mardi 10 août 2010

Je viens de terminer un roman


Il s'intitule Les Invisibles. Il paraîtra en principe début 2011.

À ce jour j'ai écrit des romans appartenant à trois "veines" (c'est moi qui les définis ainsi) : des romans "réalistes" (La Vacation, La Maladie de Sachs, Les Trois médecins, le Choeur des femmes), des romans "policiers" (TPAMDS, Mort in vitro, Camisoles) et des romans de "SF" (Le Numéro 7, La Trilogie Twain). Les Invisibles appartient à la veine n°2. (Il est même la suite de Camisoles.) Et, comme Le CDF était d'une certaine manière en rupture avec le style de mes romans "réalistes", ce roman-ci est en rupture avec le style de mes romans policiers antérieurs. Il est différent des précédents romans de la même veine. En fait, on peut dire qu'il est différent de tous mes autres romans.

Les trois différences les plus apparentes (il y en a sûrement d'autres, mais ce sera plutôt aux lecteurs/trices de le dire) sont les suivantes.

Ce roman ne se déroule plus à Tourmens (comme tous mes romans précédents) mais à Montréal. Ce n'est pas sans importance. Si j'avais choisi de situer mes romans à "Tourmens", c'est parce que je ne parvenais pas à "habiter" littérairement l'une des villes dans lesquelles j'avais vécu (Tours, Le Mans). Et j'en avais fait une ville composite (Tour-Mans) qui me permettait de construire ce que je voulais, un lieu imaginaire qui remplissait sa fonction pour installer des histoires et des personnages.

Ecrire un roman qui se déroule à Montréal (même si certains des lieux de l'action et tous les personnages sont imaginaires) c'est une manière de dire "Je sais où je suis". Même si je ne sais pas encore très exactement ce que l'avenir me réserve, du moins, j'écris !!!

Ce roman n'a qu'un narrateur. 
Ce n'était pas vraiment le cas encore dans Le Choeur des Femmes, car d'autres personnes – les patientes, Aline, Karma – prenaient la parole en marge du récit de Djinn. Le récit est chronologique et n'est pas entrecoupé, comme dans les polars précédents, par de faux articles de presse ou des émissions ou des documents scientifiques. C'est un récit qui puise dans un unique point de vue.

Ce qui m'amène à la troisième différence : c'est un roman à la première personne, masculin singulier. C'est la première fois que j'écris un roman entier dans lequel le narrateur dis "Je" tout au long du texte, sans jamais laisser la parole à quelqu'un d'autre. Ça non plus, ça n'est pas sans importance. Pendant longtemps, j'ai pensé que je n'avais pas le droit de dire "Je" ; que ce que j'avais à dire et qui provenait du plus profond de moi n'avait pas de valeur. Ou, du moins, pas autant de valeur que ce que les autres disaient. Je pensais que ce j'avais à dire en tant qu'adolescent, puis jeune adulte, puis homme marié père de famille, puis écrivain, n'avait pas d'intérêt.

Pour la première fois depuis l'adolescence (j'écrivais souvent mes nouvelles à la première personne du singulier), et le début de l'âge adulte, (ma première nouvelle publiée, Spectacle Permanentje me remets à écrire "Je". J'ai expérimenté le "Je" dans Le Choeur des femmes, et bien sûr c'est une femme qui parle, et non un homme. Cette fois-ci, c'est un homme, d'un bout à l'autre. J'ai un peu le sentiment de "reprendre à zéro". Enfin, l'expérience en plus, ce qui n'est pas négligeable, bien sûr. Mais ce sentiment s'accompagne, évidemment, d'une certaine crainte : quand on change de style, de point de vue, de manière, on s'expose à ne pas être reconnu par celles ou ceux qui ont lu les livres précédents.

Et c'est déjà le cas : plusieurs personnes qui avaient lu et aimé La maladie de Sachs m'ont dit ne pas avoir aimé Le Choeur des femmes. Bon, d'autres l'ont aimé, et de toute manière je me dis souvent  (pour ne pas glisser dans la paranoïa) : "On ne peut pas écrire pour tout le monde. On ne peut pas non plus écrire toujours pour les mêmes personnes. Et personne n'oblige un lecteur ou une lectrice à lire tous les livres d'un écrivain. Je ne voudrais pas qu'on m'oblige à lire, alors je ne veux pas que les lecteurs/trices d'un de mes livres se sentent obligés de lire les autres."

