lundi 10 décembre 2012

Je n'écris plus - par Sophie Martinet

Ce texte m'a été envoyé en réaction " à "Pourquoi j'écris", publié sur ce même blog le 26 juin dernier. MW 



Depuis quelques mois, je n'écris plus.

Je n'écris plus parce que je n'arrive plus à trouver le moment de le faire. Le vrai moment, celui que je parvenais toujours à trouver pour écrire ne serait-ce que quelques minutes.

Je n'écris plus parce que j'ai tant écrit pour pour rien.

Je n'écris plus parce que je suis seule face à l'écriture et aujourd'hui que je n'ai plus l'âge d'avoir peur. Elle m'impressionne et me terrorise.

Je n'écris plus car à force de vouloir être digne de la littérature, j'ai renoncé à trop. Pour rien.

Je n'écris plus car on me dit que ce n'est jamais pour rien. Que l'écriture, c'est du travail, de la persévérance. Je le sais et j'ai persévéré.

Je n'écris plus parce que si écrire a su me rendre à moi-même, elle m'impose un silence qui me devient insupportable.

Je n'écris plus parce qu'un jour, une écrivain m'a dit « Je vais t'aider. Envoie-moi ton manuscrit, je le donne à lire à mon éditrice. Tu auras un retour, un avis. On l'a fait pour moi un jour, ça me fait plaisir de le faire pour toi. » Sans nouvelle d'elle plusieurs mois plus tard, je lui ai envoyé un mail. Elle m'avait oubliée et préféra me donner le mauvais rôle.

Je n'écris plus car je vis avec cette insupportable déception depuis. Non celle de n'avoir pas été lue mais celle d'avoir perdu un être humain en lequel je croyais.

Je n'écris plus car j'ai peur d'avoir honte, de ce que j'écris et de vouloir écrire.

Je n'écris plus car en ce moment, je vis très fort.

Je n'écris plus parce que je me demande si je ne suis pas plus heureuse comme ça.

Je n'écris plus mais dans ma tête des milliers d'idées, des pensées toujours en mouvement, des envies à concrétiser.

Je n'écris plus parce que j'ai balancé mes quelques petites économies dans l'envoi de manuscrits à des éditeurs qui font leur boulot et auxquels je n'ai rien à reprocher. 

Je n'écris plus mais je regarde davantage de films. Je prends davantage de temps à penser à eux, me documenter sur eux, de les laisser vivre en moi pendant que je vis.

Je n'écris plus pour ne plus me sentir inférieure.

Je n'écris plus pour ne plus avoir l'air de guetter un semblant de reconnaissance.

Je n'écris plus parce que je suis libre. 

Je n'écris plus parce que vouloir être lu, c'est une forme de prostitution. Du moins dans les yeux de certains et certaines. 


Je n'écris plus parce qu'il y a peu, j'ai rêvé qu'Annie Ernaux disait de moi que j'étais une personne indigne d'intérêt.

Je n'écris plus pour profiter de la littérature sans regret, sans envie, exceptée celle de comprendre, de sentir, de grandir...

Je n'écris plus parce qu'en lieu et place de l'écriture d'un chapitre, je pars dans les bois marcher jusqu'à la fatigue mais l'intense sensation de vivre.

Je n'écris plus parce que l'écriture, contrairement à beaucoup d'autres activités artistiques, vous laisse interdit, seule face à vos productions. 

Je n'écris plus car je fréquente quelques auteurs qui parviennent à vivoter de leur écriture. Ils possèdent ce que je n'ai pas, je n'ai pas de nom pour ça.

Je n'écris plus mais je lis. Et j'admire ce que je lis. Je me plais à lire ce que j'aurais aimé que l'on lise de moi.

Je n'écris plus parce que tant que l'on n'est pas reconnu, écrire, c'est douloureux. C'est comme cuisiner tous les jours pour des convives qui ne viennent pas. 

Je n'écris plus en me disant qu'un jour, ça ira mieux. Rien ne vaut une bonne séparation pour considérer les choses avec lucidité.

Je n'écris plus mais je parle. Des heures et des heures de discussion avec les quelques uns qui aiment ça aussi.

Je n'écris plus afin de reprendre confiance et redevenir à mes yeux et ceux des autres celle qui n'espère pas. 

Je n'écris plus pour tourner le dos à la frustration. Ne plus attendre.

Je n'écris plus pour ne plus être celle qui écrit.

Je n'écris plus pour me laisser envahir par une nébuleuse faite de lucioles qui virevoltent autour de moi sans se laisser attraper. Vouloir les saisir, les expliquer, les identifier, c'est les mettre à distance et annihiler leur pouvoir magique.

Je n'écris plus pour recevoir en pleine figure ce qui se passe.

Je n'écris plus pour lire les autres, me délecter d'une présence, d'un regard, de bras qui se tendent.

Je n'écris plus pour en finir avec la vocation.

Je n'écris plus pour abolir les barrières, pour ne plus vouloir approcher, ne plus aspirer à...

Je n'écris plus pour ne plus rêver de voir un jour dans cette vitrine ce  livre signé de mon nom. Mon nom est trop banal, ma vision trop fragile, mes mots trop en deçà.

Je n'écris plus parce que la vie, c'est pas sérieux. 

Sophie Martinet 

dimanche 2 décembre 2012

"Asimov, Perec et moi" - Conférence du 7 novembre 2012 au café Artissimo, à Ottawa (ON).

Bon, ce n'est pas un texte, mais presque.

Cet automne, j'étais (je suis encore, pour quinze jours) écrivain en résidence au Département de littérature française de l'Université d'Ottawa (Ontario).
A cette occasion, j'ai donné une série de conférences.
La première s'intitulait "Asimov, Perec et moi" et parlait des influences littéraires qui m'ont marqué, pendant l'adolescence et le début de mon âge adulte.

Voici le lien vers "Le crachoir de Flaubert", le site qui a mis cette première conférence en podcast. Attention, ça dure près de quatre vingt dix minutes, période de questions réponses incluses.

