mercredi 18 décembre 2013

Le métier d'écrivant, un feuilleton inédit (1) : Quatrième. Accueil. Précision. Lectures, 1/2




« Comment un médecin devient-il écrivain ? »
« Pourquoi portez-vous un pseudonyme ? »
« Comment avez-vous publié votre premier roman ? »
« Comment vous est venue l’idée de La Maladie de Sachs ? Du Chœur des femmes ? »
« Est-ce qu’il vous arrive d’être jaloux des autres auteurs ? »
« Pourquoi écrivez-vous ? »

Depuis 1998, au fil des rencontres – dans les librairies et les bibliothèques, par lettre ou par courriel, sur mes sites internet ou ma page Facebook – lectrices et lecteurs m'ont posé beaucoup de questions.
Un jour, j'ai eu envie de rassembler les brassées de questions et de réponses, et d'en faire des bouquets. Et un bouquin.




Mentir s’apprend. Ecrire aussi.
Jean Guenot

Pour moi, écrire c’est simplement penser avec mes doigts.
Isaac Asimov

Une journaliste : « Que feriez-vous si vous n’aviez plus qu’un an à vivre ? »
Isaac Asimov :  « Je taperais plus vite. »




Accueil




Bienvenue et merci de vous joindre à moi aujourd’hui.

Mon nom est Marc Zaffran.
Je suis né en Algérie, en 1955.
J’ai exercé la médecine générale en France entre 1983 et 2008. J’écris depuis le début de l’adolescence et, depuis 1989, je publie des livres – romans, essais, nouvelles, contes – sous le pseudonyme de Martin Winckler. Mes romans les plus connus sont La Maladie de Sachs et Le Chœur des femmes.
Depuis 2009, je vis à Montréal, Québec.

Lorsque je rencontre des lecteurs, la conversation tourne souvent autour des questions de santé. C’est assez naturel, étant donné ma profession et les thèmes abordés par bon nombre de mes livres. Mais aujourd’hui, je vais vous parler de mon métier d’écrivant. Et, pour cela, j’ai rassemblé ici les questions posées au fil des années par des lectrices et des lecteurs, proches ou étrangers, en tête à tête ou par écrit.. Les questions qu’on m’a souvent posées, mais aussi celles  qui m’ont fait dire : « Ah, je n’avais pas pensé à ça. »

J’aime les questions. Elles font appel à ma mémoire, elles agitent mes émotions, elles stimulent mon imagination. J’aime aussi donner des réponses et, je vous le dis tout de suite, je suis très bavard.
                                              
On commence quand vous voulez.




Précision


Pourquoi « écrivant » et pas « écrivain » ?

Depuis toujours, le mot « écrivain » me met mal à l’aise, pour ne pas dire qu’il m’irrite. J’ai mis longtemps à comprendre que c’est parce qu’il est pétri de connotations culturelles aussi anciennes – et chargées – qu’un portrait de Louis XIV. Un écrivain, c’est un descendant symbolique de Madame de Sévigné. Le mot anglais, writer, ne résonne pas de la même manière. Un writer, c’est quelqu’un dont le métier est d’écrire, un point c’est tout. Dans mon univers mental, writer est penché sur sa machine à écrire ; écrivain disserte de sa vision du monde dans un salon privé ou sur un plateau de télévision. Writer a une famille et des traites à payer ; écrivain a des relations et on le fait chevalier des arts et lettres. Writer raconte des histoires pour gagner sa vie ; écrivain compose une œuvre qui le fera passer à la postérité.

Je sais pertinemment que la plupart des écrivains français d’aujourd’hui ne se reconnaissent pas dans cette image caricaturale mais, encore une fois, il s’agit de représentations subjectives, non d’une description de la réalité. Seulement, ces représentations ne sont pas sorties du néant : tels qu’on les évoquait dans les notices biographiques des Lagarde et Michard, mais aussi dans beaucoup d’émissions de télévision des années soixante, les écrivains écrivent parce qu’ils sont « inspirés », et vénèrent par-dessus tout la langue qu’ils tracent à la plume. S’ils ne sont pas nés dans l’aristocratie, ils aspirent à la rejoindre – tout comme Swann aspire à entrer au Jockey-Club. Pour les consacrer, on publie des articles dithyrambiques (écrits par des écrivains), on leur décerne des prix (remis par des écrivains), on les élit et on les enterre au Panthéon et à l’Académie Française (parmi des écrivains). Bref, les écrivains ne font pas partie du commun des mortels. Quant aux pisseurs de copie – publiés ou non – qui n’ont pas été ainsi dûment estampillés, ce ne sont pas de vrais écrivains.