Ce ne sont pas les seules différences. En un sens, c'est un roman expérimental : j'essaie de retrouver – sans les singer mais en les adaptant – la forme et l'esprit des romans américains que je lisais adolescent, et aussi ceux de Maurice Leblanc et de Léo Malet (qui sont cités explicitement dans Les Invisibles).

Par "forme" et "esprit", j'entends bien sûr ce que j'ai perçu à l'époque, et ce qui me reste aujourd'hui. Je ne cherche pas à écrire (ou à construire mes intrigues) comme ces écrivains le faisaient, mais en connivence, en hommage et dans une filiation, comme lorsque je me suis inscrit en filiation de Perec en écrivant Les Cahiers Marcoeur ou La Maladie de Sachs.

Je ne sais pas ce que "vaut" ce nouveau roman ; "différent" ne veut pas nécessairement dire "meilleur" ni même "plus original". Quelques lecteurs/trices en avant-première m'en ont parlé en bien, et ça me fait très plaisir, mais le seul point de vue qui puisse me rassurer à ce stade est un point de vue éditorial. Mais là n'est pas vraiment l'important. L'important, je le sais – je le sens – c'est qu'il ouvre sur autre chose. D'abord, sur une "suite" potentielle : des romans policiers qui se déroulent à Montréal ; j'en dresse même le "profil" dans le dernier chapitre des Invisibles. Ecrire d'autres romans situés à Montréal, ce n'est pas une coquetterie ou un désir d'exotisme. C'est écrire d'une "autre place" que de celle où je me tenais auparavant.

 Cette perspective nouvelle me permet d' (m'autorise à) écrire deux autres textes – un roman "réaliste" (La Voie des Hommes), un texte de réflexion sur le métier d'écrivain (que j'ai envie d'intituler Cavaliers des Touches, en hommage à ce blog et à ses contributeurs/trices)  ; tous deux seront écrits à la première personne. Ce sont les textes dont je parlais dans l'entrée précédente du blog.

Ce sera important pour moi de les écrire à la première personne ; comme vous l'avez vu, mon "feuilleton d'été" était écrit à la deuxième personne, comme si les périgrinations de l'écrivain étaient racontées par quelqu'un d'autre. Et souvent, j'ai eu le sentiment d'être quelqu'un d'autre.

 Aujourd'hui, je me sens plus "unifié". L'écriture, en elle-même, n'est pas la responsable (ou la baguette magique) qui a permis cette unification, qui est évidemment le résultat de plusieurs démarches – professionnelles, personnelles – et de nombreuses expériences et rencontres, certaines très fugaces, d'autres de longue haleine. Mais elle a certainement été un outil important dans cette "unification" de ma personnalité, qui en retour se manifeste, j'en suis certain, dans la forme et le contenu de mes textes.

Cela peut paraître paradoxal qu'un texte de "littérature populaire/de genre" me permette d'écrire des textes plus "littéraires". Mais cet itinéraire (et ce que vous venez de lire) illlustrent au fond deux idées qui me sont chères et qui se sont formées en moi au fil des années :

 "Il n'y a qu'une littérature"
et
"Chaque texte prépare le suivant."

Mar(c)tin


PS : By popular demand

Au début des  Invisibles, Charly Lhombre (médecin légiste héros de Mort in Vitro et Camisoles) quitte Tourmens et arrive à  Montréal. Il vient s'intègrer au CRIE (Centre de Recherches Interdisciplinaires en Ethique) à l'Université de M. en tant que chercheur invité.

Très vite, et sans l'avoir sollicité, il devient le confident de l'équipe de professeurs du CRIE, profondément marquée depuis l'assassinat, trois ans plus tôt, de Kathleen Cheechoo, l'un de ses membres.
Fille de la Nation Crie, et femme de caractère, Kathleen a créé le CRIE et un foyer d'hébergement pour personnes itinérantes (terme québecois qui désigne les sans-abri) d'origine autochtone.

