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dimanche 4 avril 2010

"In the Works" (*) (Ficelles et chapeaux-claque, 4)

En réponse (partielle) à Adélaïde... 


Lundi 23 mars, à Paris, j'ai déjeuné avec Paul Otchakovsky-Laurens, « mon éditeur ». (J'ai été publié par tout plein de maisons, mais Paul O.-L. est et reste à jamais monéditeur, en raison des relations très particulières, très personnelles que nous avons établies depuis près de 22 ans.) On déjeune ensemble une ou deux fois par an, pour parler de ce que j'ai en travail, et ça me fait beaucoup de bien quand je ne sais pas ce que je vais écrire ensuite. Pendant de nombreuses années, (avant que je sois un écrivain « reconnu ») ces rencontres étaient pour lui l'occasion de me rassurer et de m'encourager sur la légitimité de ce que j'écrivais... Et tandis que j'écris ça, je me dis que je devrais raconter l'histoire de cette relation et de ma relation parallèle (mais pas superposable) avec Jean-Paul Hirsch, le bras droit et le frère en édition de Paul (ou son éminence grise, ou son ombre et notre ange gardien, à nous les écrivains maison), mais tout de suite après je me dis que c'est le genre d'histoire qu'on ne raconte que quand l'autre est mort et comme ce n'est pas du tout mon souhait et que j'ai pas du tout envie de lui porter la scoumoune, je pense que je vais m'abstenir, mais d'un autre côté pourquoi attendre que les personnes qu'on aime et/ou respecte soient mortes pour parler de la relation qu'on a avec elles ? Sacrée question à laquelle je vais résister aujourd'hui puisque ce n'est pas mon propos (mais je la mets de côté, ne vous en faites pas). Mon propos est ce dont j'ai parlé avec Paul l'autre jour : qu'est-ce que j'écris maintenant ?


« Maintenant », c'est à dire : « après Le Choeur des femmes ». J'ai investi beeaucoup d'énergie et d'amour et d'espoir dans ce roman, dont les lecteurs me le rendent bien depuis sa sortie (il s'en est vendu pas loin de 60 000 et il continue à se vendre, lentement mais régulièrement, ce qui n'est pas rien dans le contexte économique actuel du livre et de l'édition). Mais là, ces derniers mois, je me sentais « désinvesti », « vidé », bon à rien, et je me demandais quoi faire. Ou plutôt, pour être très précis, lequel de mes trois projets amorcés j'allais mener à bien.

Quand j'ai déjeuné avec Paul, je lui ai décrit les trois projets, il m'a écouté attentivement et puis m'a dit, comme il le fait presque toujours : « Peu importe quel livre vous faites, allez vers celui qui vous tient le plus à coeur et écrivez-le à votre rythme, sans pression aucune. » Traduction : « Je ne vous demanderai pas de me le rendre à date fixe pour pouvoir composer mon programme éditorial » ; Paul prend les écrivains et les livres comme ils viennent, il ne les presse ni ne les pressure jamais. Il me fait penser à ces directeurs de production de la télévision américaine qui, depuis les années 80, ont pour philosophie de laisser les scénaristes écrire et de les protéger des « Networks ». Paul publie les livres qu'il aurait voulu écrire. Il est si attaché à son indépendance éditoriale qu'il ne voudrait pas se mêler du travail des écrivains. Ça ne l'empêche pas de faire des remarques ou des objections parfois, et même de refuser des manuscrits (j'ai eu droit aux trois, en vingt ans, ce qui montre qu'il n'a rien de complaisant, même avec les écrivains maison, et d'autres que moi ont pu le constater) mais j'ai coutume de dire qu'il fait de l'édition comme Bruno Sachs fait de la médecine : sans entretenir de rapports de force avec les écrivains qu'il publie.

Il a ajouté « Vous savez probablement lequel de vos projets vous avez envie de mener à bien, mais en écrivant, ça vous paraîtra plus clair. » Et ça m'a donné l'idée de mettre « au propre » le début de chacun des trois projets en question et de les lui envoyer. Non parce qu'il va me dire lequel il préfère (ce serait me pousser dans une direction qui n'est pas nécessairement la mienne) mais parce que ça va me permettre, à moi, à l'écriture, de savoir vers lequel de ces projets va mon désir en ce moment.

Les dix jours passés à Paris, loin d'un lieu de travail (j'avais mon ordi avec moi, mais je ne peux pas vraiment écrire quand je suis en voyage et ne suis pas déjà immergé dans un livre en travail) ont eu également la vertu de me mettre « hors champ ». Des trois projets que j'avais très envie de prendre à bras-le-corps, j'en ai déjà mis un de côté. Il me reste à choisir entre les deux autres.

