Je suis en train de me remettre à lire.
Je n'ai jamais vraiment cessé (on lit beaucoup quand on surfe) mais je me remets, depuis un an, depuis mon arrivée à Montréal, à lire des livres, plutôt en anglais (mais pas toujours : depuis quarante-huit heures je dévore Rapport de police, l'essai que Marie Darrieussecq a consacré au plagiat littéraire et qui paraît ce mois-ci chez P.O.L - et dont je vais sûrement parler dans un prochain texte publié ici même).
Je lis dans le bus et dans le métro. Ou plutôt : je lis entre le moment où je monte dans le bus 24, au coin du parc Baldwin et de la rue Fullum et où je sors du métro à la station Université de Montréal, car quand pendant les correspondances, entre le 24 et la ligne orange, au métro Sherbrooke, et entre la ligne orange et la ligne bleue, à Jean-Talon, je lis en marchant ; et pareil au retour.
Je lis parce que j'ai horreur de m'ennuyer. Et pour ne pas m'ennuyer, je préfère lire des livres qui me passionnent. Alors, comme je ne sais pas toujours quel livre va me captiver (me faire oublier le bus ou le métro, et parfois le moment de descendre ; me faire oublier le temps que je passe à "ne rien faire de constructif" quand je voyage d'un point à un autre sans pouvoir clavailler), j'en emporte plusieurs. Ainsi, je suis toujours sûr d'avoir de la lecture adaptée à mon humeur du moment.
Depuis quelques jours ou quelques semaines, brusquement, la lecture dans les transports en commun ne m'a plus suffi : je me suis senti douloureux de devoir cesser de lire en arrivant au bureau ou en rentrant chez moi.
Bon, quand je rentre chez moi le soir, il n'est pas anormal que je cesse de lire, pour le temps des retrouvailles, du dîner, d'une éventuelle activité familiale : en ce moment, depuis l'achat d'un téléviseur grand format, c'est un film tous ensemble - je vous recommande Up ! et l'hilarant De père en flic) ou un épisode de Supernatural avec les jumeaux (on va bientôt finir la Saison 1).
Mais je ne me couche pas après le film, et je pourrais lire après.
Et, au bureau, est-ce que je ne ferais pas mieux de continuer à lire le livre que je tenais au moment de sortir mes clés plutôt que perdre mon temps à surfer sur le web ? Est-ce que lire ça ne fait pas aussi partie de mon boulot actuel de chercheur ?
Curieusement, lire chez moi ou au bureau ne me tente pas. Ou plutôt, je n'arrive à lire qu'à l'écran. Et je me suis demandé pourquoi.
La réponse n'est pas du tout "psychanalytique", je ne me plonge pas dans l'écran de mes ordinateurs parce que je cherche à fuir la réalité de mon lieu de travail (que j'adore) ou de mon logement familial (où je me sens très bien) mais tout simplement parce que, pour lire, il me faut des conditions favorables.
Vous allez justement me dire : "Mais le métro, le bus ! Ca n'a rien de favorable." Eh bien, en un sens, si.
Parce que lire debout ou assis dans le métro ou le bus a pour vertu (supplémentaire) de créer des conditions favorables au voyage en métro ou en bus. Dans le métro et dans le bus, la lecture est l'anesthésique (comme la musique que j'écoute à l'Ipod, d'ailleurs) qui me permet d'oublier que je passe quarante-cinq minutes à voyager d'un point à un autre. La lecture en voyage m'offre simultanément une anesthésie à la réalité physique et un remède à l'ennui. Mais la compréhension que j'ai du texte est dans une certaine mesure compromise par les conditions de lecture. Je ressens souvent le besoin de relire ce que j'ai lu en voyage, comme si je ne l'avais pas aussi bien assimilé que si je l'avais lu dans un bon fauteuil.
Et justement, je n'ai pas de bon fauteuil pour lire. Ni au bureau, ni à l'appartement.
Je n'ai plus de fauteuil.
Enfant et adolescent, j'avais LE fauteuil de lecture idéal.
C'était un truc qui semblait avoir été taillé dans un cube, avec une assise profonde, entre des bras et un dos larges. Originellement il était rouge. Il y avait un coussin carré au fond. Il était très profond : enfant, je lisais dedans assis en travers, la tête appuyée contre l'un des bras, les jambes repliées sur l'autre. Et il nous arrivait, avec mon frère (ou avec André, mon plus ancien camarade d'enfance) de nous y asseoir côte à côte pour y lire des BD ensemble.
Adolescent, puis jeune adulte, je m'y asseyais de manière plus classique, mais lisais avec une jambe posée sur l'un des bras.
A partir du moment où je n'ai plus vécu seul (je me suis marié à l'âge de 22 ans) j'ai emporté ce fauteuil dans tous mes logements. A l'exception de l'année que j'ai passée en Amérique, j'ai lu tout ce qui m'a modelé dans ce fauteuil : les romans d'Agatha Christie et de Simenon, les nouvelles de Conan Doyle et de Maurice Leblanc, les comic-books et la SF, Michel Vaillant et Blueberry, tout Perec et tout Belletto, les premiers romans de Camille Laurens et de Marie Darrieussecq. J'ai probablement relu le manuscrit de mes premières nouvelles et de mon premier roman dans ce fauteuil. Et s'il m'est arrivé de m'y endormir, c'est après y avoir lu longtemps.
Quand j'ai commencé à vivre avec MPJ, nous habitions dans un logement tout petit, et nous avions une télé toute petite. Il nous arrivait souvent de nous y asseoir tous les deux pour regarder un film ou une série, moi au fond, elle assise pelotonnée contre moi entre mes bras. Nos cinq premiers enfants l'occupaient aussi collectivement : un grand au fond avec le plus jeune sur les genoux, un sur chaque bras et un autre sur une chaise, derrière, les bras et le menton posés sur le haut dossier.
