jeudi 26 mai 2011

"Ici Paul, des éditions..." - par Sophie M.

Hier, 25 mai, c'était ma fête. Nous n'avons pas l'habitude d'en faire grand cas dans mon entourage mais allez savoir pourquoi, hier, j'ai reçu nombre de textos et de coups de fils.
Le mercredi, en fin de matinée, je donne un cours de français à une jeune fille qui elle aussi, m'a souhaité une bonne fête, quand je suis arrivée chez elle.
J'ai pour habitude, pendant un cours, de laisser mon portable allumé. Il me sert à la fois de montre et je reste joignable par le collège de ma fille sujette aux maux de ventre et autres manifestations physiologiques de son désamour pour l'école. Je le mets en mode silencieux ainsi, il ne me dérange pas.
Nous travaillions hier sur Aragon et ses "strophes pour se souvenir" quand les vibrations de mon portables retentirent sur la table. Je jetai furtivement un œil sur le numéro. Bon, numéro en 01, Paris...tiens..bon... ce n'est pas le collège, on verra plus tard.
Le cours terminé, le groupe Manouchian et la lettre à Mélinée remisés dans mon cartable, je saluai mon élève et rejoignis ma voiture où j'écoutai le message que le numéro en 01 m'avait laissé. Je vous le retranscris en italique: 
Bonjour, ici Paul des éditions ....
(là, mon cœur se décroche et en une seconde, j'ai le temps de me dire "enfin! je savais bien que j'y arriverais", de me demander à qui je vais bien pouvoir annoncer la nouvelle en premier, et me projeter dans ma nouvelle vie qui ne sera plus jamais pareille.) 
Je vous appelle car votre recueil de nouvelles "A l'impossible se tenir" (si je mentionne le titre ici, c'est pour souligner la force de l'ironie du sort) est passé en commission de lecture.
(Incredible!!! Je fais partie du petit nombre de chanceux qui se voit réaliser le rêve de leur vie. La voix de ce Paul est délicieuse, douce, bienveillante... vas-y cher Paul, annonce la nouvelle... je suis assise.) 

Malheureusement
...
(Boum, tout par terre. Tout, je veux dire tout. Mon cœur au fond de mes talons, mes yeux et leur brillant d'impatience le long de mes joues, mes mains qui ne semblent plus pouvoir tenir le portable et surtout mes espoirs) 

...il n'a pas été retenu
Si toutefois, vous souhaitiez récupérer votre manuscrit, rappelez-nous.
( pourquoi tu m'as appelée pour me dire ça, Paul? Normalement, on reçoit une lettre type, plus ou moins agréable. Le coup de fil, c'est pour les bonnes nouvelles! le coup de fil, c'est pour s'entendre dire que le manuscrit est bon et qu'il va être publié! Le coup de fil, c'est une voix pour dire que vous existez! Pas vous dire avec gentillesse ce qu'on vous a déjà dit maintes fois par lettre!)

Je crois n'avoir jamais éprouvé la joie extrême et la peine la plus vive dans un laps de temps aussi cours.

J'ai rappelé Paul. Il peut me renvoyer mon manuscrit gratuitement (ça, c'est du jamais vu) et me souhaite bonne chance pour la suite (ça, par contre, c'est du déjà entendu).
D'accord, Paul, renvoie-moi mon manuscrit, que je puisse le renvoyer à d'autres éditeurs auront peut-être aussi un secrétaire qui s'appelle Paul et qui est malgré tout très aimable.

Je me demande si ces maisons d'éditions qui rappellent pour les refus se sont questionnées sur les dégâts qu'occasionnent leur méthode à prioris plus humaine.
S'il vous plaît, les Paul qui auront la charge de m'annoncer le refus de mon manuscrit, ne m'appelez plus, je vous en conjure, ne m'appelez plus.
Où alors, pour me souhaiter une bonne fête.

J'ai démarré, j'allais être en retard au collège dont m'a fille allait bientôt être libérée. Pendant le trajet, j'hésitais entre le rire et les larmes. Bonne fête Sophie!!! me lançais-je.
C'est drôle, je ne peux pas m'empêcher de trouver ça drôle. C'est cruel et je ne peux pas faire comme si ça ne l'était pas. Alors, autant éprouver de la peine tout en gardant mon sens de l'humour, ça n'y changera rien, à moins que ça me redonne même un peu de force...
Sur le parking du collège, ma meilleure amie était là, c'est rare. Seule, c'est encore plus rare. Je n'ai rien pu faire d'autre que de lui raconter ce qui venait de m'arriver, ou plutôt de ne pas m'arriver... Qui a pu la mettre là pour adoucir le coup? Celui qui a décidé que les éditions ...  faisait des fausses joies aux écrivantes prénommées Sophie le 25 mai?

9 commentaires:

  1. Bravo pour le texte, j'espère qu'il a un peu soulagé son auteur... faisant vivre au lecteur, à son tour, l'attente, la fausse joie et la déception...
    Peut-être qu'ils téléphonent quand le livre est passé en comité de lecture, que c'est déjà une performance d'aller jusqu'à ce stade-là.... non? Ils ne doivent pas prendre la peine de le faire avec tous les auteurs qui leur envoie un manuscrit, ce serait ingérable!
    Un peu tard pour vous dire bonne fête, Sophie, mais bonne chance pour la suite!

