lundi 24 septembre 2012

A prendre et à laisser : memento pour les écrivants de fiction



Lisez. Beaucoup. Tout ce qui vous passe sous les yeux. Des histoires écrites, illustrées, en images. Lisez des textes longs et des textes courts. Repérez le genre d'histoire que vous aimez le plus lire, et lisez- en d'autres dans le même genre. Dépassez vos préjugés. Prenez des livres au hasard et essayez des histoires nouvelles. Vous verrez qu'on peut raconter une histoire d'amour, une enquête criminelle ou une chronique familiale de mille manières différentes et que ce n'est pas la nouveauté de l'histoire qui compte, mais la manière dont on la raconte. Tout est bon à raconter ; tout est bon pour raconter. Ne vous préoccupez pas des "qualités littéraires" annoncées ou réfutées. Le seul critère pertinent, pour le lecteur et la lectrice, c'est le plaisir.

Ecrivez. Beaucoup. Sur tout les sujets. Sous toutes les formes. Des textes longs et des textes courts. Ecrivez les histoires que vous auriez envie de lire, et des histoires qui ne sont pas du tout votre genre. Inventez, expérimentez, amusez-vous. Et quand vous voudrez écrire un texte "sérieux", choisissez une histoire qui vous tient à cœur et ne la lâchez plus avant qu'elle vous ait épuisé(e). N'imaginez pas qu'il faut souffrir pour écrire. Faites-vous plaisir, il y a de bonnes chances pour que ça fasse plaisir au lecteur. 

3° Chaque texte prépare le suivant. Le journal de Kafka n'est fait que de fragments. Et certains de ces fragments sont le début de nouvelles impressionnantes. Ne mésestimez pas vos textes inachevés, mais ne les laissez pas vous accabler. Ecrivez-en d'autres. 

4° Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Qu'il s'agisse de Shakespeare ou Molière, Flaubert ou Faulkner, leur inspiration venait d'ailleurs (d'un auteur, d'une légende, d'un fait-divers). Pensez aux élèves des peintres et n'ayez pas peur de copier les grands : ils l'ont fait avant vous. 

La parodie, le pastiche, le remake, la traduction sont des formes à part entière et de très bons exercices d'écriture. Une bonne histoire et de bons personnages ne sont pas épuisés par leur première apparition. Ni par la centième. Pensez à Job,  à Ulysse, à Don Juan, à Roméo et Juliette, à Batman. En réinventant les textes que vous aimez (et parfois ceux que vous n'aimez pas), vous apprendrez à être vous-même.

N'ayez pas peur de vous inspirer de la réalité. La vôtre ou celle d'un autre. Mais arrangez-vous pour qu'on ne le découvre que dix ans plus tard.

6bis : Evitez l'autofiction : vos expériences personnelles seront bien plus intéressantes en filigrane. Laissez le lecteur prendre le vrai pour le faux et le faux pour le vrai. Il vous en sera reconnaissant.   

Vous ne saurez jamais ce qu'est votre "style". Mais sachez toujours quelles histoires vous voulez raconter.

Le cœur d'un roman, c'est l'histoire. Chaque histoire appelle sa forme propre et la forme est au service de l'histoire, non l'inverse. C'est mon opinion, et je la partage. Vous êtes libre de penser le contraire. 

9° Un bon texte de fiction a toujours un début saisissant et une fin satisfaisante – pour vous au moins ; s'il vous manque l'un des deux, votre texte sera bancal. Ne commencez pas avant de connaître la fin.

10° Si vous avez une histoire épatante, ne vous mettez pas à l'écrire avant d'avoir longtemps mûri la trame (le cadre, les limites) sur laquelle, et les fils (le ton, le rythme, les ressorts narratifs) avec lesquels vous aller la tisser. Une fois la trame en place, et les fils en main, laissez l'histoire s'écrire toute seule.

11° Si vous éclatez de rire quand une idée vous vient, cette idée mérite toute votre attention. Si vous riez encore en la tournant dans votre tête, elle mérite d'être écrite. Si vous riez toujours en l'écrivant, elle mérite un livre.