Pour vous rendre au "Crachoir de Flaubert", cliquez ICI. 


mardi 23 octobre 2012

L'enjeu de la narration



Je viens de relire un texte que j'ai lu pour la première fois à l'adolescence, et deux ou trois fois depuis. C'est une nouvelle de SF écrite par un auteur américain peu connu, Thomas L. Sherred (1915-1985) et intitulée E for Effort. Elle raconte, à la première personne, la découverte d'un appareil qui permet de filmer le passé. L'inventeur et un de ses amis s'en servent pour faire des films à grand spectacle. Ils filment d'abord les campagnes d'Alexandre le Grand, poursuivent avec la Révolution française, l'Indépendance américaine, la guerre de Sécession et, pour finir, les deux conflits mondiaux. A mesure qu'ils se rapprochent du présent, les esprits des critiques, du public et de la censure s'échauffent : ces films (qui montrent la stricte réalité) sont de plus en plus sulfureux et remettent en cause les histoires officielles. Bref : en voulant montrer la vérité – à travers des films qu'ils présentent d'abord comme des fictions – ils foutent (sciemment) le bordel sur toute la planète. Evidemment, ça ne finit pas comme ils l'avaient espéré.

Cette novella – longue nouvelle – est extraordinaire et intemporelle. Sherred – par ailleurs auteur d'un petit nombre de textes, une demi-douzaine, tout au plus – l'écrivit en 1947[1]. En la relisant ces jours-ci j'ai été de nouveau stupéfait devant sa pérennité. Car la simplicité du propos et l'insertion des personnages dans un univers familier à tous (celui du cinéma) rend l'histoire non seulement crédible et marquante mais aussi plus actuelle que Brave New World et 1984. En quelques dizaines de pages, un écrivain compose non seulement un thriller (on est happé très vite par le récit), mais aussi un texte de critique historique et sociale, une satire du cinéma et des mass media et un pamphlet antimilitariste. Les critiques et lecteurs américains ne s'y sont pas trompés : E For Effort est considéré comme l'un des textes de SF majeurs du vingtième siècle.

La novella de Sherred illustre ce que je pense de la littérature : un texte, ça n'est jamais seulement un texte. Sinon, un discours ne serait qu'un discours et nous ne verrions pas de différence entre le conte, la harangue politique, le prêche, la présentation scientifique, la réclame publicitaire, le sketch satirique et je ne sais quoi d'autre. Or, nous savons qu'il y en a.

Quoi qu'on écrive, il me semble, un texte est un engagement.

Un texte est une parole écrite pour quelqu'un. Et même pour quelques-uns. Cette parole ne peut pas être dénuée d'arrières-pensées. A moins d'être le dernier individu sur terre (ou de vivre isolé sur une île déserte) et d'être raisonnablement certain que le faire lire ne nous rapportera rien de notre vivant. C'est pour cette même raison que l'on accorde autant de valeur aux paroles des mourants, ou au testament des défunts : ils n'avaient plus rien à perdre, plus rien à gagner.

Même si l'on conçoit qu'un texte est, au mieux, altruiste – fût-ce d'un altruisme intéressé – et, au pire, manipulateur (fût-ce  "pour le bien" des lecteurs), il est légitime de penser que la plupart des textes sont situés quelque part entre ces deux extrêmes. Autrement dit : dans l'ambiguïté.

Tout texte, comme tout geste créatif, a probablement aussi pour objet d'attirer l'attention sur les qualités de celui qui le produit. Si j'écris un texte qui donne du plaisir, les lecteurs vont au moins m'être reconnaissant ; au mieux, ils vont faire lire le livre à d'autres, acheter mes autres livres, assurer ma renommée. Tout auteur – même le plus misanthrope - cherche à séduire assez pour que chaque lecteur aille jusqu'au bout du texte. C'est peut-être ce désir élémentaire de séduction qui fait de l'auteur un artiste.

Si chaque texte est une tentative artistique, alors les mots, le propos, la construction reflètent nécessairement la personnalité de l'auteur(e) – comme le trait ou le coup de burin reflètent celle du dessinateur ou du sculpteur. Rien n'est écrit au hasard. Pas une virgule n'est fortuite. Dominique Labbé, savant qui travaille sur la syntaxe, a mis au point une méthode d'analyse des textes qui permet d'affirmer que la fréquence des mots, des expressions, des tournures dans un texte constitue une empreinte caractéristique et infalsifiable de l'auteur. Il a ainsi montré que tous les discours politiques rédigés au Québec à une certaine époque, pour des politiciens de bords différents, avaient pour auteur le même homme (ce qui a été confirmé). Il a montré aussi qu'il n'y a pas de différence de syntaxe entre Emile Ajar et Romain Gary. Il a aussi suggéré que plusieurs des œuvres de Molière, et non des moindres, bruissent des caractéristiques stylistiques de Corneille. De là à penser que l'un produisait sur scène ce que l'autre écrivait... C'est une histoire très controversée, qui fait grincer des dents – parce que c'est une histoire d'engagement, de recherche de la vérité.

Quand on écrit, on se livre, on s'engage. Sinon, le texte est seulement une notice technique ou le mode d'emploi d'un aspirateur.

Depuis que j'écris, j'écris pour dire ma révolte. L'un de mes premiers textes, Je refuse… prenait pour modèle le J'accuse de Zola. Je l'ai écrit à quatorze ou quinze ans. Quelques années plus tard, pendant mes études de médecine, j'ai écrit de nombreux textes (de fiction, ou polémiques) dénonçant la violence des enseignants envers les étudiants, des étudiants entre eux, des soignants les plus gradés envers tout le monde – y compris à l'égard des patients.

Vingt ans après, lorsque j'ai inséré dans un roman (La maladie de Sachs) un tract intitulé "Nous sommes tous des médecins nazis", certains lecteurs se sont étonnés de la violence qui m'avait poussé à rédiger ce tract pendant mes études. Ca m'a fait rire : je l'avais écrit pour le livre. Mais mon rire n'était pas moqueur, c'était un rire de plaisir : leur réaction signifiait que ma révolte était aussi vive qu'au premier jour.

Pour ce qui me concerne, écrire et soigner ont toujours été intimement liés. Pas de manière consciente, bien entendu : j'ai compris ça bien après avoir commencé à écrire. Tout est parti de la lecture. Les livres me consolaient, ils m'éclairaient, ils me rassuraient. Ils étaient, en eux-mêmes, "soignants". Du moins, ceux que je lisais. Et très vite, j'ai fait la différence entre les livres qui me faisaient du bien et ceux qui me faisaient du mal. Je n'aimais pas les livres haineux. J'aimais les livres qui me donnaient le sentiment d'en sortir plus riche, mieux armé, plus intelligent. Des livres qui me confortaient dans mes espoirs et soutenaient mes révoltes.

