dimanche 20 novembre 2011

Si j’avais un million (exercice n°20) – par Ingrid Darroman




Si j'avais un million, je me poserais bien des questions...

Autant et pourtant si peu ! De quoi préparer les prochaines vacances, c'est certain. Juste les préparer, j'ai déjà un train de vie largement au dessus de mes moyens donc cette somme ne suffira pas à combler mes rêves les plus fous. Peut être l'occasion de commencer à économiser, pour ne plus arriver devant le banquier en ayant honte d'avoir cramé mon livret bleu dans les mojitos l'été précédent. En même temps, si le premier truc qui me vient est de partir en vacances, pas la peine de perdre mon temps à prendre un rendez vous avec le banquier … d'ailleurs, ma première pensée à l'évocation de ce million devrait être de combler mon découvert. Bon mais il m'en resterait un peu quand même alors il faudra concrétiser... parce que si cet argent tombe du ciel, je vais l'y faire remonter en fumée.

Sans doute ne dirais-je plus à mon fils pendant quelques temps, « ce jouet, il faut le commander au père noël, maman n'a pas assez de sous ». Peut être lui dirais-je encore tout en faisant naître sur le canapé pendant de nombreux matins chaque petite voiture qui lui manque de son dessin animé préféré. Sans doute que je retournerais dans cette boutique de thé qui m'enchante et dont les boîtes et le nom des mélanges évoquent un luxe que je ne pourrai pas atteindre, même avec ce million. J'y retournerai et je prendrai 10 boîtes au lieu d'une, et en plus je paierai cash. La classe ?
Je mettrai enfin un tapis sous la table du salon parce que l'hiver, on a froid aux pieds en mangeant. Je changerai le canapé de la chambre d'amis parce que les amis vieillissent, comme moi. Je pourrais donc aussi me faire faire un soin du visage « spécial premières rides », celui dont je regarde le prix du coin de l'oeil sur le prospectus de l'esthéticienne tout en lui demandant seulement une épilation des sourcils. J'amènerais G chez P goûter une cuillère de caviar. J'achèterais un quart du stock de stylos que mes élèves revendent pour financer leur voyage scolaire. J'irai enfin faire encadrer ce tableau de Matisse dont je suis tombée amoureuse il y a dix ans. Mais ça y est je crois que j'arrive au bout, si vite, de ce million tant désiré, juste de quoi rêver un peu, un peu de sucre dans le quotidien, même pas de quoi payer les vacances avec toutes ces dépenses, juste de quoi y rêver.

Ce million de francs CFA ne suffit décidément pas.


Ingrid Darroman

Le livre de mon enfance (Exercice d'écriture n°18) et tous les autres exercices Par C.D.



Le livre de mon enfance, c’est Jean-Christophe.
J’avais 11 ou 12 ans quand je prenais chaque tome, montais dans ma chambre et m’allongeais sur mon lit. Je m’évadais de l’ennui d’une vie triste et morne entre mon père et sa nouvelle femme. Grâce à Jean-Christophe, je suis devenue spécialiste de littérature française du début du XXème siècle puis écrivain.

Non. Ca ne s’est pas passé comme ça. Je dois recommencer pour rétablir la vérité parce que je me dois d’être honnête. Pas de fiction sur ce blog.

J’avais 11 ou 12 ans quand je prenais chaque tome de Jean-Christophe, montais dans ma chambre et m’allongeais sur mon lit. Entre le troisième et le quatrième volume, avalés en deux jours, la femme qui couchait avec mon père, celle qui a eu un enfant de mon père, m’a regardée ironiquement : ce n’est pas comme ça qu’on lit un livre, tu fais semblant.

J’ai arrêté de lire, je suis devenue une élève médiocre, adolescente boudeuse, mi-pute mi-rebelle. Et je n’ai aucun souvenir de Jean-Christophe, absolument aucun.

Alors que j’étais promise à un bel avenir, petite fille rieuse et gaie, curieuse de tout, douée pour le bonheur et surtout pour l’écriture, me voilà aujourd’hui écrivant sur le blog d’un quasi inconnu, à propos d’un livre que je n’ai jamais achevé, libérée d’un boulot usant par la divine surprise de deux jours de grève. Et c’est de sa faute, tout est de sa faute à elle.
Mais Pennac m’a vengée, et m’a donné une bonne raison de quitter mon père.

