Quand je suis devenu un écrivain connu, au moment du succès de La Maladie de Sachs, j'ai commencé à être invité à des signatures dans des librairies et dans des bibliothèques, partout en France. Et aussi, bien sûr, à des salons du livre. Très vite, j'ai compris où allaient mes préférences : je n'avais pas vraiment de goût à rester assis derrière une table pour attendre des lecteurs qui ne savaient pas nécessairement que j'étais présent, au milieu de dizaines d'autres écrivains et qui, le plus souvent, tombaient sur moi par hasard, ou s'arrêtaient devant un livre dont ils avaient entendu parler mais qu'ils n'avaient pas nécessairement lu ou envie de lire. Et qui, surtout, avaient peu de chose à dire à son auteur.
Quand on n'est pas un super best-seller dont la présence est annoncée à grands frais de publicité et dont le stand est entouré par des barrières pour éviter la foule, attendre est très éprouvant, parce que cette attente répète implicitement l'attente de la réponse de l'éditeur quand on a envoyé un manuscrit et celle des articles quand un livre vient d'être publié.
Très vite, j'ai cessé d'aller dans les salons, sauf aux 24 heures du Livre du Mans (c'était ma ville, j'habitais à quelques centaines de mètres, j'y allais aussi pour rencontrer les écrivains, j'avais envie de soutenir les librairies du Mans, je me sentais chez moi et puis, mes enfants et des copains venaient me tenir compagnie !) et au Salon du Livre de Paris, où la présence est en générale ponctuelle (une heure ou deux), donc pas trop frustrante même si on n'y voit que quelques lecteurs. On trouve toujours quelqu'un avec qui bavarder.
(A Paris, sur le stand P.O.L, qui est probablement celui que j'ai le plus fréquenté depuis 20 ans (même quand je n'avais publié qu'un seul roman, confidentiel, et même, après "Sachs", quand je n'avais rien publié de récent), je ne me suis jamais senti seul ni ennuyé, car j'ai toujours pu y rencontrer des écrivains que je lis (mais que je ne connais pas personnellement) et feuilleter dans les rayons des livres dont j'ignorais auparavant l'existence sans qu'on vienne me regarder d'un oeil sévère et me demander si je cherche quelque chose en particulier. )
J'ai toujours préféré, et de loin, les rencontres en librairies ou en bibliothèque. D'abord parce qu'elles sont programmées, ce qui fait que les personnes qui s'y rendent viennent spécialement pour vous. Ensuite parce que, quel que soit leur nombre, c'est toujours passionnant. J'ai eu droit à des rencontres avec plusieurs centaines de personnes - comme à "La Boîte à Livres", à Tours, en 1998, et je raconterai un de ces jours pourquoi c'était très émouvant ; j'ai eu droit à des rencontres avec trois personnes (à Bordeaux, dans une bibliothèque de quartier, un soir de semaine) ; j'ai fait des rencontres dans de toutes petites bibliothèques de campagne et dans des bibliothèques cossues de grandes villes de province et j'en suis sorti, chaque fois avec un sentiment assez réconfortant de mieux comprendre ce que j'avais écrit.
Car ces rencontres ne sont pas des "séances de promo" de mes livres mais des rencontres avec des lecteurs, qui en ont déjà lu un ou deux, et qui éprouvent le désir de m'entendre parler de mes métiers de médecin et d'écrivain, et de dire ce qu'ils ont ressenti à la lecture. De sorte que, quel que soit leur nombre, ce qui se passe, ce qui se dit, ce qui s'échange est toujours extraordinairement gratifiant. Souvent, j'entendais des gens me dire ce qu'ils avaient senti ou lu dans un de mes livres, et j'étais émerveillé de ce qu'ils avaient vu et que je ne savais pas y avoir mis.
Et puis, les rencontres de ce type sont souvent pour moi l'occasion de lire à haute voix des extraits des bouquins, et cela aussi est un moment de grand plaisir. J'aime lire à haute voix. Sans doute parce que la narration orale est ce qui m'a toujours le plus transporté : j'aimais écouter les membres de ma famille (qui en connaissaient des flopées) raconter des histoires ; j'aimais écouter les dramatiques radio de "L'heure du Mystère" ou du "Théâtre de l'étrange" quand j'étais un jeune adolescent, et j'entends toujours une voix intérieure (la mienne ?) lire les lignes que je parcours dans un livre.
