mercredi 16 septembre 2009

Dans quelle langue écrivez vous ?

Hier mardi, je bavardais avec Yvon Lachance, l'un des propriétaires de la librairie Olivieri (sur Côte-des-Neiges, pas loin de l'université de Montréal) et il me racontait qu'il y a quelques années, Libération avait interrogé des écrivains francophones du monde entier en leur demandant "Pourquoi écrivez-vous en français ?" Une écrivaine québecoise (dont j'oublie le nom, le rouge de la honte m'en monte aux joues) aurait répondu de manière très cinglante à cette question qu'elle trouvait (à juste titre...) idiote.

On ne m'a pas posé la question (je vivais en France, à l'époque, écrire en français pour un citoyen français vivant en France c'est banal à mourir) mais là, tiens, j'ai envie d'y répondre, parce qu'après tout y'a pas de raison.

J'écris en français parce que c'est ma langue maternelle, je n'ai pas eu trop le choix sur ce coup-là, mais j'aurais pu, si les aléas de l'histoire l'avaient voulu, écrire en hébreu. Mes parents ont émigré en Israël en 1961-62 et si mon père avait pu y travailler, nous y serions restés. J'avais 7 ans, au bout d'un an je parlais déjà l'hébreu, bien sûr, j'aurais probablement continué à parler le français, mais j'imagine qu'une fois adulte, j'aurais - par nécessité - écrit en hébreu (ou dans les deux langues).

Je ne sais pas si je serais devenu médecin (c'est probable, étant donné la relation que j'avais à mon père, médecin lui-même) mais je serais certainement devenu écrivain (la lecture de On the Origin of Stories m'en a convaincu). Qu'est-ce que j'aurais écrit ? Qu'est-ce que j'écrirais aujourd'hui ? Ca, c'est plus difficile à dire, mais pour un médecin juif d'origine française vivant en Israël, les sujets ne manqueraient certainement pas !!!!

L'histoire avec sa grande hache en a décidé autrement, et je n'ai pas grandi à Jaffa ou à Tel-Aviv, mais à Pithiviers (45-Loiret), au beau milieu de la Beauce, le grenier à blé de la France, et il n'était pas question pour moi de parler autre chose que le français, langue maternelle de mes parents et, dans une certaine mesure, de mes grands-parents, qui devaient sûrement parler aussi le judéo-arabe ou le ladino, dont il ne me reste que quelques interjections imagées et quelques mots épars.

J'écris donc en français parce que j'ai grandi dans le français, parce que j'ai écrit "bien" (selon des critères scolaires) très tôt, parce que j'avais une mémoire photographique de l'orthographe, parce que je disais mes récitations comme pas un et comme tout ça faisait très plaisir à mes instituteurs - qui étaient très fiers d'avoir dans leur classe un élève aussi brillant, et comment leur en vouloir - ils ne m'ont pas dissuadé d'écrire bien sous leur dictée ou leurs instructions, et pourquoi m'en serais-je privé à la maison ?


J'écris en français parce qu'ayant grandi en français je me suis toujours senti à l'aise dans cette langue. Et puis, franchement, je ne me suis jamais posé la question. Ce qui me posait question, c'étaient toutes les injustices innommables que je découvrais les unes après les autres et sur lesquelles je me suis mis à vitupérer à partir de la pré-adolescence. Mais pas du tout la langue sous laquelle j'allais les dénoncer.

Aujourd'hui, j'écris en français parce que la langue écrite est mon outil de travail, autant que le clavier sur lequel j'écris ceci. Et même plus. Je peux changer de clavier comme de chemise (je passe d'un iMac au bureau à un miniportable chez moi) mais je ne peux pas changer de langue comme ça.

Encore que.

Voyez-vous, quand j'étais seulement lecteur (ou principalement lecteur) et jusqu'à l'âge de 17 ans j'ai lu presque exclusivement des auteurs de romans de "genre" et beaucoup, beaucoup, beaucoup de romans anglo-saxons. J'ai lu Jules Verne, Maurice Leblanc, les Maigret de Simenon et les romans d'énigme de Stanislas-André Steeman ; j'ai vu beaucoup de films français d'avant-guerre (j'adorais Jouvet, Françoise Rosay, Michel Simon, Pauline Carton, les films de René Clair et de Sacha Guitry, et c'est toujours vrai) et d'immédiate après-guerre (Tati, Noël-Noël, La vie est belle et les comédies avec Roger-Pierre et Jean-Marc Thibault), j'ai bouffé de la chanson française (Brassens, Trénet, Aznavour, Barbara, Ferré) ou francophone (Brel, Félix Leclerc) et j'ai lu des centaines de BD franco-belges, mais j'ai lu en plus grande quantité encore Agatha Christie, John Dixon Carr, Herbert George Wells, Conan Doyle, Shakespeare, George Orwell, Aldous Huxley, Jerome K. Jerome et des centaines de nouvelles et de romans de science-fiction et de comic-books américains, d'Asimov à Zelazny en passant par Stan Lee et Denny O'Neil. 

