dimanche 25 avril 2010
Ecrivains modèles et livres pour île déserte (suite) - par MW
Pendant très longtemps, j'ai ressenti un grand malaise, presque une certaine honte, à nommer les écrivains que j'aimais. Ce n'étaient pas des "classiques" - ceux que les enseignants nous présentaient en levant le manuel devant eux comme un objet mystique et en nous ordonnant de nous prosterner pour en lire la parole sacrée. D'ailleurs, il y avait de l'incongruité à nommer l'auteur d'un roman d'aventures ou d'un roman policier. Ce genre de roman n'avait pas d'auteur. C'était de la littérature "pour la jeunesse".
Mais je ne savais pas qu'il y avait de la littérature "pour la jeunesse" et de la littérature "pour les grands". Je savais seulement qu'il y avait des livres que j'avais du plaisir à lire, et d'autres qui ne m'attiraient pas.
Jusqu'à l'âge de 17 ans, j'ai lu d'une manière très particulière, très obsessionnelle : quand un livre me plaisait, cela me donnait bien sûr le désir de lire d'autres livres de la même trempe. Lorsqu'il s'agissait de romans mettant en scène un héros récurrent - mettons : Bob Morane ou Sherlock Holmes ou Hercule Poirot ou Arsène Lupin ou Wenceslas Vorobeïtchek, alias "Monsieur Wens" - c'était facile : le personnage me guidait - c'était d'ailleurs souvent le cas dans le domaine policier. Quand il s'agissait de SF, c'était plutôt l'écrivain que je suivais à la trace. Les romans de "littérature générale" (comme on dit en France) ne m'ont pas attiré avant ma rencontre fortuite avec un très beau roman de Robert Merle, L'ïle, lorsque j'étais en classe de Terminale.
Comme beaucoup d'adolescents avant moi j'ai bien sûr lu du Jules Verne à tour de bras, et celui-ci m'a aiguillé vers Herbert-George Wells, mais au lycée, je n'ai pas lu les classiques recommandés ou imposés. J'ai détesté Le rouge et le noir, j'ai trouvé L'éducation sentimentale incompréhensible et Balzac me pompait l'air. Quarante ans plus tard, je pense tout simplement que les descriptions m'insupportaient et que la finesse des considérations psychologiques m'échappait totalement. Ce que je voulais, c'est que ça bouge. Le plus drôle, c'est qu'aujourd'hui, j'aime beaucoup plus les séries psychologiques que les séries d'action. Comme si la confusion des sentiments m'était plus accessible au travers de dialogues ou de silences qu'à la faveur de descriptions suggestives. Lorsque Emma va chercher des verres en cristal au sommet d'une étagère pour servir une liqueur à Charles (qui n'est pas encore son mari) j'étais incapable de comprendre (et je le suis encore : il a fallu qu'on me l'explique) que ce geste signifie combien elle le tient en haute estime...
Ce qui m'a toujours plu, dans les livres, c'est la surprise ; les détours ; les chausse-trappes ; les coq-à-l'âne ; les labyrinthes. Bref : la construction. Je ne dis pas que je ne peux pas goûter une phrase bien faite et pleine de subtilité, mais rien ne me ravit plus qu'un écrivain qui sait jouer avec le même talent d'une construction savante et d'une belle maîtrise des mots. En disant cela, je pense à Camille Laurens, dont tous les romans (sauf le dernier en date, que je n'ai pas lu) m'ont à la fois ému, ravi et fait rire (ses calembours sont les plus fins et les plus signifiants qui soient).
Mais je pourrais dire la même chose du livre de Marie Darrieussecq dont j'ai parlé ici (Rapport de police) qui, bien qu'il s'agisse d'un essai, m'a passionné et impressionné.
Le goût pour les constructions élaborées est venu d'abord, avec la littérature policière et la science-fiction. J'aimerais encore, aujourd'hui, retrouver le plaisir éprouvé devant la malice d'un whodunit de Stanislas-André Steeman (bien oublié aujourd'hui et c'est un malheur) ou la chute d'une nouvelle de Robert Sheckley. Je continue encore, aujourd'hui, à lire nouvelles et romans parlant de crimes impossibles (le vertigineux The Tokyo Zodiac Murders de Shoji Shimada - merci Roland Lacourbe !!!) ou d'histoires de voyages dans le temps (le magnifique The Time-Traveler's Wife d'Audrey Niffennegger, très mal traduit sous le titre Le temps n'est rien). Et mes romans de littérature "de référence" - Le Carnet d'or, La vie mode d'emploi ou Fils, de Serge Doubrovsky (c'est celui-là que j'avais oublié dans mon énumération, l'autre jour).