Quand nous sommes allés vivre dans la grande maison qui a été notre logement familial pendant quinze ans, le fauteuil a brièvement occupé le "petit salon de télévision" (qui, comme son nom l'indique, servait exactement à ça) puis est monté au deuxième étage, dans la chambre de l'aîné de mes garçons.
Mais ce fauteuil, depuis longtemps fatigué et défoncé, que MPJ avait habillé de grands replis d'un épais tissu crème pour masquer sa déchéance, ce fauteuil dans lequel deux générations d'enfants et de jeunes adultes ont lu des romans et des BD et regardé la télé et joué à des jeux vidéo, nous l'avons jeté, au bout de quarante-cinq ans de bons et loyaux services, avant de quitter la maison.
Et je n'ai jamais trouvé son remplaçant.
A l'époque où La maladie de Sachs nous a apporté un confort financier que nous n'avions jamais eu ni même rêvé, MPJ m'a offert un excellent fauteuil relax dans lequel je pouvais m'installer pour regarder les séries dont je faisais la critique.
Je n'ai jamais pu vraiment lire dans ce fauteuil : je m'y endors. Je ne peux pas dire pourquoi. Il est un peu trop confortable, sans doute. Ce fauteuil-là, nous l'avons emporté et il est placé juste en face de la télévision, et ce sont plus souvent mes enfants qui s'installent dedans que moi, en ce moment.
L'autre fauteuil, le vieux, l'ancien, le fauteuil perdu, j'y étais bien mais pas trop. Il m'enveloppait. Je m'enfonçais dedans. Il me protégeait. Il avait la forme, finalement, de la boîte en carton dans laquelle Calvin et Hobbes, les personnages du cartooniste Bill Watterson, se transforment, se démultiplient ou partent pour une autre dimension.
Si je gagne de nouveau beaucoup d'argent avec un livre, un jour, je ne m'achèterai pas une grosse voiture ou des vêtements de prix ou des voyages au bout du monde (rien de tout ça ne m'intéresse), mais je me mettrai en quête d'un nouveau fauteuil.
Un fauteuil dans lequel je pourrai lire comme quand j'étais enfant. Un fauteuil dont je ne voudrai pas sortir. Un fauteuil dans lequel lecture et relecture, une nouvelle fois, seront un voyage immobile.
Il y a sûrement un fauteuil comme ça pour moi, quelque part. "Out there".
Avec un peu de chance, je m'endormourirai dedans. Un livre à la main.
Mar(c)tin
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jeudi 7 janvier 2010
dimanche 6 septembre 2009
La douleur, le bowling et l'écriture
Depuis que j'ai créé ce blog, j'écris chaque jour et je ne suis pas sûr que je pourrai tenir ne serait-ce qu'un mois à ce rythme, alors j'y reviens chaque fois que je peux, comme quand j'étais adolescent et que je retournais à mon journal chaque fois que j'allais mal. Bien sûr, je ne suis plus tout à fait aussi immature et perturbé que je l'étais à 16 ans - et j'en viens à me demander si j'étais vraiment "perturbé", tant ce que je lis sur le développement du cerveau me donne à penser que les "anomalies" montrées du doigt par les parents et les psychanalystes normatifs semblent un passage obligé de toute évolution vers l'âge adulte... Le cerveau mûrit. Il est un peu compréhensible que celui d'un adolescent mûrisse comme l'a fait précédemment celui du nourrisson... et que ça le fasse souffrir. Sans que les concepts lacaniens y soient pour quelque chose.
Mais, "équilibré" ou "mature", peu importe le terme, on peut continuer (ou se remettre à) souffrir pour les raisons les plus inattendues. C'est un peu comme la douleur que j'avais à l'épaule droite quand je jouais un peu trop (et pas très bien) au bowling. Il fallait que je prenne du paracétamol ou de l'ibuprofène une heure avant d'aller jouer, le mardi soir, pour ne pas avoir mal juste après avoir fait mes lancers d'échauffement. Et quand j'oubliais de le prendre (le reste de la semaine, je n'avais pas mal), j'étais toujours surpris et malheureux de me remettre à avoir mal, et de jouer mal parce que j'avais mal (je jouais bien mieux, sinon), et de ne pas pouvoir dire "J'ai mal à l'épaule" à mes camarades de bowling parce que je trouvais que c'était une excuse plate (comme on dit au Québec) de mal jouer, alors je disais : "Je joue mal, ce soir." C'était vrai, ça voulait dire que je ne m'en prenais à personne - je ne m'énervais pas, j'essayais de rester concentré - mais que j'étais conscient que je jouais mal. Et quand de temps à autre, je me mettais à jouer bien, à faire un strike ou une bonne première boule puis un spare, c'était du baume sur mon coeur d'homme qui avait mal et je sentais toujours mon épaule, mais je ne lui (m') en voulais plus.
Le bowling, pour moi en tout cas, ça n'est pas comme l'écriture. C'est un moment où je ne pense pas. Je reste concentré sur la manière dont je me place, dont je fais chaque fragment de geste (car tout compte, depuis la manière dont je place la boule devant moi jusqu'à la dernière impulsion du bras au moment où je vais la lâcher), je ne fais rien d'autre. Alors que pendant certaines activités "automatiques" (passer l'aspirateur, conduire mon scooter ou, depuis que je suis à Montréal, faire la vaisselle) je peux penser à autre chose. J'ai eu de belles idées en allant à la gare en scooter ou en faisant la vaisselle.
