J’ai décidé qu’aujourd’hui, ce serait fini.
J’en ai assez de toute cette souffrance inutile. J’y pense depuis un moment. Je voudrais bien dire un bon moment, mais l’idée m’est venue il y a à peine deux mois. J’ai déjà entendu parler de quelques personnes qui l’avaient fait, qui avaient réussi, mais, je n’y avais pas trop porté attention. Elles devaient avoir leurs raisons, c’est compliqué ces histoires-là. Mais depuis deux mois, ça s’est bousculé dans ma tête. C’est devenu clair. Je devais le faire. Un jour, je dirai que pour moi aussi, c’est fini. Et ce jour, c’est aujourd’hui.
Hier, il fallait que j’en profite. C’était ma dernière journée. Je ne voulais pas être déçu de ma dernière fois; une dernière fois, je ne pense pas que ça se recommence. J’ai décidé de vider mon frigo; de me faire une grande bouffe, comme dans le film du même nom. Il me restait quelques légumes, une poitrine de poulet surgelée, des côtelettes de porc achetées en spécial et même une escalope de veau de lait. J’arrivais pas à me décider, j’ai décidé de tout préparer. Tant pis pour la vaisselle et la cuisinière qu’il faudra nettoyer.
Ça été long, tout préparer. J’ai défait les emballages, rincé les assiettes de styrofoam -même pas sales à cause du truc au fond qui absorbe le sang-, puis je les ai mises au recyclage. Et puis j’ai tout coupé minutieusement, comme on le fait à la télé. J’ai bien huilé, attendu que ça frémisse, et j’ai commencé par faire cuire le veau que j’avais passé dans l’œuf et la chapelure comme ma mère me l’a appris. Quand ça commencé à cramer, je l’ai remplacé par le poulet que j’ai fait cuire avec des poivrons et une sauce « Souvenirs d’Indochine » du Président. Ça devrait être bon, c’est toujours bon, le Président. Ensuite par le porc, porc à rien.
J’ai goûté le veau en premier. C’était le plus tendre. Après le croustillant, une viande rose, qui se coupe presque à la fourchette et qui fond dans la bouche. Ensuite, j’ai goûté au poulet. Ça aussi, c’était pas mal. Mais c’est le Président qu’on goûte, pas le poulet. Et puis le porc, tout sec, qui avait trop cuit, qui était de trop. Assez rapidement, sans trop y penser puisque je regardais des merdes sur Youtube, j’ai tout mangé. Pour une fois, sans culpabiliser, c’était la dernière fois. Je me suis allumé une cigarette, puis je suis allé me coucher. La vaisselle va attendre, mais je ne sais pas jusqu’à quand.
Je me suis réveillé au milieu de la nuit; en sueurs et avec un terrible mal de ventre. Je n’ai pas pu vomir, je n’ai pas pu me rendormir. Quand je ne dors pas, j’angoisse. J’ai passé la nuit à angoisser. J’aurais préféré des cauchemars. J’ai tout repassé dans ma tête, tout ce que j’ai lu, tous les films que j’ai vus. J’ai pas changé d’idée. Ça suffit, ça ne peut pas continuer. Il faut que j’arrête cette souffrance. Il faut que je fasse ma part. C’est possible, je suis capable, d’autres l’ont fait avant moi. Et puis c’est con, ça ne vaut pas la peine d’aller travailler dans cet état. Je m’étire, prends mon iPod Touch, envoie un mail au bureau pour dire que je suis malade.
Je ne pensais pas que ça finirait comme ça, mais c’est bien fini.
Je mets à jour mon status sur Facebook. : « est végétarien ».
Commentaire pour Elise Desaulniers :
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup votre texte, j'aurais aimé avoir eu l'idée. Bravo!
Votre texte m'a beaucoup plu. Et je me suis senti très vite dans une ambiance familière (sauf les odeurs de cuisine qui étaient apétissantes mais déroutantes pour un nantais: vous pourriez m'expliquer ce qu'est ce Président ?) parce que ma fille de 14 ans est végétarienne depuis quelques mois.
RépondreSupprimer@Alexis Z, qui commente ma petite "Dernière fois" : Le Président, en fait, "Le choix du président" c'est ce qu'on appelle ici au Québec une marque maison (peut-être que c'est la même chose en France, sauf que chez vous, personne n'oserait saliver devant le président). Donc une marque distribuée une seule chaîne de supermarchés, très présente dans les placards et frigos de québécois. En général, des produits pas trop mauvais.
RépondreSupprimer@Emmanuelle et Alexis : vos commentaires me touchent énormément. C'est la première fois que j'écris depuis quinze ans.
Oui, un très chouette texte, avec une chute vraiment savoureuse ! J'ai aussi beaucoup aimé...
RépondreSupprimerCette histoire est si singulière et pourtant si universelle chez les végéta(*)iens.
RépondreSupprimerMon passage à l'ovo-lacto-végétarisme a été moins héroïque (beaucoup de rechutes, donc de honte et d'empêtrement dans de mauvaises justifications les premières années), mais mon passage au végétalisme s'est fait facilement - surtout parce que j'étais bien entourée et tellement plus habituée à subir les railleries de ceux qui préfèrent ne pas penser au sort des animaux.