Depuis, j’erre dans les librairies, cherchant désespérément le livre qui va changer ma vie, grosse de jalousie et d’envie. J’erre dans les articles du blog, refusant de faire du vieux avec du neuf, revenant sans jamais vraiment la quitter vers ma douleur, cherchant à me convaincre que quand je serai plus vieille je me vengerai, moi à qui anything happened, et surtout pas la moindre envie de reprendre contact. She’s out of the past, eh bien qu’elle y reste, et avec elle ma douleur, et ma frustration, et ma jalousie. Ah non, les mots ne se bousculent pas pour dire merci, ils jaillissent en flots ininterrompus pour crier une haine monstrueuse, tels les spermatozoïdes conquérants de leur copulation, dans une extase continuelle de ma propre flagellation, pleurant au souvenir de la petite fille rieuse que j’ai été, rageant quand je lis l’écrivain raté que je suis (zut je n’arrive pas à placer population, m’emmerde Winckler). 980 signes ne me seront jamais suffisants pour l’enterrer vivante sous les huées de la population (ouf !) : la vie est trop brève pour réaliser un tel dessein. Mais chaque nuit vient me hanter le crime parfait : je scierais les pieds de sa bibliothèque minable qui n’aligne que des livres publiés avant 1970, je placerais sur trois étagères différentes, juste sur le rebord, en équilibre, La Première épouse, Les lauriers du lac de Constance, et La place, j’ouvrirais les fenêtres pour que s’engouffre un vent mauvais qui déséquilibrera son échafaudage stérile et ainsi elle mourra écrasée par les livres d’avant le drame déséquilibrés par les livres de la douleur de ma mère, ces livres qui m’ont réconciliée avec le plaisir de la lecture. Et ma mère.

Non, je dois recommencer pour rétablir la vérité. J’ai revu ma belle-mère pendant les vacances de la Toussaint et à table, au moment de me servir, elle me dit : prend davantage de carottes, ça rend aimable. Alors je me suis souvenue (zut, c’est moins élégant que « je me souviens » mais il faut bien que je respecte la concordance des temps) que le jour où elle m’a surprise en flagrant délit d’un plaisir solitaire, j’ai pris le masque de la mal-aimable. Jean-Christophe, je suis vraiment désolée de t’avoir abandonné ce jour-là. Mais ce n’est qu’un contretemps.

Peut-on résumer une vie et les conséquences d’une brève rencontre (dix ans quand même) par cette phrase névrotique : tu fais semblant ? Tout est de sa faute, moi je n’y suis pour rien. C’est pas vrai que je fais semblant de lire, et d’écrire. Non, c’est pas vrai. Et pis d’abord j’suis pas mal-aimable, j’suis toujours gaie, et drôle, et souriante.  Mais pas poète. Tant pis pour le Haïku. Quant à la description de mon désir d’écrire, je le réserve pour d’autres jours de grève.


C.D. 

Si c'était à refaire... (Ex. N°21) par Sophie M.



Réfractaire au rasoir électrique, il prit dès lors l'habitude de ranger son rasoir mécanique dans le tiroir de son bureau qu'il fermait dorénavant consciencieusement à clé. Il ne l'aurait pas trouvée baignant dans ce jus rouge, un soir d'hiver si son rasoir n'avait pas été posé sur la tablette de la salle de bain . Il s'en était tellement voulu !.
Il s'était retrouvé, marchant pieds nus dans le sable frais et avait de nouveau rencontré cet amour. Le pire, c'est qu'il n'avait rien fait pour. Il était arrivé sur un plateau, un matin de septembre sur une plage de Normandie.
Un débarquement... oui, c'est exactement ça. Elle s'était approchée, avait plongé ses yeux bleus dans les siens, l'avait aimé. Comme la première fois. Et puis voilà, c'était reparti.
Ça vous fait rêver, n'est-ce pas ? Attendez la suite.

Son prénom commençait pas la lettre C.  C comme Chance, c'est ce qu'il s'était dit. Celle d'une vie, celle à laquelle peu de personnes n'ont droit.
Il a été raisonnable. Il a reçu cet amour avec bienveillance. Puisqu'il lui était à nouveau offert de bonne grâce apparemment, il se devait d'en faire bon usage. Ses bras s'ouvrirent, accueillirent le corps de cette femme si prompt à se donner. C'est bien ce qu'il fallait faire non ?
Il l'emmena chez lui, découvrit sa voix et l'odeur de sa peau et lui adressa les mots qu'il convient de prononcer en pareilles circonstances. Elle était douce. Son attitude seule promettait qu'elle saurait être conciliante, toujours.