Au bowling, je n'ai aucune idée. Je suis concentré sur le geste, sur la répétition du geste. Je ne vise pas un score en particulier (je ne pense pas vraiment au score final, sauf quand j'en suis à deux séries de la fin) je vise la régularité, au moins des spares, je sais que c'est à ma portée si je ne m'énerve pas, si je ne me précipite pas quand je lance la deuxième fois. Des strike, si possible. Je ne cherche pas à battre mon propre record (je suis d'ailleurs incapable de dire si c'est 225 ou plus, je crois que j'ai fait 245 une fois mais je n'en suis pas sûr). Je cherche à bien jouer. En sachant qu'il n'y a personne pour le voir, sauf quand je joue avec mes enfants qui sont (mais la situation est biaisée) toujours admiratifs de me voir jouer bien, sans jamais perdre mon calme si je rate une boule...
Le bowling, c'est ce qui me permet de mettre mon coeur au repos. Mon coeur, ici, ce sont mes sentiments et mes émotions. Mes tourments.
Mon plus jeune fils, qui a onze ans et demi, craint l'obscurité et la peuple de monstres. Je faisais pareil à son âge, alors j'arrive à le rassurer et petit à petit il s'affranchit de cette peur comme je l'ai fait moi-même.
Je sais que mes tourments d'adulte sont un produit de mon imagination et de mon passé (et puis du passé des autres, en particulier de ma famille). Ca ne les rend pas plus supportables pour autant. Parfois c'est même encore plus insupportable parce que, comme je suis un homme de 54 ans (c'est à dire que j'ai l'âge qu'avait mon père à l'époque où il était mon héros de petit garçon pas encore adolescent) il n'y a personne pour me rassurer ou me consoler.
Et qu'on ne vienne pas me balancer : "Mais t'es un adulte, tu devrais prendre sur toi." Les sentiments qu'on a sont profondément ancrés en nous. Ils ne disparaissent pas sur commande. Ils échappent à la raison. La peur, le chagrin, l'angoisse, le sentiment d'indignité ne sont pas des choses qu'on maîtrise. Et si tous les adultes admettaient clairement qu'ils ont ce genre de sentiment toute leur vie, ça les rendrait plus humbles. Et ça aiderait les enfants à mieux grandir.
Je n'ai pas joué beaucoup au bowling depuis que je suis parti à Montréal. Deux fois à Montréal et deux fois au Mans pendant les séjours que j'ai faits là bas depuis février. J'ai mieux joué quand je n'étais pas seul (trois fois sur quatre) et je ne me souviens pas avoir eu mal à l'épaule.
Est-ce qu'écrire son journal dans un blog (où d'autres peuvent le lire, s'ils le veulent) c'est "mieux" que de tenir un journal qu'on est seul à lire ?
En tout cas, contrairement au bowling, je n'ai pas besoin de prendre quelque chose avant de me mettre à écrire ; car "tout pendant que j'écris", je ne sens pas la douleur.
Mais, "équilibré" ou "mature", peu importe le terme, on peut continuer (ou se remettre à) souffrir pour les raisons les plus inattendues. C'est un peu comme la douleur que j'avais à l'épaule droite quand je jouais un peu trop (et pas très bien) au bowling. Il fallait que je prenne du paracétamol ou de l'ibuprofène une heure avant d'aller jouer, le mardi soir, pour ne pas avoir mal juste après avoir fait mes lancers d'échauffement. Et quand j'oubliais de le prendre (le reste de la semaine, je n'avais pas mal), j'étais toujours surpris et malheureux de me remettre à avoir mal, et de jouer mal parce que j'avais mal (je jouais bien mieux, sinon), et de ne pas pouvoir dire "J'ai mal à l'épaule" à mes camarades de bowling parce que je trouvais que c'était une excuse plate (comme on dit au Québec) de mal jouer, alors je disais : "Je joue mal, ce soir." C'était vrai, ça voulait dire que je ne m'en prenais à personne - je ne m'énervais pas, j'essayais de rester concentré - mais que j'étais conscient que je jouais mal. Et quand de temps à autre, je me mettais à jouer bien, à faire un strike ou une bonne première boule puis un spare, c'était du baume sur mon coeur d'homme qui avait mal et je sentais toujours mon épaule, mais je ne lui (m') en voulais plus.
Le bowling, pour moi en tout cas, ça n'est pas comme l'écriture. C'est un moment où je ne pense pas. Je reste concentré sur la manière dont je me place, dont je fais chaque fragment de geste (car tout compte, depuis la manière dont je place la boule devant moi jusqu'à la dernière impulsion du bras au moment où je vais la lâcher), je ne fais rien d'autre. Alors que pendant certaines activités "automatiques" (passer l'aspirateur, conduire mon scooter ou, depuis que je suis à Montréal, faire la vaisselle) je peux penser à autre chose. J'ai eu de belles idées en allant à la gare en scooter ou en faisant la vaisselle.
Au bowling, je n'ai aucune idée. Je suis concentré sur le geste, sur la répétition du geste. Je ne vise pas un score en particulier (je ne pense pas vraiment au score final, sauf quand j'en suis à deux séries de la fin) je vise la régularité, au moins des spares, je sais que c'est à ma portée si je ne m'énerve pas, si je ne me précipite pas quand je lance la deuxième fois. Des strike, si possible. Je ne cherche pas à battre mon propre record (je suis d'ailleurs incapable de dire si c'est 225 ou plus, je crois que j'ai fait 245 une fois mais je n'en suis pas sûr). Je cherche à bien jouer. En sachant qu'il n'y a personne pour le voir, sauf quand je joue avec mes enfants qui sont (mais la situation est biaisée) toujours admiratifs de me voir jouer bien, sans jamais perdre mon calme si je rate une boule...
Le bowling, c'est ce qui me permet de mettre mon coeur au repos. Mon coeur, ici, ce sont mes sentiments et mes émotions. Mes tourments.
Mon plus jeune fils, qui a onze ans et demi, craint l'obscurité et la peuple de monstres. Je faisais pareil à son âge, alors j'arrive à le rassurer et petit à petit il s'affranchit de cette peur comme je l'ai fait moi-même.