En français d'abord, puis, à mesure que je grandissais et que j'allais passer mes étés en Angleterre, en anglais.

Et quand j'ai passé mon année en Amérique, à l'âge de 17 ans, je savais pretty much ce que je voulais faire de ma vie. Je voulais être médecin ET écrivain. Je ne savais pas encore quel genre de médecin je voulais être, je voulais être médecin comme mon père, le reste n'avait pas grande importance, but I knew damn well what kind of writer I wanted to be. 

I wanted to be an American writer. 
I wanted to write in English. 

Alors, d'accord, j'écris en français, c'est un accident de l'histoire personnelle et mondiale, mais même si je suis très heureux d'avoir perfectionné ma langue d'écriture au fil des quarante années écoulées, je ne peux pas dire que je sois parfaitement heureux d'écrire en français. Ou plutôt, je ne suis pas heureux de n'écrire qu'en français.

Cette nuit (la nuit du 15 au 16 septembre 2009) je me suis réveillé à 4 h et j'ai tourné dans mon lit pendant environ une heure, sans pouvoir me rendormir. Et j'ai eu l'idée d'un livre. Une idée à la fois si simple et si transgressive que je me demande pourquoi je ne l'ai pas eue plus tôt.

L'idée a fait son chemin pendant les deux heures qui ont suivi et jusqu'à maintenant et évidemment, comme toutes les idées, elle a évolué, comme si de la gangue s'extrayait peu à peu un insecte qui se frottait les ailes. A cette idée initiale (un retour dans mon passé, un passé très précis), se sont ajoutées deux autres idées très précises. La première, je la garde pour moi, elle fait partie des surprises que recèlera le roman. La seconde est simple, très simple, mais pour moi limpide : ce roman, je vais l'écrire en anglais.

18 commentaires:

  1. Eh bien, il va falloir que je me remette plus sérieusement à l'anglais...

    Idée transgressive???? Tiens, tiens.

    Le roman dont vous parlez ici, c'est le même roman que celui de la mère de Barbe-Bleue?

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  2. Alors là, je vais me faire plein d'ennemis, mais tant pis, je ne m'y ferai jamais: juif, ça n'existe pas. Donc pas plus médecin juif n'existe. Je sais, il y a eu la Shoah, et si le mot "juif" n'avait pas existé pour Hitler (et d'autres), il n'y aurait pas eu autant de massacres. Quand en aura-t-on fini avec ça?
    Juif n'existe que dans la bouche de celui ou celle qui se prétend juif. Cf "Comment le peuple juif fut inventé" de Shlomo Sand.
    Là, je suis grillée, mais tant pis, c'est mon côté qui ouvre sa gueule quand les conventions sociales voudraient qu'on se taise, par respect pour les morts voyons. Mais je les respecte ces morts, comme être humain, n'importe lequel.

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  3. Cher Martin,

    Je pense depuis longtemps que votre destinée manifeste est d'écrire en anglais.

    La littérature américaine est le lieu d'une liberté sociale qui est devenue rare en France - vous pourrez continuer d'écrire des choses à la fois populaires et pointues - mais, désormais, elles seront reçues selon les règles que vous fixez et non plus incomprises comme parfois en France*.

    En outre, je pense que les Américains donnent souvent la prime à l'outsider - et votre trajectoire propre donnera un sel, un style et une force réels à votre travail.

    J'ai hâte de vous lire.



    * Je pense à la dernière table ronde de "Tout arrive" - qui n'a pas brillé par sa perspicacité.

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  4. Anne-la-bibliothécaire16 septembre 2009 à 15:16

    Je comprends que vous soyez attiré par la langue de Shakespeare vu votre goût prononcé pour la littérature et les séries américaines. Je comprends que votre nouvelle vie vous y pousse. Je comprends votre volonté de vous essayer à un nouvel exercice de style et une nouvelle façon d'écrire. Mais pensez un peu aux pauvres lecteurs peu instruits dans ce domaine qui vont, soit mettre des mois à lire le livre en VO, soit attendre des mois que le livre soit traduit en français. Etant une fan des premiers jours, attendant avec une impatience fébrile le livre suivant, je me vois dans l'obligation morale de mettre un bémol à votre enthousiasme naturel et habituel [bien que je ne me sente aucun droit de le faire] pour que vous privilègiez votre langue maternelle [le français pas l'hébreu] plutôt que la langue anglaise. Voila c'est dit !