12° Ne forcez pas l'écriture. Quand ça ne vient pas, faites autre chose : allez vous promener, faites une partie de cartes, sortez avec vos ami(e)s. Laissez l'écriture bouillonner à l'arrière de votre tête. Quand vous retournerez vous asseoir à votre table, elle débordera.  

13° Si votre roman-en-cours résiste, écrivez autre chose avec votre frustration et votre colère. Un article, une critique vengeresse, un pamphlet. Une lettre de rupture ou un règlement de compte. Dégommez par écrit votre pire ennemi. Quand ça ira mieux, rangez votre coup de gueule dans un tiroir et retournez à votre roman-en-cours. S'il résiste toujours, recommencez. Soyez plus obstiné que lui, il finira par céder. 

14° Ayez un autre boulot (1). Ecrire pour gagner sa vie, c'est le rêve, mais ça n'est pas toujours de tout repos : il faut écrire. Quand on a un autre boulot, on peut ne pas écrire sans mettre sa vie quotidienne en danger.

15° Ayez un autre boulot (2), il nourrira votre écriture et vous ramènera sur terre, vous le remercierez.

16° Ayez un autre boulot (3). Mais, si c'est possible, évitez de devenir prof de littérature

17° Ne faites jamais lire vos textes en travail à vos parents, vos enfants ou vos meilleurs amis ("ni à votre libraire", suggère Gilda dans les commentaires, plus bas). Ce ne sont ni vos critiques, ni vos lecteurs. S'ils veulent lire vos livres après publication, c'est leur droit. Ne leur demandez pas ce qu'ils en pensent ; laissez-les vous en parler spontanément, ou se taire. 

18° Vous aurez probablement envie de faire lire vos manuscrits et/ou beaucoup de vos textes à la personne avec qui vous partagez votre lit, votre salle de bains, vos repas et vos soucis d'argent. Mais ne prenez pas pour acquis qu'elle en a toujours envie. Chaque fois que vous finissez un texte, demandez-lui si elle veut le lire. Et si elle dit non, remerciez-la de vous laisser libre d'écrire et d'exister sans elle. 

19° S'il ne vous l'a pas expressément et spontanément demandé, n'envoyez jamais un manuscrit à un autre écrivain (surtout si c'est un écrivain que vous respectez). Si votre texte est mauvais, inutile de l'emmerder avec ça. S'il est bon, il y aura toujours quelqu'un pour le lui faire lire après publication. Si l'écrivain l'aime et si c'est quelqu'un de bien, il saura vous le faire savoir. 

20° Quand votre manuscrit sera terminé, choisissez soigneusement le ou les éditeurs à qui vous voulez l'envoyer. Envoyez-le seulement aux maisons dont vous lisez (vraiment) et aimez les livres. 

21° Une fois votre manuscrit posté, mettez vous à écrire autre chose. Sans tarder. Il n'y a pas de meilleur traitement à l'attente et de meilleure défense contre la frustration. 

21° Une fois que vous aurez lu cette liste, oubliez-la. Dans vingt ou trente ou quarante ans, vous aurez peut-être envie d'écrire la vôtre. En tout cas, c'est ce que je vous souhaite. En attendant, lisez et écrivez. Beaucoup. Encore. Au boulot ! 


Mar(c)tin Winckler

14 commentaires:

  1. Très intéressant, merci pour ces conseils issus de l'expérience. Je confirme pour le point 17 - mieux vaut ne pas tout mélanger...
    En revanche, je m'interroge sur le 9: est-ce indispensable?

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    1. Est-ce que le 9 est indispensable ? Peut-être pas. J'ai tendance ici à donner les repères qui sont vrais pour moi. Mais j'ai souvent entendu des écrivains dire qu'ils ne savaient pas comment finir, ou des lecteurs dire qu'il manquait une fin à un roman. Et pour ma part, j'écris mieux quand je sais où je vais. Cela étant, la fin "de travail" peut être modifiée en cours d'écriture, dans son déroulement ou son importance. Ca m'est arrivé. Mais le sens de ce paragraphe est le suivant : quand j'écris, je veux savoir où je vais car je dois savoir où je vais emmener le lecteur. C'est la moindre des choses. C'est pour lui que j'écris, in fine.