Autrement dit, ce qui me gêne, dans le mot « écrivain », c’est toute sa charge d’élitisme, et le rapport de classe.
Ce que j’aime, en revanche, dans le mot anglais writer, c’est qu’il désigne un métier, une pratique, un travail : Anne Frank et Franz Kafka sont des writers parce qu’ils ont passé la partie la plus signifiante de leur vie à écrire, non parce qu’on les a valorisés après leur disparition.

Mais j’écris en français, j’avais envie de me définir dans ma langue. Alors, depuis quelques années, je dis que je suis écrivant. J’aime ce mot parce qu’il est descriptif, sonne bizarre et n’a pas de statut.
Autant dire qu’il a mauvais genre. Et ça me convient très bien.





Lectures (1)

Avant d’écrire, on lit. Que lisiez-vous enfant et à l’adolescence. Quelle importance les livres ont-ils eue pour vous ?

Je lisais beaucoup, et c’était très important. A tel point que j’ai consacré une bonne partie de mon récit autobiographique, Légendes, à mes lectures d’enfance. J’aimais les histoires à rebondissements et, pendant longtemps, j’ai porté beaucoup plus d’attention à la construction narrative qu’au style. Je ne « voyais » pas le style, et c’est un peu normal : on ne le voit qu’après avoir beaucoup lu. Mais on sent très tôt si une histoire est bien ficelée ou non. Les histoires bien ficelées ont un début séduisant, des personnages attachants, des péripéties, du suspense, et une résolution satisfaisante – j’entends par là qu’elle dénoue les intrigues en utilisant les éléments du récit et non au moyen d’une pirouette. Le prototype de ces histoires, à mes yeux, est le conte pour enfant. J’ai dû en lire beaucoup – Grimm, Perrault – et j’ai lu aussi beaucoup de « contes et légendes », dans les collections de livres du même nom. J’ai bouffé de la mythologie grecque et romains, des récits bibliques, des contes des mille et une nuits. De là, je suis passé aux romans d’aventures pour pré-adolescents et adolescents : le Club des Cinq et le Clan des Sept, Bob Morane… 



Puis à des auteurs qui ne s’adressaient pas vraiment aux jeunes lecteurs mais qu’on leur faisait lire : Jules Verne, Herbert George Wells. Simultanément, je me suis mis à lire de la littérature dite « policière » ou « d’énigme » : Sherlock Holmes, Arsène Lupin, Hercule Poirot. 



Ma mère était abonnée à Mystère Magazine et Hitchock Magazine, que je lui piquais dans sa table de nuit. Quand j’appréciais beaucoup un auteur, je recherchais ses autres textes. Et puis j’ai découvert les anthologies de littérature de genre, qui étaient nombreuses dans les années cinquante, et qu’on trouvait encore à la fin des années soixante. Quand une anthologie contenait une ou des nouvelles d’auteurs que j’avais apprécié, je la lisais et ça me faisait découvrir d’autres auteurs. J’ai encore chez moi une des premières anthologies que j’aie possédées : Les chefs-d’œuvre du crime, de Bergier et Sternberg, publié par Marabout. en 1966. C’est un recueil extraordinaire, qui regroupait quarante nouvelles d’auteurs pour la plupart anglo-saxons, mais aussi des textes d’auteurs francophones : Apollinaire, Octave Mirbeau, Maurice Leblanc, Jean Ray, Maurice Renard, Marcel Schwob, Stanislas-André Steeman… 



Le livre commençait par une grande préface sur les personnages de la littérature criminelle et d’aventures et se poursuivait par une liste chronologique des grands romans du genre depuis le 18e siècle. Les nouvelles étaient regroupées par thème - crime parfait, crime presque parfait, humour, enquêteurs de génie, etc. - et précédées d’une courte présentation de l’auteur. 



C’était un authentique travail de « passeur », qui m’a familiarisé avec des dizaines d’auteurs. Pendant toute mon adolescence, j’ai lu beaucoup de romans policiers, anglophones et francophones - Christie, Doyle, Charteris, Leblanc, Simenon, Steeman, Japrisot - et beaucoup de science-fiction, essentiellement américaine. 

 

 
Et j’ai lu autant de recueils de nouvelles que de romans. Ce qui explique que j’ai d’abord eu envie d’écrire des nouvelles : un roman me paraissait bien au-delà de mes capacités. De plus, je lisais aussi beaucoup de bandes dessinées, et en particulier les histoires courtes en deux à six planches publiées dans les magazines de l’époque - Spirou, Tintin, Pilote - et je regardais des séries télévisées américaines, dont chaque épisode, à l’époque, était une histoire complète 
 


et  des feuilletons français comme Rocambole et Les Habits Noirs qui, eux, étaient « à suivre ». 








