dimanche 13 septembre 2009

En vrac

Filtrage

Vendredi j'ai passé la journée avec un petit groupe de médecins autour du thème des "conflits d'intérêt". Au cours des échanges qui ont eu lieu (et à propos des méthodes qui permettent de réfléchir à sa pratique), l'une des participantes a demandé si, quand on mettait sur le papier une expérience clinique, soit pour la lire à d'autres, soit pour la relire plus tard, on ne courait pas le risque de "filtrer" ce qu'on dit.

Je suis très sensible à cette idée de "filtrage" dans les textes autobiographiques. A l'âge de 14 ans, j'ai commencé à tenir un journal, et il y avait tant de choses qui se pressaient à dire - et que je n'osais pas dire de peur que ma mère tombe dessus et les lise - que mes textes étaient bourrés de points de suspension. J'étais persuadé que je me souviendrais toute ma vie de ce que ces points de suspension contenaient ou désignaient ! Mais c'était une forme de protection, bien naturelle à un âge où les garçons "doivent" courir après des ballons, et non rester coincés dans leur chambre, à lire ou (pire !) à écrire.

Alors, bien sûr, quand on écrit, que ce soit des textes intimes ou de la fiction, on "filtre". Ne serait-ce que parce qu'on choisit ses mots, ou son approche, ou ses sujets. Mais ce qu'on ne sait pas - et qu'on découvre bien plus tard - c'est qu'un filtre, ça retient et ça laisse passer. Ce qui passe semble anodin, sans danger, sans conséquence... et ne l'est pas. On le sait d'autant moins qu'on ne voit pas ce que ça donne en fin de compte, dans le texte. Il en va de même pour la fiction. On a beau être persuadé qu'on sait ce qu'on fait, il y a tant, dans le résultat, qu'on n'avait pas prévu, que les lecteurs/trices voient et pointent, et qu'on n'avait pas vu non plus à la relecture, fût-elle la douzième.

C'est comme les "coquilles", ces fautes d'orthographe ou de frappe ou de mise en page, qu'on trouve dans tous les livres (il y en a un certain nombre encore dans Le Choeur des femmes, j'espère que j'aurai l'occasion de les faire rectifier s'il y a une réimpression). Quand on lit, surtout quand on est un lecteur rapide, on ne les voit pas toujours. Même les relecteurs professionnels ne les revoient pas, car au bout d'un moment, ils ne peuvent pas seulement s'astreindre à regarder les mots et les lignes, ils... lisent. Et le cerveau comble les trous. Il met un mot là où ce mot manque, il remet dans l'ordre les lettres inversées, il ajoute l'alinéa qui a sauté, etc.

Le cerveau travaille sans qu'on s'en rende compte et il nous joue des tours. Mais au fond, l'essentiel, quand on écrit, n'est pas de se préoccuper de ce qu'on "filtre" ou de ce qu'on "dit", mais (il me semble, et en tout cas c'est ce que je m'efforce de faire dans mes textes) l'aspect, la sonorité, le rythme, le sens du texte final. S'il "sonne juste" dans la tête de l'écrivant, c'est qu'on a fait son boulot. Ensuite, quoi qu'on en veuille, il sonnera différemment aux oreilles internes des lisants. (Marre d'écrire lecteurs/trices). Et ce que les lisants distinguent ou entendent dans le texte fini est toujours surprenant pour l'écrivant. Alors, ce qui compte n'est pas ce qu'on a retenu en filtrant, c'est ce qu'on a, consciemment ou pas, laissé passer par les orifices. Et le résultat, je le crois sincèrement, est toujours fidèle à la personne qu'on est, même si, d'un point de vue formel, on n'a pas fait tout à fait ce qu'on voulait faire, ou ce qu'on prévoyait.