Je sais que mes tourments d'adulte sont un produit de mon imagination et de mon passé (et puis du passé des autres, en particulier de ma famille). Ca ne les rend pas plus supportables pour autant. Parfois c'est même encore plus insupportable parce que, comme je suis un homme de 54 ans (c'est à dire que j'ai l'âge qu'avait mon père à l'époque où il était mon héros de petit garçon pas encore adolescent) il n'y a personne pour me rassurer ou me consoler.
Et qu'on ne vienne pas me balancer : "Mais t'es un adulte, tu devrais prendre sur toi." Les sentiments qu'on a sont profondément ancrés en nous. Ils ne disparaissent pas sur commande. Ils échappent à la raison. La peur, le chagrin, l'angoisse, le sentiment d'indignité ne sont pas des choses qu'on maîtrise. Et si tous les adultes admettaient clairement qu'ils ont ce genre de sentiment toute leur vie, ça les rendrait plus humbles. Et ça aiderait les enfants à mieux grandir.
Je n'ai pas joué beaucoup au bowling depuis que je suis parti à Montréal. Deux fois à Montréal et deux fois au Mans pendant les séjours que j'ai faits là bas depuis février. J'ai mieux joué quand je n'étais pas seul (trois fois sur quatre) et je ne me souviens pas avoir eu mal à l'épaule.
Est-ce qu'écrire son journal dans un blog (où d'autres peuvent le lire, s'ils le veulent) c'est "mieux" que de tenir un journal qu'on est seul à lire ?
En tout cas, contrairement au bowling, je n'ai pas besoin de prendre quelque chose avant de me mettre à écrire ; car "tout pendant que j'écris", je ne sens pas la douleur.
jeudi 3 septembre 2009
Ce qu'on écrit, ce qu'on perd... et ce qu'on trouve
Allez, comme j'ai pas écrit hier, je m'offre deux entrées aujourd'hui.
Dans l'entretien que Sylvie Prioul a publié dans Le Nouvel Observateur de ce jour, je mentionne clairement (et j'en suis très heureux, parce que je voulais en parler ici) l'influence de Barberousse (Akahige), le film d'Akira Kurosawa.
Ce film de 1965 m'a beaucoup frappé quand je l'ai vu au Studio, à Tours, pendant mes études dans les années 70. Avec Johnny Got His Gun, c'est un des deux films qui m'ont le plus marqué, en tant que médecin en formation. L'argument, que je reprends dans le CDF, mais qui est un argument presque obligé de tout récit initiatique, est l'entrée d'un jeune médecin dans un monde qu'il ne connaît pas et qu'il ne tient pas à connaître, puis sa découverte de ce monde et de la richesse de ce qu'il y reçoit et peut lui donner.
Bien sûr, il ne s'agit pas d'un "remake" de Barberousse comme Les Trois Médecins étaient un remake des Trois Mousquetaires. Non seulement le monde qu'explore Jean Atwood est très différent de celui que découvre Yasumoto, le héros de Kurosawa, mais ce sont des personnages très différents et les relations entre patients, étudiant et médecin ne sont pas du tout de la même nature.
Il y a des clins d'oeil à Barberousse, dans le livre (le fait qu'on surnomme Karma "Barbe-Bleue" ; la scène où Karma regarde le film sur son ordinateur portable et prête le DVD à Jean ; d'autres scènes encore...) et le film est cité clairement car justement je ne voudrais pas qu'on me soupçonne de plagiat ou de manipulation du lecteur... Il n'était pas dans mon intention de tromper le lecteur ou la lectrice en lui servant l'histoire de quelqu'un d'autre.
Mais l'influence de ce film a été si forte sur moi qu'elle a certainement été déterminante dans mon choix et ma définition du cadre où je voulais inscrire le "roman pédagogique" dont je rêvais depuis très longtemps. J'ai revu le fim après avoir terminé le livre (je ne l'ai pas fait avant pour qu'il ne m'influence pas trop, justement) et je me suis rendu compte d'une chose très simple mais déterminante : en dehors même du fait que Barberousse est une histoire d'hommes (malades ou soignants, ce sont les hommes qui y sont héroïques, tandis que les femmes y sont maintenues dans des rôles secondaires, conformément à la répartition des sexes dans le Japon du 19e siècle) c'est aussi l'histoire d'un personnage insondable. Finalement, on ne sait rien de Barberousse, à la fin du film (Kurosawa s'en est expliqué en disant que c'est Mifune qui a entraîné le personnage dans cette direction).
Et quand je considère mes propres personnages je me rends compte que je les ai traités comme j'imagine qu'ils traitent les patientes : en ne les prenant pas pour acquis une fois pour toutes, en ne les traitant pas de manière monolithique, en les amenant à se découvrir (et en les découvrant moi-même) jusqu'au plus profond d'eux-mêmes.
Ecrire, c'est à mon humble avis s'appuyer sur ce qui nous a transportés pour tenter d'aller plus loin. A la fin de La Vacation, Bruno pense "Ecrire, c'est tuer quelque chose en soi pour pouvoir continuer à vivre." A la fin de La Maladie de Sachs, il déclare "Ecrire, c'est mesurer la perte."
Il y a tout plein de points communs entre Le Choeur des femmes et mes romans "médicaux" précédents, bien entendu, mais il me semble que le CDF synthétise en quelque sorte le sujet central de chacun des trois autres, d'une manière moins "expérimentale", et aussi plus spontanée.