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  5. Je vous rassure tout de suite, Anne. D'abord, je n'ai pas dit que je n'écrirais plus qu'en anglais. Ensuite, si jamais le livre était publié en langue anglaise (ce qui n'est pas tout à fait du gâteau même pour un écrivain français publié plus que de raison, comme je le suis) il le serait aussi très vite en français car bien sûr je me chargerais moi-même de la traduction (j'aurais probablement même le temps de la faire dans l'intervalle...
    Mais j'apprécie vos réserves. Et je les prends comme une forme de "possessivité" qui me touche beaucoup.

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  6. A Dave Feng :
    Je pense qu'effectivement, c'est un désir de longue date (et ça fait longtemps que j'écris en anglais, sinon des fictions - encore que j'en ai écrit à l'adolescence, quand j'étais aux Etats-Unis), du moins des textes critiques ou analytiques. Et plusieurs ont été publiés. Mais publier de la littérature, c'est pas du gâteau, du moins aux Etats-Unis. Aurai-je plus de chance au Canada ? Je n'en sais rien. De toute manière, la route est longue, et il faut d'abord que je le ponde, le foutu bouquin... Donc, c'est pas encore pour demain...

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  7. A Emmanuelle : ben si, Juif ça existe, au moins pour ceux qui le sont (et j'en suis). Que l'historicité du peuple juif soit discutable (cf le livre de Sand), je suis prêt à l'admettre (il y a beaucoup de réévaluations à faire en histoire) mais ça ne suffirait pas à imposer (et d'ailleurs, de quel droit) aux Juifs (ceux qui se disent tels) de ne plus l'être... Toute culture est une construction. Qu'elle soit construite sur une histoire vraie ou sur une histoire inventée (et toutes les histoires le sont plus ou moins) on ne la change pas (on ne la fait pas disparaître) en un jour...
    Et non vous n'allez pas vous faire des ennemies, Emmanuelle, pas avec moi, en tout cas, vous avez le droit de penser ce que vous voulez. Et de le dire. Ca ne m'offense nullement.

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  8. A Emmanuelle, toujours
    L'idée dont je parle est transgressive par rapport à la construction et au statut habituels du roman et de la littérature. Disons qu'elle va foutre un peu le bordel dans les repères de lecture. Et je n'en dis pas plus.

    Et non, ça ne sera pas le même livre que "la mère de Barbe-Bleue" (qui ne s'appellera pas comme ça, même s'il y aura une mère dedans, et un ogre).

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  9. Merci pour cette jolie histoire du rapport aux langues (plurielles) which, for many reasons and on many levels, I find heart-warming.

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  10. COMMENTAIRE SUR LE FAIT D ECRIRE EN ANGLAIS

    Je pense comme Dave Feng que "c'est votre destinée manifeste d'écrire en anglais" and I'll be delighted to read you in English. On me demande parfois si j'écris en anglais, et ma première réaction est de dire que je vis en france, c'est plus naturel en français, etc, même si en fait je parle davantage l'anglais que ma langue maternelle certains jours. Ce que je n'arrive pas à m'expliquer, c'est pourquoi écrit-on dans une langue plutôt qu'une autre ? Est-ce une question de musicalité? L'anglais il me semble permet de jouer davantage sur la polysémie, le vocabulaire est plus riche, l'accentuation des mots donne peut-être davantage de rythme aussi.Pensez-vous qu'on choisit sa langue en fonction du sujet? De la langue dans laquelle on lit? Ou de son état au moment où l'on écrit? (Je ne sais pourquoi quand je suis crevée les mots me viennent en anglais, ce qui semnble paradoxal...)
    Et en même temps comment être sûr d'être parfaitement authentique quand on n'est pas native speaker?
    Looking forward to reading a novel in English, then! and I could study it with my pupils, what a challenging thought!

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  11. Mouais, sa destinée manifeste...
    Nul n'échappe à son destin disaient les Grecs antiques.
    Mais là il s'agit au contraire de la liberté de MW d'écrire un jour en anglais ce qu'il voudra, et non de s'engager irremédiablement dans un destin d'écrivain devenu anglophone, comme Vladimir Nabokov (ou devenu francophone comme Samuel Beckett, ou Agota Kristof, encore que cette dernière puisse encore changer).
    Bref, on verra ! Et on lira !!