Il en allait des individus comme des livres : certains me soignaient (me faisaient du bien), d'autres non. D'autres encore m'étaient antipathiques au point de me donner envie de leur taper dessus. Enfin, sur leurs auteurs. (Ca reste vrai, et je reconnais que c'est puéril, mais que voulez-vous, les émotions et les sentiments, ça ne vieillit pas. Quand ça s'éteint, c'est qu'on est profondément déprimé. Ou mort.)

Très tôt, j'ai aimé les livres qui racontaient une histoire et/ou m'apprenaient quelque chose. La plupart de mes livres préférés font l'un et l'autre. Ce qu'ils racontent n'est jamais gratuit : ils transmettent et partagent – des sentiments, des valeurs, des idées, des informations. Ils ne sont pas écrits "juste pour distraire". Ils sont porteurs d'un enjeu.

L'enjeu de la narration n'est pas toujours clair. Je ne savais pas quels étaient les miens en écrivant mes premières nouvelles, à l'adolescence, et mes deux premiers romans. J'écrivais dans une certaine inconscience. Ce n'est plus le cas aujourd'hui mais, même quand j'ai un projet en tête, même quand je tourne autour pendant des semaines pour délimiter exactement ce que je veux y mettre, pourquoi je veux l'écrire, ce que je veux dire, démontrer, enfoncer à coups de marteau dans le cerveau des lecteurs les plus résistants (autrement dit : ceux qui seront le moins susceptibles de me lire, car ceux qui en ont envie comprendront tout, tout de suite), je me rends compte, une fois plongé dans l'écriture (dans la narration), que j'avance au jugé. Je ne planifie plus. Le texte m'emporte, ce n'est plus moi qui commande. Je ne sais pas très bien où il va me conduire. Je sais que ça ne sera jamais comme je l'avais imaginé.

Un temps, ça m'a fait peur : est-ce que je ne risque pas de dire le contraire de ce que je veux dire, de ce que je ressens, de ce que je pense profondément ?
Et puis j'ai compris que c'était un fantasme : on ne peut pas écrire autre chose que ce qu'on est. Même si ça me déplaît, car j'imaginais autre chose, j'ai fini par admettre que je suis aussi soignant qu'écrivain : j'écris toujours pour soigner, pour rassurer, pour armer, pour faire du bien. Je sais qu'il y a bien des manières de "faire du bien" en écrivant. Pour ma part, je m'attache à exposer les mensonges, à saboter les dogmes, à dénoncer toutes les formes de terrorisme intellectuel ; je m'efforce de donner des informations libératrices ; je m'attache à raconter des histoires pour dessiner le monde tel qu'il est, tel que je nous le subissons mais aussi et surtout tel que j'aimerais qu'il soit.  

La tâche est bien évidemment vouée à l'échec. Mes livres ne changeront pas le monde, ni en mal, ni en bien. Mais échec et réussite sont choses toutes relatives. Certains livres m'ont fait du bien, soutenu, sorti de la dépression et du désespoir. Si un seul de mes textes fait du bien à quelqu'une, à quelqu'un, alors le jeu en vaut la chandelle. Il vaut que je la brûle debout, par les deux bouts.

Martin Winckler



[1] Initialement publiée dans Astounding Science Fiction en 1947, elle a été reprise dans le recueil First Person, Peculiar (Ballantine, 1972), du même auteur. En langue française, elle a été publiée en 1966 dans Fiction Spécial N°9/150 et dans un volume de la collection "Etoile Double", chez Denoël en 1984 sous le titre "La machine à filmer le temps". C'est la première version, traduite par Pierre Billon, que j'ai lue pour la première fois. Chaque fois que je l'ai relue, par la suite, c'est dans sa langue originelle.



Note du 23.10.2012 : Ce texte vient d'être publié dans un splendide numéro de la revue 303 intitulé "Ecrivain... Et à part ça, vous faites quoi ?" Il contient beaucoup d'autres textes d'écrivains, parmi lesquels Eric Pessan, Pierre Michon, Jean-Louis Bailly, et il est magnifiquement mis en page.
Je vous recommande de vous le procurer.

lundi 24 septembre 2012

A prendre et à laisser : memento pour les écrivants de fiction



Lisez. Beaucoup. Tout ce qui vous passe sous les yeux. Des histoires écrites, illustrées, en images. Lisez des textes longs et des textes courts. Repérez le genre d'histoire que vous aimez le plus lire, et lisez- en d'autres dans le même genre. Dépassez vos préjugés. Prenez des livres au hasard et essayez des histoires nouvelles. Vous verrez qu'on peut raconter une histoire d'amour, une enquête criminelle ou une chronique familiale de mille manières différentes et que ce n'est pas la nouveauté de l'histoire qui compte, mais la manière dont on la raconte. Tout est bon à raconter ; tout est bon pour raconter. Ne vous préoccupez pas des "qualités littéraires" annoncées ou réfutées. Le seul critère pertinent, pour le lecteur et la lectrice, c'est le plaisir.

Ecrivez. Beaucoup. Sur tout les sujets. Sous toutes les formes. Des textes longs et des textes courts. Ecrivez les histoires que vous auriez envie de lire, et des histoires qui ne sont pas du tout votre genre. Inventez, expérimentez, amusez-vous. Et quand vous voudrez écrire un texte "sérieux", choisissez une histoire qui vous tient à cœur et ne la lâchez plus avant qu'elle vous ait épuisé(e). N'imaginez pas qu'il faut souffrir pour écrire. Faites-vous plaisir, il y a de bonnes chances pour que ça fasse plaisir au lecteur. 

3° Chaque texte prépare le suivant. Le journal de Kafka n'est fait que de fragments. Et certains de ces fragments sont le début de nouvelles impressionnantes. Ne mésestimez pas vos textes inachevés, mais ne les laissez pas vous accabler. Ecrivez-en d'autres. 

4° Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Qu'il s'agisse de Shakespeare ou Molière, Flaubert ou Faulkner, leur inspiration venait d'ailleurs (d'un auteur, d'une légende, d'un fait-divers). Pensez aux élèves des peintres et n'ayez pas peur de copier les grands : ils l'ont fait avant vous. 