Quand j'ai écrit La Vacation j'étais dans la perte absolue. Et le livre ne parle pratiquement que de ça. Il est sombre et pas très optimiste. C'est un livre techniquement maîtrisé, je le crois (Paul O-L ne l'aurait pas pris, s'il ne l'avait pas été) et dont je ne renierais pas une virgule (ni une parenthèse.... elles y sont fort nombreuses et s'ouvrent et se ferment de manière parfois surprenante... ;-) mais imprégné d'une froide colère. Et le "Tu" qui décrit les actes de Bruno, même s'il est signifiant pour l'ensemble du livre et s'il m'a permis de l'écrire, empêche en grande partie le lecteur/la lectrice de plonger émotionnellement dans le texte. Quand je l'ai écrit, le sujet me paraissait si important que, ça ne faisait à mes yeux aucun doute, il allait être plébiscité par le public. Il ne l'a pas été, et je comprends bien pourquoi : ce n'est pas un livre facile à recommander, et on ne l'offre pas non plus. Il est trop personnel, trop intime. Trop sombrement intime.
Dans La Maladie... , le "Tu" a l'effet inverse, parce qu'il n'est pas univoque, justement, mais polyphonique (chaque chapitre est raconté par une personne différente) et plus varié dans son énonciation, ses émotions, ses points de vue, ses jugements sur Bruno, etc. C'est cela, à mon avis, qui remporte l'adhésion de beaucoup de lecteurs/trices : ils/elles sentent qu'ils/elles pourraient faire partie des narrateurs. Et de fait, ça crée une complicité et un sentiment de communauté qui donne envie de le partager avec les autres. Vue ainsi, la "propagation épidémique" de La maladie de Sachs est assez compréhensible. (Bon, mais c'était pas seulement un bouquin contagieux, c'est un bon bouquin aussi, je pense.) Le succès aidant, La Vacation a trouvé un public plus large (30 000 exemplaires, si je ne m'abuse, au format de poche) mais je pense que l'expérience de lecture est restée la même. C'est Sachs qui a donné des lecteurs à La Vacation, je le pense sincèrement. Et je suis reconnaissant aux lecteurs qui ont reporté leur confiance d'un livre sur l'autre, car les deux sont très très différents, même s'ils parlent tous deux de la perte.
Beaucoup de lecteurs m'ont gentiment reproché d'avoir écrit avec Sachs un livre dont les 60 premières pages sont difficiles à lire, parce que froides et répétitives... Ce à quoi j'ai répondu : "En tout cas, ça ne vous a pas empêché(e) de continuer à lire"... La perte dont Bruno parle à la fin du roman, c'est beaucoup, à mes yeux, la perte de mon cabinet médical. J'ai dû le quitter parce que, ayant changé de compagne et de domicile, je devais faire quarante kilomètres aller-retour pour aller travailler. Comme nous avions entre deux et cinq enfants à la maison en permanence, je voulais travailler à temps partiel. Mon associée l'a très mal accepté, la situation s'est envenimée, et j'ai fini par partir. Ca m'a fait mal au coeur, car j'avais créé ce cabinet médical. Et si j'ai fait travailler Bruno dans un lieu qui ressemble à s'y méprendre au mien, c'était pour continuer à y exercer, en quelque sorte. Je faisais le deuil d'un projet que j'avais mené à bien sans pouvoir le transformer et le faire évoluer. Si mon associée avait accepté que nous nous organisions autrement, je serais peut-être resté là-bas plus longtemps. Installer Bruno S. dans mon lieu de travail, c'était aussi une manière, sans doute, de revenir sur ce que j'y avais fait, pour dire ce que mon travail représentait à mes yeux, symboliquement et affectivement parlant.
Dans Les Trois Médecins, le mouvement était différent : je voulais régler mes comptes avec la violence des études de médecine. L'esprit même du propos était de "réécrire l'histoire" sous la forme d'une épopée, et de jouer avec une contrainte - la trame du roman de Dumas - pour signifier mon désir de toujours d'écrire de la littérature populaire. C'était un roman de revanche, en quelque sorte. Le retour de Lagardère, La revanche du Bossu... (Je trimballe dans un coin de ma tête un vieux désir de faire un remake du Bossu...). Dans ce livre là, je cherchais à réparer/compenser la violence qu'on m'a faite, quand j'étais étudiant, en cherchant à étouffer mes idéaux et mes mouvements de générosité. Il a eu son propre succès (quelque chose comme 100 000 exemplaires toutes éditions comprises), mais singulièrement, ceux/celles qui m'en parlent le plus sont les étudiant(e)s en médecine, et c'est assez normal : c'est tout de même à eux (et à mes camarades d'alors) que je m'adressais en l'écrivant. Et la polyphonie des Trois Médecins n'est pas celle de Sachs : les narrateurs et narratrices sont tous les acteurs d'une épopée du passée, et non les membres d'une communauté. Dans ce roman-là, écrire c'était "redresser les torts".
Dans Le Choeur des femmes, il y a l'univers de La Vacation, la polyphonie de Sachs, la "réinvention" d'un lieu de soins (le centre de planification où j'ai exercé jusqu'en décembre 2008, et dont les locaux ne ressemblent plus du tout à ce que je décris dans le livre, car il a déménagé) et d'un mode de travail, plus "idéal" que dans la réalité, mais pour la première fois, en décrivant les relations entre Karma et Atwood, j'ai l'impression de parler du futur. Mon rêve, évidemment, c'est de former des soignants. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que c'est peut-être à ma portée, par l'intermédiaire des cours d'éthique que je vais assurer à la faculté de médecine de Montréal, auprès d'étudiant(e)s en ergothérapie, d'étudiant(e)s en médecine et d'autres.
