lundi 13 janvier 2020

Prendre (ou non) un pseudonyme ? - par une Ecrivante et Mar(c)tin

Une écrivante (en voie de publication) m'adresse ce message : 

Je voudrais vous parler de quelque chose que je tourne encore et encore dans ma tête et pour lequel je n'arrive pas à me décider. Il s'agit de prendre ou non un nom de plume. Ce serait mon prénom et je changerais mon nom.

C'est ce vers quoi j'allais naturellement dès le départ. Prendre un nom de plume:
  • m'a donné une très grande liberté créatrice: j'ai pu raconter ce que je raconte, aller dans notre intimité justement parce que c'était sous un nom de plume
  •  m'a donné l'énergie (et "l'autorisation") de tenter, d'expérimenter et d'entreprendre des choses pour lesquelles je n'avais aucune expérience et notamment écrire un livre
  • m'a donné confiance en moi pour aller au bout des choses et aller de l'avant
  • permet de protéger ma vie privée et celle de ma famille, ce qui m'assure une certaine tranquillité
  • permet de bien séparer ma vie professionnelle de ma vie privée. 
Néanmoins, je ne suis pas à 100% à l'aise avec un nom de plume car:
  • de plus en plus de voix féminines parlent ouvertement et sous leur identité de sujets très personnels
  • je dis qu'il est important de parler de tous ces sujets à haute voix 
  • je crains de perdre la confiance des gens s'ils apprennent que ce n'est pas mon vrai nom
  • difficile d'écrire un mail à mes amis et de leur dire de parler du livre en soulignant qu'ils ne doivent pas commettre d'impairs et révéler mon vrai nom.
  • c'est une expérience que je pourrais valoriser. Pas besoin de rentrer dans des explications si c'est mon vrai nom
En résumé, il y a deux choses qui s'opposent:
  • prendre un nom de plume, c'est protéger ma famille et ma vie privée
  • prendre mon vrai nom, c'est la simplicité et la transparence vis-à-vis des lecteurs.

Je sais que la décision est mienne et que vous ne pouvez pas la prendre à ma place mais peut-être pouvez-vous m'éclairer d'enjeux dont je n'ai pas connaissance et de votre propre retour d'expérience (de Martin Winckler à Marc Zaffran)?


Et je lui réponds : 

Je ne peux que vous parler de ma propre expérience qui est la suivante : j'ai pris un pseudo pour une double raison, 1° me protéger et protéger les personnes que soignais des regards inquisiteurs (y compris ceux de ma propre famille) et 2° me mettre sous la protection d'un "écrivain tutélaire". Choisir de m'appeler "Winckler", c'était choisir un "totem" (Georges Perec). 

A l'usage, il s'est révélé que porter un pseudonyme n'est pas synonyme d'anonymat. Mon vrai nom, je ne l'ai jamais vraiment caché mais il est resté suffisamment hors-champ pour que tout le monde ne fasse pas le rapprochement : pendant les 20 ans qui ont suivi la publication de mon premier roman, et les 10 années qui ont suivi "La Maladie de Sachs", on est assez peu venir m'embêter chez moi, et peu de femmes sont venues consulter le "médecin-qui-écrit-des-livres" ; or, c'est ce que je voulais éviter. 

Quand j'ai publié "La Vacation" (qui n'a eu aucun succès public en 1989), je n'ai pas voulu me faire prendre en photo. Et personne n'a vraiment essayé de chercher à savoir qui j'étais. Mais dans mon environnement (la Sarthe), ça a évité que je ne fasse l'objet d'une sorte de "micro-célébrité" dont je ne voulais pas. Je ne voulais pas devenir le "médecin-des-IVG-à-l'hôpital-du-Mans-qui-a-écrit-un-roman-sur-l'IVG". 

Dix ans plus tard, pour "La Maladie de Sachs", je n'étais plus médecin de campagne, j'ai pu montrer ma tête (en choisissant à qui je laissais le soin de la montrer - je n'ai pas accepté de me faire photographier avec ma famille dans "Gala", par exemple, et j'ai toujours refusé qu'on prenne des photos de ou qu'on filme mes enfants) ; mon pseudo ne m'a pas empêché d'assumer ce que j'avais écrit ou dit. 

Je pense qu'à l'usage, le pseudo est un attribut intéressant : il signifie que la personne publique qui le porte est une/en représentation fragmentaire ou hypertrophiée de la personne privée. Ca met une barrière symbolique, et ça n'est pas si mal que ça. En tout cas en ce qui me concerne. 