La parodie, le pastiche, le remake, la traduction sont des formes à part entière et de très bons exercices d'écriture. Une bonne histoire et de bons personnages ne sont pas épuisés par leur première apparition. Ni par la centième. Pensez à Job,  à Ulysse, à Don Juan, à Roméo et Juliette, à Batman. En réinventant les textes que vous aimez (et parfois ceux que vous n'aimez pas), vous apprendrez à être vous-même.

N'ayez pas peur de vous inspirer de la réalité. La vôtre ou celle d'un autre. Mais arrangez-vous pour qu'on ne le découvre que dix ans plus tard.

6bis : Evitez l'autofiction : vos expériences personnelles seront bien plus intéressantes en filigrane. Laissez le lecteur prendre le vrai pour le faux et le faux pour le vrai. Il vous en sera reconnaissant.   

Vous ne saurez jamais ce qu'est votre "style". Mais sachez toujours quelles histoires vous voulez raconter.

Le cœur d'un roman, c'est l'histoire. Chaque histoire appelle sa forme propre et la forme est au service de l'histoire, non l'inverse. C'est mon opinion, et je la partage. Vous êtes libre de penser le contraire. 

9° Un bon texte de fiction a toujours un début saisissant et une fin satisfaisante – pour vous au moins ; s'il vous manque l'un des deux, votre texte sera bancal. Ne commencez pas avant de connaître la fin.

10° Si vous avez une histoire épatante, ne vous mettez pas à l'écrire avant d'avoir longtemps mûri la trame (le cadre, les limites) sur laquelle, et les fils (le ton, le rythme, les ressorts narratifs) avec lesquels vous aller la tisser. Une fois la trame en place, et les fils en main, laissez l'histoire s'écrire toute seule.

11° Si vous éclatez de rire quand une idée vous vient, cette idée mérite toute votre attention. Si vous riez encore en la tournant dans votre tête, elle mérite d'être écrite. Si vous riez toujours en l'écrivant, elle mérite un livre.

12° Ne forcez pas l'écriture. Quand ça ne vient pas, faites autre chose : allez vous promener, faites une partie de cartes, sortez avec vos ami(e)s. Laissez l'écriture bouillonner à l'arrière de votre tête. Quand vous retournerez vous asseoir à votre table, elle débordera.  

13° Si votre roman-en-cours résiste, écrivez autre chose avec votre frustration et votre colère. Un article, une critique vengeresse, un pamphlet. Une lettre de rupture ou un règlement de compte. Dégommez par écrit votre pire ennemi. Quand ça ira mieux, rangez votre coup de gueule dans un tiroir et retournez à votre roman-en-cours. S'il résiste toujours, recommencez. Soyez plus obstiné que lui, il finira par céder. 

14° Ayez un autre boulot (1). Ecrire pour gagner sa vie, c'est le rêve, mais ça n'est pas toujours de tout repos : il faut écrire. Quand on a un autre boulot, on peut ne pas écrire sans mettre sa vie quotidienne en danger.

15° Ayez un autre boulot (2), il nourrira votre écriture et vous ramènera sur terre, vous le remercierez.

16° Ayez un autre boulot (3). Mais, si c'est possible, évitez de devenir prof de littérature

17° Ne faites jamais lire vos textes en travail à vos parents, vos enfants ou vos meilleurs amis ("ni à votre libraire", suggère Gilda dans les commentaires, plus bas). Ce ne sont ni vos critiques, ni vos lecteurs. S'ils veulent lire vos livres après publication, c'est leur droit. Ne leur demandez pas ce qu'ils en pensent ; laissez-les vous en parler spontanément, ou se taire. 

18° Vous aurez probablement envie de faire lire vos manuscrits et/ou beaucoup de vos textes à la personne avec qui vous partagez votre lit, votre salle de bains, vos repas et vos soucis d'argent. Mais ne prenez pas pour acquis qu'elle en a toujours envie. Chaque fois que vous finissez un texte, demandez-lui si elle veut le lire. Et si elle dit non, remerciez-la de vous laisser libre d'écrire et d'exister sans elle. 

19° S'il ne vous l'a pas expressément et spontanément demandé, n'envoyez jamais un manuscrit à un autre écrivain (surtout si c'est un écrivain que vous respectez). Si votre texte est mauvais, inutile de l'emmerder avec ça. S'il est bon, il y aura toujours quelqu'un pour le lui faire lire après publication. Si l'écrivain l'aime et si c'est quelqu'un de bien, il saura vous le faire savoir. 

20° Quand votre manuscrit sera terminé, choisissez soigneusement le ou les éditeurs à qui vous voulez l'envoyer. Envoyez-le seulement aux maisons dont vous lisez (vraiment) et aimez les livres. 

21° Une fois votre manuscrit posté, mettez vous à écrire autre chose. Sans tarder. Il n'y a pas de meilleur traitement à l'attente et de meilleure défense contre la frustration. 

21° Une fois que vous aurez lu cette liste, oubliez-la. Dans vingt ou trente ou quarante ans, vous aurez peut-être envie d'écrire la vôtre. En tout cas, c'est ce que je vous souhaite. En attendant, lisez et écrivez. Beaucoup. Encore. Au boulot ! 


Mar(c)tin Winckler

samedi 1 septembre 2012

Moi, Agnès C., 45 ans, lectrice de sentimental…

Préambule :

Ce n'est pas un secret : je ne méprise aucune forme littéraire. J'ai grandi en lisant de la SF et des romans policiers, en dévorant des BD et des séries télé. Mais j'ai aussi lu des romans photos et des romans d'amour (Delly, Max du Veuzit) ou historiques (Anne Golon, Robert Merle).

Il y a quelques semaines, Agnès C., animatrice du site "Les Romantiques", consacré à la Romance, ce genre littéraire que les Français ne connaissent que par l'intermédiaire de la collection Harlequin, m'a contacté pour me dire que son site avait posté une présentation du Choeur des Femmes ( p. 44 - qui me ravit et m'honore). Elle m'a fait découvrir un certain nombre de choses sur le genre qui lui est cher, ce qui m'a donné envie de lui demander un article.  Le voici. J'espère que vous l'apprécierez autant que moi, tant il me semble éclairant.