J'ai aussi beaucoup aimé me rendre dans des classes - de collège ou de lycée, le plus souvent - sur l'invitation d'enseignants désireux d'offrir à leurs élèves un regard nouveau sur un écrivain, ou sur la contraception ou sur les séries télé... D'abord parce que je me souviens de l'ennui puissant qui me tenaillait, quand j'étais au lycée, et de la fête que c'était quand quelque chose - n'importe quoi ! - venait rompre la monotonie. Alors j'aime beaucoup l'idée de jouer le rôle de diversion pour une classe. Pour moi, l'enseignant qui invite un écrivain ou un artiste fait un cadeau à ses élèves. Et puis, entendre un lycéen demander "Pourquoi vous avez mis une scène de partouze dans Mort in Vitro ?" ou "Pourquoi vous dites "baiser" et pas "faire l'amour", M'sieur ?", c'est vraiment réjouissant. Moi qui avais si peur de parler de sexe quand j'étais adolescent, je trouve fabuleux que les ados d'aujourd'hui m'interpellent... et me demandent d'en parler !
Ce plaisir de parler avec des lecteurs et lectrices de tous âges ne m'a jamais été imposé. Chez P.O.L, par exemple, on est très précautionneux de ce qu'on demande aux écrivains, on les protège, on leur laisse toujours entendre qu'ils ne sont obligés à rien. Certains écrivains aiment ce genre de rencontres, d'autres les fuient (ou même, restent constamment invisibles), tous sont respectés. Aucun n'est traité comme s'il devait assurer le "minimum syndical" de la représentation. Evidemment, c'est très confortable de savoir qu'on n'est pas tenu d'accepter toutes les invitations pour "faire plaisir" à son éditeur.
Il est plus difficile de refuser les invitations quand on a envie de se faire plaisir. A une certaine époque, j'acceptais presque toutes les invitations de rencontre. Pour différentes raisons, que je trouvais toutes bonnes : la reconnaissance envers les libraires qui défendent mes livres et les lecteurs qui les achètent et les offrent ; l'ivresse de rencontrer des personnes nouvelles toutes les semaines ; le sentiment presque missionnaire de devoir faire passer un message important sur la contraception ou la santé des femmes ; le désir de transmettre.
Je me laisse souvent entraîner à parler de médecine, de politique de santé, de formation des médecins, plutôt que de littérature. C'est ma faute. Je suis trop passionné. Parfois, cependant, il m'est arrivé de parler de littérature et d'écriture. Trop rarement, mais tout de même. Je me souviens en particulier d'une fois, en Normandie. Une enseignante m'avait invité à rencontrer ses élèves dans la journée, des adultes le soir... et m'avait demandé si, entre les deux, je voulais passer une heure avec les adolescents à qui elle proposait un club/atelier d'écriture.
Elle m'avait précisé que c'étaient tous des adolescents avec une histoire un peu difficile, et que cet atelier était l'un des seuls endroits où ils pouvaient s'exprimer librement. Et que ça donnait des textes souvent très impressionnants.
Bien sûr, j'ai dit oui. Et j'ai passé un moment assez extraordinaire à échanger avec eux, à leur demander ce qu'ils écrivaient et à en parler, en insistant constamment sur le fait qu'à leur âge, j'écrivais déjà, mais que je ne me doutais aucunement qu'un jour je serais publié et rencontrerais le succès. Alors, qu'ils ne se mettent pas martel en tête, qu'ils continuent à avancer et à écrire, et puis ils verraient bien, le moment venu...
A l'époque, j'écrivais Les Trois Médecins et je leur ai confié mon projet d'écrire un remake des Trois Mousquetaires. Leurs remarques, leurs questions, leurs réactions m'ont fait tant de bien et j'ai passé un si bon moment que j'ai trouvé tout naturel de tous les nommer dans les remerciements du livre. Ils m'ont remercié, mais ils faisaient erreur : c'est moi qui leur devais un merci.