La mort d'un premier itinérant, l'agression de trois autres, et le sort tragique de deux personnes intimement liées au CRIE conduisent Charly à mettre au jour une histoire criminelle qui est aussi une histoire d'amour et de trahisons.

Si les vents de l'édition sont cléments, il pourrait s'agir du premier volume d'une série de romans de mystère situés à Montréal.

Voilà, voilà...

Feuilleton d'été (8) - par Mar(c)tin W.



Ecrire, dit-il

Et si tu avais le temps, puisque vous en êtes au chapitre des évocations littéraires, tu te permettrais une petite histoire, une petite digression comme il y en aura probablement beaucoup pendant la soirée (autant qu’ils soient prévenus tout de suite, tu es le prince de la digression, digne fils de ta mère qui en était la reine et même que lorsqu’il te prendra, un beau jour - c’est sur ta liste de choses à faire pendant les vingt-cinq prochaines années - d’écrire un livre autour d’elle sinon sur elle qui avait peur que tu écrives des livres contre elle, le texte en serait sûrement, d’un bout à l’autre, une looonnnngue digression contenant d’autres digressions plus courtes dont elle sortirait chaque fois avec aplomb et élégance, sauf la plus longue évidemment - celle-là personne n’en sort en retombant sur ses pieds mais toujours les pieds devant) et tu expliques qu’avant de publier quoi que ce soit d’un peu conséquent - en dehors des articles périodiques, des nouvelles occasionnelles, des lettres épisodiques - il t’arrivait parfois de confier à d’aucuns - à des interlocuteurs pas neutres mais bienveillants - que tu écrivais et il t’arrivait, souvent, d’entendre en réponse des trucs du genre : « Ah bon ? Vous écrivez ? Vous écrivez quoi ? » (Toi, timidement) : « Ben, des nouvelles, des articles... » (Eux, avec un grand sourire indulgent) : « Ah, je vois ! Pas de roman en route, encore ? » (Toi, avec un grand soupir) : « Non, pas encore, j’y travaille mais vous savez comment c’est, ça prend du temps... » (Eux, sur un ton de plus en plus paternel) : « Bien, bien... Ca viendra. L’essentiel, vous savez, c’est d’avoir lu Proust et Flaubert... Vous avez lu Proust et Flaubert, bien sûr  ! »

Ce n’était pas une question, c’était une affirmation, une évidence, une certitude : au vingtième siècle, on ne peut pas écrire sans avoir lu ces deux là (et Céline, bien entendu, n’oublions pas Céline, qui certes était une crapule mais à qui il sera beaucoup pardonné, car c’était un grand écrivain).

Et toi : « Euh, non... j’ai pas lu Proust et Flaubert... » (sans oser ajouter « Céline non plus, d’ailleurs »). Et l’autre (un prof, un journaliste, un critique, un écrivain estampillé NF) d’écarquiller les yeux, de lever les bras au ciel, et de t’asséner au retour un « Mais comment pouvez-vous écrire sans avoir lu Proust et Flaubert ! ? » qui te laissait sur le carreau, c’est vrai quoi : comment avoir l’audace de poser un crayon sur une page et l’impudence d’oser prétendre que le gribouillis qui finirait par la couvrir puisse être  d la littérature ?

Penaud, mortifié et, pour tout dire, honteux de n’avoir pas trouvé le temps de te plonger dans l’œuvre de deux (au moins) des trois plus grands écrivains français de tous les temps, histoire d’apprendre l’humilité, tu battais en retraite, tu tu te repliais comme une huître, tu abdiquais toute prétention et tu rentrais chez toi, non sans avoir fait halte à la plus proche librairie pour acheter Proust et Flaubert l’intégrale (annotée pour pallier toute éventualité) histoire de dire que si tu ne les avais pas lus encore faute d’en avoir un exemplaire sous la main, tu n’aurais désormais, plus aucune excuse.