MW

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"Pourtant j’ai essayé de décrocher plusieurs fois, je vous jure… je sais que c’est mal…
Bouhou… j’ai tellement honte…"

Non, c’est une blague.

Moi, Agnès C., 45 ans, il y a bien longtemps que je suis une lectrice décomplexée de Romance.

Car il faut vous dire tout d’abord que nous, lectrices, aimons parler de Romance et non de roman d’amour ou sentimental, encore moins d’eau de rose ou de guimauve. La Romance est une littérature de genre, elle mérite une appellation qui ne porte pas en elle de jugement de valeur ni d’a priori.

Comment j’en suis arrivée là ?
J’ai commencé, adolescente, en lisant les Harlequin de ma mère.
Puis, à l’âge adulte, j’ai eu envie de retrouver le plaisir que m’avaient procuré ces romans, et j’ai découvert la collection Aventures et Passions de J’ai lu, qui publie les plus grands noms de la Romance Historique… américaine…
Car il faut vous dire qu’il n’y a plus d’auteur français de Romance depuis Delly et Max du Veuzit. Le genre est mort, les éditeurs l’ont tué… Triste, n’est-ce pas ?

Début 2001 j’ai créé le site internet www.lesromantiques.com, dans le but de partager avec d’éventuelles autres lectrices des informations telles que la bibliographie des auteurs, ou l’ordre dans lequel il fallait lire une série. Je dis d’éventuelles autres lectrices, car à l’époque je n’en connaissais aucune. Ce n’est pas le genre de lecture dont on parle spontanément en public, n’est-ce pas ? Par peur d’être jugée…

Or il se trouve que je n’étais pas la seule à me sentir seule, car immédiatement j’ai été contactée par des fans qui n’avaient jamais pu parler de leur passion non plus… Vous devinez l’excitation joyeuse qui s’en est suivie… 

En octobre 2001 a été créé notre forum. En 2004 nous avons lancé le concours annuel de nouvelles, dont nous venons de clore la dixième édition. En septembre 2007 nous avons publié le premier numéro de notre webzine mensuel, le 55ème vient juste de sortir.
Au fil des ans, le site Les Romantiques est devenu le porte drapeau d’une communauté dynamique et… très nombreuse, qui mérite qu’on lui rende justice.
Non, les lectrices de Romance ne sont pas des laissées pour compte qui atténuent leur frustration en se gavant de chocolat et de littérature bon marché, en peignoir défraîchi, un masque de beauté vert appliqué sur le visage… Vos filles en lisent, vos sœurs en lisent, vos mères en lisent, vos grand-mères en lisent… vous-même, peut-être, vous en lisez ?

Grâce au site Les Romantiques, j’ai rencontré beaucoup de fans du genre, et aussi beaucoup d’idées préconçues qui nous sont jetées à la figure avec une ingénuité parfois confondante. En voici quelques-unes.

Idée préconçue N°1 : "La Romance n’est rien d’autre que du porno pour fille (frustrée ?)"

Dans la Romance moderne, la scène de sexe est en effet un passage obligé. Elle s’est très vite imposée comme l’une des caractéristiques du genre : on suit les héros jusque dans la chambre à coucher. Il y a même depuis quelques années des sous-genres encore plus sensuels : le Romantica et l’Erotica. Mais nous y reviendrons.

Or quand quelqu’un ouvre un de nos romans, c’est forcément LA scène sur laquelle il va se précipiter comme la misère sur le pauvre monde. A ce moment-là vous pouvez être quasiment sûre d’une chose : il va se mettre à la lire avec un ton niais, et d’une petite voix flutée, avant d’éclater de rire et de vous regarder en hochant la tête, l’air de dire : non mais ma pauvre fille, tu es vraiment tombée bien bas…
Oui, ça énerve hein…

Pourtant ce n’est pas tant le sexe qui intéresse les lectrices, que l’émotion qui s’en dégage. Et les scènes mécaniques, avec descriptions anatomiques, ne sont guère appréciées. Il faut que la scène hot, comme nous l’appelons, soit intégrée dans l’intrigue et y participe pleinement. Et celle-ci n’est pas juste un vague prétexte pour mener à une partie de jambes en l’air. Les auteurs qui font de bonnes scènes hot sont recherchés… s’il y a autre chose autour.

Ceci dit, outre Atlantique beaucoup de défenseurs de la Romance arguent qu’elle est le seul genre où la libido et la sexualité féminines sont non seulement mises en scène, mais célébrées. Il faut bien reconnaître que les vieux schémas ont la vie dure et que dans l’inconscient collectif, une femme qui éprouve du désir et du plaisir est souvent perçue comme la femme de mauvaise vie, la fille facile, l’infidèle en puissance. Une bonne épouse et mère de famille, une femme respectable, se contente de s’allonger sur le dos en pensant à l’Angleterre, pas vrai ?

Si les femmes modernes ont droit au plaisir, si tout un chacun considère même que l’équilibre sexuel est l’une des composantes d’une vie heureuse, pourquoi les lectrices devraient-elles avoir honte de lire des scènes hot où le héros procure orgasme sur orgasme à sa partenaire ? C’est un fantasme comme un autre, non ?

Idée préconçue N°2 : "La Romance se résume à de petites histoires sentimentales de 150 pages, dégoulinantes de guimauve, qui ont toutes le même canevas."

Les non initiés assimilent souvent la Romance tout entière aux collections courtes de l’éditeur Harlequin (Azur, Horizon, Collection Blanche, etc.) Or la volonté d’Harlequin est justement de sortir de ce carcan étroit. Les collections Jade, Mira, Red Dress Ink et plus récemment Mosaïc ont pour vocation de toucher un autre lectorat que celui de la Romance… et ça marche ! C’est même une opération marketing digne d’être citée en exemple dans les écoles de commerce. Parce que si le positionnement est différent, les auteurs et les romans sont, eux, exactement les mêmes.

Les collections Jade et Mira résultent d’une idée lumineuse, même si elle paraissait a priori extrêmement audacieuse. Considération de départ : certaines personnes se feraient hacher menues plutôt que d’ouvrir un «roman à l’eau de rose». Or qu’est-ce qu’un roman à l’eau de rose pour elles ? Un poche, pas cher, avec un couple en couverture et un titre niais, et aussi un logo Harlequin.