(A noter que le pseudo, même s'il est visible, n'est pas nécessairement transparent. Je ne compte pas le nombre de fois où un lecteur de mes livres et chroniques consacrées aux séries télé m'a dit qu'il n'avait jamais fait le rapprochement avec le-Martin-Winckler-qui-écrit-des-romans...) 

Le pseudo "opaque" (accompagné d'un refus de montrer son visage) attire l'attention et la curiosité : il incite le public à chercher ce qu'il y a dessous. Il coupe de presque tout le monde (sauf les très proches). 
Le pseudo "blason" (qui dit quelque chose en plus ; dans mon cas : "J'ai été inspiré par Georges Perec") permet de parler de certaines choses tout en laissant clairement entendre qu'on ne va pas se foutre à poil. Libre à nous, une fois pseudo et travail bien établis, de laisser entrevoir d'autres choses.

Je pense que la question fondamentale est donc surtout : est-ce que vous montrerez votre visage ? Si la réponse est non, le pseudo est indispensable et plus il est opaque, mieux c'est. Si la réponse est oui, Votre famille, alors, saura que vous écrivez. (Et je vous conseille de les prévenir, de ne pas leur laisser découvrir que vous avez écrit un livre en ouvrant le journal.) Une fois qu'iels auront lu le livre, le pseudo leur permettra de choisir si iels disent ou pas qu'iels vous connaissent. Paradoxalement, vos proches peuvent vous être grè de leur laisser ce choix-là. 

Prendre un pseudo ET les prévenir que vous avez écrit n'a que des avantages : si ça leur déplaît, iels ne pourront pas dire qu'iels n'étaient pas prévenues. Alors que si vous ne dites rien et qu'iels découvrent que vous avez écrit un livre qui ne leur plaît pas, iels vous reprocheront avant tout votre trahison de n'avoir rien dit... Et vous aurez l'air coupable de ce que vous avez écrit... 

La transparence, je ne crois pas qu'elle réside dans votre choix ou non d'un pseudo mais dans l'attitude et la franchise avec laquelle vous répondez aux/échangez avec les lectrices (y compris votre entourage) et défendez ce que vous croyez et écrivez. En ce qui me concerne, je n'ai jamais entendu une seule lectrice (ni un membre de la famille) me reprocher de porter un pseudo. Car c'est somme toute très fréquent : beaucoup d'artistes en portent, et ça ne gêne personne. Ce qui gêne, ce n'est pas que quelqu'un qui se présente comme un artiste porte ou non son vrai nom, c'est plutôt (et à juste titre) qu'il soit un violeur d'adolescentes dont on finance les films ou un pédophile protégé par le milieu de l'édition... 

Alors je pense que ce qui sera le mieux pour vous c'est le choix qui vous permettra le meilleur compromis entre votre désir (légitime) de discrétion et votre éthique d'autrice. Plus le choix sera souple (un pseudo "totem" ou un pseudo "transparent" comme le propose votre soeur), plus ce sera facile pour vous  par la suite. Trente ans après avoir publié mon premier roman, je ne regrette pas de porter un pseudo ; même si mon nom et mon travail sont publics, ma vie reste privée, et c'est l'essentiel je crois. Mais encore une fois, ce n'est que mon opinion, et la vôtre vaut beaucoup plus, puisqu'elle vous concerne au premier chef ! 


Mar(c)tin 



2 commentaires:

  1. J'aurais pu vous adresser cette question alors lire votre réponse m'a beaucoup aidée dans ma propre réflexion, merci beaucoup ! (et merci à la personne qui a eu le courage que je n'ai pas eu)

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour cet article, qui éclaire ma réflexion.
    J'ajouterais, pour ma part, qu'un pseudo peut être "abandonné" quand les aléas de la vie vous amènent à tourner la page sur votre activité d'auteur.trice. C'est ce que j'ai fait : auto-édition d'un premier roman en 2018 sous un pseudo que je n'utilise plus.
    Si je devais écrire un nouveau roman, je choisirais un autre pseudo (celui avec lequel je publie ce commentaire). Car je ne suis plus la même.
    Comme vous le dites également, l'auteur.trice qui publie est la facette publique d'une personnalité plus complexe.
    Utiliser un pseudo est donc pour moi une évidence, surtout quand on écrit des romans ou textes inspirés de son histoire personnelle.
    Enfin, ayant comme vous un métier public (enseignante), il me semble important de préserver ma vie privée. Je n'utilise jamais mon vrai nom sur internet.

    RépondreSupprimer