C'est un petit livre tout blanc et tout fin de 63 pages et heureusement.
Je dois partir, deux jours à Bruxelles, pour la Foire du Livre. Nous sommes convenus avec une blogueuse de nous y retrouver. Le programme est alléchant, il y aura entre autres Pennac en scène et son Merci, dont je suis curieuse. Et puis ma meilleure amie. Bizarrement j'en suis sans nouvelles précises depuis début janvier. Trop de travail sans doute, toujours sur-occupée. J'ai un manuscrit à lui confier sur lequel j'aimerais son avis car c'est elle qui m'a poussée à organiser mes textes en vue du papier.
Le papier n'est pas mon monde, l'internet si. Mais je tiens compte de ce qu'elle me dit.
Mes bagages sont bouclés, je prends toujours trop de choses, ôte donc quelques bouquins - je vais à un salon où il y en aura -. À l'instant de refermer la porte je vois ce petit livre, si léger, si fin. Acheté la veille à la Librairie Compagnie où Anne Godard présentait son "Inconsolable" qui m'avait tant impressionnée.
La vie avait été rude les mois qui précédaient, maladies confirmées ou annoncées mais sérieuses pour ma fille ou pour moi, problèmes au travail, homme de ma vie dont je n'étais plus tout à fait la femme, tracas financiers. Restaient : mon fils, l'amitié, les livres. Sous la pression des événements, des peurs et de l'épuisement, écrire, j'avais du mal.
Depuis janvier cette éclaircie qui se dessinait. Il fallait vite reprendre pied avant la prochaine saison de calamités.
Me retrouver quelques jours au milieu des livres, beaucoup de livres, et revoir des personnes bien-aimées, serait probablement l'occasion d'oublier "l'usine" aussi et la façon dont j'y étais, comme tant d'autres, traitée, déguster quelques bières en bonne compagnie, puis repartir du bon pied.
La période difficile m'avait laissée exténuée, vidée, et équipée d'un sentiment de solitude glaçant. Les amis, c'est normal, ne sont pas toujours disponibles au gré de nos besoins de secours. Je suis un animal qui en cas de malheurs tend à se taire et se terrer. Aux autres de deviner. Pas très malin comme attitude mais c'est alors ainsi.
Je vois ce petit livre, si léger, si fin et le glisse vite fait dans la poche de mon blouson.
Le voyage se passe bien. L'hôtel économique est dans un quartier apeuré, le tenancier terrifié me déconseille de sortir avec mon appareil photo. Impavide, je file à la Foire.
Mais quand je croise l'amie que j'espérais retrouver, prévenue par mail plus tôt, son attitude a changé. Je ne sais pas pourquoi. J'étais persuadée qu'on tomberait dans les bras l'une de l'autre ; qu'on trouverait un moment à nous ; qu'on parlerait.
Ma fille avait été si malade, le reste du temps si compacté, on reprendrait notre amitié là où avant elle en était.
Non.
Elle me regarde comme une étrangère. Mon grand-père en ses derniers moments, qui ne se souvenait plus de qui étaient ces gens mais de nous avoir déjà vus, avait cette même façon. Elle me congédie, C'est mieux qu'on ne se voie plus.
Je tombe sidérée.
Au lendemain j'obtiens quelques mots qui ne sont pas fâchés. Comme si l'amitié dépendait de CDD. Le mien auprès d'elle n'est pas renouvelé sans aucun signe avant-coureur fors le silence messager.
Disjonction. Je ne peux plus faire confiance à personne, ni croire en l'amitié. Mur porteur effondré. État de choc.
Une femme dans le métro a un geste simple qui à cet instant me sauve (non, tout le monde ne veut pas me tuer). À l'hôtel, je passe une nuit.
Le lendemain un rendez-vous prévu chez un vieil ami. Je fais pour l'honorer un effort inouï. De moi ne reste qu'une enveloppe, l'intérieur n'est que mécanismes. Je n'habite plus à ma carcasse. Sur le quai, en attendant le train pour me rendre en sa ville proche et comme il fait, ou j'ai, très froid, je mets ma main libre de bagage dans une poche du blouson.
Il y a un bouquin.
Ah, tiens, c'est vrai.
Pas envie de lire. Le fumeur tenant un paquet de cigarettes, préoccupé, s'en allumerait une. Le livre, je l'ouvre.
Il commence par "Ça commence". Je me sens détruite, commencer est la seule chose que je peux faire, de toutes façons je suis morte hier, il faut bien commencer à nouveau. Et par miracle, parce que le texte est parfaitement écrit, chaleureux, parce qu'il parle d'une amitié solide et fondatrice entre deux hommes qui n'ont pas démérité, l'un pour écrire l'autre pour éditer, je me laisse embarquer.
Je ne le sais pas encore, les 48 heures suivantes resteront un danger, une dérive de tempête, mais dès lors je suis sauvée.
* * *
le livre : «Jérôme Lindon » de Jean Échenoz
un lien : Le geste qui sauve
http://tinyurl.com/ylaubsu
une autre version, un pas de côté : Le jour d'après trois ans après à peu de choses près.
http://tinyurl.com/yhmsocr
Jean Echenoz : cet auteur ne m'est pas inconnu. Je me précipite à ma bibliothèque (en fait trois pas de côté me suffisent pour l'atteindre) et découvre en effet caché derrière d'autres titres un petit livre "si fin, si léger". Son titre ne m'évoque rien ("je m'en vais") ; j'ignore même si je l'ai lu (il m'arrive parfois d'acheter des bouquins puis de les oublier) ; les quelques lignes que je lis en diagonale pour réveiller ma mémoire ne me font d'ailleurs pas réagir. Mais en parcourant rapidement quelques pages, s'immisce soudain en moi l'envie. L'envie d'aller au bout de ces feuillets afin de savoir si ce manque de souvenir est l'effet d'une mémoire vacillante, le résultat d'un rangement trop hâtif dans ma bibliothèque ou le remède à une déception de lectrice. Moi qui me lamentais de ne pas avoir de quoi lire en ce moment et prévoyais un raid prochain dans une librairie me voilà servie ! Alors merci, merci pour ce texte et aussi pour l'envie qu'il m'a donnée de redécouvrir un auteur !
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