Rien de plus facile pour récupérer ce lectorat : rééditer des romans parus sous l’étiquette sentimental dix en plus tôt, en grand format, deux fois plus cher, avec une belle couverture, en changeant le titre et en faisant quasiment disparaître le nom honni d’Harlequin. (Nota : ne mentionner nulle part qu’il s’agit d’une réédition, bien évidemment…). Et voilà que ces titres apparaissent, comme par magie, dans le classement des meilleures ventes de Livre Hebdo ! C’est pas beau ça ?

Alors évidemment ce ne sont pas les lectrices de Romance qui les achètent, elles savent qu’elles peuvent les trouver d’occasion à 1 Euro pièce, alors les payer pratiquement 10 Euros en grand format, il ne faudrait pas les prendre seulement pour des gourdes… Non, c’est un tout nouveau lectorat, tout beau, qui ne lirait jamais au grand jamais de sentimental, non madame !

Anecdote : J’étais sur le stand Harlequin au Salon du livre de Paris l’année du lancement de Mira, lorsque j’ai vu un brave monsieur d’une soixantaine d’années choisir deux livres sur le présentoir et s’approcher du comptoir pour payer. L’employé d’Harlequin, lui-même interloqué, lui dit : «Vous voulez quoi ?» et le brave monsieur de répondre : «Ben à votre avis, acheter ces livres…» 

Avait-il saisi qu’il était en train de se servir une petit louche d’eau de rose au prix fort ? Et vous n’imaginez pas le nombre de lectrices de Romance qui ont trouvé leur papa avec un Mira entre les mains, qui jurait ses grands dieux que non, ce n’était pas un Harlequin, jusqu’à ce qu’elles leur montrent le nom de l’éditeur, qui s’était fait bien discret dans un coin. La Romance est sans doute comme le bon vin, elle s’améliore en vieillissant…
Mais si Harlequin est le plus gros poisson dans le bocal de la Romance, il n’est certes pas le seul. Il existe aux Etats-Unis plusieurs autres éditeurs, et maintenant de nombreux eEditeurs, qui font de ce genre l’un des plus dynamiques du moment.

Dans les années 70-80 existaient deux grands sous-genres : la Romance contemporaine et historique. Il y a maintenant, pour n’en citer que quelques-uns, le romantic-suspense (mélange de Romance et de policier ou thriller), la romantic-fantasy et urban fantasy jusqu’à la Romance paranormale et bit-lit, la comédie romantique jusqu’à la chick-lit, la Romance érotique (ou Romantica) jusqu’à l’érotique (qui n’est plus tout à fait de la Romance).

Ne soyez donc pas surpris de trouver des choses très diverses sous le label Romance, même si ce n’est pas du tout l’idée que vous vous faisiez d’un «roman à l’eau de rose». Cette idée-là est dépassée depuis une trentaine d’années, guère plus.

Idée préconçue N°3 : "Tous les livres sont équivalents dans la Romance, ils ont tous la même recette. Lire l’un ou l’autre, c’est du pareil au même, autant choisir au hasard !"

Eh bien non… J’ai déjà souligné qu’il y avait plusieurs sous-genres, mais pire encore, à l’intérieur d’un même sous-genre il y a des auteurs lambda (plein) et de très bons auteurs (rares). Je pense que c’est un peu partout pareil.

Anecdote : L’éditeur J’ai lu croyait aussi, jusqu’à récemment, que les lectrices choisissaient leurs livres quasiment au hasard… Lors de mon premier rendez-vous chez eux, j’ai eu la surprise d’apprendre qu’ils pensaient que nous n’avions pas repéré d’auteurs meilleurs que d’autres. En effet, les romans restent en rayon jusqu’à être vendus, donc certains auteurs partent en 24 heures et d’autres en neuf mois, mais pour eux les chiffres de vente étaient identiques. Comme internet n’était pas encore tout à fait passé par là, les lectrices devaient se contenter de ce qu’il y avait en magasin, ce qui gommait toute différence entre auteurs. Depuis les choses ont évolué, évidemment.

Chez Harlequin la problématique est un peu différente : En fin de mois, les livres invendus sont détruits et remboursés aux magasins. Les bons auteurs, qui se vendent bien, sont donc remarqués. (Les mauvais aussi.) Mais ils sont rapidement dragués par les éditeurs New-Yorkais qui leur proposent de meilleurs contrats et plus de liberté créative. Parmi les auteurs maintenant réputés qui ont fait leurs armes chez Harlequin, citons Sandra Brown, Iris Johansen, Janet Evanovich, Tess Gerritsen, Linda Howard.

A noter cependant qu’avec les nouvelles collections grand format comme Mira, Harlequin a, ces dernières années, renversé la tendance en signant des auteurs réputés comme Diane Chamberlain ou Jackie Collins.

Idée préconçue N°4 : "Les lectrices de Romance sont à la limite de l’analphabétisme" (cf sketch de Danny Boon) ou "Les lectrices de Romance s’abrutissent en lisant à la chaîne".

Alors, sommes-nous des boulimiques ou des anorexiques de la lecture ? Il y a quelques années, Pocket nous a confié la réalisation d’une enquête et l’une des questions portait sur le nombre de livres lus par an. La catégorie maximum était « plus de 15 ». Une lectrice m’a écrit : «Vous êtes sûre que ce n’est pas par mois ?» 

Alors bien entendu, vous vous en doutez, il y a autant de réponses que de lectrices. De plus, de quels livres parle-t-on ? D’un Azur de 150 pages qu’on s’envoie en une heure et demi ou d’un roman de plus de 300 pages ? Sans compter qu’environ 25% de nos lectrices, lassées de ne pas trouver ce qu’elles voulaient chez les éditeurs français, sont passées à la VO ou à d’autres langues qu’elles maîtrisent mieux que l’américain : espagnol, italien, allemand. Or il est évident qu’on lit moins vite quand ce n’est pas dans sa langue maternelle.

En moyenne, je dirais qu’une Romance longue prend trois jours à une semaine à lire et que les lectrices aiment avoir toujours un bouquin d’avance sous la main. Nos PAL (Piles [de romans] A Lire) comptent même souvent des centaines de volumes. Ce qui est certains, c’est que les lectrices de Romance lisent plus que la moyenne des français, ce qui n’est pas difficile. En fait, d’après mes statistiques, une lectrice de Romance lit en moyenne en un mois le même nombre de livres que le reste des français en un an.