Il lui passa l'anneau autour de son frêle annulaire gauche. Il venait de deviner l'imperceptible sourire qui était passé sur son visage après avoir prononcé le oui qui l'unissait à lui.
Il n'eût rien à regretter. Promesse tenue. Elle l'aima. Inconditionnellement, elle l'aima. Reconnaissant, il la gâta en retour. Il lui offrit des fleurs, l'emmena au restaurant de temps en temps, lui fit l'amour souvent.
Elle portait des robes, relevait ses cheveux en un chignon informe. Elle était en tout point désirable.

Ses amis le traitaient de veinard. Leur femme, à eux, avaient bien vite changé d'attitude une fois mariée. Elles s'étaient mises à exiger de l'attention, réclamer de l'indépendance et avoir tendance aux migraines le soir. Lui au moins n'avait pas été trompé sur la marchandise. Cela le faisait rire, modestement conscient de sa propre valeur. On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, voilà tout.
Il lui fit un premier fils que l'on appela comme le grand-père paternel. Vint ensuite une fille, qui reçu le prénom de son arrière-grand-mère paternelle. Il y tenait tant. Il la remercia en lui offrant un luxueux bracelet dont elle entoura aussitôt son frêle poignet.

Comme il l'avait prévu, elle fut une mère parfaite. Aimante, disponible, compréhensive. Lorsqu'il rentrait le soir, il trouvait ses deux chérubins en robe de chambre. « Bonsoir papa chéri ». Elle, jolie, comme toujours.
Il fut un homme comblé. Cette vie faite perfection le rendait efficace, son travail était meilleur que celui des autres. Avait-il un secret ? Le bonheur peut-être...
Il saisissait sa taille le soir, à pleines mains, l'attrapait pour la retourner. Son calme le rendait parfois brutal. Elle jouissait à chaque fois de toute façon...

Il lui fit deux autres fils en même temps. Elle lui laissa décider des prénoms, ça n'avait pas tant d'importance pour elle. Elle les allaitait en même temps, deux gros baigneurs pendus en permanence à ses seins qui se tarirent trop tôt. Il ne remarqua pas qu'un soir, elle donnait le biberon.
Une baby-sitter fut engagée le soir de leur dixième anniversaire de mariage. Elle se fit belle. Son cou, frêle, portait le collier de perles de leur premier anniversaire de mariage. Il fut touché par cette attention. « Bon anniversaire ma chérie », il lui tendit un paquet qu'elle ouvrit en remerciant. Un camai, celui de sa mère, à lui, décédée un an plus tôt. Était-ce une larme qu'il vit se former dans les yeux de femme visiblement émue ? Le champagne l'émécha un peu. Ce fut dans la voiture ce soir-là, qu'empressé, il lui démontra son indéfectible affection.

Elle lui demanda de s'arrêter sur le bord de la route. Elle avait envie de vomir. La délicate ne supportait pas l'alcool. Il patienta cinq bonnes minutes. Elle ne vomissait pas. Pliée en deux, les  escarpins dans la neige, elle ne parvenait à soulager ses nausées. Il lui demanda de remonter dans la voiture, il avait froid. Elle vomirait à la maison. Il fallait encore ramener la baby-sitter et il avait une réunion importante le lendemain matin. Elle s’exécuta, certainement un peu honteuse de s'être laissée enivrée comme une adolescente. Elle réussit à se retenir jusqu'à la maison.

Ce soir-là, pendant plus d'une heure, elle vomit sa vie entière dans les toilettes parfumées à la violette, sa fleur préférée.
Il l'appela plusieurs fois de la chambre. Elle arrivait, cinq minutes encore. Qu'est-ce qu'elle avait tant à vomir, se demandait-il ? La prochaine fois, il l'empêcherait de boire. Petite nature.

Il finit par l'entendre se brosser les dents. « Frotte bien ! », lança-t-il amusé.
Dans le miroir, le visage était gris, les lèvres vidées de leur sang. Les clavicules semblaient vouloir percer la peau fine.
« Allez viens, ma doucette ! Je vais te soigner moi ! »
Dans le miroir, les sourcils se fronçaient, les yeux inondés, la bouches tirée vers le bas, le menton tremblant.
« Je sais ce qui va te faire du bien chérie mais dépêche toi, je me lève tôt ! »
Dans le miroir, il n'y a plus qu'une image floue, de la bougie qui coule le long d'un bougeoir invisible. Une masse qui devient informe.
« Me force pas à venir te chercher petite coquine.... »
Dans le miroir, plus rien.
La fenêtre est ouverte, le froid a envahi la salle de bain.

