jeudi 10 septembre 2009

Sans retour ("Contretemps") - par Emmanuelle M.


Je me réveille à peine et j’ai déjà mal à la tête. Presque comme tous les jours. Il me dit bien qu’il faut que je consulte un médecin, mais je n’aime pas les médecins. Il dort déjà. Il a du rentrer tard, comme souvent le mardi. J’aime bien le regarder dormir, sentir sa nuque, le voir respirer. Je me retiens de le toucher, pour ne pas le réveiller. Il faudrait que je me lève, je ne sais si j’ai faim ou non, ma tête tourne, je ne vais pas très bien, qu’es-ce que j’ai ? Hier soir, en rentrant du boulot, j’ai pensé à ma vie, à ma conne de vie. J’ai longtemps cru que j’étais le seul responsable de ma vie, et je me suis rendu compte hier que non. Non, je ne suis pas un abruti, n’en déplaise à mon père. 



Pendant des années, j’ai entendu mon père et ma belle-mère s’engueuler à cause de moi. Mon père me frappait souvent, je croyais que c’était normal, il me traitait d’abruti, je croayis que je le méritais. Il me cassait mes lunettes en me donnant des gifles, je ne disais rien, Il disait que j’étais vicieux, je le croyais. Maintenant, je sais que ce n’était pas vrai. Un soir, peu de temps après mes 18 ans, alors que j’étais dans la salle de bains, il s’est approché de la porte, m’a regardé d’un air las et m’a dit à voix basse : « Si seulement tu pouvais t’en aller, Thomas. Si seulement tu pouvais t’en aller ».

J’ai continué à ne rien dire, et le lendemain, je suis parti chez ma grand-mère, en train, à 200 kms de ce que j’avais cru être chez moi. J’y suis resté le temps de trouver un boulot. Un boulot merdique, qu’est-ce qu’on peut trouver d’autre sans faire d’études ?

J’aimais bien aller à la bibliothèque (j’aime toujours), c’est là que j’ai rencontré Hugo. Il m’a parlé le premier, je l’ai laissé lentement se répandre en moi, prendre toute la place, je lui ai murmuré « aime-moi » et il m’aime toujours, je le crois, j’ai la naïveté de le croire. Lorsque je lui parle de mon enfance, Hugo est toujours surpris de la violence latente qui existait dans ma famille.
Hier soir, alors qu’Hugo venait de partir au boulot, je me retrouvais seul, et, pour une fois, je ne savais pas quoi faire. Pas envie de sortir, pas envie de regarder la télé, pas envie de jouer sur l’ordi. Je me suis assis par terre, et, (pourquoi là ? pourquoi maintenant ?) j’ai pensé à ma vie. Ma conne de vie, mes angoisses, mon sentiment d’infériorité parce que je n’ai pas fait d’études, et ma haine pour mon père. 

Je me suis dit qu’un jour, je devrais régler mes comptes. Et pourquoi pas maintenant ? Non, plutôt demain, il fallait que j’y réfléchisse avant. J’allais dire à mon père, mon géniteur, le connard qui n’aurait jamais du avoir d’enfant, combien je le haïssais, je sais qu’il ne se doute pas de la violence qu’il y a en moi, j’ai toujours été celui qui ne dit rien.

Aujourd’hui, j’ai des contractures au bas-ventre, pas de ces contractures agréables comme lorsque je retrouve Hugo sur le quai de la gare. Je suis sans force. Hier, je pensais appeler le boulot pour leur dire que j’étais malade et en fait aller voir mon père pour régler des comptes. Aujourd’hui, je vais certes appeler le boulot pour leur dire que je suis malade, mais là, ce sera vrai.

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