Idée préconçue N°5 : "La Romance a pour but de lobotomiser les lectrices afin de les réduire à l’état de petites choses soumises à l’Homme Dominant. D’ailleurs ces livres ne seraient-ils pas écrits par des hommes ?"

Il faut avouer qu’il y a quelques hommes qui commettent de la Romance, quelques couples aussi écrivent à quatre mains, mais l’immense majorité des auteurs de Romance sont des femmes. Perpétuent-elles à l’insu de leur plein gré des schémas hors d’âge, comme la femme dépendante de l’homme, subordonnée professionnellement comme dans le couple, inférieure en tout ?

Pour parler de la relation professionnelle tout d’abord, les héroïnes de Romance sont-elles forcément des secrétaires et les héros leurs patrons ? C’est de moins en moins vrai. Pourquoi ? Tout simplement parce que c’est de moins en moins vrai dans la société. La Romance reflète une certaine réalité. Ce n’est pas un mythe qu’elle véhicule, mais bel et bien une triste vérité : les PDG sont à 80% masculins et les secrétaires à 99% féminines. Mais il y a de plus en plus d’héroïnes dotées de professions valorisantes, les auteurs de Romance ne sont pas si bêtes.

Quant à la relation petite héroïne fragile qui attend son grand et ténébreux sauveur, il faut bien reconnaître que c’est l’un des grands succès du genre. Mais pour une raison que vous n’imaginez sans doute pas. L’une des surprises, lorsque j’ai eu l’occasion de faire la connaissance d’un grand nombre de lectrices de Romance, a été de constater que celles qui adoraient les héros dominateurs, limite violents, et les histoires musclées n’étaient absolument pas les faibles femmes. Au contraire, plus une lectrice aime ce que nous appelons les héros Alpha (grands, forts, ténébreux et cré cré méchants) plus c’est une femme de tête, indépendante et ayant réussi professionnellement. Dans la vie elle doit s’imposer et diriger, dans ses lectures elle aime se mettre dans la peau d’une ingénue à la merci du grand méchant mâle alpha. Ca vous étonne ?

A contrario une femme plutôt discrète dans la vie aura tendance à préférer les héros Beta (sans accent circonflexe), tendres, aimant le dialogue, qui traitent leur âme sœur comme une reine. Savez-vous que de telles Romances sont utilisées aux USA dans certains refuges pour femmes battues, afin de leur redonner un aperçu de ce que peut et doit être une relation de couple normale ?

Quant à l’oppression des femmes, non, je ne crois pas qu’elle se situe au niveau des relations décrites dans nos Romances. S’il flotte bien un relent de misogynie dans l’air, voilà à mon sens où il se cache : La Romance est la dernière littérature de genre à être considérée avec autant de mépris.

Le policier a reçu ses titres de noblesse : Simenon n’est-il pas maintenant édité chez Gallimard dans la Bibliothèque de la Pléiade ? Alors que, rappelons-le, à son époque l’intelligentsia littéraire n’avait pas assez de mots pour exprimer le mépris qu’il lui inspirait. Il ne viendrait plus à personne l’idée de jeter un regard condescendant sur un lecteur de Science Fiction ou de Fantasy en le traitant à mi-voix d’adolescent attardé. Il y a même des hordes de lecteurs «sérieux» qui se jettent maintenant sur la littérature pour ados, comme Harry Potter ou Twilight, quelqu’un oserait-il parler d’infantilisme et de sotte naïveté ?

Pourtant on peut encore constater avec désespoir que les lectrices de Romance ont du mal à assumer leurs choix de lecture. Pourquoi ? Pourquoi est-ce une telle honte de lire de la Romance ? Pourquoi devons-nous affronter des regards goguenards aux caisses des supermarchés, des réflexions méprisantes dans les libraires «Non madame, nous ne vendons pas ce genre de CHOSE !» et même de «gentilles taquineries» à la maison ? N’est-ce pas tout simplement un reste nauséabond des idées du XIXème siècle concernant l’infériorité de l’intelligence féminine ?

Quoi ? s’écrient le mâle dominant et ses acolytes. Les femmes lisent des romans où tout est bien qui finit bien, qui parlent… gloups… de sentiments ? Horreur ! Je n’en ai jamais lu, bien sûr, vous n’imaginez tout de même pas ! Mais ça doit forcément être d’une sottise affligeante. Les lectrices sont certainement des ménagères illettrées et des ados hystériques. Les auteurs ont obligatoirement un style déplorable. En plus ce ne sont que des femmes, alors pensez donc !

Ah oui, parce qu’il faut aussi remarquer qu’on compte sur les doigts d’une main les auteurs féminins qui ont arraché de haute lutte une place dans le monde littéraire, au vingtième siècle : un roman écrit par une femme est d’emblée suspect d’infériorité littéraire et doit doublement faire ses preuves. Alors s’il est en plus écrit POUR des femmes, je ne vous raconte pas…

Mesdames qui aimez la Romance, j’ai envie de vous dire que vous n’avez pas à avoir honte de lire quelque chose qui vous rend heureuse, qui vous fait du bien, un livre optimiste. Parce que finalement ce n’est pas tant la qualité objective de ce genre de littérature qui fait que certains cercles la dénigrent, c’est le thème en lui-même : Une historie d’amour qui finit bien ? Mauvais genre ! Ca pourrait être écrit avec le style de Le Clezio que ce serait toujours considéré comme de la sous-littérature.

De l’eau passera encore sous les ponts avant qu’on reconnaisse qu’il y a des auteurs de Romance qui valent la peine d’être lus et sont des classiques. D’ici là, si quelqu’un vous regarde de travers parce que vous en lisez à visage découvert, n’hésitez pas à lui expliquer qu’on ne critique pas ce qu’on ne connaît pas et qu’en le faisant cette personne perpétue une idée misogyne et arriérée selon laquelle la littérature féminine est intellectuellement inférieure. Je ne sais pas si vous convaincrez, j’espère du moins que cela vous permettra de laisser tomber les complexes d’infériorité et le sentiment de honte et de sortir du placard… - Faites votre coming out littéraire !!!

