lundi 3 février 2025

Il n'y a pas de petit geste de résistance - par Martin Winckler



Comme beaucoup de personnes sur cette planète, j'ai été très choqué par le retour d'un dictateur au pouvoir aux Etats-Unis. En tant qu'habitant du Québec depuis 2009 et que citoyen canadien depuis 2019, je suis aux premières loges pour appréhender la gravité de ce qui se passe en ce moment de l'autre côté de la frontière.  

Mais je ne suis pas dupe : cette prise de pouvoir n'est pas le fait d'un seul homme. D'autres hommes et des corporations extrêmement riches et puissantes l'ont financé ou se sont jointes à lui avant ou depuis son élection. 

Je ne suis qu'un citoyen isolé, sans autre moyen d'influencer les décisions politiques de son pays que son droit de vote, mais je suis aussi - que je le veuille ou non - un consommateur. 

Les récentes décisions économiques agressives ("tariffs") qui taxent l'importation aux Etats-Unis de produits venus du Canada et du Mexique ont entraîné de la part de ces pays, des réactions inévitables : taxes à l'importation des produits venant des Etats-Unis et appel des citoyen·ne·s à consommer des produits locaux ou nationaux.

Dans cette société de consommation, ce qu'on consomme et la manière dont on le consomme peut sembler peu de chose et avoir peu de poids, mais ce n'est pas vrai. Les commerçants dépendent du nombre de personnes qui achètent leurs produits. Acheter local ce n'est pas un geste politique superflu. C'est même l'un des plus déterminants, non seulement pour celles et ceux qui produisent, mais aussi pour celles et ceux qui consomment. Quand on a les moyens de le faire (et ce n'est pas le cas de tout le monde), c'est un geste de grande portée. 

Et ce qui est vrai quand on choisit de voter pour ou contre un·e candidat·e ; de moins, ou de ne plus, manger de viande ; ou encore de réduire son empreinte carbone et de viser le zéro-déchet n'est pas moins vrai pour les produits culturels que l'on achète ou que l'on finance plus ou moins directement. 

Lecteur de journaux, j'étais abonné au Washington Post et au New York Times. J'ai résilié mes abonnements. Je reste abonné au Guardian, quotidien britannique qui m'informe aussi bien sur la situation aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne que sur celle de la France et du reste du monde. 

Je suis un consommateurs de produits divers, mais je n'achète plus rien via Amazon, et je me suis désabonné de Prime. 

Je suis aussi un "consommateur" de réseaux sociaux. Depuis leur apparition, je me suis joint à des réseaux sociaux, et je m'y suis exprimé autant que je le pouvais. J'y ai lié des contacts et des amitiés et, pour ne prendre que Twitter, j'y étais suivi par plusieurs dizaines de milliers de personnes. 

J'ai quitté Twitter le 6 novembre 2024. Pour les mêmes raisons, le 22 février prochain (j'aurai 70 ans) je quitterai Facebook et ses dépendances (Instagram et Threads) pour me joindre à Mastodon Social (@martinwinckler) et Bluesky (@martinwinckler.bsky.social). 

Je n'ignore pas l'importance que représente, pour un·e· écrivant·e, d'être suivi·e sur des réseaux sociaux : les personnes qui lisent ses messages sont pour beaucoup les premières à lire aussi ses livres et à relayer l'annonce de ses publications. En quittant ces réseaux, je me prive d'un auditoire nombreux et d'une chambre à échos très vaste. 

Mais l'ampleur de l'auditoire ne justifie pas, à elle seule, que je continue à participer à des réseaux appartenant aux complices objectifs d'un dictateur qui menace la planète entière. 

Je suis en train de travailler à un roman qui se passe pendant la seconde guerre mondiale, pendant l'Occupation de la France par l'armée d'un dictateur. Pour cela, je lis beaucoup de livres, d'articles et de témoignages. (J'écoute et regarde aussi beaucoup de documents audiovisuels.) 

S'il est des choses qui m'apparaissent de plus en plus évidentes, en m'immergeant dans tous ces documents, c'est celles-ci : 

Face à la tyrannie, il n'y a que trois attitudes possibles. S'y allier, la subir ou lui résister. 

On n'a pas l'obligation de résister, et on a le droit de simplement chercher à (sur)vivre. 

Mais n'y a pas de "petit geste" de résistance. L'accumulation des gestes individuels nourrit les mouvements de résistance et finit par constituer des contre-pouvoirs. 

Merci à toutes celles et tous ceux qui m'ont suivi sur ces réseaux jusqu'ici. Je serai heureux de vous retrouver sous d'autres cieux, et je continuerai à m'exprimer sur ce blog, sa jumelle (L'école des soignant·e·s) et sur Winckler's Webzine, le plus ancien site d'information sur la santé des femmes, créé en 2003, (martinwinckler.com). Et puis, tant que je pourrai écrire, et tant qu'il y aura des lectrices et des lecteurs qui s'y intéressent, je continuerai à publier des livres en papier -- et je remercie les libraires et les bibliothécaires, qui aident tous les jours mes livres à trouver un nouveau public. 

Bonne chance à vous tou·te·s, à bientôt (ou à tout de suite !). 

Mar(c)tin 

3 commentaires:

  1. Merci Marc de publier ce qui me touche énormément en ce moment . J’achète local depuis un moment. Et je suis abonnée au journal LeMonde, Le Nouvel Obs, et me suis désabonnée des journaux américain. Je conserve toujours Le Devoir mon quotidien publié ici au Québec, depuis des années. Etc. Merci de lire tes mots ce matin encore une fois. Andrée

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  2. Merci Martin Winkler - je suis Britney Speers de Facebook. Je continuerai de lire votre blog c'est bien plus simple. Pour ce qui est des réseaux sociaux, je vais me renseigner des impacts.

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