vendredi 4 septembre 2009

Le monde est tout ce qui s'écrit (1)

Si j'avais le cerveau branché sur un ordinateur (ou sur quelque chose d'équivalent, un convertisseur de voix en texte, par exemple), j'écrirais des nouvelles à partir de tout ce qui m'arrive, dans la réalité ou l'imaginaire.
J'écrirais l'histoire de cette femme âgée qui marchait à petits pas rapides pour attraper le bus devant moi (elle est descendue du 24 et a sauté dans le 165) ce matin.
J'écrirais l'histoire du garçon qui s'en allait à l'école avec des gants de cuir un jour où il faisait grand soleil.
J'écrirais l'histoire de la jeune femme assise au café qui n'arrêtait pas d'enlever et de remettre la jolie bague qu'elle avait à l'annulaire et regardait autour d'elle comme si elle attendait quelqu'un
J'écrirais l'histoire de l'homme qui chaque matin en passant devant une vitrine avait envie d'aller parler à la jeune femme assise derrière un ordinateur et n'osait pas entrer de peur qu'elle se sente harcelée.
J'écrirais l'histoire de l'homme qui, tous les soirs, faisait le ménage dans le bâtiment de l'université, et parfois y emmenait sa petite fille, et souvent trouvait un chercheur encore assis devant son écran à des heures où les bureaux sont vides et leurs occupants sont rentrés chez eux se nourrir ou passer la soirée en famille.
J'écrirais l'histoire de la jeune femme qui, tard le soir, mettait des photos en ligne et n'osait pas écrire.
J'écrirais l'histoire du chauffeur d'autobus qui avait toujours la même chanson en tête.
Et, toutes ces histoires, je les tisserais pour qu'elles se croisent.

L'écriture comme acquis évolutif

Un jour, je suis allé parler à l'école de mes jumeaux. Ils étaient en dernière section de maternelle, à l'époque. On m'invitait parce que j'avais un métier un peu hors du commun. Un écrivain, c'est pas courant... Une petite fille se lève et, sans lâcher sa poupée ou son nounours, me demande : "Où est-ce que tu les trouves, tes idées d'histoire à écrire ?" Je réfléchis un peu en vitupérant intérieurement -  "Si les gamins posent des questions impossibles dès l'âge de six ans, où va-t-on ? " - contre ma propre impréparation... et puis je désigne sa poupée et je demande : "Tu lui racontes des histoires, à ta poupée, le soir avant de te coucher ?" Elle fait oui de la tête. "Et tes histoires à toi, où tu les trouves ?" Elle lève le doigt et désigne son front. "Eh bien, moi, c'est pareil... Mais au lieu de les raconter au nounours que j'avais quand j'étais petit, je les écris."

Ce matin, dans le bus, je continuais à lire On the Origin of Stories (dont il va falloir que je fasse un compte-rendu ici après l'avoir terminé et peut-être relu, tant c'est un livre stupéfiant). J'y cherchais une citation à intégrer à l'article que j'ai écrit (en anglais) pour le numéro spécial "Narrative Medicine" de Literature and Medicine (que, pour bien faire, il faudrait que je traduise en français... comme si j'avais pas assez de boulot...). Et ma lecture m'a conduit à penser : au fond, si j'écris, c'est parce que mon cerveau/ma personnalité sont faits comme ça, depuis le début. Ce n'est pas une aptitude apprise ou induite par l'environnement - même si l'environnement m'a fourni à la fois les motivations à écrire et le matériau à travailler - c'est une aptitude personnelle. Tout comme la mémoire photographique ou l'oreille absolue ou le sens de l'équilibre qui permet de marcher sur un fil entre les twin towers du WTC. Et j'ai trouvé aussi dans le livre de Bryan Boyd une définition très gratifiante des avantages évolutifs que représente l'apparition de la fiction dans le cerveau humain. La fiction (les histoires) nous servent à représenter le monde en y intégrant des valeurs propres à la vie en société : la générosité, l'entraide, la fraternité, la coopération, la justice...
Autrement dit, ce que nous appelons "les idéaux", ce ne sont pas seulement des notions "naïves", mais les valeurs qui, à travers la fiction et les représentations du monde, contribuent à nous civiliser.
Bon, ça va pas encore m'inciter à cesser d'écrire, ça !!!

Allez, avant d'entrer dans le week-end, une page très rigolote : les livres les plus bizarres présentés par le site de bouquinistes Abebooks.com

Cela dit, lundi 7 septembre a beau être un jour férié au Québec (la fête du travail), je ne suis pas persuadé que je vais rester éloigné de mon ordinateur et de ce blog jusqu'à mardi...