j'y avais trouvé des points d'ancrage. Mais je suis né en 1955, et qui étaient les écrivaines françaises de l'époque à qui j'aurais pu m'identifier adolescent ? Qui étaient les écrivaines françaises auxquelles une adolescente aurait pu s'identifier ? Colette ? Violette Leduc ? Simone de Beauvoir ? (J'ai lu certains de leurs livres, mais ils ne m'ont pas autant marqué.)

La liste de livres dressée pour le MagLit n'a pas la même signification. Les volumes en question sont ceux que j'emporterais sur une île déserte si je ne pouvais rien emporter d'autre. Je les vois comme des sources d'émotion renouvelé, par leur contenu et leur forme. Les livres, à mes yeux, sont des puits de savoir, de réflexion, d'humour, de rêverie et d'évasion – donc, de plaisir. Ce sont ceux dont je peux penser que je les lirais et les relirais de nombreuses fois sans me lasser. (Si on me demandait quelles sont les cinq séries que j'emporterais sur une île déserte, la liste comporterait, probablement pour le même genre de raisons, tout Law & Order (les quatre séries), Urgences, House, M.D., tout Star Trek, tout Buffy/Angel et tout Everybody Loves Raymond. J'aime les séries qui constituent un monde...)  (oui, ça fait six ou sept, pas cinq...)

Parmi les dix livres, deux ont été écrits par des femmes : le roman de D. Lessing, à mes yeux « exemplaire », qui parle de l'accession à l'écriture et de tout ce qu'on peut mettre dans les livres (de l'autobiographie, de l'imaginaire, du narratif, de l'historique, de la connaissance) et l'essai de H. Fisher qui éclaire ce que nous pouvons comprendre de l'amour (du sentiment amoureux, de l'attachement) à la lueur des connaissances acquises par les anthropologues, ethnologues et psychologues évolutionnistes. Dans le reste de la liste, il y a surtout de la fiction, et deux essais.

Les mythes grecs : enfant, j'ai lu beaucoup de volumes de « contes et légendes », et la mythologie grecque et romaine m'a beaucoup marqué. j'ai acheté le livre de Graves il y a deux ou trois ans seulement, parce que c'est un classique dans le monde anglo-saxon, qui pratique seulement la recension de tous les mythes grecs, mais en donne des significations historiques - lesquelles ont pu, depuis, être remise en question, mais ont le mérite de leur faire dépasser le statut de récits folkloriques.

On the origin of stories : j'en ai parlé précédemment sur ce blog. Dans cet essai éblouissant, un critique littéraire néo-zélandais spécialiste de Nabokov met tout son savoir (et sa connaissance des acquis évolutionnistes) au service d'une thèse fascinante : la capacité des humains à raconter des histoires serait, en elle-même, un acquis de l'évolution (autrement dit : un avantage adaptatif), au même titre que la station debout et le langage parlé. Autrement dit : l'aptitude et le goût pour la narration ne seraient pas « produits par la culture », mais innés, engrammés dans notre bagage génétique, et auraient pour fonction de véhiculer les valeurs collectives indispensables à la cohésion des groupes humains face aux pulsions de compétition (elles aussi innées) qui opposent les individus.

J'ai lu une demi-douzaine d'essais « évolutionnistes », depuis deux ans. Tous en relation d'une part avec avec l'amour et la sexualité (le Fisher ; The Mating Mind et Spent de Geoffrey Miller ; Sex, Time and Power de Leonard Schlain, que je dévore au moment où j'écris ceci) ; d'autre part avec les arts et la fiction (le Boyd, et The Art Instinct, de Denis Dutton, philosophe qui parle surtout d'arts plastiques mais inclut un grand chapitre tout aussi éclairant sur l'usage de la fiction).

Ces livres sont tout aussi « influents » sur ma pensée en ce moment (et sur mes publications à venir) qu'Asimov et Perec ou Zimmermann ont pu l'être avant que je publie.

On notera qu'il n'y a ni bouquin d'Asimov, ni bouquin de Zimmermann dans la liste : peut être, en première approximation, parce que les livres du premier sont trop nombreux (comment en choisir un ?) et parce que ceux du second sont centrés sur des préoccupations (historiques et politiques) qui me touchent mais qui ne sont pas les miennes.

Arsène Lupin et Sherlock Holmes. Il y a tout là-dedans : des valeurs, de la narration, de l'imaginaire, du suspense, de l'humour, du mystère, de l'aventure, de l'émotion, de l'amitié, de l'amour, du chagrin, du sacrifice...

Bon, et pourquoi mettre un de mes livres dans la liste ?
Eh bien je me suis dit : ces écrivains et ces livres m'ont aidé à devenir écrivain à mon tour, et je ne vois pas pourquoi je ne marquerais pas cette filiation en insérant l'un de mes livres dans la liste. D'accord, je ne suis pas un lecteur « innocent » de mes livres, mais quand le temps a passé, j'aime les relire et je suis surpris de ce que j'y lis. J'y apprends aussi quelque chose : sur ce que je pensais quand je les ai écrits, sur la personne que j'étais, et donc sur le chemin parcouru depuis.

Ok. Et pourquoi Le Choeur des femmes ?
Ça, c'est plus difficile à dire. Ce n'est pas nécessairement celui que je considère « le meilleur » ; je ne suis pas bien placé pour être le critique « objectif de mes propres livres » et si on me demandait lequel est le plus élaboré, littérairement parlant, je répondrais qu'à mon humble avis, c'est Les trois médecins. (Je sais que beaucoup de lecteurs répondraient plutôt La maladie de Sachs et d'autres La vacation, mais j'ai le droit de ne pas être d'accord avec eux, n'est-ce pas ?)
Ce n'est pas non plus celui dont je suis le plus « fier ». Je suis très fier d'avoir écrit Contraceptions mode d'emploi et d'avoir touché un si grand nombre de lecteurs avec Sachs, mais la fierté n'est pas un critère d'analyse critique.
Ce n'est pas non plus une question de succès ou d' « accomplissement » en tant qu'écrivain : ma réputation repose surtout sur le succès public de Sachs, beaucoup moins sur les appréciations ou les analyses littéraires qu'on a (ou plutôt, qu'on n'a pas) faites de mes livres.

La seule « explication » que je puisse donner au choix du CDF, c'est celle qui me fait dire « chaque texte prépare le suivant ». Le CDF est mon dernier roman en date. En un sens, il est la résultante de plusieurs itinéraires : celui du médecin, celui de l'écrivain, celui de l'aspirant-enseignant, celui du transfuge attiré par la culture et le continent nord-américains. Je ne sais pas si c'est mon « meilleur » roman, le « plus achevé », le plus « littéraire » ou je ne sais quoi. Je sais qu'il représente ce que je pouvais faire de mieux à un moment où, pour la première fois de ma vie, j'étais seul et libre d'écrire au rythme que je voulais, le temps que je voulais, sans avoir mes horaires régimentés par la vie familiale ou une autre vie professionnelle que celle d'écrivain.

De sorte que le CDF a le redoutable privilège de représenter non seulement un série d'expériences (au sens « d'acquis ») et une expérience (au sens de « situation nouvelle ») très particulières. Et toutes proches. Ça fait presque un an que j'ai fini de l'écrire, et je n'en suis pas encore sorti.

MW