Fils est moins connu que Un amour de soi ou Le livre brisé, du même auteur, mais il a une importance considérable dans mon itinéraire d'apprenti-écrivain. C'est un bouquin impressionnant, tant par sa construction (qui ne se laisse pas appréhender facilement) que par son écriture (qui peut faire fuir plus d'un lecteur). Le texte n'est pas chapitré, mais constitué de "blocs d'écriture" que le lecteur parcourt comme on saute d'une pierre à une autre pour traverser un torrent, et dans lesquels se mêlent trois récits savamment entrelacés : l'histoire de la relation difficile entre le narrateur, sa mère et ses femmes ; le trajet qu'il parcourt chaque semaine entre le New Jersey et l'université de Manhattan dans laquel il donne des cours de littérature ; et enfin, le cours lui-même, consacré à Phèdre. Le titre, fils (il n'a pas de majuscule sur la couverture de l'édtion originale, chez Galilée), est, bien sûr, richement polysémique. Or, j'ai lu ce roman entre le premier jet (un long monologue sans structure) et la version définitive de mon premier roman, La Vacation. Il ne fait aucun doute que le travail de Doubrovsky m'a servi non seulement d'exemple, mais d'encouragement. Je n'aurais pas eu l'idée (ou l'audace) de truffer mon roman de parenthèses et d'italiques si je n'avais pas été émerveillé par l'usage que fils en faisait.
Je ne l'ai jamais relu, et, aujourd'hui, j'en ai très envie.
J'ai eu l'occasion de rencontrer Serge Doubrovsky (je lui avais écrit, il m'avait répondu, nous avons pris un café ensemble un jour à Paris, où il vivait la moitié de l'année) et je me souviens d'une figure à la Roland Barthes, un homme réservé, cultivé, courtois, plein d'un mélange de tristesse et d'humour, et qui semblait profondément touché et surpris par l'attachement que je portais à son travail (j'ai lu par la suite plusieurs autres de ses livres, y compris l'épatant essai qu'il a consacré à Proust : La place de la Madeleine).
(A suivre)
PS : Je viens d'aller sur le site consacré à fils que m'indique Isabelle Grell (cf commentaire n°2) et c'est une merveille. Je vous le recommande.
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La suite !
RépondreSupprimerMonieur, cela me fait plaisir que vous aimiez tant serge doubrovsky. Nous travaillons depuis un certain temps sur son oeuvres en particulier et l'autofiction en general. Si vous voulz, allez voir le site http://autofiction.org ou http://www.everyoneweb.com/doubrovskymanuscrit.com/ encor sur facebook sous serge doubrovsky
RépondreSupprimerou autofiction
Bien a vous
IG
D'accord avec vous Marc pour le plaisir de lire un livre aussi pour sa construction.
RépondreSupprimerCelui qui m'a le premier marqué pour cette raison (j'avais 17-18 ans) , c'est "Biographie" de Yves Navarre.
Connu de personne, je sais, mais j'adore ce livre.
Merci pour les liens.
RépondreSupprimerSynchronicité.
ça résonne tout à fait avec mes interrogations, ma relation à l'écrit et ma vie en ce moment.
Je me rends compte qu'ici même il y a qques mois, en commentaires, j'ai cité Serge Doubrovsky (Le livre brisé) qui me revenait en mémoire.
J'y replonge tout à fait avec délice.
Incapable de citer(seulement)5 livres. Mais je vois maintenant l'importance de cet auteur dans mon cheminement.
Sérendipité ?
Je continue encore, aujourd'hui, à lire nouvelles et romans parlant de crimes impossibles (le vertigineux The Tokyo Zodiac Murders de Shoji Shimada - merci Roland Lacourbe !!!)
RépondreSupprimerMerci pour les auteurs, dont je fais partie, qui continuent à écrire sur ce genre.
Hélène