dimanche 13 novembre 2011

" 'Intouchables', vraiment ?" - par Adélaïde


Allez, de temps à autre, ça fait du bien d'écrire pour prendre un coup de sang. 
Adélaïde V. m'envoie ce texte. Je le publie volontiers. C'est exactement le genre de texte que j'avais envie d'envoyer aux journaux, bien avant l'Internet, quand je lisais des conneries dans leurs rubriques livres, cinéma ou télé. 
MW 
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Ce matin, je lisais ça sur Internet : « En réalité, si ce film plaît tant, c'est parce qu'il présente une histoire aussi éloignée que possible de notre réalité concrète. Elle se passe dans un univers parallèle : un monde qui n'existe pas. (…) Il y a certes une crise, qui ressemble à la nôtre, mais elle est simplifiée, caricaturée, sublimée. Il y a certes des classes (avec des très-très riches et des très-très pauvres), mais ne cherchez pas de lutte les confrontant. » ou encore « C'est une France à l'image de Philippe, le tétraplégique du film : immobile, impuissante, vieillissante. Et accrochée au rêve improbable qu'un jour, quelqu'un ou quelque chose viendra sans brutalité la réveiller. » Pascal Riché  

Alors, allons-y, à l’instar de ces bien-pensants, analysons ce film qui serait une métaphore de cette société française : à savoir la France paralysée (représentée par François Cluzet en tétraplégique riche et fin lettré) versus la France du renouveau (représentée par Omar Sy en jeune délinquant des banlieues, issu de l’immigration)… J’arrête là, ça me saoule profondément, en fait. J’ai l’impression d’être une tarée, quand je lis ces lignes : Comment ? Je n’ai pas immédiatement saisi cette interprétation socialo-économico-politique pourtant si évidente de ce film ? De notre pays (enfin, de la France) ?

Non, je n’y ai vu qu’un film sur notre humanité. Point.

Alors, pour ceux qui auraient raté (mais je crains que cela ne soit pas possible actuellement - en France du moins) ou pas encore vu ce film, je donne ma version de l’histoire, plus simple : Intouchables, c’est l’histoire de deux hommes qui se redonnent mutuellement confiance en soi et dignité. Et cela passe par le dialogue et le soin. Ce qui fait de nous des êtres humains.

Si je voulais me la jouer intello, je pourrais moi aussi me la raconter comme une critique de cinéma, dire que tout le sujet du film est contenu dans le titre ; et y aller de mon explication : "Ces deux hommes, que rien ne pouvait toucher jusqu’à présent – l’un physiquement, de par sa paralysie ; l’autre, émotionnellement, de par le manque de dialogue – deviennent chacun « un touchable » : le riche est de nouveau touché par l’amour, le jeune touché par la (re)connaissance. And what else ? (pour reprendre mon maître à penser Georges C.)" 

Non, je n’ai pas envie de ça, car moi aussi, à mon tour, j’ai été touchée. Ce qui m’a émue, dans ce film, c’est la bienveillance qui s’en dégageait. Parce qu’il en faut, de l’humanité, de la bienveillance, pour se lever la nuit et poser une main sur un visage brûlant de fièvre (quand bien même il n’y a aucun rapport de parenté entre ces deux personnages ; et si la rémunération n’apparaît pas dans ce film, est-ce la raison pour laquelle il est comparé à un conte de fées ?). Parce qu’il en faut, du « care », pour sortir de son sommeil à 4 h du matin et sortir dans la nuit pour permettre au patient qui étouffe de prendre l’air ; pour accompagner un homme (ou une femme) dans des actes intimes et intimidants (ou « vider le cul » d’un patient, comme dit Driss, dans le film, c’est plus parlant) sans pitié dans le regard ni commisération dans les gestes…
Et donc, à la fin, je vous le donne en mille, à force de soins, cet homme invalide réalise un jour qu'il peut aimer à nouveau et être aimé.

Alors, ça ne m’intéresse pas qu’on me gâche mon plaisir en me parlant de « monde qui n’existe pas ».
Pour une fois, ne pourrait-on tout simplement pas se réjouir de voir un film qui raconte une belle histoire et qui fait du bien à ceux qui la regardent ? Un film qui parle d’humanité, de bienveillance et d’amour/d’amitié, sans qu’on ramène cela sur un plan purement critique ?
Et si ce film connaît un tel succès, c’est peut-être parce qu’il est rempli de bons sentiments (et je n’y vois rien de mal, rien de « mauvais » contre l’intelligence en tout cas), mais sûrement aussi parce qu’on a - de tout temps - été rassuré de savoir qu’entre humains, on pouvait toujours s’aider les uns les autres, prendre soin les uns des autres. Ce film est un aller simple vers le cœur, sans passer par le cerveau – et c’est bon.

Adélaïde