dimanche 20 septembre 2009

A qui un écrivain offre-t-il ses livres ?

Je trouve sur la page FB de François Bon un lien vers un article consacré à son "Incendie du Hilton". Il le donne en s'excusant presque que ce soit un article consacré à son livre. Et je commente "Si l'article te fait plaisir, il n'y a aucune raison de ne pas le partager."

J'ai eu le même type de pudeur quand Vincent Berville m'a mis un site en ligne "clés en main", à la suite de la fin de ma chronique sur France Inter, en août 2003. Je voulais en faire une sorte de prolongement de la chronique, avec des infos, des textes critiques et polémiques, mais pas un portail de présentation de mes livres. Il a insisté (et il est revenu dessus il y a quelques semaines) en disant qu'après tout, il était naturel que j'informe mes lecteurs de mes publications et de ce qu'on en dit. C'est d'ailleurs ce que font les écrivains américains, sans aucune fausse pudeur, sur leurs propres sites.

Et lire ce même type d'hésitation sous la plume de François Bon m'a fait penser à ce que j'ai envie de faire de mes livres quand ils sont publiés. J'ai envie de les donner à tout le monde. En tout cas, à toutes les personnes que j'aime ou plus simplement, que j'estime. (Je respecte tout le monde, mais je suis un être humain, il y a des gens que j'estime plus que d'autres...)

Donc, je donne mes livres à mes amis les plus proches, j'en garde un exemplaire pour chacun des huit individus (ce ne sont plus tout à fait des enfants) que j'ai élevés avec MPJ (encore que je ne l'ai pas fait pour TOUS les bouquins, damn...) et je le distribue à des personnes moins proches, mais qui m'ont touché (pour ce qui concerne le Choeur des Femmes, les membres du CREUM et du département de philosophie de l'UdeM qui m'accueille depuis février, et où je l'ai écrit) ou alors les membres de la librairie Olivieri, ou un/e étudiant(e) de passage qui me dit avoir lu un autre de mes bouquins ou de mes textes et qui m'en parle avec tant de chaleur que j'éprouve le besoin de m'acquitter de ce bonheur qu'il/elle me fait en lui donnant quelque chose.

Ou alors, l'autre jour, dans le métro, quand François a dit "Faut que je lise ton livre, mais je l'ai pas encore", j'ai sorti l'exemplaire que je trimbalais avec moi pour chercher des extraits à faire lire à mes étudiants du cours d'éthique clinique, et je le lui ai donné, je n'y aurais pas pensé s'il ne l'avait pas mentionné.

Je n'attends jamais que le livre que j'ai donné soit lu. En particulier, je n'ai jamais attendu de mes enfants ou de mes amis les plus proches qu'ils les lisent. D'autant plus que j'en ai publié plusieurs dizaines en dix ans, dans des genres différents, alors je sais que peu de lecteurs pourraient suivre ce rythme-là ou lire ne serait-ce que mes romans (il y en quelques-uns, mais ce sont tous des lecteurs/trices hors du commun... Fanny, Emmanuelle, Alexis, David, Elodie entre autres, qui sont aussi des camarades internautes).

Je suis content quand un de mes enfants lit un de mes livres, pas nécessairement un roman, mais souvent un des livres sur les séries ou Super Héros. Mais je n'attends pas qu'ils le fassent. J'écris les livres pour les élever, pas pour qu'ils les lisent. Si, dans vingt ans, ou après ma mort, l'un d'eux retrouve un de mes bouquins sur une de ses étagères et, en le feuilletant, se dit "C'était pas mal, ce truc-là", ça me suffit. Je veux seulement qu'ils n'aient jamais honte d'avoir été élevés grâce à mes textes. Enfin, je ne sais pas si je me fais bien comprendre.

Quand j'étais adolescent, et plus tard encore, j'avais envie de donner mes textes bien sûr pour les faire lire, mais aussi parce que j'avais envie d'offrir quelque chose à mes amis, quelque chose que j'avais fait. Je ne savais pas trop bien bricoler, peindre, dessiner et encore moins composer des chansons (j'aurais aimé savoir faire tout ça) mais j'écrivais, de la fiction, alors je recopiais mes six ou sept nouvelles achevées (j'étais sûr de ne jamais pouvoir en écrire d'autres et d'être incapable d'écrire un roman) dans des cahiers et je les offrais à qui j'aimais et voulais faire savoir que je l'aimais. Et puis, bien entendu, j'ai offert par wagons les livres qui m'avaient touché profondément, Le Carnet d'Or, La vie mode d'emploi, pour ne citer que ces deux-là. (J'offrais des livres que je m'étais approprié en tant que lecteur. C'étaient "mes" livres avant que je n'en écrive.) Offrir un livre, à mes yeux, c'était un geste d'amour. Ca l'est toujours. Je n'aime rien plus que tomber sur un nouveau livre et me dire : "Ah, je sais que MPJ ou l'un des enfants va l'adorer".