Cette fois-ci, pour la première fois depuis que j'écris des romans, l'histoire est presque entièrement racontée par une seule personne, à la première personne. J'ai compris, à cette occasion que lorsque je me suis mis à écrire, je trouvais immodeste ou vaniteux ou in-digne de parler pour moi-même. Je pense que c'est aussi pour ça que j'ai donné la parole aux autres : c'est ce qui m'autorisait à écrire. Ecrire "Je", à mes yeux, c'était suspect. Je me souviens avoir dit à Daniel Zimmermann quelque chose du style "Je ne suis pas handicapé ou homosexuel ou noir ou opprimé ; j'ai pas été violé dans mon enfance ou eu une enfance malheureuse ; ma famille n'a pas été décimée dans les camps ; qu'est-ce que je peux bien avoir d'intéressant à raconter ?" Il m'avait répondu quelque chose du genre. "Je ne sais pas, c'est à toi de voir. Si tu n'as rien à raconter, pourquoi écris-tu ?" Finalement, c'est en écrivant que j'ai trouvé (que je trouve) ce que j'ai à dire.
Rétrospectivement, je crois que chacun de mes trois romans antérieurs a peu ou prou rencontré le public chez qui le fond, la forme et l'énonciation faisaient écho. Je ne sais pas quel écho aura le CDF, mais j'ai le sentiment que je comprends un peu mieux ce que je fais quand j'écris. Et qu'avec ce roman je ne suis pas dans la perte et dans le passé : je fais plutôt le tour de ce que j'ai appris, donc, de ce qui, dans ma pratique de médecin a contribué à m'éduquer, me former, m'aider à grandir - en premier lieu, les patient(e)s et les étudiant(e)s.
Bref, j'ai le sentiment très agréable que, cette fois-ci, "Ecrire c'est transmettre".
Dans l'entretien que Sylvie Prioul a publié dans Le Nouvel Observateur de ce jour, je mentionne clairement (et j'en suis très heureux, parce que je voulais en parler ici) l'influence de Barberousse (Akahige), le film d'Akira Kurosawa.
Ce film de 1965 m'a beaucoup frappé quand je l'ai vu au Studio, à Tours, pendant mes études dans les années 70. Avec Johnny Got His Gun, c'est un des deux films qui m'ont le plus marqué, en tant que médecin en formation. L'argument, que je reprends dans le CDF, mais qui est un argument presque obligé de tout récit initiatique, est l'entrée d'un jeune médecin dans un monde qu'il ne connaît pas et qu'il ne tient pas à connaître, puis sa découverte de ce monde et de la richesse de ce qu'il y reçoit et peut lui donner.
Bien sûr, il ne s'agit pas d'un "remake" de Barberousse comme Les Trois Médecins étaient un remake des Trois Mousquetaires. Non seulement le monde qu'explore Jean Atwood est très différent de celui que découvre Yasumoto, le héros de Kurosawa, mais ce sont des personnages très différents et les relations entre patients, étudiant et médecin ne sont pas du tout de la même nature.
Il y a des clins d'oeil à Barberousse, dans le livre (le fait qu'on surnomme Karma "Barbe-Bleue" ; la scène où Karma regarde le film sur son ordinateur portable et prête le DVD à Jean ; d'autres scènes encore...) et le film est cité clairement car justement je ne voudrais pas qu'on me soupçonne de plagiat ou de manipulation du lecteur... Il n'était pas dans mon intention de tromper le lecteur ou la lectrice en lui servant l'histoire de quelqu'un d'autre.
Mais l'influence de ce film a été si forte sur moi qu'elle a certainement été déterminante dans mon choix et ma définition du cadre où je voulais inscrire le "roman pédagogique" dont je rêvais depuis très longtemps. J'ai revu le fim après avoir terminé le livre (je ne l'ai pas fait avant pour qu'il ne m'influence pas trop, justement) et je me suis rendu compte d'une chose très simple mais déterminante : en dehors même du fait que Barberousse est une histoire d'hommes (malades ou soignants, ce sont les hommes qui y sont héroïques, tandis que les femmes y sont maintenues dans des rôles secondaires, conformément à la répartition des sexes dans le Japon du 19e siècle) c'est aussi l'histoire d'un personnage insondable. Finalement, on ne sait rien de Barberousse, à la fin du film (Kurosawa s'en est expliqué en disant que c'est Mifune qui a entraîné le personnage dans cette direction).
Et quand je considère mes propres personnages je me rends compte que je les ai traités comme j'imagine qu'ils traitent les patientes : en ne les prenant pas pour acquis une fois pour toutes, en ne les traitant pas de manière monolithique, en les amenant à se découvrir (et en les découvrant moi-même) jusqu'au plus profond d'eux-mêmes.
Ecrire, c'est à mon humble avis s'appuyer sur ce qui nous a transportés pour tenter d'aller plus loin. A la fin de La Vacation, Bruno pense "Ecrire, c'est tuer quelque chose en soi pour pouvoir continuer à vivre." A la fin de La Maladie de Sachs, il déclare "Ecrire, c'est mesurer la perte."
Il y a tout plein de points communs entre Le Choeur des femmes et mes romans "médicaux" précédents, bien entendu, mais il me semble que le CDF synthétise en quelque sorte le sujet central de chacun des trois autres, d'une manière moins "expérimentale", et aussi plus spontanée.
Quand j'ai écrit La Vacation j'étais dans la perte absolue. Et le livre ne parle pratiquement que de ça. Il est sombre et pas très optimiste. C'est un livre techniquement maîtrisé, je le crois (Paul O-L ne l'aurait pas pris, s'il ne l'avait pas été) et dont je ne renierais pas une virgule (ni une parenthèse.... elles y sont fort nombreuses et s'ouvrent et se ferment de manière parfois surprenante... ;-) mais imprégné d'une froide colère. Et le "Tu" qui décrit les actes de Bruno, même s'il est signifiant pour l'ensemble du livre et s'il m'a permis de l'écrire, empêche en grande partie le lecteur/la lectrice de plonger émotionnellement dans le texte. Quand je l'ai écrit, le sujet me paraissait si important que, ça ne faisait à mes yeux aucun doute, il allait être plébiscité par le public. Il ne l'a pas été, et je comprends bien pourquoi : ce n'est pas un livre facile à recommander, et on ne l'offre pas non plus. Il est trop personnel, trop intime. Trop sombrement intime.