Un an ou deux plus tard, l'enseignante m'a écrit pour me confier qu'elle venait de vivre une expérience très pénible. Elle avait invité un autre écrivain à rencontrer les adolescents du même groupe. Non seulement ça n'avait pas accroché, mais elle venait de découvrir, quelques mois plus tard, qu'il avait écrit un texte extrêmement méprisant, dans lequel il ironisait sur (je le cite de mémoire) "ces ados qui s'imaginent, parce qu'ils écrivent, qu'ils ont quelque chose à dire". Il ne nommait ni la ville, ni les adolescents, ni leur enseignante mais, pour qui les connaissait, la description de leur rencontre ne laissait aucun doute quant à leur identité. Et dans son texte, sa condescendance envers ces adolescents était palpable.
J'ai répondu à l'enseignante que j'étais aussi choqué qu'elle. Et qu'à mon avis (je me cite de mémoire) ce type était un sale con.
Et tout récemment, à la télé j'ai encore entendu parler d'un autre écrivain (mais j'oublie son nom) qui raconte dans un de ses livres comme il a souffert dans les salons pluvieux et déserts où personne ne le connaissait et ne venait le voir.
Mais rien n'oblige jamais un écrivain à aller à un salon, rencontrer des lecteurs ou parler à des lycéens. On ne le fait pas pour la gloire, on ne le fait pas pour la postérité, et on ne le fait certainement pas pour l'argent. Si on n'en a pas envie, on n'y va pas. Mais lorsqu'on y va, la moindre des choses c'est d'y aller de bonne grâce. Et de ne pas déverser sa rancoeur, après coups, sur les gens qui étaient là pour nous y accueillir. Ils n'étaient peut-être pas nombreux, mais ils sont venus, et à ce titre ils méritent notre respect.
C'est comme les médecins qui ne respectent pas les patients qui leur parlent de ce qui les fait souffrir. Un écrivain qui n'a pas de respect pour les personnse qui lisent et qui écrivent et le font parler de littérature - surtout quand elles sont peu nombreuses - n'est probablement pas fait pour ce métier.
je me pose une question: il existe beaucoup d'écrivains qui ont une autre formation au départ (la majorité des contemporains, non?), mais celle-ci interfère-t-elle autant avec l'écriture que quand cette formation initiale est centrée sur l'humain (comme le médical, le social et à un moindre degré l'enseignement)?
RépondreSupprimeret que dire de la création littéraire qui est si souvent sujet d'elle-même?
J'ai eu l'occasion, à deux reprises, de vous rencontrer à la librairie Mollat, à Bordeaux. La première fois c'était pour Les Miroirs de la Vie. A la fin je vous ai remercié de m'avoir fait découvrir Law & Order. La deuxième pour Les Trois Médecins. A la fin je vous ai remercier de m'avoir inclus dans la liste des remerciements.
RépondreSupprimerJ'espère vous voir une troisième fois. A la fin je vous dirais merci pour...
C'est dans un de ces Salons du livre que je vous ai rencontré pour la première fois, aux 24 heures du Livre. Je n'avais pas votre livre avec moi. C'était après la sortie de La maladie de Sachs. J'ai eu du mal à vous trouver, isolé à une petite table ronde, au fond du salon. Avec le recul je me demande ce que vous faisiez coincé là? C'était vos débuts d'auteur connu, mais pas assez pour bénéficier d'un grand battage médiatique. J'avais dévoré votre livre. J'étais intimidée de vous rencontrer. J'ai fait deux fois le tour du salon avant d'oser vous aborder. Puis je me suis lancée. Je vous ai demandé un autographe mais n'ayant pas le livre et n'ayant de papier ni l'un ni l'autre nous avons pris une carte d'un groupe folklorique local pour la dédicace. Nous avons peu parlé [j'ai toujours peur de déranger ou de n'avoir rien d'intéressant à dire à un écrivain!], mais j'ai quand même pu m'apercevoir combien vous étiez "abordable". C'est pourquoi je suis retournée vous voir lors d'une conférence à l'Abbaye de l'Epau, près du Mans. J'avais pensé à prendre mon livre. Vous l'avez donc dédicacé. Et miracle, vous vous souveniez de moi et m'avez mis une jolie dédicace sur votre "enfant de papier". Et enfin, lorsque je vous ai rencontré une 3e fois, lors de la sortie du film de Deville à Sablé, j'avais La maladie de Sachs avec moi et j'ai pu le faire dédicacer une 3e fois pour rire... C'est le seul livre où j'ai trois dédicaces. Un petit record sans doute... Je vous ai rencontré ensuite plusieures fois avec d'autres livres et à chaque fois vous m'avez très bien reçue.