Sophie M. 

vendredi 18 novembre 2011

Si c'était à refaire - par Danalyia (Exercice n°21)


Bientôt huit heures. Dans le métro, Claire somnole, se laisse bercer au fil des stations par les douces réminiscences de leur première nuit. Secret partagé dans la chambre protectrice, au creux des draps bruissants ; tendre séisme de leurs désirs enfin conjugués au présent du réel…

Saint Jacques. Une femme toute emmitouflée serrant sous un bras un porte-documents, monte et se pose à côté d’elle. C’est vrai qu’il fait froid, Claire ne s’en était pas vraiment aperçue, absorbée qu’elle est par son bonheur. Tout à l’heure, elle dormait dans les bras de son amour, dont le parfum ambré rôde encore sur sa peau, dont la voix chaude résonne en elle. Boulevard Saint Germain, il a dit simplement « j’ai envie de dormir avec toi ». Elle a répondu « moi aussi ». Instant magique. Enlacés et tremblants, ils ont vogué jusqu’à l’hôtel…

Denfert. Bientôt elle descendra, se mêlera à tous ces inconnus qui ne savent et ne sauront jamais rien d’elle. Il lui semble qu’elle pourrait les aimer tous aujourd’hui, tant son cœur est heureux.
Raspail, plus qu’une station pour se retrouver à l’air libre et marcher, rythmer d’un pas décidé cette joie qu’elle voudrait crier, chanter, partager… Au creux de cette nuit merveilleuse, il a murmuré : « il me semble que je t’aime depuis toujours » ; « moi aussi, depuis toujours » a-t-elle dit dans un souffle… 
Mais pourquoi le métro s’arrête-t-il entre deux stations ? Sur les visages aux paupières encore gonflées de nuit, se lit d’abord la surprise, puis les bouches se pincent sous l’effet d’une exaspération qui va bientôt jaillir en guirlandes de mots saccadés… Sa voisine soupire : « Je n’étais déjà pas en avance… les élèves vont devoir m’attendre dans la cour »… « Vous êtes professeur ? » demande Claire. « Non, insti… ». Elle n’achève pas : un choc violent projette les passagers les uns contre les autres, on crie, on proteste mais, lorsque le wagon semble amorcer une descente, un murmure incrédule circule parmi les voyageurs. Une femme enceinte pleure en soutenant son ventre ; un jeune homme tente vainement de la rassurer : « c’est juste une impression, ce n’est pas possible qu’un métro change comme ça de direction et, d’ailleurs, en dessous des tunnels, on se retrouverait dans l’eau, vous voyez bien que ce n’est pas le cas ! » Pourtant, la descente s’accélère et des gouttes puis des traits continus apparaissent bientôt sur les vitres. La future mère hurle et la panique s’empare des passagers, puis une violente secousse suivie d’une sonnerie assourdissant semble indiquer la fin du voyage…

Silence. Immobilité. Le sol du wagon est jonché de divers objets : magazines, livres, sacs. Claire se penche et ramasse un gant qui s’est échoué contre ses pieds ; un gant d’homme, tout imprégné d’une senteur ambrée. L’institutrice berce son porte-documents, tandis que son regard inquiet scrute le paysage dévasté. « C’est la première fois que je vois une chose pareille, pourtant je prends le métro depuis mon plus jeune âge» dit-elle. « Moi aussi, depuis toujours » répond Claire en glissant machinalement sa main dans le gant de cuir orphelin…

Un peu de lumière filtre à travers le rideau. Claire sourit en se rappelant son rêve étrange et quelque peu surréaliste… Auprès d’elle sommeille encore l’aimé, apaisé, alangui. Tout à l’heure, devant les autres, ils feindront d’être deux étrangers l’un pour l’autre, ils se diront « vous » et prendront garde à ne pas s’effleurer. Elle savoure par avance leur délicieux secret…