Agnès Caubet


Petite bibliographie sélective :


Romance historique

Les machinations du destin de Judith McNaught (Régence)
Un mari féroce de Julie Garwood (Ecosse)
Cendres dans le vent de Kathleen E. Woodiwiss (Guerre de sécession)
La loterie de l’amour de Lisa Kleypas

Romance contemporaine

Nulle autre que toi de Susan Elizabeth Phillips (Joueur de football américain)
L’homme le plus sexy de Julie James (Acteur)
Les joyaux du soleil de Nora Roberts (Patron de pub irlandais)
Mr Perfect de Linda Howard (Flic)

Romance paranormale

L’amant ténébreux de JR Ward (Vampires)
Esclave des sens de Nalini Singh (Changeformes)
Vampire et célibataire de MaryJanice Davidson (Humoristique)
Plaisir déchainé de Larissa Ione (Démons)

Romance érotique

Une lady nommée Passion de Lisa Valdez (Historique)
L’ombre de minuit de Lisa Marie Rice (Contemporain)
Le choix interdit de Megan Hart (Contemporain)
Voyage au jardin des sens de Robin Schone (Historique)

A.C.

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Note de MW 

Ne vous fiez pas aux titres français. Ils sont souvent stupides et presque toujours trompeurs.  Comme pour les épisodes de séries télé, on dirait que les traducteurs (et ici, les éditeurs) s'ingénient à abêtir les titres originaux, souvent beaucoup plus imaginatifs. 

A cette liste  j'ajouterai deux de mes lectures récentes pour les anglophiles et amateurs de voyages dans le temps (sous-genre qui m'est cher). 

Until Forever de Johanna Lindsey, un roman de Time Travel Romance complètement échevelé et très drôle, et qui (pour cela, probablement) m'a donné beaucoup de plaisir.

The Mammoth Book of Time Travel Romance, un recueil de nouvelles inégales mais dont certaines sont excellentes. Il montre tout ce qu'on peut faire avec le thème de l'histoire d'amour transtemporelle. 

Je viens par ailleurs de commencer la lecture de Outlander de Diana Gabaldon, le premier volume d'une longue saga familiale transtemporelle, aux marges de la Romance, de la SF et du roman historique. Elle a été publiée en français sous le titre général "Le Chardon et le Tartan"... (et découpée en petits volumes chez J'ai Lu, allez comprendre...) Plusieurs des romans de la série ont été des best-sellers considérables en Amérique : on estime qu'en vingt ans, les sept tomes se sont vendus à plus de vingt millions d'exemplaires. L'un des titres, A Breath of Snow and Ashes, a remporté un prix de lecteurs, le Quill Award, en 2006, face à des titres de George R. R. Martin et de Stephen King. 

Une adaptation en minisérie ou en série sur la chaîne du câble HBO (comme Game of Thrones) est en cours de préparation sous la direction de Ronald D. Moore, à qui l'on doit en particulier la géniale Battlestar Galactica... 

Pour Agnès C., le cycle Outlander est une sorte d' "Angélique version Time Travel". Ce n'est pas faux (l'héroïne va et vient entre l'après-guerre et le 18e siècle écossais). Mais ça n'enlève rien à son charme et ça n'est (à mon avis) pas une comparaison infâmante : les Angélique d'Anne Golon ont eu beau être édulcorés par le cinéma, ils n'en sont pas moins l'un des cycles de romans historiques les plus réussis et les mieux écrits qu'on ait produits en France à la fin du 20e siècle. Je pense qu'ils souffrent du même préjugé (injuste) que celui dont ont souffert Les Hommes en Blanc d'André Soubiran. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de littérature romanesque solide, bien écrite, bien construite, bien documentée. 

Populaire - et donc éminemment respectable. 

A lire également (en anglais) : un entretien très détaillé entre Agnès Caubet et Séverine Olivier, professeur de littérature (auteur de Le roman sentimental. Productions contemporaines et pratiques de lecture) et publié par le très sérieux Journal of Popular Romance Studies 


Allez, élargissez vos horizons... 

MW 

mercredi 18 juillet 2012

Je viens de terminer deux livres

Je m'étais engagé à les donner aux éditeurs le 15 juillet, dernier délai. J'ai rendu le premier le 12, le second le 17. 
Il y a un essai (L'esprit du shaman – Dr House, une éthique du récit) et un roman (originellement intitulé La Veillée). L'un pour Boréal (Montréal), l'autre pour P.O.L (Paris).
En principe, ils seront publiés à l'automne. (Ainsi qu' un Petit éloge des séries télé, chez Folio). 

dimanche 24 juin 2012

Les histoires (3)

Un jour, je me suis assis à la table familiale.
J’étais assez grand pour le faire, mais je n’étais pas encore adulte.
Je dînais avec mes parents les soirs où mon père ne travaillait pas, ou les dimanches midi que nous passions à la maison.
Les fêtes étaient moins nombreuses.
Un jour, je suis parti passer un an en Amérique.
Il y a sans doute eu des fêtes pendant cette année-là.

dimanche 17 juin 2012

Les histoires (2)

Tant que j’étais assis sous la table, tout était simple.
Je n’aimais pas qu’on dise que j’étais trop petit. Je n’aimais pas qu’on pense que je ne comprenais rien. J’écoutais sans toujours tout comprendre. Mais je savais ceci : ils aimaient être ensemble. Ils aimaient partager. Leurs repas, leurs souvenirs, leurs histoires et leurs rires.
J’avais hâte de grandir et de partager.

lundi 11 juin 2012

Les histoires (1)

C’est le printemps, ou peut-être la fin de l’été. Il y a du soleil dehors mais la pièce est dans l’ombre. La table est plus longue qu’à l’habitude car on lui a ajouté ses rallonges. On a tendu une grande nappe, mis le couvert avec beaucoup d’assiettes et de verres. Il y a du monde à la maison : mes oncles et tantes, des cousins, des cousines, ma sœur aînée Claudie, quelques amis. On est en fin d’après-midi, un samedi ou peut-être un dimanche, et c’est un long weekend. Demain, on fera la grasse matinée.
Des femmes s’affairent dans la cuisine. Des jeunes gens bavardent dans le jardin, où deux garçons courent, crient et jouent. Dans le bureau de consultation de mon père, au milieu de la fumée des Marlboro, des Pall-Mall et des cigarillos Panther, des hommes et des femmes aux sourcils froncés jouent au poker ou surveillent les joueurs.
Moi, je suis assis sous la table de la salle à manger.