1) Il lâcha le
paquet de farine à la vue des deux fluorescentes amandes qui le fixaient dans
les ténèbres. Le chat miaula sec. L'homme ne bougea plus, déglutit un semblant
d'humidité dans un palais sec. Il pensait être en sécurité dans cette campagne
de nulle part, il n'en avait parlé à personne et avait soigneusement préparé sa
fuite après avoir balancé, durant une ronde de nuit, ce chat de malheur du haut
du gratte-ciel new-yorkais où il bossait. Le chat était mort sans aucun doute,
mais ce qu'il voyait devant lui ne pouvait être que l'âme de ce dernier venue
se venger. Ces yeux, il les reconnaîtrait entre mille. Il sentit un petit
écoulement de sang sur sa main, là il n'y avait plus aucun doute. La première
fois qu'il eut affaire au félin, c'était à Central Park. La dame s'était levée
du banc sans lui adresser le moindre regard, son chat la suivit. Il prit leur
place sur le banc, un ticket de cinéma oublié attira son attention. Il le
toucha à peine qu'il sentit la griffe sur sa peau glacée par le froid. Depuis,
la plaie était aussi vivante que le souvenir.
2) En demandant à l'épicier
le paquet de farine pour ta mère,
tu hésites
à
acheter le Matin du Sahara. Son prix
vaut le ticket du cinoche du quartier qui passe ''Les Incorruptibles'' et un nanard Shaolin truc de Hong-Kong. C'est
lundi aussi, il y aurait peut-être
une annonce ou deux sur lesquelles tu pourrais postuler. Enfin, tu te dis que
le film de De Palma est plus agréable
que le casse-tête
des lettres de motivation qui n'aboutissent jamais. Le chat de l'épicier t'énerve car il cherche un
peu d'affection et sa maigreur ne fait que te renvoyer l'image de toi-même, un jeune
casablancais qui s'enlise dans le chômage. Tu l'aimes bien, pourtant tu te retiens de le botter.
Le parfum d'une femme éveille
tes sens, mais tu préfères lui céder ta place en
emportant la farine. Et puis, c'est décidé, tu
passeras l'après-midi
au Cybercafé.
Google Earth te fascine, tu n'en reviens de pouvoir panneauter les
grattes-ciels de New York comme un gosse à l'affût de
la vie des autres. Au moins, au petit tarif que tu paies, tu peux faire le tour
du monde.
3) Je suis du genre méticuleux. Discret aussi, aucune trace même sur le plus banal
ticket de métro.
Les collègues
me collent plusieurs étiquettes
dont je n'ai cure. Ce matin, on m'appela très tôt et
on me passa la ligne. L'homme parlait arabe, il devait être du Golfe. Ils ont
besoin de moi pour une affaire délicate.
Des menaces planent sur le plus haut building de Dubaï, Burj Khalifa. L'homme
ne voulait rien dire de plus, ce sera très généreux et à moi de décider vite, la
connaissance de l'arabe est mon deuxième atout. J'aurais pu l'envoyer balader avec mon arabe de la
banlieue parisienne, mais j'aime prendre mon temps. J'ouvre un paquet de farine
et me prépare
calmement de bonnes crêpes.
Mon unique compagnon en raffole et il le fait savoir en ronronnant dans mes
oreilles. Je lui dit que je réfléchis à la possibilité de partir pour une
mission et que je dois lui trouver de la bonne compagnie durant mon absence. Il
a l'habitude maintenant. Comme à
chaque fois, une fille sympa qui ne me croisera que le temps de lui confier mon
chat.
J'aime bien ces atmosphères différentes : ce qu'on en devine du personnage.
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