dimanche 13 novembre 2011

" 'Intouchables', vraiment ?" - par Adélaïde


Allez, de temps à autre, ça fait du bien d'écrire pour prendre un coup de sang. 
Adélaïde V. m'envoie ce texte. Je le publie volontiers. C'est exactement le genre de texte que j'avais envie d'envoyer aux journaux, bien avant l'Internet, quand je lisais des conneries dans leurs rubriques livres, cinéma ou télé. 
MW 
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Ce matin, je lisais ça sur Internet : « En réalité, si ce film plaît tant, c'est parce qu'il présente une histoire aussi éloignée que possible de notre réalité concrète. Elle se passe dans un univers parallèle : un monde qui n'existe pas. (…) Il y a certes une crise, qui ressemble à la nôtre, mais elle est simplifiée, caricaturée, sublimée. Il y a certes des classes (avec des très-très riches et des très-très pauvres), mais ne cherchez pas de lutte les confrontant. » ou encore « C'est une France à l'image de Philippe, le tétraplégique du film : immobile, impuissante, vieillissante. Et accrochée au rêve improbable qu'un jour, quelqu'un ou quelque chose viendra sans brutalité la réveiller. » Pascal Riché  

Alors, allons-y, à l’instar de ces bien-pensants, analysons ce film qui serait une métaphore de cette société française : à savoir la France paralysée (représentée par François Cluzet en tétraplégique riche et fin lettré) versus la France du renouveau (représentée par Omar Sy en jeune délinquant des banlieues, issu de l’immigration)… J’arrête là, ça me saoule profondément, en fait. J’ai l’impression d’être une tarée, quand je lis ces lignes : Comment ? Je n’ai pas immédiatement saisi cette interprétation socialo-économico-politique pourtant si évidente de ce film ? De notre pays (enfin, de la France) ?

Non, je n’y ai vu qu’un film sur notre humanité. Point.

Alors, pour ceux qui auraient raté (mais je crains que cela ne soit pas possible actuellement - en France du moins) ou pas encore vu ce film, je donne ma version de l’histoire, plus simple : Intouchables, c’est l’histoire de deux hommes qui se redonnent mutuellement confiance en soi et dignité. Et cela passe par le dialogue et le soin. Ce qui fait de nous des êtres humains.

Si je voulais me la jouer intello, je pourrais moi aussi me la raconter comme une critique de cinéma, dire que tout le sujet du film est contenu dans le titre ; et y aller de mon explication : "Ces deux hommes, que rien ne pouvait toucher jusqu’à présent – l’un physiquement, de par sa paralysie ; l’autre, émotionnellement, de par le manque de dialogue – deviennent chacun « un touchable » : le riche est de nouveau touché par l’amour, le jeune touché par la (re)connaissance. And what else ? (pour reprendre mon maître à penser Georges C.)" 

Non, je n’ai pas envie de ça, car moi aussi, à mon tour, j’ai été touchée. Ce qui m’a émue, dans ce film, c’est la bienveillance qui s’en dégageait. Parce qu’il en faut, de l’humanité, de la bienveillance, pour se lever la nuit et poser une main sur un visage brûlant de fièvre (quand bien même il n’y a aucun rapport de parenté entre ces deux personnages ; et si la rémunération n’apparaît pas dans ce film, est-ce la raison pour laquelle il est comparé à un conte de fées ?). Parce qu’il en faut, du « care », pour sortir de son sommeil à 4 h du matin et sortir dans la nuit pour permettre au patient qui étouffe de prendre l’air ; pour accompagner un homme (ou une femme) dans des actes intimes et intimidants (ou « vider le cul » d’un patient, comme dit Driss, dans le film, c’est plus parlant) sans pitié dans le regard ni commisération dans les gestes…
Et donc, à la fin, je vous le donne en mille, à force de soins, cet homme invalide réalise un jour qu'il peut aimer à nouveau et être aimé.

Alors, ça ne m’intéresse pas qu’on me gâche mon plaisir en me parlant de « monde qui n’existe pas ».
Pour une fois, ne pourrait-on tout simplement pas se réjouir de voir un film qui raconte une belle histoire et qui fait du bien à ceux qui la regardent ? Un film qui parle d’humanité, de bienveillance et d’amour/d’amitié, sans qu’on ramène cela sur un plan purement critique ?
Et si ce film connaît un tel succès, c’est peut-être parce qu’il est rempli de bons sentiments (et je n’y vois rien de mal, rien de « mauvais » contre l’intelligence en tout cas), mais sûrement aussi parce qu’on a - de tout temps - été rassuré de savoir qu’entre humains, on pouvait toujours s’aider les uns les autres, prendre soin les uns des autres. Ce film est un aller simple vers le cœur, sans passer par le cerveau – et c’est bon.

Adélaïde