« Bon mais alors, c'est quoi ces deux foutu putain de bordel de projets à la noix ???? » vous demandez-vous.

Alors, sans ordre préférentiel :

1° Un truc romanesque qui s'est intitulé d'abord La tête d'un homme puis La voix des hommes (sur la suggestion de mon plus jeune garçon, en écho au Choeur des femmes). C'est un texte sarcastique de fiction d'inspiration autobiographique dans lequel un écrivain est seul chez lui (sa compagne est absente pour un délai et des motifs indéterminés) et doit faire face à l'intendance, à ses enfants et au texte qu'il écrit et qui s'intitule Cet homme en kit. C'est un roman dans lequel il n'y a pas de médecin (même si l'écrivain est peut être médecin, mais je ne suis pas sûr que ce soit indispensable à mon propos, qui rejoint des entrées récentes de ce blog, au sujet du « Temps d'écriture disponible »).

2° Un machin autobiographique inspiré par une discussion avec Daniel Pennac, l'automne dernier, au salon du livre de Montréal. Quand je lui parlais de mon admiration (envieuse...) à l'égard de l'influence consolatrice qu'ont eue sur tant de lecteurs des livres tels que Comme un roman ou Chagrin d'école, il m'a dit qu'il aimerait que j'écrive un livre du même genre sur le soin. J'ai cherché comment écrire un texte autobiographique sur la médecine, moi qui n'ai jamais été malade ni opprimé par les médecins (alors que Pennac a été un cancre opprimé par l'éducation nationale) et j'ai fini par me rendre compte que j'avais quelque chose à raconter sur la manière dont mes parents, chacun à sa manière, m'ont « enseigné » le soin. Le titre (inhabituellement long venant de moi qui aime les titres courts et polysémiques) serait 

Mon père était médecin
(et ma mère le soignait)



3° Un OLNI (objet littéraire...) qui est à la fois un roman de SF, une histoire d'amour transtemporelle (le personnage principal tombe amoureux d'une femme qui vit à une époque différente de la sienne, comme le personnage de Laura d'Otto Preminger tombe amoureux du portrait d'une femme qui vient d'être assassinée, ou comme le peintre de Portrait of Jennie de William Dieterle tombe amoureux d'un modèle qui est peut-être un fantôme), une interrogation sur le sentiment amoureux vu par l'anthropologie et la psychologie évolutionniste, une critique d'une société de plus en plus médicalisée, un roman épistolaire, une réflexion sur la mémoire, la lecture des textes du passés et l'écriture de textes qui seront (peut-être) lus dans le futur, une métaphore d'un vieux fantasme personnel qui m'a donné le goût des histoires de paradoxe temporel, etc. Un gros truc. Très ambitieux. Le genre de roman qu'on écrit après avoir lu des volumes de bouquins de physique quantique et révisé Orwell, Aldous Huxley et la moitié d'Asimov.

Bon, vous l'avez compris tout de suite, c'est le troisième que j'ai mis de côté. Pas fou. Je sais quand un projet n'est pas mûr. Je caressais depuis longtemps l'idée d'un roman d'amour mêlé à une histoire de voyage dans le temps (il y en a au moins deux ébauches dans Histoires en l'air, POL, 2008) mais une suite d'événements et de rencontres inattendues l'a fait beaucoup progresser ces derniers temps, ce qui m'a amené à le remettre en chantier. Seulement, il en va de certains livres comme de certains films : plus la réflexion avance, plus les ambitions augmentent, et pour être à la hauteur, la préparation doit s'allonger.

Celles et ceux qui me lisent depuis longtemps auront aussi peut être remarqué qu'il n'y a pas, dans la liste, le « prochain grand roman médical » dont je parle depuis longtemps, avant même d'avoir écrit Le Choeur des femmes. Ce roman-là, intitulé Les Sept Soignants en hommage aux Sept Samouraïs de Kurosawa et aux Sept Mercenaires de John Sturges, sera inspiré par mon expérience de groupe Balint à la fin des années 80 et par les transcriptions que notre « leader », le Dr Pierre Bernachon, faisait de nos séances. Là encore, ce sera un bouquin que j'ai besoin de « documenter ». Comme je n'ai pas l'intention de mourir bientôt, je le garde pour plus tard.

Donc, en l'état actuel des choses, les deux projets les plus avancés sont le 1° et le 2°. J'hésite d'autant plus que l'un est un roman, l'autre un texte autobiographique, et que je ne sais pas ce que j'ai envie d'écrire le plus (même s'il y a de l'autobiographie dans le premier...).