Aujourd'hui, je sais qu'on peut estimer quelqu'un sans l'aimer, et que c'est une raison suffisante de lui offrir quelque chose. Je sais aussi qu'offrir un livre ce n'est pas "rien" (c'est ce que j'ai dit pendant longtemps), c'est un cadeau extrêmement chargé (il y a des gens qui ne lisent pas et qui sont très très touchés qu'on leur offre des livres, et je n'en ai pas toujours eu conscience, tant une vie sans lecture me semblait impossible alors que bien sûr, les vies sans lecture sont infiniment plus nombreuses que les vies avec, sur cette planète), ce n'est pas un cadeau dénué de sens ou de poids. Mais on ne sait jamais quel sera le poids d'un livre qu'on offre pour l'autre.

Je ne sais pas s'il y a une question dans ce texte, si je soulève la moindre interrogation philosophique, littéraire, éthique ou autre, mais le fait est que j'aime offrir des livres, que ça reste mon cadeau préféré (les DVD de films ou de séries viennent juste après, sans doute parce que ce sont les objets qui ont, à mes yeux, le plus de valeur au monde. Je ne suis pas sûr que ce soit "culturel" ou uniquement lié à mon milieu de naissance, car beaucoup de personnes dans ma famille aimaient lire mais auraient trouvé qu'offrir un livre était "un pis-aller", un cadeau un peu facile.

Mais comment un livre pourrait-il être un cadeau "facile" ? Quand on l'a choisi au dernier moment sur une table de "Prix littéraires" sans savoir de quoi il s'agit, oui, peut-être. Mais même dans ces conditions, qui sait si le livre, choisi au hasard, n'aura pas un effet profond sur celui/celle à qui il sera offert et qui le lira ?

Entre celui/celle qui offre et celui/celle qui reçoit, le livre est un tiers liant.

Merci, François.

10 commentaires:

  1. Anne-la-biliothécaire20 septembre 2009 à 16:54

    Le livre n'a rien d'un cadeau facile en effet et rien n'est plus décevant que de vouloir faire partager sa passion pour un livre et voir que le livre en question n'atteint pas son but et ne touche pas cette personne. Cela m'est arrivé avec "la maladie de Sachs" malheureusement. Je pensais que ce livre que je trouve personnellement formidable devait plaire à tout le monde. Et quelle déception de voir que cela n'avait été le cas pour ma meilleure amie. Je voulais à tout prix lui faire partager ma découverte. Enfin un livre qui me touchait vraiment, qui parlait simplement de vous et moi et des interrogations d'un médecin à la fois ordinaire et extraordinaire dans sa vie de tous les jours... [je ne vais pas raconter le livre]
    Quoi qu'il en soit, c'était un livre qui m'avait profondément touché, que j'offrais de tout mon coeur et... qui est tombé à plat! Quelle déception ! Mais cela n'était pas dû à la qualité du livre, j'avais tout simplement oublié dans mon enthousiasme du moment face à ce livre... que mon amie ne supportait pas tout ce qui touche à la médecine. Autant dire que mon choix était vraiment mal ciblé. A présent je lui offre des livres selon ses goûts personnels liés aux miens et je lui ai ainsi fait découvrir quelques petites perles et inversement. J'avais juste voulu partager quelquechose de fort avec quelqu'un que j'aime beaucoup et le livre me paraissait le meilleur des cadeaux possible, le plus intime en tout cas, car lorsque qu'on offre un livre on dévoile une partie de soi-même. Cela n'a rien d'un cadeau anodin même si on se plante...
    PS : je m'aperçois en relisant mon texte que cela montre surtout que je connais mal ma meilleure amie et que je ne suis donc pas à l'écoute de ceux que j'aime. C'est faux j'ai cru bien faire c'est tout et je l'ai fait avec le coeur. J'appuie donc sur la touche "envoi"...