RépondreSupprimerMerci pour votre patience et votre humour et vivent les rencontres auteurs-lecteurs !
PS : que devient le livre "Comment survivre à un best-seller" ?
Et après nous avoir raconté ça, vous allez nous expliquer que le métier d'écrivain, c'est dur ! A nous, obscurs écrivaillons qui ne serons jamais lus que par quelques amis (sans doute parce que nous ne méritons pas mieux, il suffit de lire cette phrase ;-) )
RépondreSupprimer@Aldar
RépondreSupprimerBon alors, ce sera le thème d'un prochain texte : "Etre écrivain, est-ce que c'est dur ?"
@Anne
"Comment survivre à un best-seller" est toujours en projet mais je ne sais pas quand je vais m'y mettre pour le finir. C'est peut-être prématuré... En tout cas ce n'est pas un projet abandonné, j'ai déjà écrit une centaine de pages...
@Arnaud : Il faudra que j'explique un jour qui je mets dans mes remerciements, et pourquoi... (Quelle est la "fonction" des remerciements, dans mon esprit).
@Zelapin
Je ne saurais pas vous répondre, mais personnellement je n'ai pas le sentiment que la formation professionnelle d'un écrivain "interfère" avec l'écriture, plutôt qu'elle la nourrit. A moins, évidemment, qu'on déteste son métier. Alors, oui, Kafka détestait son boulot de bureaucrate, mais ça a nourri son écriture. Quant à l'écriture-comme-sujet, c'est encore un sujet pour ce blog... Bon, j'ai du pain sur la planche (encore...)
Merci à tou(te)s
commentaire du billet du 3 octobre
RépondreSupprimeren discutant de cet échange, il est apparu qu'interférer était mal choisi car il est associé à la notion de perturbation (interférences sur une ligne de communication, par exemple), il dit mal ce que je pense. l'idée de nourrir me va, mais il me semble que le vocabulaire, les situations, un tas de choses sont présentées de façon particulière suivant la formation de l'écrivain, et encore plus quand celle-ci est médicale, sociale, enseignante...
bien qu'un ouvrier de la métallurgie décrira une pièce de machine de façon spécifique, sûrement...
il me semble tout de même que les écrits des soignants présentent le corps de façon spécifique (cf Emmanuelle Bayamak-Tam, éditée chez POL aussi et qui parle du corps en termes presque médicaux, du fait d'une approche "familiale" médicale, c'est la seule qui me vient à l'esprit, sorry).
je me demande comment vous avez le temps de nous répondre!
@ zelapin
RépondreSupprimerIl est possible que les soignants parlent du corps de manière spécifique, mais je ne suis pas sûr que d'autres professionnels n'auraient pas eux aussi une manière spécifique d'en parler par écrit (les peintres, par exemple), différente de celle des soignants. Le corps, c'est un "objet" qui intéresse tout le monde, pas seulement les soignants... La littérature érotique parle du corps de manière très spécifique, il me semble, sans qu'on ait besoin d'être un "professionnel" du sexe, et les auteurs (comme Nelly Arcan) qui sont ou étaient des professionnel(le)s du sexe en parlent eux/elles aussi de manière très personnelle et pas du tout médicale, etc...
J'ai le temps de vous répondre parce que je le prends... (Et on trouve toujours le temps de faire quelque chose qui nous fait plaisir.)
Pour ma part, j'essaie de me lancer dans la profession d'écrivain, mais c'est surtout par passion et pour réaliser un rêve de gosse. Je n'en attends rien d'autre que du plaisir à faire ce que je fais : écrire. Je trouve que c'est déjà énorme ! J'ai la chance de pouvoir me le permettre même si avec ma famille on a dû faire quelques concessions.
RépondreSupprimerPour l'instant donc dans les salons et autres rencontres littéraires, je vais voir les autres, les connus, mais qui sait un jour peut-être...
Cependant, peut importe de quel côté de la table on se trouve quand on parle la même langue, celle des mots, de la littérature, des livres lus, approchés, aimés ou détestés...