Alors je m'en vais retourner à mes textes, les imprimer, les relire, les bricoler, les assembler, les insérer dans un fichier bien propre et les envoyer à Paul. Et je pense que lorsque j'aurai appuyé sur la touche « Envoyer », je saurai lequel je veux faire : il sera déjà en train de me travailler.

Et en attendant, je suis curieux de savoir ce que vous en pensez.

Mar(c)tin




(*) In the works = en travail, en élaboration. "Bon, mais alors pourquoi vous l'écrivez pas en français ?" "Eh ben parce que... Chuis snob, chuis snob, c'est vraiment l'seul défaut que j'gobe..."

mercredi 16 septembre 2009

Dans quelle langue écrivez vous ?

Hier mardi, je bavardais avec Yvon Lachance, l'un des propriétaires de la librairie Olivieri (sur Côte-des-Neiges, pas loin de l'université de Montréal) et il me racontait qu'il y a quelques années, Libération avait interrogé des écrivains francophones du monde entier en leur demandant "Pourquoi écrivez-vous en français ?" Une écrivaine québecoise (dont j'oublie le nom, le rouge de la honte m'en monte aux joues) aurait répondu de manière très cinglante à cette question qu'elle trouvait (à juste titre...) idiote.

On ne m'a pas posé la question (je vivais en France, à l'époque, écrire en français pour un citoyen français vivant en France c'est banal à mourir) mais là, tiens, j'ai envie d'y répondre, parce qu'après tout y'a pas de raison.

J'écris en français parce que c'est ma langue maternelle, je n'ai pas eu trop le choix sur ce coup-là, mais j'aurais pu, si les aléas de l'histoire l'avaient voulu, écrire en hébreu. Mes parents ont émigré en Israël en 1961-62 et si mon père avait pu y travailler, nous y serions restés. J'avais 7 ans, au bout d'un an je parlais déjà l'hébreu, bien sûr, j'aurais probablement continué à parler le français, mais j'imagine qu'une fois adulte, j'aurais - par nécessité - écrit en hébreu (ou dans les deux langues).

Je ne sais pas si je serais devenu médecin (c'est probable, étant donné la relation que j'avais à mon père, médecin lui-même) mais je serais certainement devenu écrivain (la lecture de On the Origin of Stories m'en a convaincu). Qu'est-ce que j'aurais écrit ? Qu'est-ce que j'écrirais aujourd'hui ? Ca, c'est plus difficile à dire, mais pour un médecin juif d'origine française vivant en Israël, les sujets ne manqueraient certainement pas !!!!

L'histoire avec sa grande hache en a décidé autrement, et je n'ai pas grandi à Jaffa ou à Tel-Aviv, mais à Pithiviers (45-Loiret), au beau milieu de la Beauce, le grenier à blé de la France, et il n'était pas question pour moi de parler autre chose que le français, langue maternelle de mes parents et, dans une certaine mesure, de mes grands-parents, qui devaient sûrement parler aussi le judéo-arabe ou le ladino, dont il ne me reste que quelques interjections imagées et quelques mots épars.

J'écris donc en français parce que j'ai grandi dans le français, parce que j'ai écrit "bien" (selon des critères scolaires) très tôt, parce que j'avais une mémoire photographique de l'orthographe, parce que je disais mes récitations comme pas un et comme tout ça faisait très plaisir à mes instituteurs - qui étaient très fiers d'avoir dans leur classe un élève aussi brillant, et comment leur en vouloir - ils ne m'ont pas dissuadé d'écrire bien sous leur dictée ou leurs instructions, et pourquoi m'en serais-je privé à la maison ?


J'écris en français parce qu'ayant grandi en français je me suis toujours senti à l'aise dans cette langue. Et puis, franchement, je ne me suis jamais posé la question. Ce qui me posait question, c'étaient toutes les injustices innommables que je découvrais les unes après les autres et sur lesquelles je me suis mis à vitupérer à partir de la pré-adolescence. Mais pas du tout la langue sous laquelle j'allais les dénoncer.

Aujourd'hui, j'écris en français parce que la langue écrite est mon outil de travail, autant que le clavier sur lequel j'écris ceci. Et même plus. Je peux changer de clavier comme de chemise (je passe d'un iMac au bureau à un miniportable chez moi) mais je ne peux pas changer de langue comme ça.

Encore que.