Autant dire que pendant mon enfance, j’avais devant moi tout l’éventail accessible des récits, depuis les nouvelles ultra-courtes de l’Américain Fredric Brown jusqu’aux romans-fleuves de Dumas et de Jules Verne – Les Trois Mousquetaires, Michel Strogoff et Les Indes Noires restent pour moi des grands moments de lecture. Quant à L’écume des Jours et aux Vernon Sullivan, à mes yeux c’étaient des romans américains. D’ailleurs, Vian avait traduit certains des romans de science-fiction les plus marquants des années cinquante, en particulier Van Vogt.



Je peux donc dire que je lisais essentiellement de la littérature « populaire ». Et je m’en portais très bien. Je voudrais ajouter ici que c’est la littérature populaire qui m’a fait comprendre très tôt qu’écrire est un métier. Les auteurs américains laissaient clairement entendre qu’ils appartenaient à une « famille » d’écrivants qui se lisaient mutuellement et qui travaillaient souvent ensemble. Ils parlaient d’argent, des aléas de publication et disaient : « J’ai vendu une nouvelle. On m’a refusé un roman. » Et je découvrais qu’ils venaient de milieux très divers, que beaucoup avaient une formation scientifique ou technique, que certains avaient commencé très tard – toutes choses très encourageantes aux yeux d’un garçon pour qui l’éventualité de publier avait tout du rêve impossible. L’autre chose que j’ai apprise de ces auteurs est qu’ils puisaient leurs idées autour d’eux. Dans la présentation de ses nouvelles en recueil, Isaac Asimov expliquait que le sujet de telle histoire lui était venu au cours d’une conversation avec un de ses amis, ou à la suite d’une lecture, voire même d’un pari – ce qui démystifiait complètement toute notion d’« inspiration » : tout était bon à raconter, tout était bon à écrire, et écrire pouvait à la fois être très sérieux et très ludique. C’est toujours grâce à la SF que j’ai pour la première fois « écrit sous contrainte », grâce à la revue Fiction. 




Elle avait publié le début d’une nouvelle que le britannique Keith Laumer avait rédigé et avait envoyé à plusieurs collègues. C’était l’histoire d’un homme qui, dans un futur éloigné, se rend dans une clinique d’euthanasie et demande à en finir. Il s’allonge sur la table, on lui fait une injection mortelle, et il meurt. Il fallait écrire la suite. J’ai lu les histoires des autres auteurs, et j’ai aussi écrit ma propre suite. Le défi était trop beau pour ne pas le relever ! La SF n’était pas seulement un genre, c’était aussi un milieu vivant, dans lequel – en Amérique, du moins – les auteurss se connaissaient, rencontraient leurs lecteurs dans les « conventions », les festivals, échangeaient des idées, écrivaient en duo, partageaient des personnages. Le monde du roman policier était lui aussi très animé, très vivant, et on sentait qu’il y avait peu de barrières entre les auteurs eux-mêmes, mais aussi entre auteurs et lecteurs. Ça m’a incité, pendant l’année que j’ai passée en Amérique à l’adolescence, à écrire à Isaac Asimov pour lui dire tout le bien que j’avais pensé de son dernier roman en date… et lui envoyer un texte de mon cru (j'avais peur de rien...) Et il m’a répondu ! Avoir affaire à des auteurs vivants, c’était enthousiasmant ! 



 
Aujourd’hui 18 décembre 2013, j’ai reçu deux messages. L’un venait d’une lectrice du Chœur des femmes âgée de 16 ans. Elle a lu le roman quand elle en avait douze ! Inutile de dire que je lui ai répondu tout de suite. Le second message venait d’une enseignante qui travaille dans un lycée français aux Etats-Unis. Elle m’avait demandé si j’étais prêt à venir parler à ses élèves. J’avais répondu que j’en serais ravi. Aujourd’hui, elle m’a demandé si, dans l’hypothèse où les élèves étudieraient La Maladie de Sachs, je serais d’accord pour que le roman soit sur la liste de leurs bouquins pour le bac. « Je ne sais pas si vous considèreriez cela comme un honneur, ou comme le début d'une fossilisation prématurée de votre œuvre » ajoutait-elle. Je lui ai répondu que j’avais beaucoup râlé quand j’étais au lycée contre les classiques poussiéreux qu’on nous infligeait, alors je suis heureux qu’on fasse lire un de mes bouquins tant que je suis vivant et que je peux répondre aux questions des jeunes lecteurs !