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  2. Je comprends bien votre déception - moi aussi j'ai reçu plein de refus. Mais remettez-vous vite et continuez à écrire !!!! finalement c'est comme ça que vous mettrez toutes les chances de votre côté !!!

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  3. Bonne fête Sophie,
    Je vous ai suivie des yeux écoutant le message, mon coeur battait la chamade, et la potion amère est passée aussi dans la bouche. Merci pour le partage de cet instant brutal, mais qui vous a inspiré un texte fort. "hélas, donc en avant ! "(W. Jankelevitch)

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  4. Sacré Paul, toujours aussi balourd ! Je sais bien que tu avais défendu ce manuscrit bec et ongles, mais, que veux-tu, malgré son allure aristocratique, notre commission fonctionne démocratiquement et nous n'avons été que deux à te suivre et la voix de la présidente est décisive dans les cas d'égalité. Tu le sais, sacré Paul, comme tu sais qu'il est admis implicitement qu'une fois la décision prise, elle engage complètement tout le monde. Alors, une fois de plus, sacré Paul, tu as biaisé : un petit coup de fil, ça ne mange pas de pain, surtout si on tombe sur le répondeur de la dame, et ça atténue le coup. Et puis, je te vois bien : tu t'ai dit ensuite (ah ! ton esprit de l'escalier!) que tu ne respectais pas les protocoles de la maison, alors quand la dame a rappelé, au lieu de lui expliquer ce qui s'est passé, tu a pris ton air le plus administratif pour qu'elle raccroche au plus vite ! Et tu peux lire ici le résultat !
    En plus, la dame a du style, elle sait construire un récit et je te devine, sacré Paul, en train de te ronger les sangs et cherchant, sans y croire, le coup tordu qui te permettrait de la réconforter sans revenir sur la décision. Je vois même arriver l'éclair de malice dans ton regard, quand tu l'inviteras à partir de son échec et de sa première réaction pour nous proposer un roman sur ses nouvelles puisque le second degré reste dans l'air du temps et se vend bien. Mais l'inviteras-tu ? Je me prends, sans y croire, à le souhaiter vivement. Ta balourdise, sacré Paul, serait-elle contagieuse ?

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  5. Merci à vous pour vos commentaires. Cela me va droit au cœur. J'espère que vous avez raison GAlm. Je n'y avais même pas pensé. Mais il est vrai que j'ai déjà reçu, par courrier, un refus précisant que mon manuscrit avait fait partie d'une première sélection. c'est déjà pas si mal...
    Bien sûr Ananim qu'il ne faut pas s'arrêter d'écrire. Comment le pourrait-on d'ailleurs? c'est juste un peu plus difficile au fur et à mesure que le temps passe.
    "Hélas, donc en avant", ça me convient très bien ça. Merci Céline.

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  6. Bravo pour ce texte très fort, si proche de la réalité, qui m'a beaucoup émue.
    Vous savez raconter, c'est certain!

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  7. j'ai lu très attentivement votre texte (et même plusieurs fois, depuis sa parution ;-)) et je m'interroge encore... l'envie d'être publiée m'est assez étrangère (sans doute est-ce à quoi on reconnaît un "faux" écrivain LOL) mais je peux comprendre votre fièvre et votre déception...
    j'écris depuis "toujours" mais j'ai toujours gardé mes écrits soigneusement cachés
    Et aujourd'hui que j'ai un blog, bien sûr j'aime qu'on me lise, mais personne dans mon entourage n'en connaît l'existence.
    Car il me semble qu'écrire, c'est se livrer...

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  8. Je réfléchis à votre réflexion Adrienne et je ne crois pas qu'un faux écrivain soit celui qui ne souhaite pas être publié. Bon nombre de mes écrits ne sont pas destinés à la lecture mais ce que j'envoie aux éditeurs est écrit dans ce but. L'envie d'être publiée est certainement d'abord une quête de reconnaissance et puis c'est aussi une immense envie de partager. Je me prends à espérer que des lecteurs seraient heureux de m'avoir lue. N'avons nous pas été heureux de lire du Martin Winckler? Écrire est un travail, non rémunéré certes, mais c'est un travail dans le sens où je m'applique, je fais en sorte d'aboutir à un manuscrit digne de ce nom. C'est toute la contradiction du statut de l'écrivant qui ne deviendra écrivain que le jour où il sera publié. Il n'est personne cependant pour devenir quelqu'un, il doit fournir un travail de pro, comme s'il était déjà quelqu'un. Je le fais avec plaisir, grand plaisir même. Mais parfois, c'est difficile et la tentation souvent de renoncer.

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  9. Alors vous pensez comme Queneau: "Un écrivain c'est quelqu'un qui se rend compte qu'on n'écrit pas seulement pour se faire plaisir à soi-même"
    ;-)
    ce qui me fait de nouveau conclure que moi, je n'en suis donc pas un ;-)
    et en effet, heureusement que d'autres le sont, lire La maladie de Sachs a été un vrai bonheur!

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