Dans La Maladie... , le "Tu" a l'effet inverse, parce qu'il n'est pas univoque, justement, mais polyphonique (chaque chapitre est raconté par une personne différente) et plus varié dans son énonciation, ses émotions, ses points de vue, ses jugements sur Bruno, etc. C'est cela, à mon avis, qui remporte l'adhésion de beaucoup de lecteurs/trices : ils/elles sentent qu'ils/elles pourraient faire partie des narrateurs. Et de fait, ça crée une complicité et un sentiment de communauté qui donne envie de le partager avec les autres. Vue ainsi, la "propagation épidémique" de La maladie de Sachs est assez compréhensible. (Bon, mais c'était pas seulement un bouquin contagieux, c'est un bon bouquin aussi, je pense.) Le succès aidant, La Vacation a trouvé un public plus large (30 000 exemplaires, si je ne m'abuse, au format de poche) mais je pense que l'expérience de lecture est restée la même. C'est Sachs qui a donné des lecteurs à La Vacation, je le pense sincèrement. Et je suis reconnaissant aux lecteurs qui ont reporté leur confiance d'un livre sur l'autre, car les deux sont très très différents, même s'ils parlent tous deux de la perte.
Beaucoup de lecteurs m'ont gentiment reproché d'avoir écrit avec Sachs un livre dont les 60 premières pages sont difficiles à lire, parce que froides et répétitives... Ce à quoi j'ai répondu : "En tout cas, ça ne vous a pas empêché(e) de continuer à lire"... La perte dont Bruno parle à la fin du roman, c'est beaucoup, à mes yeux, la perte de mon cabinet médical. J'ai dû le quitter parce que, ayant changé de compagne et de domicile, je devais faire quarante kilomètres aller-retour pour aller travailler. Comme nous avions entre deux et cinq enfants à la maison en permanence, je voulais travailler à temps partiel. Mon associée l'a très mal accepté, la situation s'est envenimée, et j'ai fini par partir. Ca m'a fait mal au coeur, car j'avais créé ce cabinet médical. Et si j'ai fait travailler Bruno dans un lieu qui ressemble à s'y méprendre au mien, c'était pour continuer à y exercer, en quelque sorte. Je faisais le deuil d'un projet que j'avais mené à bien sans pouvoir le transformer et le faire évoluer. Si mon associée avait accepté que nous nous organisions autrement, je serais peut-être resté là-bas plus longtemps. Installer Bruno S. dans mon lieu de travail, c'était aussi une manière, sans doute, de revenir sur ce que j'y avais fait, pour dire ce que mon travail représentait à mes yeux, symboliquement et affectivement parlant.
Dans Les Trois Médecins, le mouvement était différent : je voulais régler mes comptes avec la violence des études de médecine. L'esprit même du propos était de "réécrire l'histoire" sous la forme d'une épopée, et de jouer avec une contrainte - la trame du roman de Dumas - pour signifier mon désir de toujours d'écrire de la littérature populaire. C'était un roman de revanche, en quelque sorte. Le retour de Lagardère, La revanche du Bossu... (Je trimballe dans un coin de ma tête un vieux désir de faire un remake du Bossu...). Dans ce livre là, je cherchais à réparer/compenser la violence qu'on m'a faite, quand j'étais étudiant, en cherchant à étouffer mes idéaux et mes mouvements de générosité. Il a eu son propre succès (quelque chose comme 100 000 exemplaires toutes éditions comprises), mais singulièrement, ceux/celles qui m'en parlent le plus sont les étudiant(e)s en médecine, et c'est assez normal : c'est tout de même à eux (et à mes camarades d'alors) que je m'adressais en l'écrivant. Et la polyphonie des Trois Médecins n'est pas celle de Sachs : les narrateurs et narratrices sont tous les acteurs d'une épopée du passée, et non les membres d'une communauté. Dans ce roman-là, écrire c'était "redresser les torts".
Dans Le Choeur des femmes, il y a l'univers de La Vacation, la polyphonie de Sachs, la "réinvention" d'un lieu de soins (le centre de planification où j'ai exercé jusqu'en décembre 2008, et dont les locaux ne ressemblent plus du tout à ce que je décris dans le livre, car il a déménagé) et d'un mode de travail, plus "idéal" que dans la réalité, mais pour la première fois, en décrivant les relations entre Karma et Atwood, j'ai l'impression de parler du futur. Mon rêve, évidemment, c'est de former des soignants. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que c'est peut-être à ma portée, par l'intermédiaire des cours d'éthique que je vais assurer à la faculté de médecine de Montréal, auprès d'étudiant(e)s en ergothérapie, d'étudiant(e)s en médecine et d'autres.
Cette fois-ci, pour la première fois depuis que j'écris des romans, l'histoire est presque entièrement racontée par une seule personne, à la première personne. J'ai compris, à cette occasion que lorsque je me suis mis à écrire, je trouvais immodeste ou vaniteux ou in-digne de parler pour moi-même. Je pense que c'est aussi pour ça que j'ai donné la parole aux autres : c'est ce qui m'autorisait à écrire. Ecrire "Je", à mes yeux, c'était suspect. Je me souviens avoir dit à Daniel Zimmermann quelque chose du style "Je ne suis pas handicapé ou homosexuel ou noir ou opprimé ; j'ai pas été violé dans mon enfance ou eu une enfance malheureuse ; ma famille n'a pas été décimée dans les camps ; qu'est-ce que je peux bien avoir d'intéressant à raconter ?" Il m'avait répondu quelque chose du genre. "Je ne sais pas, c'est à toi de voir. Si tu n'as rien à raconter, pourquoi écris-tu ?" Finalement, c'est en écrivant que j'ai trouvé (que je trouve) ce que j'ai à dire.