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  2. Anne-la-bibliothécaire20 septembre 2009 à 17:12

    C'est encore moi juste pour vous dire combien "la maladie de Sachs" [qu'on ne m'a malheureusement pas offert] a été important dans ma vie.
    D'abord je trouve ce livre magnifique [je l'ai lu 3 fois], ensuite j'ai découvert l'écrivain qui se cachait derrière, je vous ai rencontré et ai pu voir qu'il existait quand même quelques écrivains humains et qui savaient descendre de leur piédestal, puis j'ai découvert le militant qui complétait l'écrivain et enfin j'ai été tellement séduite que moi aussi j'ai lu l'ensemble de votre oeuvre.
    On peut donc dire que ce premier livre de vous a changé ma vie puisqu'il m'a fait entrer dans votre univers artistique et parfois plus personnel. Je vous remercie pour tout cela. A bientôt sur ce blog ou ailleurs et continuez à être ce que vous êtes. Vous nous faites du bien
    Anne

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  3. moi aussi zone de trouble sur cette question – je continue bien sûr d'acheter des livres en librairie, y compris ceux de copains auteurs, plutôt que les leur demander (et c'est ce que j'aurais fait pour le tien) – les dernières années, telle réticence à revenir à bureau de poste enveloppes etc que mon Led Zep ou autres exemplaires lourds ils sont sur la table à la maison et ça part un peu selon les hasards – suis très confus pour les listes de service de presse et tout ça – ce qui était étrange, mercredi, avec ton livre, c'est qu'à peine tu étais descendu à Sherbrooke moi je commençais à lire (ouvert au hasard et pris en route et c'était parti) – pour question proches et famille, aurai plutôt tendance à acheter et offrir, mais pas les miens, de bouquins!...

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  4. J'si connu votre blog par une intervention de FBon. J'adore. J'ai bien l'intention de la consulter souvent.
    Le texte de ce dimanche exprime bien ce que je ressens à l'égard de mes enfants qui lisent ou ne lisent pas mes livres. Votre réflexion m'ouvre de nouveaux horizons. Merci.
    Claude Paquette

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  5. A qui un écrivain offre-t-il ses livres ?
    A ses lecteurs.
    J'en suis un, un des rares qui les a tous lu, depuis la Maladie de Sachs (lu et relu celui là, au moins un dizaine de fois) jusuq'au dernier, que je viens juste de terminer, et qui est allé rejoindre les autres dans ma bibliothèque. Chaque livre que j'aime est pour moi comme un cadeau, pas seulement les votres. Mais justement, quand un livre est pour moi un cadeau, j'ai du mal à l'offrir. J'offre rarement un livre. J'ai dû en offrir deux en 20 ans (dont un à la femme que j'aime, et qui se trouve donc en double dans ma bibliothèque). Un livre c'est pour moi quelque chose de tellement personnel, intime, que j'ai beaucoup de mal à le partager. Egoiste ? Sans doute.

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  6. @ Arnaud
    Non, c'est pas égoïste... je trouve ça émouvant, de s'approprier les livres à ce point.

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  7. J'ai tellement aimé "La Harpe de Davita" de Chaïm Potok que j'en ai acheté une demi-douzaine avant même de réfléchir à qui les offrir... Mais ça y est je n'en ai plus, faut que j'en rachète.
    Idem pour "Le Grand Cahier" d'Agota Kristof.
    "La Maladie de Sachs" c'est différent : il avait déjà été lu par pas mal de monde, en fait je ne l'ai offert qu'une fois.
    Cet automne je commence à distribuer "Le Choeur des Femmes".

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    1. Hé hé, oui c'est vrai, il y a des livres qu'on aime offrir. Moi ce sont des livres pour enfants, tout petits, mais dont j'aime beaucoup le message. En particulier "Le loukoum à la pistache" de Catherine Zarcate et "Mais je suis un ours" (The bear that wasn't), de Franck Tashlin". http://youtu.be/cq0a5JTSGvU

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  8. Qui a le droit d'écrire? Commentaire.

    J'ai envie de répondre à la lectrice qui demande "qui a le droit d'écrire?" que si elle se la pose, cette question , c'est qu'elle est déjà sur la bonne voie, celle de l'écriture...

    Pendant des années je n'ai "osé" écrire que des textes "sérieux", pour mes études,la préparation de concours etc...Mais j'y prenais tout de même un certain plaisir.

