vendredi 30 juillet 2010

Feuilleton d'été, épisode alternatif 4 - par Martine B.

Le voyage - Le point de vue du chat 





Le voyage avait pourtant bien commencé. Pour une fois Juliette (c’est ma maitresse, comme disent les humains, c’est bien, ça les rassure de croire qu’ils ont la situation en main, alors qu’en réalité c’est tout le contraire) 

Juliette donc, pour me rendre le voyage un peu moins pénible avait placé au fond de mon panier un grand morceau de tissu (enfin, pour être tout à fait honnête, je devrais plutôt dire l’étole en cachemire offerte par son ex à l’occasion d’ une de ces fêtes idiotes genre la Saint Valentin et que je m’étais appropriée, non sans mal d’ailleurs, mais ça je vous le raconterai une autre fois, il vous suffit juste de savoir qu’ elle avait fini par céder, et puis de toute façon j’avais bien fait d’insister car maintenant qu’il est parti avec la voisine du dessus , elle n’en a plus rien à faire de son cadeau je présume, alors raison de plus pour que j’en profite). 

Afin de passer mon temps de la façon la plus confortable possible dans le peu d’espace dont je disposais, j’optai pour une bonne sieste, et près avoir tourné trois ou quatre fois en rond je me laissai choir d’un coup, ramenai bien la queue le long de mes pattes arrières et croisai le bout de mes pattes avant pour y poser mon museau. Le TGV avait quitté la gare du Mans depuis cinq minutes, le compartiment était calme à souhait, sans môme braillard cette fois pour hurler, réclamer à boire, à manger, sa console que sais-je, ou pire encore, poser des questions débiles comme le chiard de la dernière fois : « oh, regarde maman, c’est un chat dans la boite ? », et après que sa génitrice eût bien évidemment répondu par l’affirmative,  : « pourquoi il est dans une boite, le chat ? », et la mère de s’embarquer dans une explication détaillée du règlement de la SNCF, et l’autre abruti d’insister : « pourquoi ils sont méchants les messieurs de la SNCF, hein maman ? ». Vraiment il y a des fois où on se demande pourquoi ils font des petits, ces humains…


Ce jour-là donc nous étions installés dans le sens de la marche Juliette et moi, et en face de ma maitresse se trouvait un jeune homme. J’avais pris le temps de bien l’observer avant de m’installer pour ma sieste, il était plutôt joli garçon comme aime à dire Juliette, mais ce qui me plaisait le plus chez lui, c’était qu’il ne nous avait pas adressé le moindre regard tant il était absorbé par un truc qu’il lisait, un petit fascicule d’une quinzaine de pages sur les migraines. Bonjour la lecture !! A mon avis, il avait dû oublier de prendre un bon bouquin et s’était rabattu sur ce pis-aller, le pauvre garçon. Mais au moins, il n’allait probablement pas engager la conversation avec Juliette, et c’était tout ce qui m’importait. En plus il n’y avait personne à côté de lui, en face de moi par conséquent, et ça c’était vraiment génial, car enfin, une bonne sieste tranquille peinard, je ne connais rien de mieux pour tuer le temps pendant les trajets, surtout quand le compartiment est calme et bien chauffé. J’allais fermer les yeux et me laisser bercer, enfin rasséréné.


Eh bien vous me croirez si vous voulez, c’est à ce moment qu’est arrivé un grand type vêtu d’un duffle coat bien épais et plein de poches , de l’une d’elles d’ailleurs dépassait un bouquin à la couverture blanche, comme ceux que lit souvent Juliette. Il demanda s’il pouvait occuper le siège libre, permission qui lui fut accordée de bonne grâce. (Juliette a bien des défauts, mais on ne peut lui reprocher d’être très polie). Comme s’il ne prenait pas assez de place comme ça, il était affublé d’un énorme sac à dos. Patience, me dis-je, il va déposer son manteau et son sac dans le compartiment prévu à cet effet, s’assoir et nous ficher la paix. Lui non plus ne semblait pas du genre dragueur, avec un peu de chance il piquerait un petit roupillon comme moi. J’espérais qu’il n’allait pas sortir un MP3 ou un truc du genre et se mettre à écouter de la musique, car il n’y a rien de plus désagréable que d’entendre l’infâme bouillie qui sort d’un mauvais casque, mais pas de risque, me dis-je en observant son front légèrement dégarni et ses tempes grisonnantes, il avait passé l’âge, ouf ! Eh bien juste comme je me faisais cette remarque, il sortit un iPod dernier cri, comme quoi Juliette a bien raison quand elle dit qu’on ne sait plus à quel saint se vouer de nos jours. Enfin, le bonhomme avait visiblement les moyens, aucun son ne s’échappait de son casque haut de gamme, tout allait bien, ma sieste n’était pas menacée.


En réalité elle ne le fut pas…pendant dix minutes environ, le temps que le type finisse son bouquin. Pour mon plus grand malheur, je me rendis vite compte que nous n’avions pas affaire à un contemplatif. Une fois le livre terminé, il griffonna quelques notes dans un petit carnet, puis les biffa, puis recommença, il y en a qui ont vraiment du temps à perdre. Ensuite il sembla plongé dans une profonde réflexion pendant quelques minutes, ça au moins cela ne dérangeait personne, il aurait bien pu continuer tout le trajet pour le plus grand bénéfice de ses voisins. Eh bien non, il se leva d’un bond, et vu son gabarit je vous dis pas le déplacement d’air, moi qui suis fragile des bronches, merci bien ! Il ouvrit le compartiment à bagages au-dessus de son siège, en extirpa son énorme sac duquel il sortit un Mac dernier cri lui aussi. Bon, au moins son clavier n’allait pas produire les cliquetis désagréables que me fait subir ma maitresse à longueur de temps, il faudra d’ailleurs que je lui fasse comprendre un de ces jours qu’il est grand temps qu’elle change de portable car cela commence à me porter sur le système, mais revenons à nos moutons, si je puis dire. 

Le grand type installa un DVD dans son ordinateur et là, horreur, je vis défiler des images toutes aussi affreuses les unes que les autres, il y avait des humains ensanglantés sur des civières, d’autres qui couraient en tous sens, d’autres qui s’acharnaient sur des mourants, enfin je vous dis, c’était pas beau à voir, encore heureux que je n’avais pas le son car vu l’agitation, cela devait pas mal crier là-dedans. Je commençai à m’énerver, donnai des coups de queue de plus en plus amples et rapides, pointai les oreilles vers l’arrière, lui décochai des regards assassins afin de lui faire comprendre qu’il me lésait de mon droit à la tranquillité, mais non, il ne tint absolument pas compte de mes signaux de détresse et la comédie dura pendant tout le reste du voyage.


J’aurais pu fermer les yeux, ou lui tourner le dos, bref, essayer de l’ignorer, me direz-vous, mais vous l’aurez compris, la patience n’est pas mon fort. Alors ce fut pour moi un grand soulagement d’entendre que nous étions arrivés à destination, mais ce qui me ferait vraiment plaisir, ce serait que Juliette se décide enfin à passer son permis de conduire.