Un jour, je suis allé parler à l'école de mes jumeaux. Ils étaient en dernière section de maternelle, à l'époque. On m'invitait parce que j'avais un métier un peu hors du commun. Un écrivain, c'est pas courant... Une petite fille se lève et, sans lâcher sa poupée ou son nounours, me demande : "Où est-ce que tu les trouves, tes idées d'histoire à écrire ?" Je réfléchis un peu en vitupérant intérieurement - "Si les gamins posent des questions impossibles dès l'âge de six ans, où va-t-on ? " - contre ma propre impréparation... et puis je désigne sa poupée et je demande : "Tu lui racontes des histoires, à ta poupée, le soir avant de te coucher ?" Elle fait oui de la tête. "Et tes histoires à toi, où tu les trouves ?" Elle lève le doigt et désigne son front. "Eh bien, moi, c'est pareil... Mais au lieu de les raconter au nounours que j'avais quand j'étais petit, je les écris."
Ce matin, dans le bus, je continuais à lire On the Origin of Stories (dont il va falloir que je fasse un compte-rendu ici après l'avoir terminé et peut-être relu, tant c'est un livre stupéfiant). J'y cherchais une citation à intégrer à l'article que j'ai écrit (en anglais) pour le numéro spécial "Narrative Medicine" de Literature and Medicine (que, pour bien faire, il faudrait que je traduise en français... comme si j'avais pas assez de boulot...). Et ma lecture m'a conduit à penser : au fond, si j'écris, c'est parce que mon cerveau/ma personnalité sont faits comme ça, depuis le début. Ce n'est pas une aptitude apprise ou induite par l'environnement - même si l'environnement m'a fourni à la fois les motivations à écrire et le matériau à travailler - c'est une aptitude personnelle. Tout comme la mémoire photographique ou l'oreille absolue ou le sens de l'équilibre qui permet de marcher sur un fil entre les twin towers du WTC. Et j'ai trouvé aussi dans le livre de Bryan Boyd une définition très gratifiante des avantages évolutifs que représente l'apparition de la fiction dans le cerveau humain. La fiction (les histoires) nous servent à représenter le monde en y intégrant des valeurs propres à la vie en société : la générosité, l'entraide, la fraternité, la coopération, la justice...
Autrement dit, ce que nous appelons "les idéaux", ce ne sont pas seulement des notions "naïves", mais les valeurs qui, à travers la fiction et les représentations du monde, contribuent à nous civiliser.
Bon, ça va pas encore m'inciter à cesser d'écrire, ça !!!
Allez, avant d'entrer dans le week-end, une page très rigolote : les livres les plus bizarres présentés par le site de bouquinistes Abebooks.com
Cela dit, lundi 7 septembre a beau être un jour férié au Québec (la fête du travail), je ne suis pas persuadé que je vais rester éloigné de mon ordinateur et de ce blog jusqu'à mardi...
Votre livre est au-dessus de mon armoire. Il m'attend, tout en haut d'une des deux piles. Car à présent, ici, où les mettre ? Je n'ai plus de place. Presque.
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J'adore mon gynéco ;o) ça explique mon choix de lecture (votre roman) parmi tous les livres de la rentrée de septembre. Et puis, On me dit grand bien de vous... pour tout vous dire, je suis sensible au fait que vous soyez intègre avec vos idées. C'est difficile ça. Tellement de blablas poétisés autour de nous, de belles paroles qui ne correspondent en rien avec les attitudes, les comportements de ceux ou celles à qui le don de la parole est offert.
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Après, je ne dirai pas non à Joncour et puis et puis ...
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Merci pour ce blog très sympa.
Quine
commentaire sur "l'écriture comme acquis évolutif", post du 04/09/09
RépondreSupprimerje suis vraiment heureuse de lire que "les idéaux" sont considérés comme ce qui nous faits "civilisés". Patrick Tort parle aussi de ça dans son dernier livre sur Darwin.
à l'heure où certains voudraient nous faire entériner l'idée que l'être humain est avant tout soumis à la loi de la violence et le cynisme un corollaire de sa capacité à penser, il est rassurant de constater que "générosité, entraide et coopération" sont tout autant en faveur de notre humanité.
si en plus la fiction et en particulier l'écriture sont des signes de cette évolution, je me demande encore pourquoi je n'ose pas écrire! par contre, je sais pourquoi j'aime autant lire (et écouter).
merci pour la référence bibliographique
AH, je suis content que ça vous fasse cet effet-là, parce que moi aussi j'en avais marre qu'on me balance que le partage et l'idéalisme sont des idéologies, tandis que la réalité c'est la violence et la compétition. Il semble (d'après les travaux en neurobiologie évolutionniste) que les deux (coopération et compétition) soient "engrammées" dans notre comportement, et que toutes deux soient à la fois nécessaires et consubstantielles à ce que nous sommes. Et "The Origin of Stories" explique très bien en quoi le fait d'écrire est à la fois "compétitif" (les écrivains, comme tous les artistes, cherchent toujours à faire "mieux" que la fois précédente) et "coopératif" : ils cherchent à partager des valeurs et à les affiner au travers de leurs textes. Et on peut dire la même chose des scénaristes de séries télé, des auteurs de BD - bref, de tous ceux qui écrivent pour exprimer une vision du monde, pas seulement pour "vendre un produit". De sorte que, vous avez raison : il n'y a aucune bonne raison de ne pas écrire, si vous en avez envie !
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