S., le 29 janvier 2009
Chère Dr G.,
Ma mère m’a annoncé votre décès lors de son dernier appel téléphonique. C’est ainsi que je suis tenue au courant des dernières nouvelles depuis que je vis à l’étranger : son cancer du sein, la naissance d’une nouvelle nièce, les fiançailles de mon frère... Cette fois-ci, entre le dernier exploit de ma filleule et la vague de froid qui s’abat sur la France cet hiver : « tiens, au fait, j’ai une nouvelle qui va sûrement te faire un peu de peine, et bien, tu sais, Dr G., elle est décédée, ça fait quelques semaines déjà, il faut dire, elle n’était plus toute jeune, elle était malade je crois...»
J’étais émue, comme si une partie de mon enfance disparaissait avec vous. Vous étiez malade ? Qui s’est occupé de vous? Vous qui avez consacré votre vie aux autres; vous, sans mari ni enfant, prenant soin de votre mère âgée, après vos interminables journées de travail ? J’aurais aimé à mon tour être votre médecin. Après tout, n’aurait-ce pas été le meilleur moyen de vous dire merci ?
Merci pour m’avoir donné l’envie dès mon plus jeune âge de devenir docteur. Enfant, j’étais fascinée par ces instruments insolites que vous sortiez de votre mallette lorsque vous veniez à la maison, et à peine étiez-vous repartie que je tentais à mon tour d’examiner la gorge de l’un de mes frères. Adolescente, je voulais devenir médecin généraliste, toujours à l’écoute comme vous, pour aller soigner chez eux la grand-mère, son fils et le dernier-né d’une même famille et les accompagner tout au long d’une vie. Plus tard, lors de mes premiers pas à l’hôpital, vous avez calmé des angoisses que peu de personnes autour de moi comprenaient. Merci.
Tout le monde ne vous appréciait pas autant, certains vous trouvaient parfois un peu dure. De temps en temps, le souvenir de vos années en Afrique devait vous faire trouver bien insignifiants certains soucis des cadres de notre banlieue favorisée de l’ouest parisien. Mais vous étiez toujours disponible et attentive quelle que soit l’heure ou le jour, compréhensive, sachant créer un apaisant climat de confiance, trouvant toujours un prétexte pour, sans l’humilier, ne pas faire payer une personne qui avait peu de moyens.
Lorsqu’à la fin de mes études je suis partie travailler dans un dispensaire en Afrique, c’était peut-être une façon de marcher dans vos traces.
Je ne suis pas devenue le médecin de famille que j’imaginais : je suis maintenant spécialiste à l’hôpital, mais dans mon domaine, le premier motif de consultation est la douleur et «mes» (comme si ils nous appartenaient !) patients souffrent de maladies chroniques qui m’amènent à les suivre de façon régulière, et donc tisser ces liens particuliers qui sont ma raison d’être médecin. Je suis encore jeune et quand par manque d’expérience je ne sais comment réagir dans certaines situations, je me demande «qu’aurait-elle fait ou dit ?»
Ma timidité m’a empêché de vous adresser ces remerciements de vive voix, mais vous étiez croyante et je suis sure qu’ils vous parviendront là où vous êtes maintenant; je vous entends déjà, gênée par votre modestie, me répondre avec votre rire franc «voyons, voyons, je ne faisais que mon travail...!»
Marie
Quel beau merci. Il est des personnes qui font nos vocations. On ne parvient hélas pas toujours à le leur dire à temps.
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