samedi 2 juillet 2011

Le roman de Heidi - (Exercice n°18)


 "Le Roman de Heidi" album illustré des photos de la série diffusée sur A2, à l’époque.

Cité comme ça, on croirait à une boutade, à une plaisanterie. Même en l’écrivant là, à l’instant, je me demande comment j’ose le formuler ainsi. Or, c’est bien le livre de ma vie. Celui qui a entraîné les centaines ou les milliers d’autres à sa suite.

Un soir que nos parents nous avaient confiés, mon frère et moi, à de lointains cousins pour la nuit, la jeune fille de la maison m’a échangé ce livre (enfermé dans une bibliothèque vitrée à clef) contre l’arrêt de mes pleurs. J’avais déjà repéré ce livre, sur l’étagère du bas ; j’ai accepté immédiatement. J’avais 5-6 ans. Première nuit où j’ai lu un livre en entier. Je n’ai jamais pu me résoudre à le rendre. De toute façon, ils avaient oublié de me le demander. Et rien que de savoir qu’il allait de nouveau se retrouver enfermé, si je le rendais, me libérait de tous mes scrupules. Je m’en souviens précisément.

C’est devenu mon livre inséparable, mon compagnon de route. J’en lisais d’autres, mais dès que j’avais de la nostalgie ou du chagrin, j’attrapais ce livre. Il m’apaisait constamment. Posé à côté de mon lit, il était la promesse de la douceur de vivre, de la nature qui pourvoit à tous nos besoins, de la liberté, de la simplicité de la vie et de sa richesse aussi.

Tant d’années ont passé. Et pourtant, il est toujours avec moi, à portée de main. La honte, ce regard que j’imagine que les autres auraient s’ils savaient, me le fait tenir caché. Mais il est toujours avec moi, partout, tout le temps. Et il reste le premier objet auquel je pense, dans mes déménagements ; le premier que j’enveloppe, au milieu des draps, pour ne pas qu’il s’abîme.

Je ne le relis pas, préservant ainsi sa magie (peut-être serais-je déçue si je l’ouvrais aujourd’hui, je préfère ne pas tenter). Il se suffit à lui-même. Je sais que ses personnages n’ont pas bougé, ni son histoire, ni son paysage. Il est là et il m’accompagne, cela me convient amplement.

Je me demande sincèrement, parfois, ce que j’aurais été si je n’avais pas lu ce livre, si je n’avais pas pleuré, si je ne l’avais pas remarqué… Mon besoin vital d’aller dans les bois, dès que je peux m’échapper, de sentir l’air sur mon visage pour respirer à nouveau ; mon besoin inaliénable de me sentir sans lien, sans contrainte ; cette nécessité viscérale de ne manger que des produits naturels… non, je préfère ne pas y voir de lien, avec ce livre pour enfants, sans prétention. Personne, dans ma famille, n’est comme ça, personne ne se reconnaît dans moi. Et je ne saurai probablement jamais si ce livre m’a attirée parce qu’il entrait en résonance avec moi ou bien si je suis devenue lui, en quelque sorte.




(Note de MW : Ce texte m'a été envoyé sans signature.)