Le temps a passé. Tu n’as pas du tout lu Céline (dont tu as décidé qu’il était facultatif, et que personne ne pouvait te convaincre de passer sous silence son antisémitisme et sa solide haine de l'autre) mais tu as lu un peu de Flaubert (Madame Bovary, Le dictionnaire des idées reçues, L’Education sentimentale) et un peu de Proust (Du côté de chez Swann, À l’ombre des jeunes fille en fleur et les premières pages de Du côté de Guermantes), suffisamment pour les apprécier (et réaliser qu’il t’était impossible de lire ça au lycée, tu n’y aurais rien compris) et pour t’abattre encore un peu plus lorsque tu t’es mis à subodorer que si ces gars-là étaient forts au point de se retrouver classés dans le tiercé de tête, c’est probablement parce qu’ils ont passé leur vie à ça.

Le temps (il n’a que ça à faire) a continué à passer et tu as publié un roman. Un premier roman, pas gros, pas spectaculaire, pas très aperçu mais un roman quand même. Et là, tu t’es mis à rencontrer d’autres interlocuteurs pas plus neutres et nettement moins bienveillants qui te disaient : « Ah, vous avez publié un roman  ! » (Toi, modestement) : « Oui, oui.  » (Eux, d’un air circonspect) : « Bien, bien ! Et vous préparez autre chose ? » (Toi, bombant le torse) : « Oui, oui. » (Eux, l’air de plus en plus sombre) « Bien, bien !  Mais... vous avez lu Proust et Flaubert ? » (Toi, rayonnant de fierté) « Oui, oui. » (Eux, sur un ton d’absolue incompréhension) : « Mais enfin, comment pouvez-vous continuer à écrire après avoir lu Proust et Flaubert ? »

Et là, tu as compris que les dés étaient pipés. Dans ce pays, écrire n’est pas (ce que tu as ressenti dès l’adolescence) une activité artisanale, ce n’est pas (comme tu l’as découvert à l’âge adulte) un travail, et ce n’est certainement pas (comme le revendiquaient drôlement les Asimov ou Farmer ou Sturgeon de ton enfance, qui avaient la bonne habitude de relater modestement entre deux textes leur vie quotidienne et leur cuisine dactylographique) « cinq pour cent d’inspiration, quatre-vingt-quinze pour cent de transpiration ».

Ici, en France, pays des Lumières et de l’Orthographe ce n’est pas tant écrire qui compte, mais être écrivain, cette charge sacrée que le seul fait de publier un malheureux premier roman ne suffit pas à revendiquer (« C’est au deuxième roman qu’on reconnaît l’écrivain » t’a un jour déclaré sur un ton neutre quelqu’un que tu croyais jusque là bienveillant) et qui ne peut en aucun cas être attribuée à quelqu’un qui ne s’est pas aspergé, imprégné, noyé dans les plus grands écrivains de ce siècle et des deux précédents - que nul ne peut imiter, certes, mais qui pourraient (éventuellement) être invoqués (à la rigueur) à la lecture du deuxième ou (mieux encore) du troisième ouvrage d’un nouveau jeune auteur.
S’il a vraiment du talent et ne l’a pas gaché, bien entendu.

Mais tu ne veux pas jouer avec des dés pipés. Tu n’as pas besoin d’être auteurisé à écrire. Tu n’as pas spécialement envie d’être qualifié d’écrivain (écrits vains ?). Comme ils l’ont fait dans ton enfance, en t’emmenant loin des icônes Lagarde-et-Michardisées qui t’emmerdaient comme un rat mort, les scribouillards anglo-saxons te sont venus en aide : ils ne connaissent pas le mot écrivain. Ils ne connaissent que le mot writer - celui qui écrit. Et il te suffit parfaitement. I’m a writer a toujours bien mieux sonné à tes oreilles (parce que c’est un mot vague, au fond, au sens multiple et imprévisible) que Je suis écrivain.

Et si tu pouvais retourner dans le passé, ou au moins t’envoyer un message à toi-même, tu l’enverrais à celui de ces « toi » qui rougissait de confusion et ployait de honte en avouant qu’il n’avait lu ni Proust, ni Flaubert (sans oublier Céline...). Et tu lui soufflerais de répondre :

- Flaubert, sauf erreur de ma part, il avait pas lu Proust, mais ça l’a pas empêché d’écrire. Et Proust, il avait lu Flaubert, mais ça l’a pas arrêté non plus. Alors, je vous emmerde !