Rétrospectivement, je crois que chacun de mes trois romans antérieurs a peu ou prou rencontré le public chez qui le fond, la forme et l'énonciation faisaient écho. Je ne sais pas quel écho aura le CDF, mais j'ai le sentiment que je comprends un peu mieux ce que je fais quand j'écris. Et qu'avec ce roman je ne suis pas dans la perte et dans le passé : je fais plutôt le tour de ce que j'ai appris, donc, de ce qui, dans ma pratique de médecin a contribué à m'éduquer, me former, m'aider à grandir - en premier lieu, les patient(e)s et les étudiant(e)s.
Bref, j'ai le sentiment très agréable que, cette fois-ci, "Ecrire c'est transmettre".
Séries et livres
Ce matin, André Martineau, chroniqueur de Radio-Canada qui m'invite à passer un petit moment à l'émission La tête ailleurs (samedi 5 septembre 18 heures) pour parler de séries télé me demande quelle place le visionnage de séries occupe dans ma vie. Je lui réponds : une grande place, mais pas plus que la lecture, après tout je suis un gros lecteur depuis plus longtemps que je ne regarde les séries, et j'ai passé de grandes périodes de ma vie (pendant mes études de médecine) sans en regarder.
Je regarde des séries comme je lis : chaque fois que je peux. Quand j'étais chroniqueur à Télécâble Hebdo, entre 1997 et 2004, j'enregistrais beaucoup de séries, les chaînes m'envoyaient les cassettes des séries qu'elles allaient diffuser, je voyais beaucoup de choses avant diffusion, et j'avais donc complètement dissocié séries et télévision, que je ne regarde pour ainsi dire plus du tout. Même depuis que je suis à Montréal (février 2009), j'ai dû allumer le poste de télé une douzaine de fois en tout.
Aujourd'hui, les séries, je les regarde sur mon ordinateur portable, parfois plusieurs épisodes d'une même production à la suite. A cet égard, en Amérique du nord, les enregistreurs numériques, le peer-to-peer, l'édition des DVD et la diffusion d'épisodes en streaming sur les sites des chaînes ou sur des sites comme Hulu ont radicalement changé la manière de regarder les séries. On n'est plus obligé d'attendre l'épisode du jour devant son écran et de subir la publicité toutes les douze minutes. On peut choisir son moment de regarder. Ou plutôt, choisir de regarder une série plutôt que faire autre chose.
De ce fait, ces dernières années, j'ai vu plus de séries que je n'ai lu de livres, même dans le train, que je prenais souvent (lire dans le train m'endort ; dans l'avion aussi). Depuis que je suis arrivé à Montréal, je prends beaucoup les transports en commun pour aller de mon domicile à mon bureau actuel, et je passe ce temps à lire. Je me suis rendu compte, hier, qu'en ce moment, selon le moment de la journée, je lis trois livres différents.
Le matin, dans les bus 24 puis 165 (ou 535), je lis On the origin of stories (dont j'ai parlé dans une entrée précédente) ; le soir, dans le métro puis le bus, je lis un manuel théorique intitulé Clinical Ethics (je prépare le cours que je vais donner d'ici quinze jours) ; et le soir, au lit, avant de m'endormir, je lis Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis.
Et quand j'ai un peu de temps en ce moment, je regarde Numb3rs (la fin de la saison écoulée), Mad Men (la troisième saison actuellement en cours), Monk (l'ultime saison, actuellement diffusée), Royal Pains, Nurse Jackie...
Je regarde des séries comme je lis : chaque fois que je peux. Quand j'étais chroniqueur à Télécâble Hebdo, entre 1997 et 2004, j'enregistrais beaucoup de séries, les chaînes m'envoyaient les cassettes des séries qu'elles allaient diffuser, je voyais beaucoup de choses avant diffusion, et j'avais donc complètement dissocié séries et télévision, que je ne regarde pour ainsi dire plus du tout. Même depuis que je suis à Montréal (février 2009), j'ai dû allumer le poste de télé une douzaine de fois en tout.
Aujourd'hui, les séries, je les regarde sur mon ordinateur portable, parfois plusieurs épisodes d'une même production à la suite. A cet égard, en Amérique du nord, les enregistreurs numériques, le peer-to-peer, l'édition des DVD et la diffusion d'épisodes en streaming sur les sites des chaînes ou sur des sites comme Hulu ont radicalement changé la manière de regarder les séries. On n'est plus obligé d'attendre l'épisode du jour devant son écran et de subir la publicité toutes les douze minutes. On peut choisir son moment de regarder. Ou plutôt, choisir de regarder une série plutôt que faire autre chose.
De ce fait, ces dernières années, j'ai vu plus de séries que je n'ai lu de livres, même dans le train, que je prenais souvent (lire dans le train m'endort ; dans l'avion aussi). Depuis que je suis arrivé à Montréal, je prends beaucoup les transports en commun pour aller de mon domicile à mon bureau actuel, et je passe ce temps à lire. Je me suis rendu compte, hier, qu'en ce moment, selon le moment de la journée, je lis trois livres différents.
Le matin, dans les bus 24 puis 165 (ou 535), je lis On the origin of stories (dont j'ai parlé dans une entrée précédente) ; le soir, dans le métro puis le bus, je lis un manuel théorique intitulé Clinical Ethics (je prépare le cours que je vais donner d'ici quinze jours) ; et le soir, au lit, avant de m'endormir, je lis Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis.
Et quand j'ai un peu de temps en ce moment, je regarde Numb3rs (la fin de la saison écoulée), Mad Men (la troisième saison actuellement en cours), Monk (l'ultime saison, actuellement diffusée), Royal Pains, Nurse Jackie...
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