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  12. commentaire sur le post "dans quelle langue écrivez-vous?" du 16/09/09
    "...mais je serais certainement devenu écrivain (la lecture de on the origin of stories m'en a convaincu)" cf plus haut
    vous pourriez nous expliciter ça?
    (j'hésite encore à qauter le pas pour acheter ce livre car je ne suis pas sûre d'avoir le niveau en anglais pour comprendre suffisamment calirement son contenu, mais on dirait qu'il est urgent que je le lise.)

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  13. @zelapin :
    Pour résumer, parce que, comme l'expression artistique musicale ou plastique, raconter des histoires est, d'après ce qu'explique le livre de Boyd, un "avantage évolutif", une capacité "engrammée" dans l'évolution du cerveau humain. Comme l'aptitude musicale ou plastique, il est développé de manière variable chez les différents individus. Autrement dit, je ne suis pas devenu écrivain à cause de mon milieu (qui était plutôt circonspect à cet égard), ni parce que j'ai souffert dans mon enfance (je n'ai pas souffert de traumatisme personnel particulier) mais parce que mon cerveau était fait pour ça (et non pour la musique ou la peinture ou le travail minutieux du bois, par exemple). Et les histoires personnelles et les secrets de famille ont été les sujets "moteurs" de l'écriture, au début de mon travail d'écrivain (je l'ai découvert en relisant des textes anciens). Autrement dit, je suis devenu écrivain parce que j'avais les capacités de le devenir (je n'y suis pour rien), un matériau à "travailler" (qui ne m'appartenait pas) et parce que travailler les textes m'a apporté très vite des satisfactions personnelles (j'écris les textes que j'aurais envie de lire). Bref, j'ai bénéficié de beaucoup de circonstances favorables...

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  14. (commentaire à "dans quelle langue écrivez-vous, réponse)
    ça parait tout simple et comme une sorte d'évidence, dit comme ça.
    peut-on perdre la capacité à écrire, quand au départ on semblait l'avoir? quand dès l'écriture acquise, on pensait en texte écrit?
    avez-vous ressenti cette évidence de l'écrit dès les 5/6 ans, puis plus tard interprété ce dont vous étiez témoin ou acteur directement comme un texte écrit dans votre tête (je ne sais pas trop si je suis claire, là!)? et la "pulsion" d'écrire, a-t-elle tendance à être stimulée la nuit?
    (n"hésitez pas à me répondre d'arrêter de vous solliciter si c'est un peu trop, par mail si vous n'osez pas me le dire "devant" témoin!)

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  15. Je ne crois pas que je pensais "déjà en texte écrit". J'avais envie de raconter des histoires par écrit, es histoires qui auraient été aussi bonnes à lire que les livres que je lisais et qui me passionnaient. Je ne crois pas qu'on "perde la capacité d'écrire" (je ne sais pas si une telle capacité existe) mais je pense que plus on écrit et plus on est gratifié d'écrire (parce que les textes sont publiés et lus et provoquent des réactions positives, et aussi parce qu'on gagne sa vie en écrivant) et plus les difficultés de l'écriture s'estompent à mesure qu'on acquiert de l'expérience. Autrement dit : un pianiste qui a fait beaucoup de piano ne va pas "perdre la main" s'il arrête pendant un an. Il va juste devoir répéter de nouveau beaucoup. Mais son cerveau est prêt. Pareil pour un athlète. Pareil pour un graveur sur bois. Mais en revanche, si on n'a pas couru/peint/gravé/écrit de manière régulière et persistante pendant plusieurs mois ou plusieurs années, on ne développe pas l'écriture (les muscles, le coup d'oeil, la dextérité). En revanche, on peut se mettre à écrire (beaucoup) ou à peindre très tard, mais il est difficile de devenir concertiste ou athlète olympique si on n'a pas commencé très tôt. C'est pourquoi ceux ou celles qui commencent à écrire ou à avoir une activité artistique tard (après 50 ans) peuvent parfaitement, à mon sens, devenir d'excellents écrivains ou artistes. Même s'ils n'avaient rien "fait" auparavant.

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  16. PS : Si je trouvais vraiment que quelqu'un me sollicite un peu trop (ça ne m'arrive jamais...), je le dirais par courriel, bien sûr, non parce que je n'oserais pas le dire "devant tout le monde" mais parce que je trouverais ça humiliant pour la personne en question. D'un point de vue général, quand quelqu'un me sollicite beaucoup, je sais toujours qu'il/elle a de bonnes raisons de le faire. Je ne le ressens jamais comme du harcèlement, mais comme la résultante de l'image que je donne et de ce que l'on pense pouvoir attendre de moi. Alors, il faut bien que je l'assume... (Tiens, encore un sujet pour un prochain billet...)

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  17. bon, alors ouf et merci deux fois:
    -"après 50 ans"...yeeeees!
    -d'assumer.

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