Écrire serait le fruit d'un désir comme une envie de tarte aux fruits ? Belle connerie ! Comme si l'écrivain était actif, comme s'il se disait un jour : tiens, et si je devenais écrivain ?
D'après Tchekhov, on devient écrivain parce qu'un jour on se casse une jambe. À la première lecture de cette déclaration, on se dit qu’au départ écrire sert à tromper l'ennui, puis on se prend au jeu jusqu’à devenir écrivain. Bref, la jambe cassée comme catalyseur d'une vocation d'écrivain.
Seulement, je vois cette jambe cassée autrement, elle peut être autre chose, une guerre, un viol, la mort qui vous caresse doucement la joue, une maladie qui ne vous lâche pas, ou simplement un dégoût profond, et alors on écrit contre, contre le monde, pour se sauver. (D’aucuns pensent sauver la littérature, ceux-là seront éternellement malheureux, eussent-ils brillamment démoli Nisard.)
Évidemment, c’est un vaste programme, alors les écrivains se partagent la tâche. En vrac, et sans être exhaustif, le taulier de ce blog se bat contre une idée de la pratique de la médecine, Didier Daeninckx contre Papon avec Meurtres pour mémoire, Emmanuel Carrière contre les sociétés de crédit dans D’autres vies que la mienne, Laurent Mauvignier contre le silence autour la guerre d’Algérie dans Des hommes. Écrivent-ils par désir ? Posons-leur la question. En attendant, mon hypothèse est simple : le monde leur est insupportable, alors ils écrivent pour le dire, voire le changer. Question de survie.
Et l’écriture comme une entreprise de sauvetage exclut de facto le désir. On ne se sauve pas par désir mais par obligation, c'est un besoin – parfois une drogue. J'ai en mémoire cette scène du film de Agnès Jaoui où le personnage de Jean-Pierre Bacri, un écrivain justement, quitte le concert de sa fille en urgence parce que l'inspiration lui revient comme un raz-de-marée, le submerge, et à ce moment-là, ce n'est pas du désir, c'est juste un besoin vital, et c'est cela pour moi, écrire.
Je n’en suis pas – du moins pas encore – arrivé à cet extrême (notez que je ne suis pas encore écrivain), mais je n’ai jamais « envie » d’écrire, non, je ressens un besoin, irrépressible. Et puis écrire n’est pas toujours agréable, une vraie lutte parfois, contre l’histoire qui se défile, contre les personnages qui m’échappent, contre les mots qui me manquent ; l’écriture devient une douleur : qui peut désirer souffrir ? Peut-être ne suis-je finalement qu’un junkie de l’écriture.
Alors oui, le désir, quelle connerie !
Franck Garot
@ Franck Garot: il était question de désir comme pulsion, de la tension liée à la pulsion, évidemment pas de rapport de séduction (encore que), d'attirance, ou de fraises (ah la vieille association fraise/envie...)!
RépondreSupprimerTout à fait d'accord!
RépondreSupprimerPour appuyer votre dernier paragraphe, une citation de Christian Lehman dans "La citadelle des cauchemars" je crois:
"A vrai dire quand j'écris je n'y prend pas de plaisir.Je trouve celà difficile, je ne suis jamais satisfait de ce que j'ai écrit, c'en est même déprimant...mais je ne peux pas m'en empêcher."
Et celle -ci, tirée de "Plumes d'Ange", de Martin Winckler:
"Tu sais piour écrire, il faut écrire envers et contre tous et parfois aussi envers et contre soi-même."
Pour ma part, je ne suis pas d'accord avec vous.
RépondreSupprimerMême si mes écrits comportent une part certaine de mes utopies et de ma critique du monde, le désir d'écrire est pour moi quelque chose de doux et d'agréable.
Je ne ressens pas le besoin d'écrire comme impérieux et contraignant.
Mais peut-être est-ce parce que je trouve (ou prends) le temps d'écrire et un écho favorable et positif sur ce que je réalise dans le cercle (fort restreint) dans lequel il est diffusé.
@ zelapin : qui a parlé de fraises ? quand j'écris tarte aux fruits, je pense à tarte aux quetsches. Oui, je suis sorti du cadre, c'est une habitude
RépondreSupprimer@ Anonyme : très bons exemples, ceci l'écriture n'est pas toujours une souffrance, elle peut être plaisir, surtout lorsque j'écris des textes "légers"
@ Aldar : ce qui prouve qu'il n'y a pas de pensée unique, chacun a son rapport intime à l'écriture