Quand un écrivant dit qu'il n'est pas content du texte qu'il a publié autrefois, je me demande toujours pourquoi il l'a laissé publier alors. Je sais que si j'écrivais La Vacation ou même La maladie de Sachs aujourd'hui, je ne les écrirais pas de la même manière. Mais je sais aussi que, lorsque je les ai écrits, j'ai fait du mieux que j'ai pu avec les outils dont je disposais à l'époque. Et je sais aussi que les erreurs ou maladresses ou bourdes que j'ai pu faire à l'époque ont, comme les réussites, contribué à préparer les textes qui ont suivi. Et ces textes, bons ou mauvais, je leur suis reconnaissant d'avoir tenu debout suffisamment pour être publiés et m'aider à en écrire d'autres. Jamais je ne pourrai les renier, ni même en avoir honte.

Pige 

Un journaliste de Ouest-France demande à m'interviewer pour avoir mon avis sur la campagne de vaccination de la grippe en France (je jouerais le partisan du "Non à la vaccination généralisée"). Je lui réponds que je suis un peu loin et qu'étant donné mon emploi du temps la semaine prochaine, ça va être acrobatique. Est-ce qu'il est d'accord pour que je lui envoie un texte, à la place ? Il me répond par l'affirmative. Je demande alors à ce que mon texte soit rémunéré comme une pige (un texte écrit par un rédacteur extérieur). Il me dit que "ça n'est pas prévu", mais qu'il peut citer le titre de mon livre... Je lui rétorque que si Ouest-France veut mon avis, et si je produis un texte argumenté, donc un travail de journaliste scientifique (ce que je suis depuis 25 ans), le premier quotidien de France a peut-être les moyens de me rémunérer. Je ne demande pas un cachet de diva, mais d'être rémunéré au tarif de n'importe quel journaliste extérieur, et rien d'autre. J'ajoute que je n'écris pas pour "qu'on cite mes livres", mais pour gagner ma vie, et que je veux être traité en professionnel, pas en personnalité. Je m'attends à ce qu'il m'envoie paître. Mais non, il me répond très courtoisement qu'il a compris mes arguments et qu'on me rémunèrera au tarif habituel des éditoriaux (200 euros).

Il me paraît TRES important qu'on se mette, dans la presse française, à faire très distinctement la différence entre d'une part les prises de parole d'opinion ou d'humeur et d'autre part les textes documentés. Une interview, c'est une interview. C'est le journaliste qui reprend et commente les propos de l'interrogé. Mais quand la contribution de la personne sollicitée est un texte qui partage des informations avec le public, c'est un texte de journalisme, et il doit être rémunéré comme tel.

Beaucoup de journalistes français (je ne parle pas de celui-ci, mais d'innombrables autres qui m'ont, pendant des années, interrogé sur les séries télé, par exemple, et que je gardais au téléphone pendant une heure pour leur expliquer ce qu'ils auraient pu savoir s'ils avaient pris la peine de lire mes bouquins sur le sujet au lieu de se contenter de repérer le type qui l'avait écrit pour lui tirer des informations sans avoir besoin de les rechercher) ont une attitude insupportablement paresseuse à l'égard du savoir : ils se contentent de faire parler les "spécialistes", les "experts" mais ne critiquent ni n'analysent (ni même ne lisent) ce qui leur permettrait de distinguer les questions superficielles des questions de fond. Combien de fois m'a-t-on appelé pour me demander "D'où vient l'engouement des Français pour les séries télé ? " ou "Est-ce que les séries ont facilité l'élection de Barack Obama ?", ou encore "Comment il se fait qu'il y ait tant de bonnes séries aujourd'hui alors qu'avant y'en avait pas ?" ... Toutes ces questions sont parfaitement acceptables de la part de quelqu'un qui n'y connaît rien, mais pas de la part de quelqu'un dont c'est le métier de chercher à savoir. Et pour savoir, il ne suffit pas d'interroger UN spécialiste, fût-il aussi bavard que moi. Pour savoir, il faut LIRE.
Aujourd'hui, avec un ordinateur et un abonnement internet, on peut lire beaucoup et apprendre beaucoup sur tout... avant d'appeler le spécialiste. Mais évidemment, c'est plus long.

1 commentaire:

  1. Vous oubliez de préciser que pour Ouest-France, quotidien régional, le plus important c'est que vous habitiez au Mans, ville qui fait partie de sa zone de couverture... Tout le reste, la grippe, les vaccins, les livres, est secondaire !

    (J'exagère à peine.)

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