    Puis un jour de chance j'ai échangé quelques mots avec un auteur-médecin venu parler aux éléves de mon lycée. (Guess who?).Le soir même je me mettais à mon clavier. Oh bien sûr, la plupart des premiers textes que j'ai écrits étaient maladroits pour dire le moins. Mais ces heures passées à écrire ont eu quelques conséquences. D'abord, je ne lis plus de la même façon. Ensuite, je ne me laisse plus impressionner par mes collègues profs de français, et je défends maintenant des auteurs qu'ils regardent de haut. Et surtout, j'essaie de proposer des exercices d'écriture à mes élèves qui laissent libre cours à leur imagination, leur créativité, leur fantaisie.
    Récemment j'ai retrouvé des cahiers/journaux que nous faisions avec une enseignante de français hors du commun , fin des années 60, début 70. Elle utilisait la méthode Freinet , et en relisant certains textes rédigés à l'âge de 12-13 ans , j'ai compris beaucoup de choses: je porte cela en moi depuis longtemps, mais j'ai été "formatée" pendant des années, et on m'a bien évidemment inculqué l'idée que l'écriture était réservée aux spécialistes.
    Malgré tout, ils n'ont pas complètement réussi leur coup:
    "Two roads diverged in a wood and I-,
    I took the less travelled by
    And that has made all the difference"
    conclut Robert Frost dans un de mes poèmes favoris, The road not taken. J'aimerais dédicacer ces vers à Mademoiselle Trinquier et à Martin Winckler.(Et de me dites pas encore que ce serait immodeste de publier cela!!!)

    Pour finir, je n'ai aucune ambition littéraire, j'ai un boulot, un mari, des gosses, une vie sociale et j'essaie de faire un peu de sport. L'écriture requiert un temps fou, comme le fait remarquer Martin. Mais, même si c'est parfois usant, ou frustrant, quel plaisir on y prend...

    Alors, je dirais bien à cette lectrice: " y'a plus qu'à"...

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  9. Emmanuelle Mignaton24 septembre 2009 à 10:30

    Pour répondre à Arnaud :
    J’ai été longtemps un peu comme ça, à vouloir garder les gens que j’aime artistiquement pour moi. Je ne prête quasi jamais mes livres, je me les approprie totalement, ils sont a MOI, alors que je prête facilement des DVD par exemple. Ce n’est pas du tout le même rapport à l’objet. Un livre, on le tient dans ses mains, il dort près de soi, rien à voir avec un DVD.
    Je voulais raconter une histoire à Arnaud, s’il me le permet. S’il ne me permet pas, Martin supprimera !
    En décembre 2004, un de mes frères m’offre un CD pour Noël. Un CD de Nosfell. Je ne connaissais pas ce monsieur, et un cadeau de Noël, c’est parfois un peu louche, ça sent le cadeau obligé, donc le truc qu’on a acheté mais dont on n’est pas sûr qu’il plaira, mais il faut bien acheter quelque chose, alors...J’écoute quelques morceaux, bof, ça ne me plait pas plus que ça, et en plus, je déteste la pochette ! Et c’est dans une langue inventée, donc je n’ai pas les paroles…Quelques semaines après, je revois mon frère, il me dit : « Alors, Nosfell, formidable, non ? ». Euh…je suis bien embêtée, c’est mon petit frère, je ne veux pas lui faire de peine, alors je ne sais que dire. Oui, c’est pas mal, dis-je, mais il faut que je réécoute. Très bien, me dit mon frère, réécoute. Et puis d’autres semaines passent. Je subis une légère opération, avec quelques jours d’arrêt-maladie. Je suis donc seule à la maison. Mon frère m’appelle pour prendre des nouvelles, et me redemande : « Alors, Nosfell ??? ». J’ose lui dire que ça n’a pas l’air d’être mon style de musique. Il me dit : « Mais ça ne va pas non ? Ecoute, bon sang, je te dis d’écouter ! C’est pour toi ! ».
    Je l’écoute donc ce Nosfell. Je veux dire que je ne vais que ça, écouter, et là, oui,je me rends compte que cette musique peut être pour moi ! Je vais sur internet pour trouver tout ce que je peux sur lui, je m’inscris au forum, et je remercie mon frère d’avoir permis cette rencontre qui est un des moments importants de ma vie.
    Tout ça pour dire deux choses : quand on aime quelqu’un, un artiste, qu’il soit écrivain, chanteur, peintre, il faut insister parfois car les rencontres ne sont pas toujours évidentes, mais ce ne sont pas les plus difficiles qui se prolongent le moins…J’ai fait connaitre Nosfell à une bonne dizaine de personnes qui m’ont remercié de leur avoir fait rencontrer cet être-là, qui sont allées à ses concerts, et ont acheté ses œuvres, et qui le suivront quoi qu’il fasse, je pense.
    Deuxième chose : j’ai rencontré Nosfell par l’intermédiaire de mon frère lui-même musicien (non professionnel). J’ai approché ses difficultés, sa vie de tous les jours. Et ce qui me parait le plus important, si on veut que les artistes qu’on aime puissent continuer à vivre de leur métier, c’est de les faire connaitre, pas de les garder pour soi. Je ne vois pas d’autre solution. Une trop grande notoriété n’est pas forcément un bien, c’est sûr, mais l’oubli est plus vite arrivé que la mise en lumière, non ?

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