Je l'ai rapidement mentionné dans la page que j'ai écrite pour Libération samedi 29, et j'avais envie d'en reparler de manière plus détaillée - soyez indulgent(e)s, je ne suis pas critique littéraire professionnel.
HKPQ (Ed. Marchand de Feuilles, Montréal) est un court livre de Michèle Plomer, et sauf erreur c'est son deuxième roman. Le titre est aussi mystérieux que le personnage, dont on ne connaîtra que les initiales (PQ) et se passe en Chine, à Hong-Kong (HK...). La narratrice raconte comment, après le suicide de son compagnon elle décide de quitter le Canada et d'accepter un poste dans une entreprise à Hong Kong. Elle connaît déjà la Chine, elle y part pour couper les ponts avec cet événement douloureux et avec la relation difficile et complexe qui la liait au disparu mais aussi pour se replonger dans un univers qu'elle connaît et qu'elle aime. En arrivant à Hong-Kong, elle croise le chemin d'une jeune femme en fuite qui lui confie une lettre pour sa mère et disparaît. Dans le quartier où elle élit domicile, elle fait fortuitement l'acquisition d'un poisson qui se révèle avoir une très grande valeur, pour elle et pour d'autres, mais de manière très différente. Dépositaire du secret de la jeune femme et de cet animal fabuleux,la narratrice va également voir apparaître une silhouette qui lui rappelle terriblement son ami disparu. Cette triple empreinte va nouer les événements du roman, et l'aventure de cette jeune femme dans une ville qu'elle aime mais où elle est tout de même étrangère à la langue, aux coutumes, aux jeux de pouvoir et d'influence.
HKPQ est (si ma mémoire est bonne) le premier roman québecois que je lis. Il m'a été recommandé par Fleur, une des libraires de chez Olivieri (une grande librairie indépendante sur Côte-des-Neiges, à Montréal). J'étais entré pour demander conseil : vivant désormais à Montréal, j'avais envie de connaître les écrivains du Québec, les écrivains qui écrivent aujourd'hui. Après m'avoir conseillé Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis (que j'ai acheté également et que je suis en train de lire) Fleur m'a parlé du roman de Michèle P. en me disant qu'elle le trouvait "rafraîchissant" (en tout cas, c'est ce que j'avais compris). Effectivement, c'est un roman épatant. Une sorte de roman d'aventures exotiques dans lequel les éléments du genre sont traités de manière à la fois légère, réaliste, passionnante et... modeste. Mais cette modestie ne doit pas faire illusion : Michèle Plomer n'évoque pas Hong-Kong à grands coups de panoramiques spectaculaires, mais en décrivant à petites touches le quartier où vit la narratrice, la boutique où elle commande de la soupe et des nouilles, les relations codées et formelles qu'elle entretient avec son collègue et ami Ju-Lin, l'attachement qu'elle porte à "Poissonne" à qui elle parle (et qui lui répond...), les problèmes matériels concrets et triviaux que rencontre une occidentale dans une grande ville d'Asie, la valeur très différente que peut avoir la vie d'une personne ou d'un animal porteur de symboles aux yeux d'une jeune expatriée occidentale et de ses hôtes chinois.
Cette maestria et ce calme dans la narration pourraient donner un sentiment trompeur de "facilité", mais la tenue de l'écriture témoigne, à mon sens, d'un travail acharné. J'ai été très impressionné par la grande élégance de Michèle Plomer, par sa manière d'user d'une phrase précise, poétique et cependant dénuée de prétention ou de m'as-tu-vu. Je n'avais jamais lu ça, ça m'a complètement charmé et je peux dire que je n'ai pas souvent été charmé par la lecture d'un roman écrit en français, dernièrement.
(Il faut dire que j'en lis peu, depuis dix ans, et en ce moment, je préfère de beaucoup les livres de sciences humaines américains. Mais je suis peut-être en train de changer de cap : en juillet, j'ai lu Le roman de l'été de Nicolas Fargues, dont il faudra que je parle aussi un de ces jours.)
Le dernier roman qui m'ait "charmé" ainsi est The Time Traveler's Wife, le roman d'amour et de voyage dans le temps d'Audrey Niffenegger (traduit en français sous le titre Le temps n'est rien, ce qui est à mon avis un contresens désastreux). C'est un roman d'amour poétique sur un thème classique de science-fiction. Je l'ai lu parce que le thème du voyage dans le temps me fascine, et je n'ai pas été déçu. Audrey N. développe son récit de manière intriquée, complexe, sous la forme d'un puzzle dont les pièces sont savamment réorganisées dans le temps et l'espace.
Tout en restant tout à fait ancré dans la réalité, le roman de Michèle Plomer joue également du fantastique et de la poésie (en particulier dans la description des relations de la narratrice avec "Poissonne"), mais avec une économie de moyens et, une fois encore, une modestie impressionnantes.
Pour couronner le tout, HKPQ raconte plusieurs histoires entrelacées - dont la narratrice est en quelque sorte le catalyseur involontaire - que Michèle Plomer dénoue, en quelques pages, avec la même élégance consommée.
Au fond, ce roman me fait penser à un numéro de music-hall : à ces numéros où une jeune asiatique jongle avec des assiettes ou des anneaux en se tenant en équilibre sur d'énormes boules et pendant lesquels on reste bouche bée, yeux écarquillés, retenant son souffle, partagé à chaque instant entre l'admiration et la crainte de la voir tomber ou laisser échapper une assiette. Et puis, sans jamais avoir perdu son sourire communicatif (je me suis surpris à sourire en permanence en lisant HKPQ) ou son calme olympien, d'un seul coup, son numéro impeccablement achevé, elle salue brièvement et disparaît, laissant le spectateur content et stupéfait.
Chapeau, l'artiste.
Pas trouvé HKPQ de Michèle Plomer en France, à Poitiers, aujourd'hui. Uniquement sur amazon.
RépondreSupprimerPfff....j'ai tellement envie de le lire après ce que Martin vient d'écrire.
Martin n'est pas critique littéraire, dit-il, donc il faut être indulgent avec sa critique. Mais la critique est superbe, digne de n'importe quel critique littéraire que je respecte (tiens, Joseph Macé-Scaron par exemple).
A chaud. Je finis "Le ciel de Bay City", lu à cause de/grâce à ce blog. Déroutée et abasourdie, épatée et tout sauf sereine... d'ailleurs, pour l'avoir lu le soir avant de m'endormir (s'endormir, ça veut dire quoi ?) je l'ai payé au même prix fort que la narratrice, à coup de cauchemars moins morbides que les siens mais tout de même... Je ne sais même pas si j'ai aimé, mais impressionnée, ça je le suis. Quelle maestria dans la manipulation du temps, quelle aisance dans la caractérisation des personnages : ils sont là, vivants comme fantômes, présents dans leur chair "réelle" ou fantasmée. Un choc.
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