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    2. Merci de votre réponse. En fait, tout est dans sa dernière phrase: si on écrit toujours pour être publié, oui, bien sûr. Si on écrit d'abord et qu'on voit ensuite si c'est publiable, peut-être que ça se discute? Ou peut-être est-ce cela qui fait la différence entre l'écrivain et l'écrivant, je ne sais pas...

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    3. À mon avis, le point 9 va avec le point 10. On peut commencer une rédaction sans savoir où l'on va. Mais cela comporte des risques et nécessitera une refonte au moins partielle du texte une fois celui-ci achevé. Une histoire, quelle qu'elle soit, doit tendre vers sa fin et je crois qu'il est plus facile de corriger la fin prévue que de rectifier tout ce qui la précède pour la rendre cohérente.

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  2. Je crois que la 11 se vérifie dans 99,98 % des cas.
    La 6 est excellente.

    Je nuancerais la 17 concernant les meilleurs amis : certains sont capables d'une lecture franche, tout dépend de leurs compétences. Ce qui m'a permis de découvrir que je devais ou pouvais écrire au tout début ce fut un grand ami auteur de pièces de théâtre et qui m'avait demandé.

    Pourriez vous ajouter "ou à votre libraire" à la 19 ;-) ? C'est terrible ce dont nous héritons parfois.

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  3. La 14 n'est pas plutôt : "Quand un on a un autre boulot, on ne peut pas écrire sans mettre sa vie quotidienne en danger " et non pas " on peut ne pas écrire sans mettre sa vie quotidienne en danger."

    Parce que oui, on peut toujours NE PAS ECRIRE, c'est ce qu'il y a de plus facile..

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  4. Un autre conseil, plus technique, trouvé dans un livre de Bernard Werber : une serviette mouillée dans la nuque ou les pieds dans un bol d'eau aident à garder l'esprit plus concentré.

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  5. Merci pour tous ces morceaux de conseils que j'ai déjà oubliés :)

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  6. D'accord avec Gilda : la 6 est excellente !
    Et pour la 9 un rappel : John Irving écrit en commençant par la fin.
    tout à fait d'accord avec la 16 ! Trop de littérature disséquée tue l'aspiration à écrire.
    Ce qui découle de la 15, forcément : ce sont les va-et-vient qui nourrissent.
    Ah: ça fait du bien de vous relire ! ;-)

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  7. Je viens de lire un conseil très proche dans "Seymour, une introduction"(1959) de Salinger : "Si seulement tu pouvais te redire à chaque fois que tu vas t'asseoir à ta table que tu as été un lecteur bien avant d'être un écrivain ! Mets-toi cette idée bien dans la tête, assieds-toi, ne bouge plus, et demande-toi, en tant que lecteur, quelle œuvre Buddy Glass préfèrerait lire si son cœur lui dictait un choix. Ce que tu feras ensuite, c'est une chose terrible, mais si simple que je parviens à peine à y croire en l'écrivant. Tu t'assieds tout simplement, sans honte, et tu écris cette œuvre toi-même."

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  8. Stendhal n'a pas toujours respecté la 9... Mais d'une part c'était un génie, d'autre part il n'a pas toujours fini ou bien fini ses romans ! (La fin de la Chartreuse de Parme n'est pas ce qu'on préfère en général :-) ) En fait il n'y a que Le Rouge et le Noir dont la fin soit solide, mais forcément il l'avait lue dans le journal, et c'est de ce fait divers qu'il est parti.

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  9. Alors, à qui faire lire son manuscrit avant de l'envoyer à un éditeur?
    Doit-on faire lire son travail quand il n'est pas totalement terminé (que l'on peine à avoir du recul sur celui-ci)?

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