Voyez-vous, quand j'étais seulement lecteur (ou principalement lecteur) et jusqu'à l'âge de 17 ans j'ai lu presque exclusivement des auteurs de romans de "genre" et beaucoup, beaucoup, beaucoup de romans anglo-saxons. J'ai lu Jules Verne, Maurice Leblanc, les Maigret de Simenon et les romans d'énigme de Stanislas-André Steeman ; j'ai vu beaucoup de films français d'avant-guerre (j'adorais Jouvet, Françoise Rosay, Michel Simon, Pauline Carton, les films de René Clair et de Sacha Guitry, et c'est toujours vrai) et d'immédiate après-guerre (Tati, Noël-Noël, La vie est belle et les comédies avec Roger-Pierre et Jean-Marc Thibault), j'ai bouffé de la chanson française (Brassens, Trénet, Aznavour, Barbara, Ferré) ou francophone (Brel, Félix Leclerc) et j'ai lu des centaines de BD franco-belges, mais j'ai lu en plus grande quantité encore Agatha Christie, John Dixon Carr, Herbert George Wells, Conan Doyle, Shakespeare, George Orwell, Aldous Huxley, Jerome K. Jerome et des centaines de nouvelles et de romans de science-fiction et de comic-books américains, d'Asimov à Zelazny en passant par Stan Lee et Denny O'Neil. 

En français d'abord, puis, à mesure que je grandissais et que j'allais passer mes étés en Angleterre, en anglais.

Et quand j'ai passé mon année en Amérique, à l'âge de 17 ans, je savais pretty much ce que je voulais faire de ma vie. Je voulais être médecin ET écrivain. Je ne savais pas encore quel genre de médecin je voulais être, je voulais être médecin comme mon père, le reste n'avait pas grande importance, but I knew damn well what kind of writer I wanted to be. 

I wanted to be an American writer. 
I wanted to write in English. 

Alors, d'accord, j'écris en français, c'est un accident de l'histoire personnelle et mondiale, mais même si je suis très heureux d'avoir perfectionné ma langue d'écriture au fil des quarante années écoulées, je ne peux pas dire que je sois parfaitement heureux d'écrire en français. Ou plutôt, je ne suis pas heureux de n'écrire qu'en français.

Cette nuit (la nuit du 15 au 16 septembre 2009) je me suis réveillé à 4 h et j'ai tourné dans mon lit pendant environ une heure, sans pouvoir me rendormir. Et j'ai eu l'idée d'un livre. Une idée à la fois si simple et si transgressive que je me demande pourquoi je ne l'ai pas eue plus tôt.

L'idée a fait son chemin pendant les deux heures qui ont suivi et jusqu'à maintenant et évidemment, comme toutes les idées, elle a évolué, comme si de la gangue s'extrayait peu à peu un insecte qui se frottait les ailes. A cette idée initiale (un retour dans mon passé, un passé très précis), se sont ajoutées deux autres idées très précises. La première, je la garde pour moi, elle fait partie des surprises que recèlera le roman. La seconde est simple, très simple, mais pour moi limpide : ce roman, je vais l'écrire en anglais.

vendredi 4 septembre 2009

Le monde est tout ce qui s'écrit (1)

Si j'avais le cerveau branché sur un ordinateur (ou sur quelque chose d'équivalent, un convertisseur de voix en texte, par exemple), j'écrirais des nouvelles à partir de tout ce qui m'arrive, dans la réalité ou l'imaginaire.
J'écrirais l'histoire de cette femme âgée qui marchait à petits pas rapides pour attraper le bus devant moi (elle est descendue du 24 et a sauté dans le 165) ce matin.
J'écrirais l'histoire du garçon qui s'en allait à l'école avec des gants de cuir un jour où il faisait grand soleil.
J'écrirais l'histoire de la jeune femme assise au café qui n'arrêtait pas d'enlever et de remettre la jolie bague qu'elle avait à l'annulaire et regardait autour d'elle comme si elle attendait quelqu'un
J'écrirais l'histoire de l'homme qui chaque matin en passant devant une vitrine avait envie d'aller parler à la jeune femme assise derrière un ordinateur et n'osait pas entrer de peur qu'elle se sente harcelée.
J'écrirais l'histoire de l'homme qui, tous les soirs, faisait le ménage dans le bâtiment de l'université, et parfois y emmenait sa petite fille, et souvent trouvait un chercheur encore assis devant son écran à des heures où les bureaux sont vides et leurs occupants sont rentrés chez eux se nourrir ou passer la soirée en famille.
J'écrirais l'histoire de la jeune femme qui, tard le soir, mettait des photos en ligne et n'osait pas écrire.
J'écrirais l'histoire du chauffeur d'autobus qui avait toujours la même chanson en tête.
Et, toutes ces histoires, je les tisserais pour qu'elles se croisent.